jeudi, avril 19, 2012

Au-delà du cerveau




Une lobotomie néo-spiritualiste



Le spiritualisme de Jill Bolte Taylor est-il liberticide ? Selon cette scientifique, rescapée d'un accident vasculaire cérébral, pour parvenir à la quiétude il faut « faire taire la voix de notre hémisphère gauche ». Or museler le cerveau gauche permet de supprimer l'indignation devant l'injustice et son corollaire la révolte ainsi que la capacité d'analyser et de réformer, car pourquoi réformer puisque les hommes seraient censés vivre dans le meilleur des mondes possibles ? Pourquoi vouloir contester ceux qui les dirigeraient puisque tout sens critique aurait disparu ? Leurs gouvernants ne seraient-ils pas alors perçus comme les plus beaux, les plus gentils, les plus compétents, les plus aimants ? dit Rastignac dans une pertinente critique des idées de Jill Bolte Taylor (conférence ci-dessous) sur le site du Figaro.



Voyage au-delà de mon cerveau


Le jour où Jill Bolte Taylor, chercheuse en neurosciences à Harvard, est victime à trente-sept ans d'un accident vasculaire cérébral, sa vie bascule : elle assiste à la dégradation de ses facultés au point qu'en l'espace de quelques heures elle ne peut plus marcher, parler, lire, écrire, ni même se rappeler à quoi sa vie ressemblait jusque-là. Il y a quelque chose de Christophe Colomb chez cette femme qui a découvert et exploré les territoires les plus reculés de son cerveau. A travers son récit, elle nous confie avec autant de précision que d'humanité ses observations, ses émotions et ses techniques pour se réapproprier le monde durant les huit années qu'il lui a fallu pour retrouver toutes ses facultés. Expérience scientifique unique, cette fascinante exploration des rouages du cerveau se double d'un guide précieux à l'usage des victimes d'un accident cérébral, mais aussi d'un témoignage profondément émouvant sur la paix intérieure à laquelle chacun de nous peut accéder.

Extraits :

Notre empathie, notre capacité à nous mettre à la place d'autrui, prend naissance dans notre cortex frontal droit.

Notre hémisphère gauche traite l'information d'une manière en tous points différente. Il rattache les uns aux autres, selon un ordre chronologique, les instants riches de sensations dont nous prenons conscience dans notre hémisphère droit. Il ne cesse de comparer les particularités de tel moment donné à celles du précédent. En retraçant l'évolution au fil du temps de ce qui a caractérisé un instant ou un autre, notre hémisphère gauche nous donne une idée du passé, du présent et du futur. Leur succession dans le cadre d'une structure établie nous permet de comprendre qu'il faut accomplir telle action au préalable à telle autre. […]
Tandis que notre hémisphère droit pense par images, en se formant une vue d'ensemble de l'instant présent, notre hémisphère gauche, lui, s'attache aux détails, à une infinité de détails.

Je dois avouer que la nécessité d'admettre que notre vision du monde extérieur et notre relation à lui découlent de notre « câblage » neurologique, m'a libérée tout en me posant un défi de taille. Jusque-là, je n'étais donc que le pur produit de mon imagination ! […]

La cérébralité de mon hémisphère gauche, pour l’heure en veilleuse, ne refoulait plus ma conviction innée d'incarner une force de vie à l'état pur. Je gardais conscience d'un changement en moi mais pas une seule fois mon hémisphère droit ne m'a laissé entendre que je valais moins qu'avant. Me voilà devenue un être de lumière dont l'énergie se diffusait dans le reste du monde !  […]

Depuis que mon hémisphère droit régnait en maître sur ma conscience, je débordais d'empathie. [...]

Imaginez-vous, si vous le voulez bien, privé petit à petit de l'ensemble de vos facultés mentales. […] Votre incapacité à vous rendre compte des variations de température ou de la position de vos membres, modifie votre perception de votre corps. Votre énergie se diffuse à tous ceux qui vous entourent. Voilà que vous atteignez les dimensions de l'univers ! La petite voix dans votre tête, qui vous rappelle qui vous est et où vous habitez, se tait. Vous oubliez les émotions qui vous ont façonné au fil des ans. La plénitude de l'instant présent vous absorbe tout entier. Tout, y compris la force vitale à l'œuvre en vous, rayonne d'énergie à l'état pur. Mû par une curiosité enfantine, votre esprit découvre la possibilité inédite de baigner dans une mer d'euphorie et votre cœur connaît enfin la paix. Demandez-vous alors : seriez-vous vraiment motivé pour renouer avec les contraintes d'une routine établie. […]

Au cours du long processus de ma guérison, je me suis efforcée de parvenir à un équilibre harmonieux entre les deux hémisphères et surtout de déterminer quelles tendances prendraient le pas à tel moment donné. Cela me tenait à cœur dans la mesure où une profonde inquiétude mêlée de compassion pour le reste de l'humanité habite mon hémisphère droit. Plus nous mobilisons les réseaux de neurones qui suscitent en nous sérénité et sympathie pour autrui, plus notre entourage le ressentira et plus la paix s'étendra par contagion, si je puis dire, sur notre planète.

D'un point de vue neuroanatomique, la paix intérieure a envahi mon hémisphère droit quand le centre du langage et l'aire associative pour l'orientation de mon hémisphère gauche ont cessé de fonctionner. […]

En tant que créature biologique, nous disposons d'une emprise extraordinaire sur nous-mêmes. Nos neurones communiquent entre eux en fonction de circuits établis, ce qui rend au final leur activation assez prévisible. Plus nous nous concentrons sur un réseau de cellules en particulier, c'est-à-dire plus nous passons de temps à entretenir telle ou telle pensée, plus notre influx nerveux aura tendance à suivre le même parcours à l'avenir.
En un sens, nos esprits ressemblent à des programmes de recherche sophistiqués qui se concentrent presque exclusivement sur l'objet de leur quête. Si je prends plaisir à voir du rouge autour de moi, je ne tarderai pas à en repérer un peu partout. Peut-être pas tant que ça au départ mais, plus je me focaliserai sur mon envie de rouge, plus j’en distinguerai dans mon environnement.

Chacun de mes deux hémisphères voit les choses sous un angle différent. Mon hémisphère droit ne se soucie que de l'ici et maintenant. Il sourit sans cesse et se montre très amical.  Mon hémisphère gauche s'attache quant à lui aux détails en organisant mon quotidien. C'est lui qui me pose des limites et juge de ce qui est bon ou pas, juste ou non.

Mon cerveau droit se concentre sur la plénitude de l'instant présent. Il jouit de ce qui fait la richesse de ma vie au quotidien. Éternellement satisfait, il ne renonce jamais à son optimisme. Il ne juge pas en termes de bien ni de mal ; tout existe de son point de vue dans un continuum ; tout est relatif.

C'est dans mon hémisphère droit que résident les tendances mystiques, ma sagesse, mes facultés d'observation, d'intuition, de clairvoyance. Mon cerveau droit en perpétuel éveil se laisse happer par l'écoulement du temps. Mon cerveau droit (d'autant plus libre qu'il ne s'attache à aucune limite) affirme que j'appartiens à un tout qui me dépasse. […]

Non content d'échafauder des contes à dormir debout qu'il prenait ensuite pour argent comptant, mon cerveau gauche manifestait une fâcheuse tendance à la redondance, c'est-à-dire à ressasser sans arrêt les mêmes idées. Beaucoup d'entre nous voient leurs pensées s'enchaîner sans répit et se surprennent plus souvent qu'à leur tour à imaginer les scénarios catastrophes. Hélas ! Notre société n'apprend pas aux enfants à cultiver le jardin de leur esprit.

J'ai décidé de tirer une croix sur la partie de mon hémisphère gauche qui m'incitait à la mesquinerie, aux tracasseries incessantes et au dénigrement de moi-même et des autres. Mieux valait renoncer aux circuits neuronaux qui ravivaient en moi des souvenirs douloureux. La vie me paraît trop courte pour que je me soucie encore des souffrances qui appartiennent au passé.

Certains programmes de notre système limbique (à l'origine de nos émotions) se déclenchent par automatisme en libérant des substances chimiques qui se diffusent dans l'ensemble de notre organisme, mais disparaissent en moins d'une minute et demie de notre circulation sanguine. Prenons l'exemple de la colère : il nous arrive de nous emporter comme par réflexe dans certaines circonstances. Des substances chimiques qui perturbent notre équilibre physiologique nous envahissent alors pendant une minute et demie. Elles se dissipent ensuite et notre réaction automatique n'a plus lieu d'être. En résumé : ma colère ne persiste plus d'une minute et demie que lorsque je laisse le circuit neuronal correspondant activé en boucle. Je n'en reste pas moins libre à tout moment d'attendre que ma réaction se dissipe en me concentrant sur l'instant présent plutôt que de me laisser happer par le fonctionnement répétitif de mes neurones. 

Le « câblage » de notre système limbique a tellement tendance à programmer nos réactions que nous avançons souvent dans la vie en pilotage automatique. J'ai découvert que, plus les cellules de mon cortex supérieur se montraient attentives à ce qui se passait au sein de mon système limbique,mieux je maîtrisais mes pensées et mes sentiments. La surveillance des cellules responsables de mes réactions automatiques m’aide à maintenir mon emprise sur moi-même en m’amenant à prendre conscience des décisions de mon organisme. À long terme, j'assume ainsi la responsabilité de ce à quoi ressemble ma vie au quotidien.

Rien ne m'a plus donné confiance en moi que de me découvrir enfin libre, de ne plus ressasser des pensées génératrices de souffrance.

Quelle délivrance que de me convaincre qu'il ne dépendait que de moi de me laisser envahir par l'amour et la quiétude « de mon hémisphère droit », peu importe ce qui m'arrivait ! Il me suffisait de « virer à droite » en me focalisant sur l'instant présent. […]

Si je veux échapper aux idées noires que mon hémisphère gauche prend un malin plaisir à ressasser, il est impératif que je les identifie au plus vite.

Dès que je repère un circuit cognitif en train de s'activer dans mon cerveau, je me concentre sur ce que je ressens au plus profond de moi-même. Comment qualifierais-je mon état ? Mes pupilles se dilatent ? Le souffle me manque ? Mon cœur se serre ? La tête me tourne ? Mon estomac se noue ? L'anxiété me gagne ? Toutes sortes de stimuli sont susceptibles de mettre en branle le circuit de nos neurones qui suscitent en nous la crainte ou la colère, en provoquant une réaction physiologique type qu'il nous est par ailleurs loisible d'étudier. […]

Quand j'éprouve une douleur quelconque, je me tais le temps de panser les plaies en cédant à ma souffrance, ce qui lui permet de se dissiper plus rapidement. La douleur avertit notre cerveau qu'une partie de notre organisme vient de subir un traumatisme et qu'il ferait bien d'en prendre note. Une fois parvenue à ma conscience, ma douleur a joué son rôle et si elle ne disparaît pas complètement, du moins elle s'estompe.

Si je me fie à mon expérience, la paix intérieure provient d'un circuit de neurones dans le cerveau droit qui, parce qu'ils ne se reposent jamais tout à fait, restent susceptibles de prendre le pas sur les autres à tout moment. Notre sentiment de quiétude s’ancre dans l'instant présent. Il ne nous vient pas d'un souvenir du passé ni d'une projection dans l'avenir. Pour atteindre la paix intérieure, il me semble impératif de se laisser absorber par l'ici et maintenant.

Il ne faut pas s'en étonner : nos sociétés occidentales attachent plus de valeur aux facultés actives de notre hémisphère gauche que celle du droit, plus contemplatif. S'il vous semble malaisé de laisser s'exprimer votre hémisphère droit, c'est sans doute parce que vous avez trop bien retenu ce que l'on vous a enseigné toute votre enfance.

Ce qui me met sur la voie de la paix intérieure, c'est d'abord de me rappeler que j'appartiens à un tout qui me dépasse, un flot d'énergie éternelle dont je ne saurais me dissocier. Cela me rassure de me dire que je me rattache au flux cosmique de l'univers tout entier. Il me semble alors que le paradis m'attend sur terre. Mon hémisphère gauche me considère comme un individu fragile qui risque fatalement, à un moment ou un autre, de perdre la vie. Mon hémisphère droit s'attache au contraire à l'essence éternelle de mon être. Peu importe si je meurs. Mon énergie se diluera dans le vaste monde qui m'environne. [...]

Un moyen d'échapper à la rumination de notre hémisphère gauche consiste à le prier tout bonnement de chasser les pensées nocives qui nous perturbent. On ne saurait sous-estimer l'efficacité des incantations répétitives telles que les mantras (un terme qui signifie littéralement « lieu de repos de l'esprit »). Il me suffit de respirer à pleins poumons en répétant « Je déborde d'allégresse » « Je ne désire rien de plus que ce que je possède » ou encore « Je suis l'un des merveilleux enfants de notre mère la terre » pour basculer aussitôt dans la conscience de mon hémisphère droit.
Le retour à la méditation (qui me conduit à un enchaînement d'idées riches en émotions) me fournit encore un autre moyen d'éloigner de ma conscience les pensées dont je ne veux pas. La prière, par laquelle nous substituons un ordre de réflexion à un autre, nous permet aussi d'échapper aux pièges du ressassement au bénéfice de notre tranquillité d'esprit.










Le Dr Jill Bolte Taylor, née en 1957, est neuro-anatomiste affiliée à l'université de l'Indiana et porte-parole de la Banque des cerveaux de Harvard.





mardi, avril 17, 2012

Des saints amoureux jusqu'à l'extase...





Par Claude Pasteur

Chez quelques grands mystiques, l'union avec Dieu provoque de véritables pâmoisons qui empruntent pour s'exprimer le langage de l'amour sensuel.

Ainsi, au XIIIe siècle, Mechtilde de Magdebour, bien que préconisant que le corps est l'ennemi de l'âme, se représente le Christ comme un jeune homme d'une beauté ineffable. Il la prend dans ses bras divins, et l'embrasse (...) Oh, alors, comme il m'a embrassée ! Il l'appelle sa colombe, lui dit qu'elle est sa reine, son désir, qu'elle est une fraîche présence sur son sein, une caresse pour sa bouche...

Elle nargue le Diable qu'elle imagine tourmentant dans un enfer peuplé de démons les pauvres pêcheurs condamnés à boire du soufre, pendant qu'elle, Mechtilde, vit sa divine idylle avec l'amant céleste. Les autorités ecclésiastiques de l'époque censurèrent certains de ses écrits et contestèrent ses visions, mais la religieuse se défendit en leur prédisant qu'elles seraient un jour punies pour leur injustice !

Plus tard, une autre sainte, Gertrude vit le Christ lui apparaître, et lui prendre la main en disant : Ne crains rien, je t'enivrerai du torrent de ma volupté divine...

Un dimanche de carême, elle eût l'impression que le visage de Jésus se pressait contre le sien : lors donc que vous approchâtes votre face adorable de la mienne, j'aperçus une douce lumière qui sortant de vos yeux divins, et passant par les miens, se répandait dans toutes les plus secrètes parties de moi-même...

À quoi Jésus répondit : Viens à moi, mon amour, entre-en moi, mon amour...

Le cas de Raymond Lulle, au XIVe siècle, est lui aussi bien singulier. Moine tertiaire franciscain, il avait eu, à l'âge de 30 ans, et après une jeunesse orageuse, cinq visions de Jésus en croix. Dès lors, il avait voué au Christ un amour éperdu qui s'exprime dans son ouvrage Le livre de l'Ami et de l'Aimé. Raymond Lulle se définit lui-même comme le fou d'amour, l'amant, et Jésus est le Bien-aimé. Il apparaît un jour à l'amant en vêtement neuf et rouge, l'entourant de ses bras pour l'embrasser. Il a incliné la tête pour lui donner un baiser...

La psychanalyse décèlerait sans doute dans ces élans des tendances refoulées d'homosexualité,- ce qui n'empêcha pas Raymond Lulle de manifester une grande activité apostolique, voyageant et prêchant infatigablement.

Il y eût aussi l'étrange Angèle de Foligni ; persuadée qu'elle ne pourrait répondre à l'appel divin aussi longtemps qu'elle serait mariée et mère de famille, elle pria ardemment pour demander la mort de son mari et de ses enfants... et fut exaucée : ils moururent tous, les uns après les autres !

Devenue tertiaire Franciscaine, elle eût des extases accompagnées de convulsions et de hurlements qui effrayaient ses compagnes. Voyait-elle vraiment Dieu ? Ou bien était-ce le Diable qui ricanait derrière un pilier, à l'église ?

Sainte Catherine de Sienne fut elle aussi une grande mystique qui s'évanouissait en recevant la communion, se flagellait, portait en guise de ceinture une chaîne hérissée de pointes, se nourrissait de pain sec, d'herbes et d'eau, entrait souvent en transe. Au moins, fut-elle récompensée de ses mortifications par son mariage solennel avec Jésus : elle vit la Vierge Marie prendre sa main droite, et demander à son fils Jésus s'il l'acceptait pour épouse. Jésus acquiesça en glissant un anneau à son doigt.

Par la suite, consciente de sa dignité d'épouse du Christ, elle s'intéressa à la politique, voyagea beaucoup, écrivit de nombreuses lettres, ainsi qu'un dialogue avec Dieu, où celui-ci l'exhorte à se cacher dans une caverne à côté du Christ, pour y goûter son amour divin...

Une autre Catherine, sainte Catherine de Gênes, disait avoir reçu une blessure d'amour au cœur. Elle portait constamment un cilice, dormait sur un lit garni d'épines, avalait des insectes, entrait en extase, ou se roulait dans des convulsions. C'est en lisant des ouvrages traitant des souffrances des pécheurs en enfer, que Thérèse d'Avila décida de se faire religieuse. Mais ce fut seulement à 40 ans, qu'elle commença à avoir des visions et à entendre des voix. Je ne veux plus que tu converses avec les hommes, mais seulement avec les anges, lui ordonna Dieu.

Plusieurs prêtres déclarèrent que ses visions étaient des illusions diaboliques, et lui ordonnèrent de restreindre ses communions. Mais les apparitions continuèrent, telle celle d'un ange pas grand, mais plutôt petit, et extrêmement beau, tenant à la main un long dard en or qu'il lui plongeait dans le cœur, la laissant toute embrasée... (L'image évoque Éros et sa flèche...)

Active quand elle n'était pas en contemplation, elle réforma l'Ordre du Carmel, et fit de nombreuses fondations. Elle avançait en âge, lorsqu'elle s'enthousiasma pour un jeune Carme, Jérôme Gracian, brillant et ambitieux, auquel elle fit vœu d'obéissance, et dont elle suivit les conseils, pas toujours avec succès. Son œuvre principale fut Le château de l'âme, ouvrage de doctrine mystique, où elle parle de la blessure d'amour causée par l'ardent désir de Dieu.

Sœur Marguerite-Marie Alacoque fut la plus névrotique des saintes mystiques. Le Christ, disait-elle, la faisait reposer sur sa poitrine. Elle avait des convulsions qui la faisaient croire possédée du démon, au point que les Sœurs effrayées lui lançaient de l'eau bénite quand elles la rencontraient.

Elle aimait souffrir, la vue du sang lui évoquait celui de Jésus-Christ elle aurait volontiers léché les blessures. Sa vénération pour le cœur de Jésus lui fit instituer la fête du Sacré-cœur, qui a perduré jusqu'à nos jours.

Il y eût au XVIIe siècle la célèbre Madame Guyon, qui se croyait destinée à mettre au monde un grand nombre d'enfants de la grâce, spirituellement parlant, avec l'aide de son confesseur le Père La Combe, (des bruits malveillants coururent sur leurs relations...). Madame Guyon n'en convertit pas moins Fénelon à la doctrine du quiétisme, (qui supprimait chez le fidèle toute volonté pour un abandon vidé de toutes notions, mêmes celle du péché.). Ce qui valut à Fénelon de se brouiller avec Bossuet, qui n'appréciait pas le quiétisme.

Sainte Thérèse de Lisieux avait manifesté elle aussi très jeune des signes de névrose : états de catalepsie, hallucinations, sensibilité anormale qui la faisait éclater en sanglots pour la moindre chose. Elle alla un jour se jeter aux pieds du pape Léon III pour lui demander l'autorisation d'entrer au Carmel à 15 ans. Mais elle ne fut pas une hallucinée : simplement une petite-fille qui se confie à son Père en toute humilité.

Que conclure raisonnablement de ces manifestations spectaculaires ; sinon que quelques grandes mystiques furent d'authentiques paranoïaques, atteintes de troubles nerveux voisins de l'hystérie ?

Saint Jean de La Croix, contemporain de Thérèse d'Avila, se montra très prudent en cette matière. Bien que grand mystique lui-même, il se méfiait des visions, parce qu'on ne pouvait réellement savoir si elles venaient de Dieu ou du Diable, ou simplement d'un dérèglement psychique de l'homme.

Car si les visions ne venaient pas de Dieu, elles pouvaient être dangereuses ; on pouvait en effet se demander si ces transports de l'âme laissaient le corps indifférent... Lui, Jean de la Croix, prêchait pour la nuit obscure des sens, qui consiste à laisser derrière soi tout ce qui attache au monde, et à se libérer ainsi du péché. Tenons-nous en à cette opinion d'un homme qui fut sage en même temps que saint. 



lundi, avril 16, 2012

Lettres du Familistère





Jean-Baptiste André Godin naît en 1817 dans une famille très modeste à Esquéhéries (Aisne). C'est en parcourant la France pour perfectionner son métier de serrurier qu'il se met en quête d'un idéal pratique de justice sociale. Cet ouvrier inventif crée en 1840 un petit atelier de fabrication de poêles en fonte de fer, matériau ductile, plus résistant et plus calorifique que la tôle de fer alors communément employée. Il adhère peu après à la doctrine du philosophe et réformateur socialiste Charles Fourier. Une vingtaine d'années plus tard, Godin est devenu un remarquable capitaine d'industrie, à la tête d'importantes fonderies et manufactures d'appareils de chauffage et de cuisson à Guise (Aisne) et à Bruxelles. L'industriel autodidacte se révèle aussi un ingénieur social de premier plan, plus déterminé que le polytechnicien Victor Considerant dont il a soutenu en 1853 l'essai de colonie fouriériste au Texas. De 1859 à 1884, Godin bâtit à proximité de son usine de Guise une cité de 2 000 habitants, le Familistère ou Palais Social, la plus ambitieuse expérimentation de l'association du travail, du capital et du talent qui ait été conduite. Le Familistère est une interprétation critique originale du Phalanstère de Fourier, une utopie réaliste.

Pendant trente ans, Godin se consacre entièrement à sa mission réformatrice. Il surmonte toutes les oppositions : du Second Empire puis de la République conservatrice, de ses concurrents en industrie, des fouriéristes, des habitants de la ville, de sa femme, de son fils, des employés et ouvriers de ses usines. Il a cependant des correspondants dans le monde entier et reçoit au Familistère des centaines de visiteurs curieux de l'expérience de Guise.

Godin meurt en 1888. Il laisse un patrimoine bâti d'une ampleur exceptionnelle, plusieurs ouvrages importants sur la question sociale et, surtout, l'exemple d'une organisation profondément réformatrice. Jusqu'en 1968, le Palais Social et l'usine ont été la propriété collective de ses travailleurs-habitants, réunis dans l'Association coopérative du Capital et du Travail du Familistère de Guise, fondée en 1888. Longtemps méconnu, Jean-Baptiste André Godin est considéré aujourd'hui comme un des pères de l'économie sociale.





Guise Familistère, 19 janvier 1886
À Monsieur le Directeur du Courrier de Londres

Monsieur,

Votre journal du 16 courant reproduit ma lettre au Times en réponse à l'imputation de matérialisme faite à mon sujet dans les articles publiés par le Times sur l'Association du Familistère fondée par moi à Guise, articles qui, du reste, étaient sérieusement étudiés et inspirés d'un excellent esprit.

The Spectator du 9 courant s'occupe, à son tour, de l'Association du Familistère dans un article qui n'a pas le même mérite. Tout en reconnaissant les avantages dont jouissent les 1800 personnes habitant les palais de l'Association et ceux assurés même aux ouvriers résidant au dehors, il en conclut que tout cela n'est rien et que je n'ai même pas abordé la question sociale.

Permettez-moi de profiter des colonnes de votre journal pour examiner comment The Spectator pose la question sociale, au cours de l'énumération qu'il fait des conséquences de l'Association du Familistère.

Mais, d'abord, un mot sur les considérations préliminaires auxquelles se livre l'auteur de l'article à propos de l'habitation en général et de ce qu'il prétend être l'état de l'opinion publique en Angleterre au sujet des palais donnant tout le confort que l'habitation isolée ne peut offrir.

Jetant quelque peu d'encens à la routine et surtout à la parcimonie des spéculateurs, il dit que beaucoup de personnes pensent toujours que les maisons du peuple doivent être renouvelées, mais que ces personnes « envisagent de meilleurs bâtiments, des dispositions plus scientifiques, des loyers plus légers plutôt qu'un plan de vie en commun ».

Je le demande au Spectator : Où sont les dispositions les plus scientifiques ? Est-ce dans le palais édifié pour 400 familles et réunissant tous les bienfaits de l'Association ? Ou bien dans l'habitation isolée où chacun ne peut compter sur l'aide de personne ?

D'après The Spectator, « les philanthropes disent que l'Anglais préfère une pauvre chambre dans un cottage à lui à la meilleure chambre dans un Palais dont il partageait la jouissance avec un millier d'autres ».

Singulière contradiction ! On voit tous les Anglais riches lorsqu'ils viennent à Paris, au lieu de rechercher de petits cottages descendre au Grand Hôtel boulevard des Capucines, à l'Hôtel du Louvre, à l'Hôtel Continental ; tous les grands hôtels de Paris ne sont pas assez grands pour eux et ils vivent là au milieu de centaines d'autres habitant les mêmes édifices ? Montrer ces inconséquences est la meilleure réponse à faire au prétendu amour de l'isolement.

Passant à l'Association du Familistère, The Spectator constate : « Que tous les ouvriers y sont admis à participer aux bénéfices, suivant leurs capacités et qu'ils accumulent ces profits pour rembourser le capital de fondation :

« Que j'ai construit pour le personnel des travailleurs des palais d'habitation offrant des conditions d'existence comparativement confortables ;

« Que 400 familles sont ainsi logées dans des appartements aussi indépendants que s'ils constituaient autant de maisons ;

« Que l'établissement possède, en outre, des nourriceries où, en l'absence de la mère, aucun soin ne fait défaut aux enfants ;

« Des écoles où les enfants reçoivent une instruction exceptionnellement bonne ;

« Des magasins coopératifs où toute la communauté peut facilement s'approvisionner ;

« Des salles de bains, lavoirs, buanderies, étendoirs, etc. ;

« Une bibliothèque avec une salle de lecture ;

« Un café, un théâtre, des jardins, le tout ouvert à toute la communauté ;

« Dans ce palais , dit-il, vivent les ouvriers et leurs familles et ce sont eux qui, sous la gérance de M. Godin, administrent les affaires de l'Association ;

« Ils élisent les membres de leur comité gouvernant. »

The Spectator rappelle que les enfants y sont dans de bonnes conditions ; il aurait pu affirmer qu'aucun bourgeois de Londres n'a les siens mieux soignés que ne le sont les enfants les plus pauvres de cette population de 1 800 personnes.

Il termine son énumération en disant : « Les ouvriers et leurs femmes sont évidemment contents puisqu'ils restent là jusqu'à la vieillesse ; en toute apparence, le paupérisme est vaincu. »

Il aurait pu dire, en outre, que des assurances de secours mutuels sont constituées de telle sorte qu'elles possèdent, aujourd'hui, un capital de sept cent mille francs avec lequel elles garantissent les subsides nécessaires à la famille pendant la maladie, les soins du médecin et les remèdes, des pensions de retraite à tous les travailleurs en cas de vieillesse ou d'incapacité de travail ; que ces caisses d'assurance sont administrées par les ouvriers eux-mêmes et que les comités de direction en sont élus par moitié tous les six mois.

Voyons maintenant la conclusion du Spectator. Voici comment il s'exprime : « La question sociale n'est-elle pas résolue ? Malheureusement non, elle est à peine touchée. M. Godin n'a pas véritablement abordé même la grande difficulté sociale... Le problème est de savoir si une société où la paresse est tolérée, où l'ivrognerie est possible, où l'impulsion humaine accumule graduellement ses effets et où il n'y a aucune discipline directe supérieure peut être aussi confortable; or, ce problème n'a pas encore été résolu. »

Cette manière de poser le problème de l'amélioration du sort des classes ouvrières sera trouvée au moins étrange par tous les hommes de bon vouloir qui s'occupent des moyens de cette amélioration.

Quoi ! Rien ne serait fait parce qu'il reste quelque chose à faire ! Le bien-être organisé pour 1 800 personnes, sous le régime absolu de la liberté du travail et de la liberté des familles, les bienfaits de la mutualité s'étendant à 4 000 personnes par le fait de l'Association, tout cela ne serait rien parce que cette association n'aurait pas commencé par se recruter de voleurs, d'assassins, d'ivrognes et de fainéants ! Certainement, c'est là une étrange manière de voir.

Donnons à chacun son rôle les chefs d'industrie ne peuvent agir que sur les groupes d'ouvriers qui les entourent ; ils n'ont pas les pouvoirs du gouvernement pour appliquer les lois ; la société a son rôle à remplir à l'égard des réfractaires ; les industriels et les détenteurs de la richesse n'ont de devoirs qu'à l'égard des classes laborieuses.

Je serais heureux si tous les capitalistes et chefs d'industrie d'Angleterre et d'ailleurs me tendaient la main pour associer les ouvriers aux bénéfices de l'industrie, comme je l'ai fait afin de réaliser au profit des travailleurs toute la somme de bien-être que les progrès de la production moderne permet de leur donner ! Alors l'industrie et la richesse feraient cause commune avec les gouvernants pour les mesures législatives à faire intervenir, afin de prendre la question d'aussi haut que l'entrevoit le rédacteur du Spectator.

Mais, en attendant que les Gouvernants et que les hommes chargés des destinées des nations s'élèvent à la hauteur de leur rôle, ne serait-il pas heureux que ceux qui possèdent la richesse comprissent qu'il y a des déshérités en ce monde et qu'il est de notre devoir de reconnaître leurs droits ? Que des industriels commencent par introduire dans leurs usines et manufactures le genre de despotisme que le Spectator m'attribue en associant leurs ouvriers à leur industrie, alors sera grande la surprise du Spectator de voir que, sous cette communauté d'efforts, la classe ouvrière s'élevant à l'aisance, au bien-être, à l'amour de la famille par un chez-soi confortable, à la moralité par l'instruction, les fainéants, les paresseux et les ivrognes se confondront dans la masse commune des ouvriers rangés. Ce qu'il en restera sera l'affaire de la société ; elle devra toujours avoir des hospices pour soigner les gens malades, voire même des maisons de réclusion pour les voleurs et les assassins. Ce n'est pas avec ceux-là que l'industrie doit commencer par aborder les améliorations sociales.

Le rédacteur du Spectator trouve que je n'ai pas abordé la question sociale ; je voudrais bien que cet écrivain me fit toucher cette question. Je croyais la connaître, je croyais l'avoir très sérieusement développée dans mes écrits et dans mes actes. Si je me suis trompé, je voudrais revenir de cette erreur. J'ai toujours cru que la question sociale consistait dans l'amélioration du sort des classes ouvrières, et je crois encore que lorsqu'un chef d'industrie a par l'association doté une population ouvrière d'environ 2 000 personnes de l'aisance, du bien-être et d'un confort relatif, quand par cette association, il a étendu les bienfaits de la mutualité, les soins et subsides pendant la maladie, la retraite pour la vieillesse à tous les autres ouvriers auxiliaires de l'établissement, quand il a supprimé la misère autour de lui, je crois qu'il a fait un grand pas vers la solution du problème social, puisqu'il a fourni un exemple qu'il suffit d'imiter et de généraliser.

Certainement, il reste beaucoup à faire. D'abord, il faut des imitateurs et il faut surtout que les gouvernants aident à la solution du problème en faisant des lois favorables à une plus juste répartition de la richesse. Mais quelle est donc l’œuvre qui arrive à sa perfection tout d'un coup ?

Godin
Fondateur du Familistère
Ancien député


Lettres du Familistère

Nombre d'ouvrages sont parus à propos du fondateur du Familistère et de son œuvre. Mais avec les Lettres du Familistère, le lecteur est en prise direct avec l'homme privé, dépouillé des analyses. Les visiteurs découvrant le site du Familistère nous demandent fréquemment : « Mais quand cet homme trouvait-il le temps de dormir ? » Et à la lecture de ses lettres, nous nous posons la même question ! On y trouve se juxtaposant les remontrances au papa du petit Jules qui se comporte mal à l'école, ses soucis de constructeur, le schéma d'une machine à vapeur griffonnée à la va-vite dans la marge d'une lettre adressée à son fils, ses préoccupations dans sa maîtrise d'une usine en plein essor et de son système économique innovant, ses déboires conjugaux, sa défense zélée de son projet social, ses contacts parfois critiques avec les fouriéristes. Ces documents dévoilent Jean-Baptiste-André Godin, sa dimension personnelle, sa dimension de capitaine d'industrie, d'architecte, mais aussi de novateur dans le domaine des idées et dans sa volonté acharnée de les diffuser. Parallèlement, au fil des pages, le lecteur découvre ou redécouvre le Familistère d'aujourd'hui au travers des photos d'Hugues Fontaine. Quand on croise celui-ci en plein travail, on imaginerait plutôt un reporter baroudeur couvrant les points chauds de la planète qu'un photographe cherchant à fixer des images du patrimoine national. Son objectif débusque des détails, des angles, des perspectives, des couleurs chaudes et veloutées qui surprennent même les gens habitués à arpenter le Familistère en tout sens. Chacun de ses clichés restitue l'âme des lieux en captant sa lumière et ses personnages.

Cette mise en perspective d'une vision artistique du Familistère au XXI siècle et des mots pensés et écrits par Godin rend l'ouvrage réellement original, authentique et passionnant.



Phtographie :
Palais social de Godin.



Sur le fouriérisme :

dimanche, avril 15, 2012

L'iboga, le bois sacré





Le chamanisme fait souvent penser aux hauts plateaux d'Asie et aux étendues septentrionales d'Amérique. Mais il s'est également développé en Afrique, notamment en Afrique Équatoriale, au sein de l'aire Bantoue. Il s'est transmis et développé ensuite plus particulièrement au Gabon, chez les Mitsogho (ou Tsogho).

Les Mitsogho ont en effet un rite chamanique, le bwiti. Il fait appel à l'iboga, une plante psychoactive employée dans un but initiatique (localement appelée « eboga »). Le rite bwiti est tant lié à cette plante qu'on parle parfois de religion Eboga, ce qui est un peu réducteur. Le rite bwiti est également passé chez certains groupes Fang (au Cameroun, mais aussi au Gabon), chez lesquels il remplace un autre rite, celui du byeri. Le byeri fait appel à une autre plante psychoactive, l'alan (Alchornea floribunda), aux effets réputés moins puissants, raison qui ont conduits certains Fang à adopter le bwiti. Au Congo-Kinshasa, le bwiti a donné naissance au rite Zebola chez les Mongo, une forme de psychothérapie traditionnelle.

Le rite bwiti

Il s'agit d'une cérémonie secrète de passage d'un néophyte — un jeune homme — vers la vie adulte. Schématiquement, celui-ci est d'abord invité à retrouver symboliquement l'état d'avant la naissance. Puis on lui fait mastiquer de la racine d'iboga, sous la surveillance d'un aîné initié qui lui sert de « mère symbolique » durant le rite. La mastication d'iboga entraîne tout d'abord l'apparition de violents et incontrôlables vomissements. Le néophyte se vide symboliquement. « y compris du lait de sa mère ». Ensuite surviennent les hallucinations, sous forme d'images se succédant rapidement. Durant cette phase, le néophyte reste en contact avec sa « mère » et les autres hommes participant au rite, qui peuvent l'interroger sur ses sensations. Ils disposent en effet d'un antidote à l'iboga, si les choses venaient à se compliquer. Le néophyte doit passer par quatre stades successifs, dont le dernier consiste à ressentir l'état de « mort initiatique ». consistant à entrer en contact avec les fondateurs de la cosmogonie Mitsogho, Nzamba-Kana et Disumba. Ce n'est qu'a ce prix que le néophyte sera considéré comme ayant l'instruction suffisante pour gagner la qualité d'initié. Il devient un nganga, c'est-à-dire un guérisseur (en langage politiquement correct, on parlera de « tradipraticien »). Les stades successifs correspondent en réalité à une intoxication graduelle par l'iboga, effectuée sous contrôle.

Comme de très nombreux rites tribaux à travers le monde, le bwiti connaît des variantes locales, avec par exemple une forme destinée aux femmes.

Du bwiti à la médecine...

En 1962-1963, Howard Lotsof, un jeune américain en proie à l'héroïne, expérimenta l'iboga et découvrit une propriété intéressante de la plante : dans des conditions bien particulières, elle supprime l'addiction physique aux drogues opiacées. Lotsof étudia d'abord sur lui, puis sur d'autres, la propriété qu'a l'iboga de jouer le rôle d'un « interrupteur de la dépendance chimique ». Lotsof deviendra chercheur, déposera 20 ans plus tard deux brevets à propos de la « procédure Lotsof », au moment où d'autres études arrivaient aux mêmes conclusions. Lotsof développa une méthode de sevrage direct des personnes sous l'emprise de l'héroïne. Mais parallèlement, dès 1967, l'iboga fut aussi employé aux États-Unis pour un usage récréatif, en substitut du LSD.

Et de la médecine au bwiti

Le militantisme de Lotsof fera des émules, durant. les années 90, lorsque la consommation d'héroïne battait son plein en France. Quelques personnes iront en Afrique accomplir le rite bwiti et à leur tour organiser en France des stages de désintoxication, en associant. l'aspect spirituel du chamanisme (un « nouveau départ »), un passage au vert, pendant. quelque temps, et un aspect plus médical (la possibilité de décrocher). Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'époque ne voyait pas d'un œil favorable les consommateurs d'héroïne. Ces stages se déroulaient sans que quiconque s'en soucie ou s'y intéresse : après tout, tout cela n'était que des histoires de junkies !

En dehors d'un cadre médical, l'usage de l'iboga présente pourtant des risques, notamment de convulsions. Mais pas seulement. Paradoxalement, le danger d'une overdose de drogue opiacée est augmenté par la prise d'iboga. Lotsof avait noté qu'un cinquième environ des sujets traités à l'iboga reprenait leur consommation de stupéfiants comme avant. Or l'iboga supprimant l'accoutumance à l'héroïne et à la. méthadone (accoutumance qui a progressivement amené le drogué à augmenter ses doses), le sujet se retrouve comme vierge vis-à-vis de ces drogues. S'il reprend de l'héroïne (ou de
la méthadone) aux même doses qu'auparavant, il s'expose alors à l'overdose.

Au début des années 2000, l'iboga commença à se trouver dans la ligne de mire des pouvoirs publics. Deux drames vont accélérer le mouvement. En juillet 2006, un toxicomane décède au cours d'un stage de désintoxication organisée par une association, en Ardèche, en lien avec une « Association africaine d'aide humanitaire à l'occident ». En décembre 2006, un ressortissant français meurt dans des conditions similaires, au Gabon. Le 28 janvier 2007, un tribunal condamne l'association ardéchoise pour sa responsabilité dans le drame survenu en Ardèche. Huit jours plus tard, un arrêté d'interdiction de l'iboga est soumis à la signature du Directeur général de la santé. L'iboga est dorénavant interdit dans plusieurs pays européens, notamment en Belgique.

Cette histoire laisse une impression d'inachevé. Dans la logique du Vieux Monde, les plantes politiquement incorrectes ont presque toujours connu le même trajet : ignorées, suspectées, surveillées, dénoncées, interdites avant d'être réhabilitées. Or l'iboga, ou du moins la substance active principale, l'ibogaïne, offre un espoir particulièrement intéressant de délivrer les personnes prisonnières de la nasse à opiacés. Si les recherches médicales se poursuivent, l'iboga reviendra peut-être sur le devant de la scène...

Jean-Michel Groult, Plantes interdites.







Plantes interdites

Saviez vous que...

... le cannabis fut, aux USA dans les années 30, l'objet d'une violente campagne médiatique car l'alcool étant à nouveau autorisé, il fallait bien continuer à justifier les activités du Bureau des stupéfiants ?

... de la coca pousse librement sur les bords des chemins, quelque part en France ?

... l'absinthe fut interdite, notamment à cause de la concurrence déloyale qu'elle causait aux producteurs de vin, confrontés à la crise du phylloxéra ?

... sous le IIIe Reich, des botanistes allemands cherchèrent à éradiquer une plante " bolchévique " venue de Sibérie, afin de protéger la pureté de la flore germanique ?

... les avortements ont fait, dans l'Antiquité, la richesse d'une province, avant que la plante employée ne s'éteigne pour cause de surexploitation ?

A travers la grande et la petite histoire, Jean Michel Groult décrypte toutes les raisons, scientifiques, culturelles ou économiques, qui ont conduit à mettre au ban de la société certaines plantes : cannabis, absinthe, coca, peyotl, pavot, iboga, khat, etc. Innombrables sont ces plantes, psychotropes, chamaniques, abortives, invasives, transgéniques... qui selon les époques et les lieux, sont out à tour acceptées et prohibées. L'iconographie témoigne avec force de l'évolution de la société sur ces questions. Un beau livre passionnant qui permet de faire le point dans un débat encore souvent explosif !


Jean-Michel Groult est botaniste, journaliste et photographe. Passionné de plantes, il cultive dans son jardin une grande diversité d'espèces. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages aux éditions Ulmer, dont Jardiner durablement, les solutions bio qui marchent vraiment (Prix Saint-Fiacre 2007).


Photographie :
Une thérapeute française participe à un rite d'initiation pour femmes.

samedi, avril 14, 2012

« Apportez-nous la vérité »





Les grenouilles de La Fontaine suppliaient le Ciel de leur envoyer un roi. Aujourd'hui, on demande des gourous. « Dites-nous ce que nous devons croire et comment nous devons agir. »

Devenir adulte, c'est reconnaître, sans trop souffrir, que le Père Noël n'existe pas. C'est apprendre à vivre dans le doute et dans l'incertitude.

Il ne suffit pas d'apporter la connaissance, le vulgarisateur doit encore signaler les limites de la démarche scientifique. « Telle théorie est modérément crédible. » « Telle affirmation est encore largement spéculative et ne doit être acceptée qu'avec prudence. » « A telle question, il y a plusieurs réponses possibles, entre lesquelles nous ne pouvons pas encore choisir. »

Il importe également de signaler les limites et les dangers du discours simplifié utilisé par le vulgarisateur : « Telle image est ambiguë ; telle comparaison peut prêter à confusion. »

« Quel plaisir de comprendre ! Je me sens intelligent. Je croyais ces notions bien au-dessus de mes capacités intellectuelles. » Ces propos, les vulgarisateurs scientifiques les entendent souvent. Ils signalent, à mon avis, une grave déficience de nos systèmes d'éducation.

Loin de donner envie d'apprendre et d'accroître l'aptitude à penser, les institutions, trop souvent, privent les étudiants du plaisir de la connaissance et injectent, en prime, un sentiment d'incompétence.

« Quel dommage que l'astronomie ne soit plus enseignée au lycée ! » disent quelquefois les spectateurs après une projection de photos astronomiques. « En êtes-vous bien sûr ? » est ma réponse habituelle. « Pourriez-vous encore y prendre du plaisir ? »

Les dommages causés par l'école ne sont pas (nécessairement) irréparables. Redonner confiance, ressusciter le goût d'apprendre, le plaisir de connaître, voilà certes une des plus hautes missions de la vulgarisation scientifique.

« Où en est la recherche aujourd'hui ? Quelles sont les questions à l'ordre du jour ? Sur tel sujet, quelles sont les hypothèses, les théories rivales ? » Personne n'aime se sentir « hors du coup ». Quoi de plus valorisant que cette intégration, que ce sentiment d'appartenir à la culture contemporaine ?

Si la science ne peut pas répondre aux questions telles que « Dieu existe-t-il ? La vie a-t-elle un sens ? Y a-t-il une vie après la mort ? », les connaissances scientifiques nous permettent néanmoins de nous situer dans le cosmos par rapport aux étoiles, aux plantes, aux animaux. La science retrace notre passé, retrouve nos racines cosmiques et décrit l'aventure de la matière qui s'organise, où notre existence s'insère.

Pour vivre, pour se comporter parmi ses semblables, pour prendre les décisions qui s'imposent, chacun de nous développe sa propre philosophie de la vie (philosophie avec un petit p), sa propre vision du monde. C'est dans l'élaboration de cette vision du monde que les connaissances scientifiques jouent un rôle primordial.

Hubert Reeves


vendredi, avril 13, 2012

Thérapies miraculeuses





Accusé d'escroquerie, Benoît Yang Ting, gourou des faux souvenirs induits, faisait payer 320 euros l'heure. Le cancérologue David Khayat demande 500 euros pour une consultation. Médiatique mandarin et auteur d'un livre au titre  prétentieux, « Le vrai régime anticancer », David Khayat est un gourou "officiel". La maladie permet à toutes sortes de charlatans de s'enrichir.

L'actrice Shirley Maclaine a fait connaître le guérisseur Alex Orbito. Elle écrit :

« J'ai invité Orbito à venir passer quelques semaines dans ma maison de Malibu afin qu'il puisse continuer à m'observer. Peu de temps avant Noël, j'ai fait savoir qu'Alex opérerait ses guérisons à Noël et que chacun pourrait, dans la mesure de ses moyens, contribuer par des dons à la construction de son centre de soins. Près d'une centaine de personnes sont venues ce jour-là et le lendemain des amis, des amis d'amis, des chercheurs spirituels poussés par la curiosité et quelques personnes réellement malades.

J'ai logé Alex, sa femme et leur assistante dans les chambres d'amis et j'ai transformé ma salle de yoga en clinique.

Ma table de massage a servi à allonger les patients. Alex s'est installé derrière, sa femme et son assistante à ses côtés. J'ai assisté à de nombreuses interventions, à certaines même que je n'aurais jamais cru avoir l'estomac de supporter. Mais je l'ai fait et j'ai regardé de très près.

Les gens méditaient paisiblement avant d'entrer dans la pièce. Presque tous avaient confiance, ce qui ne les empêchait pas de se montrer aussi anxieux et effrayés que je l'avais été. Je comprenais fort bien la contradiction. J'étais passée par là. Ils se soutenaient mutuellement. Alex a conduit une prière et une « connexion commune avec Dieu » avant de commencer à opérer.

Au cours des interventions dont j'ai été témoin, je l'ai vu sortir l’œil de l'orbite d'une malade avec ses doigts, en nettoyer l'arrière et le remettre en place. La patiente n'a rien senti. Elle s'est levée et a quitté la pièce toute souriante en disant qu'elle n'avait perçu qu'une pression.

Il a retiré des tumeurs pulmonaires et abdominales, extrait une dent avec ses doigts et arrêté l'hémorragie, sorti des kystes et des excroissances de toutes les parties imaginables du corps.

Lorsque les patients souffraient de problèmes génitaux, je quittais toujours la pièce. J'ai su qu'Alex avait opéré des hémorroïdes et des fibromes, mais il les atteignait généralement de l'extérieur, rarement par le vagin et l'anus.

Il a extrait des cancers du sein et un goitre.

Il a retiré des caillots de sang du cou d'un ami de quatre-vingt-six ans souffrant d'artériosclérose.

Il a ouvert des gencives pour guérir une pyorrhée.

Il a sorti une tumeur d'un cerveau.

Certains souhaitaient parfois voir opérer les autres, mais Alex préférait qu'ils soient peu nombreux car, disait-il, les énergies sceptiques drainaient la sienne.

Au cours de cette même période de congé, il s'est rendu à Ojai pour y prodiguer ses soins. Beaucoup ont quitté Los Angeles pour l'accompagner sur mon invitation.

Je me souviens de la première journée passée à Ojai. Alex avait installé sa salle d'opération dans l'entrée d'une chapelle de témoins de Jéhovah. Une trentaine de personnes tenaient à le voir pratiquer sur quelqu'un avant de permettre le moindre traitement sur leur propre corps. Je me suis portée volontaire, car beaucoup étaient venus là à cause de moi.

Ils sont entrés à la file dans le vestibule où j'étais allongée tout habillée. Alex, la tête dans ses mains, priait derrière la table. Il a prié longtemps. J'ai senti que la diversité d'énergies accumulées l'y obligeait (les psychiques et les sensitifs captent tous les schémas d'énergie. L'impact sur eux s'avère parfois négatif).

Alex tardait à relever la tête. Finalement, le visage toujours baissé, il m'a chuchoté d'une voix hésitante : « Shirley... l'homme en sweater bleu, contre le mur... son énergie est négative.., très négative.., il ne m'aime pas... ni ce que je fais... Très difficile... s'il vous plaît... vous pouvez lui demander de sortir ? »

Je suis restée allongée et j'ai tourné la tête pour repérer l'homme en question. C'était l'ami d'un journaliste que j'avais invité. Plutôt que le renvoyer seul, j'ai préféré dire : « Quelqu'un parmi vous dégage un grand scepticisme et beaucoup d'énergie négative. Cette personne le sait. Il vaudrait mieux qu'elle revienne plus tard, lorsqu'elle se sentira plus positive. » (Avec l'âge j'ai fini par apprendre la diplomatie.)

L'homme au sweater bleu est sorti sans faire d'histoire, suivi de deux autres personnes et nul ne leur en a tenu rigueur. Alex s'est remis à prier. Son expression a changé à mesure qu'il entrait en légère transe. Il a commencé à m'« opérer ». Je n'ai pas regardé ses mains pénétrer dans mon abdomen, préférant contempler les visages des spectateurs. Ils étaient stupéfaits, horrifiés, choqués, ahuris. Comment décrire l'expression de ceux qui observent ce qui défie leur notion de la réalité ? Quelqu'un s'est écrié : «Oh non !... Soyez prudente, Shirley ! » Cette personne était si inquiète que je l'ai rassurée de ma table. Certains semblaient surpris que je puisse discuter avec Alex, alors que ses mains étaient enfouies jusqu'aux poignets dans mon abdomen d'où s'échappaient des bruits de succion et les remous habituels. Le sang s'écoulait de chaque côté de mon corps à jets quasi continus. J'ai ressenti une forte pression à l'intérieur de mon ventre et je dois reconnaître que, cette fois, j'ai éprouvé une légère douleur, provenant du manque de confiance des observateurs. J'ai fermé les yeux et me suis efforcée de communiquer à mon esprit un état de confiance absolue, mais la douleur a subsisté. » Pendant qu'Orbito fouille ses entrailles, l'actrice américaine a une illumination : « C'est alors que j'ai compris très clairement l'importance de la confiance pour ce qui concerne le spirituel en général et la guérison en particulier. »

Mais la confiance s'estompa en 2005, quand Orbito fut accusé de charlatanisme par les autorités canadiennes.





Illustration :



jeudi, avril 12, 2012

Philosophie des hommes sans projets





Gamin, j'ai changé maintes fois d'école. C'est dans les cours de récréation que j'ai acquis la conviction, jamais ébranlée par la suite, que l'homme est un loup pour l'homme. Et, même si ce n'est pas très glorieux, je dois avouer que la peur que suscitent en moi les humains est une de mes passions dominantes.

Sans grand risque de me tromper, je pense que le pire est surtout à craindre de l'homme qui a des projets. Versant dans l'illusion que le neuf est possible sous le soleil, Monsieur J'ai-des-projets se figure qu'il en sera, comme il dit, le « promoteur » et l'« acteur », qu'il deviendra, en somme, indispensable. Rien de plus effrayant à mes yeux que cette obsession du projet. Je ne puis oublier que les cimetières sont pleins d'hommes indispensables et qu'ils y jetèrent avant eux, prématurément, quantité de gens qui ne furent pas très convaincus de la nécessité de leurs projets.

Mais je remarque que Monsieur J'ai-des-projets, représente une nuisance sans même qu'il passe à l'action : il suffit qu'il parle, qu'il déverse sans cesse et partout, comme on l'y autorise, le langage de la motivation et de l'investissement personnel. Jadis c'était le militant politique qui s'exprimait de la sorte, mais avec d'autres mots. Il ne se posait pas en homme motivé mais concerné. Il ne s'investissait pas dans tel ou tel objectif ciblé, mais adhérait à une cause et s'engageait à y faire adhérer les autres. Imprégné d'existentialisme sartrien, son projet était que le monde et les hommes aillent dans le sens historique du meilleur, fût-il au fond d'un charnier ou derrière des barbelés. À présent, les discours optimistes du militant politique ont laissé place aux paroles optimisantes de Monsieur J'ai-des-projets. Non seulement ses palabres ne laissent présager elles aussi que de la casse, mais déjà, en elles-mêmes, de par leur diffusion médiatique, elles se répandent comme une pollution intellectuelle. Croyant incarner le nouveau sens de l'Histoire, l'Innovation, sans même recourir à l'existentialisme sartrien, Monsieur J'ai-des-projets milite, infatigable, dans le parti totalitaire de la vulgarité.

Davantage qu'à Lucrèce, l'Ecclésiaste me fait penser à Arthur Schopenhauer, auteur d'une philosophie du vouloir-vivre aveugle à l'usage des hommes sans projets.

Pour Schopenhauer la vie d'un humain n'a d'autre sens que de payer au prix fort le crime d'être né. Durant des années il lui faut satisfaire ses besoins, éviter la maladie, combattre la misère, se protéger de l'agressivité d'autrui, toutes sortes d'efforts humiliants car, in fine, il n'aura d'autre récompense que la décrépitude et ne trouvera de délivrance que dans la mort.

Le sentiment qui m'affecte depuis longtemps, est celui de la stérilité. Tout se passe comme si j'avais en moi un élan créateur destiné à exploiter de riches réserves de sens ou d'imagination, mais que je ne pouvais mettre en action faute d'une énergie suffisante. Sitôt que je me mets à une tâche, une voix intérieure m'en dissuade et je me sens disqualifié. Du coup, épuisé par l'inertie de mon génie, j'incline en permanence à dormir, autrement dit à opter pour la version inconsciente de ma stérilité. Mais comme nulle sieste, même répétée dans une journée, ne me déleste de cette pesanteur, je donne l'image d'un type n'ayant d'autre éthique que la flemme. Combien de fois, durant ma prime jeunesse, ma mère, mes maîtres à l'école, mes professeurs au lycée et même mes amis, me serinaient que j'étais un « fatigué de naissance ». Aujourd'hui encore, j'entends ce refrain. Mon père, lui, ne me fit jamais cette réflexion. Comme je l'ai déjà dit, il m'a vu naître et atteindre l'âge de neuf ans ; puis la vie s'est brutalement fatiguée de lui. Schopenhauer dit que le besoin métaphysique vient de la « stupéfaction douloureuse » qu'on éprouve face au spectacle de la vie ; je dirais plutôt que, pour moi, le goût de philosopher est venu suite à une douleur stupéfiante.

Après un désastre affectif, certains, paraît-il, trouvent la force de se reconstruire. Depuis près de quarante ans je me maintiens plutôt bien dans le délabrement, ballotté entre la tentation d'une vie sociale qui, à ce qu'on prétend, offre des consolations, et le réflexe de la déserter de peur de m'y dissoudre. N'étant visiblement pas fait pour ce monde, je me suis résigné à l'idée qu'il n'en existait pas d'autre et qu'il valait mieux que j'en fusse spectateur plutôt qu'acteur — vocation incertaine qui m'amène à n'être qu'un dilettante vaguement philosophe, vaguement esthète, sans autre projet que de jouir sans entraves de ses temps morts.

Si j'ai fait de Schopenhauer un de mes pères spirituels adoptifs, c'est parce que grâce à lui, je ne me sens aucunement coupable de ma vie comme velléité et comme contemplation. À l'en croire, le dilettante, sensible aux œuvres majeures de l'art et de la philosophie, présente un meilleur visage que l'homme d'action, celui qui aime à se qualifier de « professionnel », ou pire, de « pro ». Inversant une logique commune, Schopenhauer affirme que, pour être plein de vitalité, l'homme d'action est passif, tandis que, pour en manquer, l'homme de la contemplation est actif. Rien de plus illusoire que l'action dont s'enorgueillit le « pro ». S'il peut rendre compte des mobiles personnels de ses faits et gestes, il ignore tout de ses réels motifs qui ressortissent à la force impérieuse et aveugle du vouloir-vivre qui le manœuvre. Le dilettante, au contraire, observant à la loupe, dans une œuvre, la sempiternelle tragi-comédie des gesticulations de ses semblables, ne se laisse pas aveugler par le vouloir-vivre. Animé d'une vive démotivation, le voilà disposé à la connaissance, forme supérieure de l'action selon Schopenhauer, et même, parfois au génie créateur — deux activités relativement gratuites, sans grand danger pour les autres.

Le voilà condamné à la lucidité, avancerais-je pour ma part. La lucidité est la morsure de la mort dans la chair de la conscience. La douleur en est tantôt vive, tantôt lancinante. Une torture intime qui s'appelle le cafard. Comme le cafard n'est pas de tout repos, la morale est sauve.

Frédéric Schiffter, Le plafond de Montaigne.


Le plafond de Montaigne

En 1571, Michel de Montaigne a trente-huit ans. Lassé de ses charges de magistrat et de sa vie de soldat, écœuré des guerres de religion, il se retire en son château orné de deux petites tours. Dans l’une d’elles, au dernier étage, il aménage sa “ librairie ”, un bureau bibliothèque où il rédige jusqu’à son dernier souffle les Essais.

Quand on visite aujourd’hui ce lieu, on aperçoit sur les poutres de la charpente, artistement gravées, des citations d’auteurs que Montaigne affectionnait. Pêle-mêle : Sophocle, Euripide, Xénophane, Pline, Térence, Horace, Lucrèce, Sextus Empiricus, saint Paul, Érasme. Au faîte de ce panthéon, l’Ecclésiaste.

Tout le scepticisme et le pessimisme de Montaigne se reflètent sur ce plafond.

Montaigne disait aimer les citations parce que, ramassant la pensée d’un grand esprit, elles lui donnaient l’occasion de penser par lui-même. Comme les auteurs de Montaigne sont aussi ceux de Frédéric Schiffter, ce dernier a prélevé quelques-unes des sentences et maximes de son choix pour se livrer à son tour à un essai de méditation.

Le Plafond de Montaigne est un ciel d’intelligence vers lequel s’élève l’âme de n’importe quel honnête homme.





Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...