dimanche, octobre 21, 2012

SIAL, mon cancer !




Le Salon international de l'agroalimentaire (SIAL) s'ouvre aujourd'hui à Paris (du 21 au 25 octobre). Il est boycotté par l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) qui ne digère pas une nouvelle taxe sur la bière.

Des scientifiques ont démontré le rôle de l'alimentation dans la genèse de nombreux cancers et de beaucoup de maladies. Ce n'est pas une simple taxe sur la bière qu'il faut imposer aux industriels de l'agroalimentaire, un gouvernement légitime (du peuple par le peuple) leur aurait présenté la facture de toutes les maladies occasionnées par la malbouffe.

Il y a quelques mois, sans doute sous la pression du lobby agroalimentaire, la Commission européenne a proposé de lever partiellement (pour commencer) l'interdiction des farines animales.

Souvenez-vous, les farines animales étaient responsables de la maladie de la vache folle. « Spielberg ou Stephen King n'auraient pas fait mieux, écrit le docteur Frédéric Saldmann. Exercice pratique pour une science-fiction qui tourne au reality show : imaginez un minuscule détail capable de créer une menace qui toucherait tout le monde. Par exemple, tout le monde mange du bœuf. Imaginez une contamination, mortelle pour l'homme, de la viande de bœuf par un agent infectieux virulent. Par exemple, un prion. Faites le lien avec une maladie connue sous un nom savant, Creutzfeld-Jakob. Une maladie horrible, qui transforme notre cerveau en éponge. Une maladie sans traitement ni vaccin. Une maladie que les médecins ne savent même pas détecter avant son apparition. C'est-à-dire avant qu'il ne soit trop tard. Une maladie qui vous condamne à mort sans autre forme de procès.

Évoquez la menace d'un lien probable entre cette maladie et la consommation de viande de bœuf. Entre l'horreur et le quotidien. Racontez alors comment l'homme a rendu les vaches cannibales en les nourrissant de farines animales. Mais, direz-vous, pourquoi rendre ces gentils herbivores complètement carnivores ? Pour une très bonne raison : les protéines des farines animales accroissent la production de lait de la vache. Notre brouteuse d'herbe donnait en moyenne 2 500 kg de lait par an. Elle atteint 5 000 à 7 000 kg de lait par an avec une alimentation complémentée en protéines. Expliquez enfin comment les farines animales sont faites à partir de ce qui reste des carcasses de mouton et de bœuf une fois que le boucher s'est servi. La part de l'équarrisseur qui a trouvé là un moyen judicieux de se rembourser du service qu'il rend gratuitement à la communauté en la débarrassant de ses déchets de boucherie et des animaux morts de vieillesse ou — c'est là où le bât blesse — de maladie. Faites une parenthèse technique pour expliquer que, dans l'idéal, ces farines devraient être chauffées pendant vingt minutes à une température d'au moins 133° C et sous une pression de trois bars, le triple de la pression atmosphérique normale, pour être sûr de les stériliser à fond. Évoquez alors les problèmes de chauffage de nos voisins anglais. Ils ont distribué aux vaches européennes des farines mal chauffées, infectées par les prions de l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme bovine, imitation bovine de la tremblante du mouton. Une maladie qui se caractérise par une dégénérescence du système nerveux et que les vétérinaires connaissent depuis deux siècles et demi. Concluez en disant : « C'est ainsi que les vaches sont devenues folles. »

Un trait de génie, ce nom de « vaches folles ». Car, si c'est le bœuf qui nous rendra tous fous, c'est la vache folle qui nous a tous affolés. La brave vache de nos prairies, figure débonnaire et rassurante de notre imaginaire agricole. Celle que nous avons tous gardée ensemble. La vache nourricière qui nous prodigue son lait, nous donne ses veaux, et, un peu plus loin, la viande de bœuf. Car la vache n'est pas un animal d'abattoir. C'est une brave bête que nous n'avons pas besoin de tuer pour obtenir de quoi manger. L'animal écologique par excellence. Et voilà que l'homme l'a rendue malade et folle au risque de devenir malade et fou lui-même. »


Dr Frédéric Saldmann, Les nouveaux risques alimentaires. 









samedi, octobre 20, 2012

La récupération individuelle





Peut-il exister une société vraiment juste ? Je ne sais, je me contente de l'espérer. Ce que je sais, par contre, c'est que la nôtre a érigé l'injustice en système. Comment peut-on oser parler de justice alors qu'il existe des riches et des pauvres et que la loi, ainsi que les tribunaux, s'efforcent de préserver les privilèges des premiers ? Comment peut-on oser punir de prison les menus larcins alors que notre système social et économique repose sur l'exploitation de l'homme par l'homme ? De quel droit appelle-t-on délit le fait de soustraire un objet, et honnête activité le fait de ne pas payer à son prix normal le travail d'un ouvrier ? La sueur de l'homme et son ennui devant la machine vaudraient-ils moins que ce qu'il produit ?

Dois-je avouer que, personnellement, lorsque je lis dans mon journal qu'un cambrioleur d'occasion a réussi à dérober dans un luxueux appartement un tableau de maître, des bijoux et des fourrures, j'ai tendance à penser qu'il n'a fait que procéder à une sorte de récupération ? (La reprise individuelle d'Élisée Reclus) Ce que je n'aime pas, par contre, c'est que les pauvres se volent entre eux, mais, malheureusement, c'est ce qui se produit le plus souvent, car la fortune des riches, comme tout ce qui est mal acquis, est trop bien gardée pour qu'on puisse s'y attaquer.

Que l'on ne vienne pas me faire un mauvais procès en me disant qu'il y a des riches honnêtes, qui ont amassé leur fortune peu à peu, à la sueur de leur front. Personne, par son seul travail, ne peut devenir vraiment et « honnêtement » riche. C'est en faisant trimer les autres et en ne rétribuant pas leur travail au prix qu'il vaut, ou en vendant des produits à un taux nettement supérieur à leur valeur, que l'on peut faire fortune. Comment appeler cela autrement que du vol ou de l'escroquerie ?

Oh, bien sûr, il y a des degrés et c'est sur ces nuances que joue le pouvoir en faisant croire à certains pauvres qu'ils sont riches et qu'ils auraient beaucoup à perdre dans un bouleversement politique. Ceux-ci s'accrochent alors à leur voiture, à leur maison de campagne ou à leur petit bateau que personne ne songe sérieusement à leur arracher.

La plus grande habileté des possédants consiste en effet à faire assurer leur protection par ceux qui sont en fait leurs victimes. (La justice n'est-elle pas d'ailleurs rendue officiellement au nom du peuple français, alors qu'elle s'exerce souvent contre lui ?)

Le respect pour la loi et les tribunaux constitue le stade le plus avancé de cette imposture. Dès le plus jeune âge, on apprend aux citoyens que la loi est toujours juste et que les tribunaux sont tous impartiaux. Or, il suffit d'un peu d'expérience et de réflexion pour s'apercevoir que c'est là une monstrueuse hypocrisie. Pourquoi une société fondamentalement injuste se doterait-elle d'institutions visant à sa disparition ? Pourquoi les privilégiés se suicideraient-ils collectivement ? La fameuse nuit du 4 août 1789 a montré qu'on ne renonce en fait qu'aux privilèges que l'on a déjà perdus.

Alors que faire ? Je pourrais, en tant qu'avocat, disserter longuement sur les réformes souhaitables ; parler, puisque c'est la mode, de la détention préventive, du secret de l'instruction ou de la législation sur les chèques sans provision. Mais je sais que l'on ne corrige ni ne répare une balance qui penche toujours du même côté, parce qu'elle a été construite précisément pour pencher de ce côté.

Mon livre, Les dossiers noirs de la justice française, n'a pas pour but de proposer les solutions qui permettraient d'arrondir les angles et de perpétuer tant bien que mal, quelque temps encore, le système. Il vise simplement à dénoncer ce système par des exemples précis, à dire et à répéter : « Voyez lucidement l'injustice là où elle se trouve, elle a le visage familier de votre vie de tous les jours. » Et si je pouvais ainsi contribuer, tant soit peu, à la montée de la légitime révolte de tous les brimés, de tous les humiliés, de tous les opprimés, j'en serais heureux.

Denis Langlois, Les dossiers noirs de la justice française.



Du 26 octobre au 4 novembre 2012, Denis Langlois participera au Salon du livre francophone de Beyrouth qui fête son vingtième anniversaire.

Le blog de Denis Langlois



vendredi, octobre 19, 2012

Coluche & le Coluchisme





Représentation unique au Gymnase. Le 30 octobre 1980, Coluche donne une « matinée » exceptionnelle, pour un parterre choisi. Il vient de s'asseoir derrière un guéridon posé sur le devant de la scène. Il porte sa salopette, mais pas le nez rouge. Il a ajouté à sa tenue une chemise à carreaux jaunes et noirs, un foulard et des mocassins jaunes. Coluche est en civil.

Il ne propose pas non plus son spectacle habituel. Ce qu'il a à dire aux journalistes, aux équipes de télévision qui occupent les premiers rangs, tient en peu de mots. Il est officiellement candidat à l'élection présidentielle. Il vient « semer la merde ». Précipiter sa « plaisanterie à caractère social » dans le débat national. (...)

A partir de la mi-octobre, la presse a publié les premières déclarations de Coluche. Trop caricaturales encore pour être tout à fait crédibles. « Les hommes politiques, c'est quatre mousquetaires des cinq doigts de la main : un pour tous, tous pourris ! » Le 29 octobre, Cavanna a fait paraître dans Charlie un entretien dans lequel le futur candidat expose ses motivations. « Je me présente pour tous ceux, affirme-t-il, qui subissent la politique, qui bossent toute leur vie, sont exploités jusqu'à la moelle, et n'ont que le droit de regarder de loin comment ça se passe (...). » Son programme ? « Faire un bras d'honneur à tous, aux malfrats de la droite, aux rigolos de la gauche. » Pour l'avoir trop attendue, il en veut d'ailleurs plus à la gauche qu'à la droite. Cavanna s'inquiète qu'on puisse détecter dans la croisade coluchienne des relents poujadistes. Coluche ignore toujours le sens de ce mot, et apprend l'existence, à cette occasion, de Pierre Poujade, parti en guerre, en 1956, contre l'impôt et l’État, avec, précise Cavanna, « un paquet de petits commerçants et de vieux fachos ». Leurs deux noms seront souvent réunis, dans les semaines à venir. Celui du gosse de Montrouge et celui du papetier de Saint-Céré.

« J'en ai rien à foutre, répond Coluche, j'étais pas né. J'ai pas besoin de Poujade pour savoir qu'en France, on ne demande qu'à bosser, mais (...) qu'on en a marre de payer des impôts pour nourrir des flics qui nous regardent comme si on était des étrons de chien et qui nous tapent sur la gueule. » Suit un rêve étrange : « Un flic, ça devrait être un pote qui te ramène à la maison quand il te trouve bourré dans la rue. (...) On devrait se dire : chouette, voilà le gars (...) qui va me dépanner, qui va me sourire et sécher mes larmes. Un flic, ça devrait être la Providence. » Cavanna opine, quand même dubitatif.

Coluche réaffirme qu'il s'adresse aux abstentionnistes, aux non-inscrits, aux mal-aimés du système électoral et social. Il devrait réaliser un score supérieur à 2 %. Au second tour, il conseillera à ses électeurs « d'aller tirer un coup ou d'aller à la pêche ». Il ne se désistera pas. Pas même pour le candidat socialiste. Cavanna s'inquiète encore : ne dit-on pas que cette candidature de la dérision serait « un moyen de diversion, un pipe-voix manipulé en sous-main » ? « Leurs magouilles, rien à foutre, tonne le candidat. Mon seul objectif : leur fourrer le doigt dans le cul à tous ! »

C'est encore un peu court. En dernière page de son numéro, Charlie publie l'appel solennel du candidat. Un « avis à la population », sur fond jaune, encadré de tricolore. « J'appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les tau-lards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s'inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle. Tous ensemble pour leur foutre au cul avec Coluche ! » Un peu juste, toujours. Plusieurs journaux ont donné l'information, mais cette déclaration tonitruante et très libertaire fait, pour quelques heures encore, figure de blague.

Juste pour quelques heures, car le jeudi 30 octobre 1980, vers 15 heures, Coluche provoque le brusque réveil de la campagne électorale. Il est arrivé dans sa Buick 1956 — l'année du poujadisme — rouge et blanc. Paul Lederman a réuni la presse, des journalistes incongrus au théâtre : les spécialistes de la politique. Chez lui, sur sa scène, l'artiste s'est assis derrière le guéridon qui supporte quelques notes. « Je sais ce que vous voulez savoir: c'est sérieux ou c'est pour rigoler ? Aura ou aura pas les cinq cents signatures ? » Dès son entrée, Coluche fait rire la plus difficile des salles. En coulisses, Paul se frotte les mains. Ça prend !

« Je m'adresse à ceux qui ont voté à gauche pendant trente ans pour rien (...) Je m'adresse aussi à ceux qui ont voté à droite pendant trente ans pour rien non plus. Vous en connaissez, des promesses tenues ? » Il se présente pour « rappeler qu'on existe aux marchands d'espoir et de courants d'air ». Il invite à peu près tous les exclus à le rejoindre. Il sera le candidat « des faiseurs de patins à roulettes, des pédés, des nègres, des vieux qui ont une retraite de merde, des chômeurs qui sont un million et demi, des crasseux, des chevelus, des consommateurs de politique, ceux qui la subissent et pour qui on ne fait rien ». Comme prévu, Coluche brasse au plus large, à gauche, et à droite, loin derrière les partis de gauche et ceux de droite. Effectivement néo-libertaire et populiste, démagogue et généreux. Il renvoie, ce jour-là, tous les camps dos à dos. (...)

La plupart des commentateurs profitent du coup d'éclat de Coluche pour critiquer l'usure des institutions elles-mêmes, la rigidité de ce système présidentiel qui exclut de plus en plus de citoyens, les condamnant à des « candidatures de fantaisie ». Ces dernières sont déjà près d'une trentaine, dûment déclarées, dont celles de Michel Debré et de Marie-France Garaud. Aucune n'a soulevé le moindre intérêt. Le « coluchisme » naît, spontanément, parce que, comme le notera L'Express, « Coluche doit avoir une tête de symptôme ». Il a pointé son gros doigt sur la première tare de la démocratie formelle : son cynisme mathématique. (...)

Comme il est plus représentatif, plus percutant que l'ensemble des « petits candidats » réunis, Coluche sert de pôle à une analyse sans complaisance pour cette Ve République apparemment exsangue. Tous les titres, quelle que soit leur tendance, y vont de leurs éditoriaux. « L'exécutif règne sans partage, écrit Edmond Bergheaud dans Le Figaro. Si bien que le citoyen moyen estime n'avoir d'autre moyen de contester l'omnipotence du pouvoir que de rechercher d'autres intermédiaires, quitte à tomber sur un Coluche. » Dominique Jamet, dans Le Quotidien de Paris : «Malheur aux petits partis en voie de constitution ou d'extinction ! Malheur aux pauvres ! Malheur aux individus ! Est désormais décrété marginal dans la vie politique tout ce qui n'appartient pas aux grandes formations. Tout a été délibérément, froidement, cyniquement organisé pour assurer la perpétuation de la bande des quatre .» (...)

Les experts en communication politique assurent désormais que Coluche, malgré l'intervention du C.I.C. (le Centre d'Intervention Civique hostile à la candidature de Coluche), et les inévitables pressions préfectorales, n'aura aucun mal à recueillir ses cinq cents signatures. D'autant qu'il a été rejoint, dès le début du mois de novembre, par une poignée d'intellectuels et que cela fait aussi quelque bruit dans Landerneau. Maurice Najman a ramené, un soir, rue Gazan, Félix Guattari, l'homme de l'antipsychiatrie, l'auteur, avec Gilles Deleuze, de L'Anti-Œdipe. Le philosophe de l'après-68, sympathisant des « autonomes » italiens jusqu'à l'assassinat d'Aldo Moro, favorable à la dépénalisation du haschisch, trouve immédiatement, à travers Coluche, l'exutoire de ses dernières désillusions politiques. En adhérant spontanément à un phénomène confus, que Coluche croit être encore une plaisanterie, l'intellectuel ne peut s'empêcher de parer cette campagne au nez rouge d'une dimension dialectique.

« Dans ce que j'appelle la révolution moléculaire, explique-t-il, les luttes de désir, comme on voudra, les gens ne se séparent pas forcément en droite et gauche. Les chauffeurs de taxi, le bistrot sont pour Coluche? Le degré zéro du politique n'est pas forcément stupide. Il révèle quelque chose. Déjà, du temps de la gauche prolétarienne, au début des années soixante-dix, les petits commerçants et les révolutionnaires s'étaient retrouvés. Coluche est un homme de média, un professionnel. A côté de lui, Marchais et Mitterrand sont des amateurs. Ce mouvement un peu populiste, il vaut mieux le voir à gauche qu'à droite. Autrement, c'est le fascisme. Aider Coluche, c'est ce qu'on peut faire de moins con. » Les copains de Coluche comprennent de ce raisonnement un peu hautain que le psychanalyste se dévoue pour faire contrepoids à Gérard Nicoud. Renvoyer le plateau de la balance à gauche. Ils sont plutôt pour. Coluche n'a rien à y redire : il est, comme il le répète, « une boîte vide », et la remplit à peu près qui le souhaite. Mais sa première rencontre avec l'intellectuel laissera quelques souvenirs amusés, rue Gazan. « Je pige pas tout ce que tu dis, a répondu Coluche, mais je suis d'accord. Amène tes potes. »

Félix Guattari amène ses potes. Gilles Deleuze, bien sûr, mais aussi le sociologue Pierre Bourdieu, les universitaires Gérard Soulier et Jean Chesneaux ; Maurice Nadeau, Jean-Pierre Faye. Un soir, Yves Lemoine, membre du syndicat de la magistrature, vient dîner lui aussi. « Je n'en reviens pas, lâche Coluche, un juge... qui condamne. » Le juge se lance dans un beau discours : « Coluche, comme d'autres, a vocation de représenter le pays. Tout le problème avec sa candidature est de savoir si le pays réel l'emportera ou non sur le pays légal tel qu'on le trouve notamment dans la réglementation qui préside à l'élection du président de la République .» Les copains, à table, se regardent. Coluche devrait s'énerver, ou pousser son fameux « cri du cochon ». Or, le candidat ne bronche pas. Il opine, gravement, de la tête. Pour l'ironie, il sera toujours temps. Il a décidé de respecter tous ceux qui viennent à lui. Mais les plissements de son front laissent deviner un gros rire intérieur.

Il est aussi flatté, au fond. Lui, l'exclu du certif, le théoricien de l'anticulture, reçoit à sa table le Gotha de l'intelligentsia parisienne. Il vient de s'offrir des conseillers bardés de diplômes, des auteurs de livres qu'il ne lira jamais. Ces déçus des utopies refont, rue Gazan, la révolution, pour se consoler de la défection de Michel Rocard, de l'agonie du P.S.U., de leur jeunesse perdue. Il faut fédérer les comités, assurent.ils, lancer un journal, organiser un gala au Larzac. Pourquoi ne pas servir, clés en main, à Coluche un groupuscule néo-gauchiste ? Celui-ci refrène leur fougue d'adolescents retrouvée.

Philippe Boggio, Coluche.


C'est l'histoire d'un môme né en 1944. Déjà, en classe, il fait rire les copains parce qu'il tient tête à l'instituteur.
Ensuite, c'est l'histoire d'un mec qui tire sur tout ce qui dépasse, bouscule les tabous, ridiculise les bourgeois, les beaufs et les princes.
C'est, aussi, l'histoire d'un acteur qui nous fait pleurer avec Tchao Pantin. Bouleversant de vérité, il offre au personnage de Lambert sa propre fragilité, sa souffrance de la drogue et de l'alcool.
C'est, enfin, l'histoire d'un homme qui luttera sans relâche contre l'intolérance et la bêtise. Avec la plus efficace des armes : la dérision. Et parce qu'il n'oublie pas qu'il a connu la dèche, il se lance dans la plus généreuse des aventures : les Restos du Cœur...
Coluchienne de vie ! En juin 1986, un camion le réduit au silence. Mais dans nos cœurs, sa voix résonne encore...

jeudi, octobre 18, 2012

Voter, c'est abdiquer





La personnalité du professeur Choron, « a marqué son temps d'une indélébile empreinte, nul historien sérieux ne le contestera, en tout cas pas devant moi et pas s'il est tout seul », écrit Cavanna . […] « Il n'avait pas six ans quand son sublime Traité des surfaces poisseuses lui valut d'enthousiasme la chaire de mathématiques pathologiques à la Sorbonne. L'année suivante, le prix Nobel de la Guerre Froide couronna son désormais classique De l'attentat à la pudeur considéré comme une science exacte. Se succédèrent alors une série de chefs-d'œuvre dont nous ne citerons que ceux-ci, dont l'influence sur la marche triomphale de l'humanité vers les lendemains où l'on rase gratis fut décisive : Du rôle de la clef anglaise numéro huit emmaillotée de chatterton dans la répartition équitable des richesses. Augmentez vos revenus sans sortir de chez vous par l'élevage des escargots comestibles dans le tiroir de votre table de nuit. Dieu existe, je me le suis fait dans une pissotière. Atlas des maladies répugnantes (en couleurs). Abrégeons... » (Cavanna)

Sans le génial professeur Choron, serait-il possible de comprendre la pensée d'Élisée Reclus qui, dans une lettre adressée à Jean Grave et insérée dans Le Révolté du 11 octobre 1885, déclare : « voter, c'est abdiquer » ?

« Compagnons, écrit Élisée Reclus,

     Vous demandez à un homme de bonne volonté, qui n'est ni votant ni candidat, de vous exposer quelles sont ses idées sur l'exercice du droit de suffrage.

     Le délai que vous m'accordez est bien court, mais ayant, au sujet du vote électoral, des convictions bien nettes, ce que j'ai à vous dire peut se formuler en quelques mots.

     Voter, c'est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c'est renoncer à sa propre souveraineté. Qu'il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d'une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu'ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir.

     Voter, c'est être dupe ; c'est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d'une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l'échenillage des arbres à l'extermination des peuplades rouges ou noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l'immensité de la tâche. L'histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.

     Voter c'est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à l'honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages  — et peut-être ont-il raison le premier jour, quand les candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l'homme change avec lui. Aujourd'hui, le candidat s'incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L'ouvrier, devenu contre-maître, peut-il rester ce qu'il était avant d'avoir obtenu la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n'apprend-il pas à courber l'échine quand le banquier daigne l'inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l'honneur de l'entretenir dans les antichambres ? L'atmosphère de ces corps législatifs est malsain à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s'ils en sortent corrompus.

     N'abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d'autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d'action futur,  agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c'est manquer de vaillance.

     Je vous salue de tout cœur, compagnons »


Sous forme ludique, dans son magistral Les jeux de con du professeur Choron, le génial exégète révèle la signification de « Voter, c'est abdiquer » :


Un jeu pour jouer avec le suffrage universel


Procurez-vous, chez un apiculteur, une bonne vingtaine d'abeilles bien vivantes, enfermez-les dans une petite boîte en fer, percez quelques trous dans le couvercle et rangez le tout dans votre poche. Allez jusqu'à votre mairie en courant de façon à bien secouer les abeilles. Cela les rendra méchantes. Dès que vous êtes dans la mairie, agissez exactement comme pour aller voter. Toutefois, pendant votre passage dans l'isoloir, vous prenez l'enveloppe contenant votre bulletin de vote et vous videz dedans toutes les abeilles de la boîte. Vite, vous cachetez. Déchirez alors un coin de l'enveloppe, bouchez l'ouverture que vous venez de faire en pinçant tout simplement les deux bords entre le pouce et l'index. En maintenant ainsi l'enveloppe, vous allez la déposer dans l'urne.

Attendez que l'on vous dise « A voté » et partez sans vous retourner. Arrêtez-vous quand même à la porte de la salle commune pour regarder. La première abeille qui sortira de l'urne va causer une certaine surprise, mais dès que toutes les autres vont montrer leurs têtes et se mettre à virevolter, la panique deviendra générale. Quand tout le monde se sera sauvé, prenez quand même le risque d'aller voler l'urne, des fois que les abeilles auraient eu le temps d'y faire un peu de miel...
Professeur Choron








mercredi, octobre 17, 2012

Journée Mondiale du refus de la misère




Camarades de misère, quand, énervés par un long chômage, quand, désespérés par des privations de toutes sortes, vous en arriverez à maudire votre situation et à réfléchir aux moyens de vous en assurer une meilleure, attaquez-vous aux vraies causes de votre misère, à l'organisation capitaliste qui fait de vous les machines des machines ; mais ne maudissez pas cet outillage qui vous affranchira des forces naturelles, si vous savez vous affranchir de ceux qui vous exploitent. C'est lui qui vous donnera le bien-être... si vous savez vous en rendre les maîtres. […]

Trop longtemps les sociétés ont été détournées de leur but ; elles doivent revenir au rôle pour lequel elles ont été instituées : apporter plus de bien-être, plus de facilités au développement des individus, plus de liberté en diminuant le temps consacré à la lutte pour l'existence.

Pour arriver à cette société, résultat de l'entente libre des intéressés, nous voulons que tout ce qui est le sol, le sous-sol, immeubles, outillage, tout ce qui est le produit de la nature et du travail des générations passées soit enlevé à ceux qui se les sont appropriés indûment et reviennent à la libre disposition de ceux qui auront à les mettre en œuvre, qu'ils ne soient plus accaparés par des individus ou des groupes les exploitant à leur profit. L'outillage, surtout, ne devant être ni social, compris dans le sens de propriété d'une entité sociale quelconque, ni corporatif, nous voulons qu'il soit à la disposition de qui en a besoin pour produire et le mettre en œuvre par lui-même, soit en tant qu'individu, soit en groupe.

Nous voulons, partout, l'abolition du salaire, puisque chacun aura la libre disposition des produits de son travail ; nous voulons également l'abolition de la monnaie ou de tout autre valeur d'échange, la répartition des produits devant s'opérer directement entre producteurs et consommateurs groupés par besoins et affinités où l'échange des produits ne sera plus qu'un échange mutuel de services.

Nous voulons la disparition de l'État, de tout gouvernement, quel qu'il soit, centralisé ou fédératif, dictatorial ou parlementaire, basé sur un suffrage plus ou moins restreint, plus ou moins élargi par une soi-disant représentation des minorités. Tous les groupements placés au-dessus des individus ayant une tendance fatale à les dominer, à se développer au détriment de leur liberté.

Nous voulons la disparition des armées permanentes parce qu'elles n'ont d'autre objectif que la défense des privilégiés, qu'elles ne sont que des écoles de débauche, d'avilissement et d'abaissement et une menace perpétuelle de guerre entre les peuples.

Nous voulons que les groupes et individus se tenant en relations constantes entre eux règlent eux-mêmes, sans suffrages ni délégations, les questions d'intérêt général, comme ils auront su régler, au sein de leurs groupes, les questions d'intérêts privés. [...]

Nous voulons l’affranchissement complet, intégral de l’individu. Nous voulons son affranchissement économique le plus absolu.


Jean Grave, Ce que nous voulons.

Télécharger gratuitement Résistances, le journal du refus de la misère :


Ceque nous voulons
de Jean Grave

Fils d’un communard blanquiste, Jean Grave (1854-1939) travaille très jeune comme cordonnier à Paris : fréquentant les cercles ouvriéristes, proche d’Élisée Reclus et de Pierre Kropotkine, il a crée Les Temps nouveaux en 1895, qui devient la tribune pour ses idées. 

En 1914, celui qui déploie depuis plus de trente ans une « propagande de brochures » fait paraître Ce que nous voulons, manifeste du projet libertaire, condensé virulent de l’idéal anarchiste : « Nous voulons l’affranchissement complet, intégral de l’individu. Nous voulons son affranchissement économique le plus absolu. »

Dans la « société future » seront abolis le salaire, la monnaie, la propriété individuelle, l’armée, la démocratie représentative, l’État et ses gouvernements. Dans trois textes antérieurs, Grave détaille sa critique du régime de la IIIe république et de la société industrielle : le machinisme (1898), la colonisation (1912) et préconise l’usage de la révolution (1898).

mardi, octobre 16, 2012

La « prophétie » de Michel Serrault





Quand un comédien semble plus lucide que les politiciens, il ne faut pas croire que ceux qui gouvernent sont des incapables ou des idiots. Non, ce sont des calculateurs sans scrupules et des criminels !

Chaos en Irak & djihad contre l'Occident

« 14 avril 2003, écrit Michel Serrault, la guerre en Irak bat son plein. George Bush me fait peur. Les scènes de bombardement de Bagdad à la télévision me glacent le sang. Cette guerre plus longue que prévu par les « experts » multiplie les morts de part et d'autre dans un but clairement identifié : s'emparer du pétrole irakien. Assez de naïveté à cet égard. Qui peut croire aux prétendus élans humanistes de l'Amérique et de la Grande-Bretagne voulant « libérer » la population ? L'a-t-on consultée ? Lui a-t-on annoncé le désordre qui va suivre inévitablement cette intervention ? La guerre civile, peut-être, le chaos, le sang, les règlements de comptes... Tout cela, comme toujours, sur le dos des plus faibles. Quand tous les musulmans seront remontés définitivement contre l'Occident, il faudra se souvenir de la responsabilité historique de George Bush. Quelle inconscience !

Et ce sentiment d'impuissance devant la télévision qui montre les dégâts humains et matériels de plus en plus lourds. »

Michel Serrault, Les pieds dans le plat.


Les pieds dans le plat

« Je ne suis pas un écrivain, encore moins un philosophe ou un moraliste, tout au plus un comédien un peu perdu, parfois, dans ce siècle tourmenté. Les journalistes me demandent souvent ce que je pense de tel ou tel événement qui surgit dans l’actualité. Une pirouette me sert presque toujours de réponse. Pourquoi se prononcer ou pousser un cri ? A quoi bon exprimer une opinion définitive sur un sujet changeant quand on n’a pas le pouvoir de modifier le cours des choses ? Mais l’année dernière, j’ai éprouvé le besoin de fixer un peu mes idées. Depuis décembre 2002, je note, sur des feuilles volantes, tout ce qui me passe par la tête, à la faveur d’une rencontre, d’une émission de télévision, d’une pièce de théâtre, d’une déclaration de George Bush au journal télévisé ou d’une apparition du Pape au balcon du Vatican. On trouvera dans ce journal ce qui me réjouit et m’agace, ceux que j’admire depuis toujours et ceux que je déteste provisoirement, des gens célèbres ou des inconnus, des commerçants de mon quartier, des moines perdus dans leur thébaïde et des metteurs en scène plus ou moins inspirés. Dans mon métier de comédien, je prétends que la « présence », indéfinissable, est déterminante. Sur scène, je veux que mon cœur pénètre au fond des âmes. Ce ne sont pas les mots qui comptent mais l’intention derrière les mots. Mon métier est un métier de croyance et de foi. Comment expliquer le mystère du comédien puisque ce qu’il fait de mieux, souvent, lui échappe ?



Il en va de même dans ce journal : beaucoup de remarques, de pensées, de critiques, d’applaudissements aussi, se sont échappés sur le papier et je ne les ai pas censurés. Me jugera-t-on avec indulgence ? Je l’espère car c’est avec sincérité et une bonne foi très relative que je réponds aux évènements quotidiens, heureux ou malheureux, cocasses ou inattendus, qui s’offrent à mon regard de comédien et à mon cœur de chrétien.

Mettre « les pieds dans le plat » a deux sens très voisins d’après les dictionnaires. Soit commettre involontairement un impair, soit faire exprès de susciter un effet de scandale ou de mettre ses interlocuteurs dans l’embarras en les atteignant ouvertement. Je ne sais plus ce qui relève de l’impair, dans les pages qui suivent, ou de l’attaque volontaire. A moins que l’ensemble ait échappé à mon raisonnement sous le coup de l’émotion, de la colère, d’un éclat de rire ou de l’émerveillement. »
Michel Serrault
(1928-2007)







lundi, octobre 15, 2012

Une bouffonnerie oligarchique




Le Comité Nobel norvégien vient de nommer l'Union Européenne prix Nobel de la Paix.

L’Europe nobélisée c'est la nouvelle bouffonnerie imaginée par les maîtres du monde !

En réalité, l'Europe de 2012 évoque la ferme des animaux de George Orwell. Pour Orwell, l'idéal républicain est perverti, il ne profite qu'à quelques individus. « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d'autres », écrit-il.

Dans la réédition de 2006 de La ferme des animaux, la petite biographie consacrée à George Orwell précise ceci :

« Orwell est mort à Londres en janvier 1950, peu après avoir publié son très célèbre ouvrage, 1984. Tout le monde connaît cette peinture d'un monde totalitaire, prophétique jusque dans les détails : l'omniprésent visage à la moustache noire, avec pour légende « Big Brother vous regarde », les hélicoptères qui surveillent les gens par la fenêtre, la Police de la Pensée, la torture, la rééducation, la toute-puissance de l’État. Aujourd'hui que la véritable année 1984 est arrivée, on peut voir hélas le modèle imaginé par George Orwell s'étendre sur la carte du monde. »

La démocratie n'existe pas en Europe, le peuple, notamment grâce aux réseaux sociaux de l'Internet, en prend de plus en plus conscience. Et l'oligarchie, avec la complicité du Comité Nobel, en vient à jouer son va-tout : la peur des guerres et l'éloge de la « Pax Romana » des pays asservis par Bruxelles, la Rome de l'ordre totalitaire marchand européen. 





samedi, octobre 13, 2012

Karma, nirvana, blablabla




Quelques années avant son décès (2008), Marc Bosche a écrit :

« J'ai passé le réveillon avec des amis, trois couples ayant chacun vingt à vingt-cinq années de pratique du bouddhisme. [...]

En échangeant avec eux j'ai évoqué les limites que je voyais au message même du bouddhisme : 1) la vérité de la souffrance, 2) le karma, 3) le nirvana et 4) les vies successives. Voici les quatre objections que j’ai soulevées, et un peu plus loin la réaction intéressante de ces amis..


1) La vie en tant qu’opportunité

En un mot la vérité de la souffrance n'est peut-être pas correctement formulée dans le bouddhisme, puisque en réalité la vie si elle est souffrance, certes, est surtout opportunité d'une expérience consciente unique. Sans la vie nous ne serions sans doute pas, et donc vivre n'est pas une maladie ni une fatalité douloureuse, mais plutôt un tremplin précieux et un cadeau inestimable.


2) Le karma a bon dos

Quant au karma, le bouddhisme nous dit que les souffrances d'aujourd'hui résultent d'actes non vertueux d'hier et que les bonheurs d'aujourd'hui résultent d'actes vertueux accomplis par le passé. Or, nous le voyons bien, beaucoup d'innocents souffrent (les victimes du Tsunami par exemple), d'enfants innocents meurent. Nous ne pouvons pas moralement affirmer que c'est à cause d'actes négatifs antérieurs, ce serait victimiser deux fois ces personnes, leur faire porter une deuxième fois le poids de destinées que rien ne peut justifier.

En revanche des dictateurs coulent de vieux jours paisibles. Des tortionnaires ou des aigrefins passent de paisibles retraites semblant ne pas souffrir particulièrement de cette fameuse "loi du karma". Mr Papon libéré de prison pour raison de santé, coule des jours heureux. Mr Crozemarie bénéficie paraît-il d'un jacuzzi dans sa confortable maison de retraite. Mr Pinochet n’a qu’assez récemment été inquiété par la justice de son pays. Mr Saddam Hussein est toujours vivant à l'heure de son procès (au 28 mars 2006 date à laquelle nous bouclons l’édition de ce livre), alors que de nombreux Irakiens innocents, des femmes, des enfants, des jeunes gens sont morts. La loi du karma du bouddhisme paraît un vœux pieux plus qu'une réalité.

L’idée de maturation des graines karmiques est nécessaire pour rendre plausible la théorie du karma, mais cela fonctionne-t-il vraiment comme cela ? La durée de la vie humaine permet-elle cette "maturation" ? Probablement non, et alors il faut absolument croire à cette idée de vies successives pour que la rétribution karmique ait la moindre chance de se produire et donc d'exister. Or rien n'est moins sûr que ces chapelets de vies successives pour vous et moi. Il y a donc au moins deux hypothèses, pour le moins hasardeuses, indispensables ici pour fonder cette théorie du karma.


3) La promesse vague, plurielle et contradictoire du nirvana

Quant au nirvana, qui peut vraiment compter dessus, en faire le projet de sa vie ? Honnêtement ?

Et puis, ce serait intéressant de découvrir aussi si l'union "vacuité-félicité" qui est pour les tantrikas du vajrayana le coeur de l'éveil spirituel correspond au nirvana de leurs amis Theravadin...

Chez les kagyu où l'influence Dzogchen et plus généralement Nyingma est présente (la lignée kagyu emprunte beaucoup aux enseignements et aux maîtres nyingma) le nirvana est un peu réservé... aux maîtres, aux détenteurs de lignée. Pour les disciples, il s'agit plutôt, de vie humaine en vie humaine, de réaliser progressivement des terres pures au moment de chaque mort successive et d'avancer ainsi de la première vers la dixième terre pure (ou treizième selon les systèmes), vers la libération du cycle des renaissances. Je crois que c'est à ce point qu'on peut alors parler de nirvana selon ce système tantrique.
Il y a aussi les cas de ces yogis qui réalisent le corps d'arc-en-ciel au moment de leur mort, il s'agit d'une manière de libération également, mais je ne peux dire si selon ce modèle de l'illumination c'est l'ultime et définitif, c'est à dire le nirvana. Comme ces atteintes successives (des terres pures, ou même du corps d'arc-en-ciel) correspondent de toute évidence à un raffinement de plus en plus grand de la conscience : "Dans le dzogchen tibétain, la nirvana est également assimilé à la conscience fondamentale, qualifiée de grande perfection naturelle. Il faut reconnaître la nature de l’esprit, vide, lumineuse, sensible et au delà de la mort."Alors, un nirvana pour tous, ou divers nirvana promis selon les diverses écoles ? Les promesses engagent surtout ceux qui y croient. Un maître Soto Zen (Kodo Sawaki, le maître de Taisen Deshimaru) disait quant à lui que le nirvana c'était "l'endommagement ultime"... Que voulait-il dire par là ? Et puis il y a les NDE, les near death experiences, ces expériences au seuil de la mort que racontent nos contemporains qui les ont vécues, en particulier en Occident. Sont-elles une expression de ce "nirvana", de cet éveil spirituel ? Est-ce le même éveil que chez les bouddhistes, est-ce encore une autre forme de conscience ou d'expérience ?


4) La fiction possible des vies successives

Pour ce qui est des vies successives, rien ne montre que cela se passe comme le dit le bouddhisme, c'est à dire qu'un courant de conscience se réincarne (ou passe) encore et encore dans différents plans possibles d'existence, nous donnant au passage ici et maintenant cette vie humaine.

D'autres possibilités sont tout aussi crédibles : dispersion ou cessation de la conscience fondamentale au moment de mort, réintégration ou réabsorption de celle-ci dans une autre dimension ou une autre réalité spirituelle, combinaison de facteurs dynamiques de la conscience appartenant à plusieurs êtres pour composer la conscience d'un nouveau-né. Etc. etc. Bref la théorie des vies successives est aussi un conte simple et séduisant, mais ne présente aucune présomption de sa réalité.

Après avoir présenté mes modestes élucubrations, l'une des personnes présentes au réveillon m'a dit : "je pense comme vous, je suis d'accord." Je lui ai fait remarqué : "Alors vous n'êtes pas bouddhiste". Elle m'a répondu avec un sourire : "je me présente comme bouddhiste, mais je ne crois pas, en effet, à cela." Un autre participant à la soirée a ajouté, en substance : "oui, il faut toujours dire qu'on est bouddhiste aux autres qui le sont, pour ne pas créer de difficultés ou de problèmes avec eux, mais c'est vrai on ne croît pas vraiment à ces choses". J'ai donc réalisé que ces amis qui ont vingt à vingt cinq ans de dharma, qui sont pour la plupart végétariens et ont adopté une hygiène de vie et une éthique très attentive, qui pratiquent la méditation au quotidien, ne croient pas un mot du dogme fondamental qui définit le bouddhisme. Mais ils se disent toujours "bouddhistes". »

Marc Bosche, Neo bouddhisme, quand le Bouddha ne sourit plus.





vendredi, octobre 12, 2012

Le secret des Pythagoriciens




IVe siècle après Jésus-Christ. En Égypte, la brillante philosophe Hypatie tente de préserver les connaissances accumulées depuis des siècles. Elle sera lapidée par des moines chrétiens sur l'ordre de saint Cyrille, évêque d'Alexandrie .

Les Égyptiens, qui avaient inventé la géométrie, se souciaient peu des mathématiques. Pour eux, ce n'était qu'un outil afin de compter l'écoulement des jours et de délimiter des parcelles de terrain. Les Grecs eurent une attitude différente : les nombres et la philosophie étaient inséparables, et ils prenaient les deux terriblement au sérieux. On peut dire que les Grecs se livraient à des débordements lorsqu'on parlait nombres...

Hippase de Métaponte se tenait sur le pont du bateau, se préparant à la mort. Autour de lui étaient rassemblés les membres d'un culte, une fraternité secrète qu'il avait trahie. Hippase avait révélé un secret qui pouvait être mortel pour la pensée grecque, un secret qui tendait à faire écrouler toute la philosophie que la fraternité avait échafaudée. Parce que Hippase avait révélé ce secret, le grand Pythagore lui-même l'avait condamné à la mort par noyade. Pour protéger sa philosophie des nombres, la secte allait tuer. Pourtant, aussi grave que fût le secret révélé par Hippase, il n'était rien par rapport au danger du zéro.

Le chef du groupe était Pythagore, un personnage fondamental de l'Antiquité. D'après la plupart des sources, il est né au VIe siècle avant J-C. à Samos, une île grecque au large des côtes de Turquie, célèbre pour son temple à Héra et pour son excellent vin. Même jugées à l'aune des standards des superstitieux Grecs anciens, les croyances de Pythagore étaient extravagantes. Il était fermement convaincu d'être la réincarnation de l'âme d'Euphorbe, un héros troyen. Ce qui encourageait Pythagore à penser que toutes les âmes — y compris celle des animaux — passaient dans de nouveaux corps après la mort. Pour cette raison, il était strictement végétarien. Les haricots, toutefois, étaient tabous, car ils causent des flatulences et ressemblent aux appareils génitaux.

Pythagore était sans doute un penseur New Age de l'Antiquité, mais il était aussi un narrateur exceptionnel, un chercheur renommé, et un enseignant charismatique. On dit qu'il a rédigé la Constitution destinée aux Grecs vivant en Italie. Les étudiants venaient vers lui en grand nombre et il se retrouva rapidement à la tête d'une flopée de disciples qui voulaient profiter de l'enseignement du maître.

Les Pythagoriciens vivaient conformément aux diktats de leur chef. Ils croyaient, entre autres, qu'il était préférable de faire l'amour aux femmes en hiver plutôt qu'en été ; que tout malaise était causé par une indigestion ; qu'il fallait manger de la nourriture crue, boire uniquement de l'eau et éviter de porter de la laine. Mais, au cœur de leur philosophie, le point le plus important tenait dans cette révélation : tout est nombre.

Les Grecs avaient hérité leurs nombres des géomètres égyptiens. Avec pour résultat que, dans les mathématiques grecques, il n'y avait pas de distinction nette entre les figures et les nombres. Pour les philosophes mathématiciens grecs, c'était à peu près la même chose. Aujourd'hui encore nous avons des nombres carrés et des nombres triangulaires, selon leur composition. A cette époque, démontrer un théorème mathématique se réduisait à l'exécution d'un élégant dessin ; les outils n'étaient pas la plume et le papier - c'était la règle et le compas. Et pour Pythagore le lien entre les figures et les nombres était profond et mystique. Chaque forme de nombre avait un sens caché, et les plus belles étaient sacrées.

Le symbole mystique du culte pythagoricien était naturellement le pentacle, une étoile à cinq branches. Cette simple figure ouvre sur l'infini. Blotti à l'intérieur des lignes de l'étoile, on décèle un pentacle. Si l'on relie par des traits les coins de ce pentacle, se dessine une petite étoile inversée qui a exactement les mêmes proportions que l'original. Cette étoile, à son tour, contient un pentacle encore plus petit qui contient une étoile plus petite avec son petit pentacle et ainsi de suite.

Aussi intéressant que cela soit, pour les Pythagoriciens la propriété la plus importante du pentacle ne résidait pas dans son auto-reproduction, mais était cachée dans les côtés de l'étoile. Ils contenaient ce qui était le symbole ultime de la conception pythagoricienne de l'univers : le nombre d'or.

Le nombre d'or vient d'une découverte de Pythagore peu connue. Dans les écoles modernes, les enfants entendent citer Pythagore pour son fameux théorème : le carré de l'hypoténuse d'un triangle rectangle est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Cela n'avait rien de nouveau. On le savait plus de mille ans avant Pythagore. Dans la Grèce antique, Pythagore devait sa célébrité à une autre découverte : la gamme musicale.

Un jour, selon la légende, Pythagore jouait sur un monocorde, une boîte sur laquelle était tendue une corde. En faisant coulisser de haut en bas une pièce placée à cheval sur la corde, une espèce de capodastre, Pythagore changeait les notes que l'instrument émettait. Il découvrit vite que les cordes ont chacune un comportement particulier, quoique prévisible. Quand vous pincez la corde sans poser de capodastre, vous obtenez une note pure, appelée fondamentale. Poser le capodastre sur le monocorde change les notes que l'on joue. Quand vous placez le capodastre exactement au milieu du monocorde, chaque moitié de la corde émet la même note : une note exactement d'une octave supérieure à la note fondamentale. En faisant glisser légèrement le capodastre pour obtenir d'un côté trois cinquièmes de la corde et de l'autre deux cinquièmes, Pythagore remarqua qu'en pinçant les deux segments, on obtenait deux notes qui créaient une quinte juste, dont on dit qu'elle est le rapport musical le plus évocateur et le plus puissant. Des proportions différentes donnaient des tonalités différentes, qui pouvaient être plaisantes ou désagréables. (Le discordant tritone, par exemple, fut baptisé « le diable dans la musique » et écarté par les musiciens médiévaux.) Étrangement, lorsque Pythagore posait le capodastre à un endroit qui ne divisait pas la corde en une fraction exacte, les notes pincées sonnaient mal. Le son était alors dissonant et parfois pire. Souvent la note hoquetait comme un ivrogne de haut en bas de la gamme.

Pour Pythagore, jouer de la musique était un acte mathématique. Comme les carrés et les triangles, les droites étaient des figures-nombres, aussi diviser une corde en deux parties relevait de la même idée qu'établir un rapport entre deux nombres. L'harmonie du monocorde était l'harmonie des mathématiques — et l'harmonie de l'univers. Pythagore en conclut que des règles gouvernent non seulement la musique mais également tout ce qui est beau. Pour les Pythagoriciens, les proportions et les ratios ordonnent la beauté musicale, la beauté physique, et la beauté mathématique. Comprendre la nature devient aussi facile que comprendre les proportions en mathématiques.

Cette philosophie — l'interchangeabilité de la musique, des mathématiques et de la nature — conduisit au premier modèle pythagoricien du système planétaire. Pythagore avança que la Terre était au centre de l'univers, et que le Soleil, la Lune, les planètes tournaient autour, dans des sphères successives. Les proportions entre les sphères étaient harmonieuses et régulières et lorsqu'elles bougeaient, elles émettaient de la musique. Les planètes les plus à l'extérieur, Jupiter et Saturne, avaient le déplacement le plus rapide et émettaient les notes les plus haut perchées. Les planètes intérieures, comme la Lune, émettaient des notes plus graves. Les planètes toutes ensemble créaient une « harmonie des sphères » et les cieux étaient un merveilleux orchestre mathématique. C'est ce que Pythagore sous-entendait lorsqu'il proclamait : « Tout est nombre. »

Pour comprendre la nature, les mathématiciens grecs pythagoriciens et leurs successeurs consacrèrent beaucoup d'études aux proportions qui en étaient les clés. Finalement ils les classèrent en dix catégories, sous le nom de : la table d'harmonie. L'un de ses résultats donnait le nombre le plus beau du monde : le nombre d'or. Pour trouver ce nombre bienheureux, il faut diviser une droite d'une certaine façon, de manière à ce que le rapport entre la petite part et la grande part soit le même qu'entre la grande part et le tout. Décrit ainsi, cela n'a rien d'extraordinaire, mais les figures auxquelles s'appliquent ces proportions sont les plus belles. Aujourd'hui encore, les artistes et les architectes savent intuitivement que les objets dont la longueur et la largeur respectent cette proportion sont les plus esthétiques, et que le nombre d'or est à la base de quantité d'œuvres d'art et d'architecture. Certains historiens et mathématiciens avancent que le Parthénon d'Athènes fut construit entièrement sur cette base. La nature elle-même semble dessiner ses plans avec le nombre d'or. Comparez les proportions entre deux anneaux successifs d'un nautile, ou celles des écailles d'un ananas allant dans le sens des aiguilles d'une montre et celles allant dans le sens opposé, et vous venez que ces proportions tendent vers le nombre d'or. [...]

Les Pythagoriciens avaient tenté d'étouffer un concept dérangeant — l'irrationnel. Cette notion apportait la première mise en cause des conceptions pythagoriciennes, et la confrérie tenta de la garder secrète. Lorsque le secret s'échappa, le culte tourna à la violence.

Le concept de l'irrationnel était dissimulé comme une bombe à retardement dans les mathématiques grecques. En raison de la dualité nombre-forme, compter revenait à peu près pour les Grecs à mesurer un segment. Ainsi la proportion entre deux nombres n'était que la comparaison entre deux segments de différentes longueurs. Toutefois, pour effectuer n'importe quelle mesure, vous avez besoin d'un étalon pour comparer la longueur des lignes. A titre d'exemple, prenez une ligne longue d'un pied. Faites une marque, disons à cinq pouces et demi d'une extrémité, divisant ainsi le pied en deux parts inégales. Les Grecs représenteraient la fraction en divisant la droite en petits espaces, d'un demi-pouce chacun. Un segment en contient 11, l'autre 13. Le rapport entre les deux segments est donc de 11 à 13.

Pour que tout dans l'univers soit gouverné par des ratios, comme le souhaitaient les Pythagoriciens, tout ce qui règle l'univers doit pouvoir être ramené à une proportion exacte et agréable. Cela doit être, littéralement, rationnel. [...]

Le carré, l'une des figures les plus simples de la géométrie, était dûment révéré par les Pythagoriciens. (Il avait quatre côtés, un pour chaque élément : le symbole de la perfection des nombres.) Mais l'irrationnel est niché dans la simplicité du carré. Si vous tracez la diagonale - une droite joignant un angle à l'angle opposé - l'irrationnel apparaît. Pour un exemple concret, prenez un carré d'un pied de côté. Tracez la diagonale. Un peuple obsédé de proportion comme les Grecs ne pouvait manquer de s'interroger : quel est le rapport entre les deux droites ?

La première chose à faire est, à nouveau, de créer un instrument de mesure banal, peut-être une minuscule règle d'un demi-pouce de long. La deuxième est d'utiliser cette règle pour diviser chaque droite en segments d'égale grandeur. Avec cette mesure d'un demi-pouce, nous pouvons diviser le côté long d'un pied en 24 segments. Que se passe-t-il lorsque nous mesurons la diagonale ? Avec la même règle, nous trouvons que la diagonale fait.., allons, presque 34 segments, mais ce n'est pas absolument exact. Le trente-quatrième segment est un tout petit peu trop court ; la règle d'un demi-pouce déborde légèrement de l'angle du carré. Faisons mieux. Divisons la droite en segments encore plus courts, en utilisant une règle de 1/6e de pouce de long. Le côté du carré est découpé en 72 segments, alors que la diagonale se révèle être de plus de 101, mais moins de 102 segments. De nouveau, la mesure ne donne pas un résultat exact. Que se passe-t-il lorsque nous essayons avec des segments vraiment plus petits, en mesurant en éléments d'un millionième de pouce ? Le côté du carré fait 12 millions d'éléments, et la diagonale atteint un nombre inférieur à 16 970 563. De nouveau notre règle ne réussit pas à mesurer exactement les deux droites. Et quelque règle que nous prenions, notre mesure ne tombera pas juste.

En fait, aussi minuscule que soit la base de mesure, aucune ne permettra de mesurer parfaitement le côté et la diagonale. La diagonale est incommensurable avec le côté. Donc, avec un étalon banal, il est impossible d'exprimer un rapport entre les deux droites. Ceci signifie que nous ne pouvons choisir des nombres a et b tels que la diagonale s'exprime comme « a/b ». La diagonale de ce carré est irrationnelle - et aujourd'hui nous savons que ce nombre est la racine carrée de deux.

Voilà bien des soucis pour la doctrine pythagoricienne ! Comment la nature pouvait-elle être gouvernée par des rapports et des proportions si quelque chose d'aussi simple qu'un carré mettait à mal ce système ? L'idée était difficile à admettre, mais elle était incontournable — une conséquence des lois mathématiques que les Pythagoriciens appréciaient tant. L'une des premières preuves mathématiques de l'histoire permit d'établir l'incommensurabilité et l'irrationalité de la diagonale du carré.

L'irrationalité éveillait des dangers pour Pythagore, car elle sapait la base de son univers. Pour ajouter l'insulte à la blessure, les Pythagoriciens découvrirent bientôt que le nombre d'or, l'ultime symbole de la beauté et de la rationalité, était un nombre irrationnel. Pour empêcher ces horribles nombres de miner la doctrine, ils furent tenus secrets. Tous les membres de la communauté pythagoricienne avaient déjà l'habitude de tenir leur langue - personne n'avait même le droit de prendre des notes - et l'incommensurabilité de la racine carrée de deux devint le secret le mieux gardé, le mieux enfoui, des Pythagoriciens.

Toutefois, les nombres irrationnels, contrairement au zéro, ne pouvaient pas être facilement ignorés par les Grecs. Les irrationnels se présentaient et se représentaient dans toutes sortes de constructions géométriques. Il était difficile de tenir l'irrationnel secret face à une population obsédée de géométrie et de fractions. Quelqu'un allait un jour dévoiler le secret. Ce fut Hippase de Métaponte, mathématicien pythagoricien. Le secret des irrationnels lui porta malheur.

Les récits rapportant la trahison et le destin d'Hippase sont flous et contradictoires. Aujourd'hui encore, les mathématiciens évoquent le sort de l'homme infortuné qui révéla au monde le secret de l'irrationnel. Certains prétendent que les Pythagoriciens le jetèrent par-dessus bord et le noyèrent, comme juste punition pour avoir miné une magnifique théorie. Des sources anciennes racontent sa mort en mer, et d'autres que la fraternité pythagoricienne le bannit et lui construisit un sépulcre afin de l'exclure du monde des humains. Mais quel que fût le destin réel d'Hippase, il fut certainement maudit par ses frères. Le secret qu'il révéla ébranla les fondations de la doctrine de Pythagore, mais en traitant l'irrationnel comme une anomalie, les Pythagoriciens pouvaient empêcher les nombres irrationnels de mettre à bas tout leur édifice. Pourtant, les Grecs finirent à regret par admettre les irrationnels au royaume des nombres. Ce ne sont pas toutefois les irrationnels qui tuèrent Pythagore, mais les haricots.

Les légendes qui courent sur la fin de Pythagore sont aussi brumeuses que celles sur le meurtre d'Hippase. Elles sont cependant unanimes à attribuer au maître une fin étrange. Certaines versions prétendent que Pythagore se laissa mourir de faim, mais les plus répandues établissent que ce sont des haricots qui lui furent fatals. Un jour sa maison fut incendiée par ses ennemis (furieux de n'avoir pas été jugés dignes d'être reçus par le maître), et tous les disciples présents dans la maison tentèrent de s'échapper et s'enfuirent de tous côtés. Les attaquants tuaient Pythagoricien après Pythagoricien. Il ne restait plus rien de la communauté. Pythagore lui-même se sauva et il aurait peut-être réussi sa fuite s'il ne s'était soudain trouvé en plein dans un champ de haricots. Il s'arrêta et déclara qu'il préférait être tué plutôt que de traverser le champ de haricots. Ses poursuivants le prirent au mot et lui tranchèrent la gorge.

Même si la communauté s'était éparpillée et si son chef était mort, l'essentiel des enseignements de Pythagore survivait. Cela formerait bientôt la base de la philosophie la plus influente sur l'histoire occidentale — la doctrine aristotélicienne qui perdurerait pendant deux millénaires.

Charles Seife, Zéro, la biographie d'une idée dangereuse.



Inventé par les Babyloniens, rejeté par les Grecs, encensé par les Hindous, le zéro est au cœur des polémiques, des luttes, des spéculations des mathématiciens, des physiciens et des théologiens de toutes les époques. Le zéro est puissant parce qu'il triomphe des autres chiffres, rend folles les divisions et est le frère jumeau de l'infini. Les plus vertigineuses questions de la science et de la religion se posent autour du rien et de l'éternité, du vide et de l'infinité. Des débats passionnés et souvent violents autour du zéro ébranlèrent les fondations de la philosophie, de la science, de la religion.

De Pythagore à Aristote, qui renièrent son existence, des chrétiens qui le craignirent jusqu'aux musulmans qui le réintroduisirent en Occident, Charles Seife raconte avec clarté l'histoire extraordinairement mouvementée de ce chiffre, de ce concept qui est aujourd'hui une des clefs de la physique quantique, de la compréhension des trous noirs et de la naissance de l'Univers.

Des apparitions et d'autres phénomènes surnaturels

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