« Dans
le monde moderne où les voies de la transmission normale de la
connaissance ésotérique sont fermées pour la plupart, les livres
jouent un rôle très différent de celui qu'ils jouaient dans des
circonstances normales, de sorte que certains enseignements jusque là
préservés sous forme orale se mirent à circuler sous forme écrite,
constituant ainsi véhicules d'enseignement et de guidance pour ceux
qui se trouvent privés de tous les autres moyens. Cette
manifestation compense la disparition des voies traditionnelles de
transmission de la connaissance, au moins dans son aspect théorique,
sans que cela implique que cette situation elle-même puisse
entraîner la manifestation de l'intégralité de la connaissance
traditionnelle dans les livres sous une forme facilement accessible à
tous. »
Seyyed
Hossein Nasr
A. Daniélou a témoigné plusieurs fois de l'importance qu'avait représentée pour lui la lecture de l'Introduction générale aux doctrines hindoues de Guénon. Il en traduisit des passages en hindi dans les années 40, car les milieux traditionnels dans lesquels il avait été accueilli à Bénarès étaient intéressés par la façon dont Guénon présentait le Sanâtana Dharma et la « crise du monde moderne ».
Dans
le Dossier
H consacré
à Guénon, Daniélou aborde la question de l'accès à l'intégralité
du Sanâtana
Dharma,
à propos du Védisme. Le Védisme, précise Daniélou, est « censé
représenter la tradition primordiale d'un point de vue, disons,
officiel. Mais, du point de vue ésotérique, il apparaît comme une
religion qui en est devenue, à un certain moment, le véhicule ».
Daniélou s'étonne que Guénon n'ait pas eu accès au Shivaïsme,
car les plus hauts degrés de l'initiation ésotérique, transmis «
presque exclusivement par les Sannyasis, sont shivaïtes. Ils sont en
dehors du Brahmanisme, comme d'ailleurs de toute religion, et
représentent en fait ce que Guénon appelle la Tradition primordiale
». Mais Daniélou considère que l'Introduction
aux doctrines hindoues est
le premier ouvrage à avoir tracé un tableau authentique du Sanâtana
Dharma,
« cette conception d'une révélation première transmise à travers
les âges par des initiés, telle qu'elle apparaît dans l'hindouisme
mais dont les traces doivent inévitablement se retrouver, sous une
forme plus ou moins cachée, dans toutes les civilisations
puisqu'elles sont la raison d'être de l'homme ». Comme souvent avec
Daniélou, tout est dit en très peu de lignes ; notamment le fait
que cette révélation première affleure dans toute société
humaine, mais que sa signification intégrale n'est transmise que par
des voies initiatiques, lesquelles ne sont pas faciles d'accès, ne
sont pas destinées à tout le monde et, pour commencer, ne sont pas
présentes partout. Afin d'éviter autant que se peut toute méprise,
Daniélou reprend, dans le même texte, la question de l'origine
transcendante, supra-humaine dirait Guénon, du Sanâtana
Dharma :
«
La première révélation de ce que l'homme doit connaître des lois
qui régissent l'Univers et des destinées des êtres vivants a été
donnée à des Rishis (Voyants),
des sages des premiers âges. Leur enseignement a été ensuite
transmis par des initiés, des hommes jugés dignes d'assurer la
continuité de cette fonction essentielle, à travers toutes les
mutations, les alternances de décadence et de progrès, les
changements de religion, de langue, de société. Ceci n'exclut pas
que des révélations ultérieures viennent parfois rafraîchir la
mémoire des représentants de la Tradition ».
Sur
ces questions, alors que, sur d'autres points, Daniélou émet des
réserves sur telle ou telle attitude, ou sur tel écrit de Guénon,
l'accord entre les 2 auteurs est total, comme en témoigne cet
extrait d'une lettre de R. Guénon à A. Daniélou, en date du 27
août 1947 :
«
Je ne puis laisser dire que je suis “converti à l'Islam” car
cette façon de présenter les choses est complètement fausse ;
quiconque a conscience de l'unité essentielle des traditions est par
là même inconvertissable à quoi que ce soit, et il est même le
seul qui le soit ; mais on peut “s'installer”, s'il est permis de
s’exprimer ainsi, dans telle ou telle tradition suivant les
circonstances, et surtout pour des raisons d'ordre initiatique.
J'ajoute à ce propos que mes liens avec les organisations
ésotériques islamiques ne sont pas quelque chose de plus ou moins
récent comme certains semblent le croire ; en fait ils datent de
bien près de 40 ans... ».
Accord
total, aussi, sur ce que Guénon nomme, dans Le
Règne de la Quantité,
la pseudo-initiation et la contre-initiation. Daniélou écrit,
toujours dans ce témoignage du Dossier
H :
« Guénon, qui avait pris contact avec les diverses organisations
initiatiques, les Rose-Croix, les Francs-maçons, les Théosophes,
etc., en avait aussitôt avec justesse décelé les artifices.
Certains de ces ouvrages, tels que Le
Théosophisme,
histoire d'une pseudo-religion,
et L'Erreur
spirite en
sont une condamnation très bien documentée ». Daniélou ne cite
pas Le
Règne de la Quantité qui
me semble, personnellement, un ouvrage de tout premier plan pour la
quête du Sanâtana
Dharma,
du moins pour nous aujourd'hui, en Europe, qui cherchons à travers
les livres et n'avons pas bénéficié d'un enseignement régulier
dans une instance traditionnelle, comme ce fut le cas pour les 2
auteurs dont nous parlons. Le
Règne de la Quantité consacre
plusieurs chapitres aux organisations syncrétiques et aux sectes,
permettant de mieux identifier les culs-de-sac et les pièges de
l'entreprise anti-traditionnelle multiforme qui marque la dernière
période du Kali
Yuga.
Un
vrai trousseau de clefs pour aujourd'hui que Le
Règne de la Quantité et les Signes
des
Temps,
d'autant plus stupéfiant qu'il fut publié pur la première fois en
1946. Je me contenterai d'une brève citation, en rapport avec ce que
disait Coomaraswamy tout à l'heure des chemins où se sont perdus
tant d'artistes et de “poètes maudits”, ces martyrs météoriques
de la modernité :
«
Certains recherchent avant tout de prétendus “pouvoirs”, c'est à
dire, en somme, sous une forme ou une autre, la production de
phénomènes plus ou moins extraordinaires (..). Bien entendu, il ne
s'agit aucunement ici de nier la réalité des “phénomènes”
(..) ils ne sont même que trop réels, pourrions-nous dire, et ils
n'en sont que plus dangereux (..). En général, l’être qui
s'attache à ces choses devient ensuite incapable de s'en affranchir
et d'aller au-delà, et il est irrémédiablement dévié (...). Il
peut y avoir là une sorte de développement “à rebours” qui
(...) éloigne toujours davantage de la réalisation spirituelle
jusqu'à ce que l'être soit définitivement égaré dans ces
prolongements inférieurs (…) par lesquels il ne peut qu'entrer en
contact avec “l'infra-humain” ».
Il
y a ainsi dans Le
Règne de la Quantité des
mises en garde nombreuses et détaillées contre l'action des
organisations pseudo-traditionnelles, qui d'ailleurs se haïssent
entre elles avec une virulence que Guénon compare aux haines qu'on
observe entre des chapelles politiques rivales. J'emploie d'ailleurs
à dessein l'expression “chapelle politique”, parce qu'à mes
yeux, j'y reviendrai dans un instant, la politique et “l'actualité”,
si importantes dans la vie de nos contemporains, me semblent
fonctionner comme de véritables substituts du religieux. Daniélou,
lui aussi, met en garde expressément contre toutes les formes
d'enrôlement, particulièrement contre les pièges dans lesquels
tombent en Inde les Occidentaux trop crédules, « parfois attirés
par des sectes prétendues initiatiques ou enrôlés par des
aventuriers pseudo-mystiques, en particulier certains Indiens qui
diffusent un Védanta très simplifié et exploitent leur crédulité
». Il faut remarquer qu'A. Daniélou a cru nécessaire de revenir
sur ces questions à la fin de sa vie, lors de la réédition
du Chemin
du labyrinthe,
comme si les illustrations terrifiantes contenues dans « Le Maître
des Loups » et « Le bétail des dieux » ne suffisaient pas à
dessiller nos yeux occidentaux, imbus de positivisme et du sentiment
de supériorité que décerne si prodigalement l'enseignement
massifié de nos Universités. On pourra se reporter en particulier à
ce que Daniélou écrit à propos de « Wolfgang », qui «
confondit, comme beaucoup, la fumée du haschich et la spiritualité
indienne » et se laissa entraîner par un de ces « ascètes
hirsutes qui, par des pratiques liées au yoga, acquièrent
d'étranges pouvoirs qui vont de la lévitation à l'hypnotisme, en
passant par la vision à distance, l'insensibilité à la chaleur et
au froid, l'envoûtement, l'asservissement de leurs victimes, etc.
J'ai toujours eu très peur de ces êtres étranges dont le regard
fulgurant fait aussitôt vaciller votre raison et votre volonté, et
dont il vaut mieux s'éloigner sans délai ». On peut aussi faire
son profit, dans ces ultimes pages d'A. Daniélou, des précisions
qu'il apporte au sujet de prétendues activités politiques qu'il
aurait eues en Inde, ou de sympathies politiques qui auraient été
les siennes en Occident. On ne voit pas très bien pour quelle raison
A. Daniélou, qui n'a jamais été effrayé d'assumer son
anticonformisme, aurait dissimulé au soir de sa vie des
appartenances ou des sympathies, dans une biographie qui est à mille
lieues du nombrilisme mais dont la sincérité ne fait aucun doute.
Contrairement à Julius Evola, mais proche encore sur ce terrain de
Guénon, Daniélou s'est toujours tenu volontairement à l'écart de
la politique. Le dernier texte du Chemin
du labyrinthe
s'intitule
symboliquement « le choix du libre arbitre » :
«
Dans la société orthodoxe où je vivais (pendant la seconde guerre
mondiale, à Bénarès) s'affrontaient subtilement et se mêlaient
une orthodoxie védique sympathisant avec les théories aryennes du
nazisme et une tradition shivaï'te profondément opposée aux
aryens. Swamy Karpâtrî, dont je suivais fidèlement les
enseignements, avait créé un mouvement culturel, le Dharma
Sangh (association
pour la défense des valeurs morales et religieuses) afin d'opérer
un retour aux valeurs de la culture et de la société
traditionnelle. Il critiquait les idées socialistes représentées
par le Congrès
national de
Gandhi et Nehru mais aussi les réformateurs pseudo-traditionnels
comme Aurobindo ou Tagore, qui prétendaient revenir à une tradition
idéalisée, mais étaient très imbus d'idées occidentales. Par
ailleurs, Karpâtrî était très hostile aux idées du Rashtrya
Svayam Sevak Sangh (association
pour la défense des valeurs nationales) qui préconisait des
méthodes inspirées du fascisme dans la lutte contre le Congrès et
les idées modernistes (...). De par mon opposition à la domination
anglaise et mon attachement à l'Inde, j'avais des rapports très
proches avec les dirigeants du mouvement indépendantiste, avec Nehru
et sa famille et aussi avec la célèbre poétesse Sarojini Naïdu,
tous membres influents du Congrès (…).
À aucun moment et en aucune façon je n'ai voulu me mêler des
mouvements politiques, ni d'un côté ni de l'autre ».
On
ne saurait être plus net, surtout en 1992, à l'ultime page de son
autobiographie. Et je voudrais à présent citer presque
intégralement la fin de ce « choix du libre arbitre », non par une
sorte de culte, que Daniélou eût été le premier à tourner
vertement en ridicule, mais parce qu'il serait vain de vouloir
rivaliser avec lui dans la concision, la précision du détail, et
l'adéquation avec ce thème de la recherche du Sanâtana
Dharma que
j'ai essayé d'aborder aujourd'hui :
«
Je n'ai jamais voulu m'affilier à aucune secte religieuse ou
croyance, jamais voulu perdre mon libre arbitre. Mais, frondeur de
nature, j'ai toujours tendance à m'opposer à l'idéologie
dominante, à contrecarrer ce que les gens prennent pour des vérités
établies, à toujours remarquer que l'enfer est pavé de bonnes
intentions, à penser que la remise en question de toute affirmation
est le seul moyen de faire évoluer la connaissance. La discussion
est un élément de recherche et non point d'assertion ».
C'est
bien dans le domaine des prétendus “débats” politiques que la
discussion est vraiment stérile, la règle du jeu consistant à ne
pas écouter l'adversaire, à l'empêcher de parler, les moyens les
plus malhonnêtes n’étant pas les moins indiqués. Dans notre
société, où il semble que la parole soit avant tout un pouvoir qui
se nourrit de lui-même, les marionnettes-héros de la télévision
rivalisent avec celles de la politique dans une sorte de clôture
narcissique sur le vide. Penser la discussion comme un élément de
recherche légitime à l'époque où le dogme du politiquement
correct la considère comme un indice d'éducation inconvenante, ne
peut qu'attirer des représailles de la part des tenants de la langue
de bois. Cela n'a pas manqué pour A. Daniélou, à propos de qui on
affirme dur comme fer dans les officines indianistes et les parkings
de méditation des ashrams qu'il fut au minimum, sinon le fondateur,
du moins l'idéologue du RSS qu'il citait tout à l'heure. Mais
continuons à lui laisser la parole :
«
Le paradoxe, la remise en question des évidences qui semblent les
mieux établies est un exercice salutaire, le seul capable défaire
avancer les choses et de ne point rester figé sur des dogmes. Ce qui
m'a fait souvent attribuer une appartenance à des théories
auxquelles je ne souscris en aucune façon. La liberté d'esprit a
difficilement sa place dans une société infectée par des conflits
et des appartenances idéologiques également arbitraires ».
Il
me semble que le propos ne peut pas être plus clair au sujet des
prétendus engagements politiques d'A. Daniélou. À propos du rôle
de gourou qu'il s'est toujours refusé à tenir, il n'est pas
indifférent que plus de la moitié du dernier paragraphe du Chemin
du labyrinthe,
dans un passage qui suit immédiatement celui que nous venons de
lire, lui soit consacré :
« Je
ne suis pas prophète, d'ailleurs ma barbe se refuse à pousser. Mon
âge fait que les gens attendent de moi des directives ou des
oracles, ce à quoi je me refuse ; je ne suis pas un guru. Je
continue toujours à chercher à comprendre le mystère du monde et,
pour cela, je suis prêt, chaque jour, à tout recommencer, à
réexaminer mes convictions, à rejeter toute croyance, à m'avancer
seulement dans la direction du savoir qui est le contraire de la foi.
Ma méfiance reste entière vis-à-vis de tout rite ou cérémonie
qui m'apparaît comme du théâtre dès qu'il y a des témoins. Je me
refuse à faire une puja pour
des dévots toujours fanatiques (nous dirions aujourd'hui des
“fans”) ».
On
a trop peu souvent l'occasion de saluer la probité intellectuelle
pour ne pas être heureux que, dans des temps comme les nôtres, il
reste de ces esprits présentant ce curieux mélange de goût du
paradoxe, de liberté, de souveraineté, en même temps que d'une
forme d'humilité devant la connaissance, et de distance un peu
moqueuse vis-à-vis de ce qui occupe tant d'occidentaux depuis
Descartes : leur propre ego. Mais il ne faut pas croire que cette
légèreté de bonne compagnie ait été synonyme de superficialité
ou de scepticisme. Daniélou nous le rappelle dans la péroraison de
son texte que je vais à présent citer jusqu'à la fin, lui laissant
d'une certaine façon le dernier mot avant de conclure :
«
La seule valeur que je ne remets jamais en question est celle des
enseignements que j’ai reçus de l'hindouisme shivaïte qui refuse
tout dogmatisme, car je n'ai trouvé aucune forme de pensée qui soit
allée aussi loin, aussi clairement, avec une telle profondeur et une
telle intelligence, dans la compréhension du divin et des structures
du monde. Aucune forme de pensée n'approche de près ou de loin
cette merveilleuse recherche qui nous vient du fond des âges. Aucune
des idéologies, aucune des théories qui divisent le monde moderne
ne me semble mériter que je m'y associe, que j'en prenne la défense.
Elles me paraissent puériles, quand elles ne sont pas simplement
aberrantes ».
Le
chemin pour retrouver une sagesse oubliée n'est pas toujours facile
à suivre, mais il est à présent bien tracé.
«
Dans le monde moderne où les voies de la transmission normale de la
connaissance ésotérique sont fermées pour la plupart, les livres
jouent un rôle très différent de celui qu'ils jouaient dans des
circonstances normales, de sorte que certains enseignements jusque là
préservés sous forme orale se mirent à circuler sous forme écrite,
constituant ainsi véhicules d'enseignement et de guidance pour ceux
qui se trouvent privés de tous les autres moyens. Cette
manifestation compense la disparition des voies traditionnelles de
transmission de la connaissance, au moins dans son aspect théorique,
sans que cela implique que cette situation elle-même puisse
entraîner la manifestation de l'intégralité de la connaissance
traditionnelle dans les livres sous une forme facilement accessible à
tous ».
Pour
l'approche intellectuelle de cette sagesse, les langues occidentales,
requalifiées métaphysiquement, en quelque sorte, par tous ces
auteurs extrêmement attentifs à la précision du vocabulaire,
disposent à présent d'un grand nombre de textes fondamentaux,
aisément accessibles. S'agissant du désir de “pratiques”, en
revanche, on peut noter les mises en garde répétées de tous ces
auteurs. On a oublié dans notre monde profane combien toutes les
sociétés traditionnelles étaient attentives aux questions de
purification, de qualification, aux instants favorables et
défavorables, aux précautions pour neutraliser les forces
dangereuses, grâce à des “techniques de pointe”, si l'on ose
dire, dont l'origine et l'inspiration, analysées comme “primitives”
par les ethnologues positivistes, sont toujours présentées comme
“non-humaines”.
La
recherche du savoir est toujours légitime, mais l'utilisation de ce
savoir pour jouir d'un pouvoir est un obstacle, une disqualification
dans cette sorte de jeu de l'oie qui consiste à retrouver patiemment
le chemin du divin. Et quant à l'incorporation effective dans une
tradition régulière, ce qui peut être également une aspiration
légitime,
les auteurs traditionnels sont encore unanimes : la première règle
consiste à accepter de devenir
ce que l'on est,
accepter sa naissance hic
et nunc,
car si l'esprit
souffle où il veut,
on sait qu'invariablement, du point de vue initiatique, « c'est en
réalité la voie qui choisit l'homme et non l'homme qui choisit la
voie ».
Il
semble qu'au fur et à mesure que le monde moderne descend plus bas
dans l'inharmonie et l'empoisonnement de la planète, des lumières
apparaissent, différentes comme sont différentes les voies. Les
auteurs traditionnels du XXe siècle ont en commun des
connaissances immenses et des clés pour l'interprétation des grands
symboles qui soudain se
répondent et correspondent dans
une unité éclatante — et non plus ténébreuse comme
chez Baudelaire. Ils ont en même temps des styles très différents
et même des formulations qui pourraient sembler contradictoires :
Nasr se réfère au Dieu de l'Islam et du Christianisme, alors que le
mot “Dieu” est beaucoup moins prononcé dans l'œuvre de Guénon
; Coomaraswamy traduit “Deva” par “Anges”, alors que
Daniélou, qui a consacré un ouvrage entier à la réhabilitation
intellectuelle du polythéisme, parle évidemment de Vishnou et de
Shiva comme d'autant de Dieux ou d'aspects du divin.
Nous
avons donc de quoi lire, relire, débrouiller l'écheveau. La
floraison d'ouvrages traditionnels, dont l'authenticité ne fait
aucun doute et qui s'épanouissent depuis le début du XXe siècle
en Occident, compense jusqu'à un certain point l'absence à peu près
certaine de voie initiatique dans le Catholicisme, l'absence de
cultes maintenus vivants autour des Déesses et des Dieux
gréco-romains. Rien ne nous empêche de vénérer les Principes
organisateurs de l'harmonie du monde, de bâtir des enclaves
d'harmonie, modestes mais incommensurables, d'attendre la lumière au
fond de notre cœur.
Jean-Louis
Gabin, Pondichéry, Shivaratri 2001.
Source :
Antaios, revue d'études polythéistes fondée en 1959 par Mircea
Eliade et Ernst Jünger.