mercredi, octobre 12, 2016

Quand la sagesse devient folle. Le bouddhisme tibétain en Occident entre mystique et mystification.



Quand la sagesse devient folle. Le bouddhisme tibétain en Occident entre mystique et mystification.


par Marion Dapsance
Docteur en anthropologie de l’EPHE (Paris) 
Boursière de la Robert H. N. Ho Family Foundation, 
études bouddhiques (Hong Kong)
En résidence postdoctorale à l’Université de Columbia, 
Département des Religions (New York)
mdapsance@gmail.com

E
n l’espace de quelques décennies, la figure souriante du Dalaï Lama est devenue le symbole d’un bouddhisme pacifique et bienfaisant. Auteur de plusieurs ouvrages destinés à faire connaître et à adapter sa religion au public occidental en quête de spiritualités alternatives, le chef politique des Tibétains apparaît comme un véritable modernisateur. Allié à des scientifiques convertis ou sympathisants, cette incarnation de la divinité Tchenrézig entend prouver au monde entier la compatibilité du bouddhisme et de la science. Cette démarche, analysée par certains spécialistes comme éminemment politique (1), a grandement contribué à la popularité du bouddhisme tibétain en Occident. Les recrues sont désormais nombreuses à se rendre dans les « centres du dharma » créés à leur intention. Cependant, le Dalaï Lama ne dirige aucun centre, et les personnes intéressées doivent s’adresser à d’autres lamas pour découvrir ce bouddhisme rationnel que Matthieu Ricard n’hésite pas à qualifier de « science de l’esprit ». Elles ont le choix entre diverses approches, certaines plus traditionnelles que d’autres.

Au cours de mes recherches doctorales, je me suis penchée sur le cas de deux lamas « modernisateurs » s’inscrivant dans la démarche du Dalaï Lama. Auteurs de bestsellers qui en ont fait de véritables vedettes de la « spiritualité orientale » (2), Chögyam Trungpa (1939-1987) et Sogyal Rinpoché (né en 1947) ont largement contribué à la popularité du bouddhisme tibétain, non seulement en proposant des ouvrages de vulgarisation, mais également en établissant des réseaux de centres d’étude et de pratique pour Occidentaux. Je place « modernisateurs » entre guillemets car, bien que revendiquée par ces maîtres et leurs porte-parole, cette étiquette s’est avérée trompeuse, ou pour le moins ambiguë. Tout d’abord, Chögyam Trungpa et Sogyal Rinpoché, qui ont tous deux rompu avec leurs hiérarchies (3), ne se sont pas présentés comme des lamas au sens traditionnel, c’est-à-dire comme des enseignants capables de transmettre le savoir doctrinal et rituel qu’ils ont eux-mêmes reçu, de manière à conduire les adeptes vers la réalisation de la vacuité des phénomènes et la sortie définitive du cycle des renaissances, mais plutôt comme les sauveurs de l’Occident matérialiste. La vision du monde qu’ils développent, et qu’ils présentent comme une « modernisation du bouddhisme », n’est autre, en réalité, que celle qui fut élaborée en leur temps par les adeptes de la Société Théosophique (4) : l’Occident est en crise spirituelle parce qu’il a développé une science purement matérialiste et ne retrouvera son plein épanouissement qu’en appliquant la sagesse des peuples asiatiques et en particulier des Tibétains, qui ont développé une véritable « science de l’esprit » appelée « méditation ». Les rituels, la dévotion, la mythologie sont supprimés, et les doctrines sont réinterprétées dans les termes actuels de la psychothérapie.

Cette reformulation des doctrines religieuses tibétaines, complexes et variées, en enseignements simplistes pour Occidentaux stressés pourrait à juste titre être qualifiée de « modernisation » si elle ne s’accompagnait, chez ces deux maîtres, d’une série d’innovations pédagogiques aux conséquences pour le moins ambiguës. En effet, il ne s’agit plus pour eux d’enseigner, par la doctrine et le rituel, la vue philosophique correcte selon leur propre école, mais de « casser les concepts des Occidentaux » qui, en raison du péché originel du matérialisme, ne sauraient appréhender le monde qu’à partir d’idées fausses. Pour cela, Chögyam Trungpa inventa la notion de « folle sagesse » (yeshe chölwa). Elle repose en partie sur la tradition indienne et tibétaine des saints fous (mahasiddha), ces ascètes exceptionnels qui, à l’image de Milarépa ou de Drukpa Kunleg, se tenaient à l’écart de la société et des institutions religieuses, pour mieux en dénoncer les travers. Les saints fous étaient réputés pour leurs pouvoirs magiques (tel le fait de voler dans les airs) et leur capacité à accepter toutes choses de manière égale (copuler avec les belles princesses autant qu’avec les vieilles femmes pauvres et édentées, boire du nectar divin ou de l’urine avec la même indifférence). La « folle sagesse » de Trungpa, cependant, était à l’image du personnage lui-même : hémiplégique. Le maître se contentait du sexe des jolies jeunes filles, du luxe, de l’alcool, de la drogue et de la bonne chère, et, mis à part quelques arcs-en-ciel attribués à sa présence « éveillée » par quelques disciples enthousiastes, il n’a jamais manifesté de pouvoirs psychiques particuliers. La « folle sagesse » de Trungpa consistait à se comporter de telle manière qu’il puisse toujours choquer son public. Cela, évidemment, pour « casser ses concepts » et le faire sortir du samsara matérialiste. Ainsi arrivait-il ivre mort à ses enseignements avec plusieurs heures de retard, pratiquait-il le sexe en réunion, obligeait-il ses disciples à se déshabiller lors de certaines « soirées Vajra » particulièrement violentes, les humiliait-il régulièrement, les faisait travailler gratuitement à la construction de son œuvre mégalomaniaque, exigea-t-il la constitution d’une cour royale à la mode britannique (avec bonnes, chambellans, valets de pied, majordomes, etc.), ainsi que la création d’une milice de « guerriers de Shambhala », royaume mythique du bouddhisme tibétain qu’il proposait de rétablir sous la forme d’une « société éveillée » dont il se voulait le chef et fondateur (5). Ce projet s’inspirait peut-être du modèle de la milice paramilitaire créée par l’écrivain japonais Yukio Mishima, avec lequel il partageait de nombreux points communs, notamment la valorisation de l’esthétique et de la virilité japonaises. L’aventure de Chögyam Trungpa faillit très mal tourner, en raison des nombreux scandales qui entouraient sa personne et ses proches, notamment son « régent », l’Américain rebaptisé Ösel Tenzin, qui transmit le virus du SIDA en connaissance de cause à de nombreux disciples hommes et femmes, arguant que « les bénédictions de Trungpa les protégeraient ». Cependant, grâce à l’effort de communication engagé par ses fidèles (6), il reste aujourd’hui de Trungpa l’image d’un génie incompris voire incompréhensible, auteur de multiples ouvrages vendus à des millions d’exemplaires et créateur d’une multinationale de centres du dharma et d’une maison d’édition nommés Shambhala.

Sogyal Rinpoché, qui enseigne aujourd’hui dans le monde entier et qui fut dans sa jeunesse un admirateur déclaré de Trungpa, a repris à son compte le principe de la folle sagesse. Les étudiants s’inscrivent à ses centres pour y apprendre la « méditation » telle qu’elle est présentée par les médias grand public : ils y découvrent un parcours initiatique jalonné d’épreuves, dont le but est le rapprochement physique avec un maître iconoclaste, source unique de salut (7). Le cheminement spirituel est découpé en plusieurs étapes progressives, qui aboutissent au service du maître et de son entreprise, depuis la mise en forme de ses enseignements oraux jusqu’au don de son corps, en passant par le ménage, la comptabilité, l’organisation des voyages, le commerce des produits dérivés, les massages, les soirées animées par de jolies jeunes femmes, les vacances sur des plages australiennes, les sorties au Crazy Horse et le secrétariat personnel. La « folle sagesse » de Sogyal Rinpoché consiste ainsi, comme chez Trungpa, à vivre dans l’opulence en asservissant ses disciples. La réorientation des objectifs initiaux des disciples est justifiée par des arguments bouddhiques traditionnels, notamment ceux des « moyens habiles » (upāya) et de « l’illusion des phénomènes », dépourvus de réalité intrinsèque (anātman) : ce que font les disciples (servir le maître dans les moindres détails de sa vie professionnelle et intime) n’est autre qu’une « apparence », un simulacre utile à leur progrès spirituel, une simple « technique ». On peut avoir l’impression qu’ils se comportent en serviteurs d’un individu tyrannique : ils ne font en réalité que « servir leur maître intérieur », en essayant de voir « au-delà des apparences ». Ce qu’ils font véritablement ne se réduit pas à ce qu’ils font apparemment. En effet, il existe traditionnellement dans le bouddhisme tibétain deux niveaux de réalité (relatif et absolu) et deux classes d’êtres aux niveaux spirituels inégaux (ceux qui ont la vue obscurcie par le samsara ne voient pas la réalité telle qu’elle est vraiment, ceux qui ont le karma assez pur peuvent la voir, et c’est ainsi que l’on distingue les bons des mauvais disciples). De même, le maître qui s’entoure d’une cour de jeunes femmes qu’il traite en objets sexuels et en bonnes à tout faire ne fait pas véritablement ce qu’il a pourtant l’air de faire. Le croire, c’est se laisser aveugler par « l’illusion du samsara ». Voir le contraire de ce qui apparaît de manière évidente aux sens et à la raison devient dès lors signe d’illumination. Dire que l’on décèle la compassion là où se « manifestent » (« apparemment », « dans la réalité relative ») courroux et humiliations, c’est affirmer que l’on fait déjà partie des êtres éveillés. Le maître, avec sa cour de serviteurs et de servantes, doit donc être considéré comme quelqu’un d’exceptionnel, dont le seul et unique but est le bien-être de ses disciples, qu’il apprend à se défaire de leur « vision dualiste », caractéristique du samsara occidental. C’est lui qui sert ces jeunes femmes pour leur apporter l’éveil, et non ces jeunes femmes qui le servent pour lui apporter du confort. C’est un honneur pour elles d’avoir l’occasion de servir un maître éveillé. Ce dernier, par définition, n’a pas besoin d’être servi : il est bien au-dessus de tout cela. S’il se laisse servir, ce n’est que pour donner à ses disciples la possibilité, à son contact, d’atteindre la « vision pure ». Il s’agit d’un leurre, d’une ruse, d’une illusion, d’un moyen habile tout spécialement conçus pour tirer ses disciples du matérialisme où ils se trouvent. En d’autres termes, les adeptes doivent apprendre à ne pas voir les choses telles qu’elles sont.

Tout l’enseignement dispensé dans ces centres, sous prétexte de « psychologisation » ou de « modernisation », consiste ainsi à déconditionner les disciples, à leur apprendre à disséquer leurs idées pour en découvrir la conventionalité et l’irréalité fondamentales. Cela est présenté comme une méditation bouddhique (l’analyse de la vacuité des phénomènes) et une pratique conforme à la science moderne (en fait au discours postmoderne à la mode, qui aime à « déconstruire »). Cependant, si les ficelles utilisées sont effectivement traditionnelles (la rhétorique des moyens habiles et de l’illusion des phénomènes), il reste que l’objectif visé – c’est-à-dire atteint – n’est autre que le confort matériel de ces maîtres. Car, au-delà des oxymores censés dissimuler la grandeur, que constate-t-on dans les faits ? Le maître vit dans le luxe à la tête d’une très rentable entreprise multinationale. Il n’y a aucune signification cachée sous les paradoxes qu’il déploie. Leurs disciples devraient plutôt continuer à voir les choses telles qu’elles leur apparaissent spontanément, comme y invite d’ailleurs le Bouddha dont on cite sans arrêt les appels au scepticisme, à la raison et à l’autonomie. Ils ont beau revêtir la robe colorée des religieux tibétains, les chefs d’entreprises autoritaires restent des chefs d’entreprises autoritaires. Il ne suffit pas d’y accoler les termes « tibétain », « spirituels », « bouddhistes » ou « modernes » pour qu’ils revêtent automatiquement une invisible dimension mystique.

Ainsi, dans les centres de ce type, les disciples n’apprennent-ils pas le bouddhisme, mais le lama, lui, peut vivre cyniquement dans le matérialisme qu’il condamne. La « modernisation » que mettent en œuvre ces maîtres réformateurs de l’Occident ne sert donc pas, comme ils l’affirment, à adapter le bouddhisme tibétain aux Occidentaux mais plutôt à adapter leur nouveau public, en profitant de son ignorance et de ses attentes, au train de vie qu’ils voudraient pouvoir mener. N’oublions pas que Trungpa et Sogyal Rinpochés sont tous les deux issus de l’aristocratie tibétaine, ruinée et exilée avec l’invasion chinoise, et qu’ils bénéficient tous deux du statut de tülku (successeur d’une lignée de lamas dits « réincarnés »), qui leur confère, par rapport aux autres lamas et a fortiori aux laïcs, une position éminemment supérieure. Ils sont traditionnellement considérés comme des êtres supérieurs auxquels une série d’avantages symboliques et matériels doit être accordée. Seulement, en contexte occidental moderne, où dominent les idéaux d’égalité et de démocratie, ils ne sauraient revendiquer aussi crûment leurs privilèges. Ils doivent donc en passer par le développement et l’enseignement d’une justification ad hoc, qu’ils ont appelée « folle sagesse ». Ces maîtres ne sont donc pas des modernisateurs mais, au sens propre, des mystificateurs. Quant aux Occidentaux qui les suivent aveuglément, ils devraient peut-être s’interroger sur ce que révèle leur propre attitude : que signifie le fait de revendiquer une « spiritualité moderne », rationnelle, individualiste, non contraignante, tout en se pliant aux caprices pseudo-mystiques d’un monarque absolu ? Désirent-ils réellement à échapper à ce qu’ils nomment avec dédain « la religion » ou en cherchent-ils simplement une nouvelle ?

***

1) Notamment Donald Lopez, "Prisoners of Shangrila. Tibetan Buddhism and the West", Chicago, University of Chicago Press, 1999, édition française "Fascination tibétaine: du bouddhisme, de l’occident et de quelques mythes", Paris, Autrement, 2003 ; du même auteur, "Buddhism and Science, A Guide for the Perplexed", Chicago, University of Chicago Press, 2010.

2) Chögyam Trungpa, "Pratique de la voie tibétaine : au-delà du matérialisme spirituel", Paris, Seuil, 1976 ; Le mythe de la liberté et la voie de la méditation, Paris, Seuil, 1979, "Shambhala : la voie sacrée du guerrier", Paris, Seuil, 1990 ; "Folle sagesse", Paris, Seuil, 1993 ; "Tantra : la voie de l’ultime", Paris, Seuil, 1996, entre autres. Sogyal Rinpoché, "Le livre tibétain de la vie et de la mort", Paris, La Table Ronde, 1993.

3) Le premier est un moine défroqué, qui, adolescent, eut un fils avec une nonne tibétaine (aujourd’hui devenu chef de son organisation Shambhala). Une fois arrivé en Angleterre, il abandonna sa robe pour épouser une Anglaise de 16 ans, qu’il s’empressa de tromper avec une multitude d’étudiantes. Le second servait d’interprète et d’assistant à Dudjom Rinpoché, l’un des premiers lamas à avoir enseigné en Occident. Sogyal a rompu avec Dudjom parce que ce dernier refusait de le voir vivre dans une promiscuité sexuelle excessive, devenue scandaleuse.

4) Fondée à New York en 1875 par une ancienne médium russe et un journaliste américain adepte du spiritisme, la Société Théosophique a pour but de développer une « Fraternité Universelle » guidée par des « grands maîtres » ou « mahatmas », supposés résider au Tibet. La Société a joué un rôle immense dans la diffusion en Occident des « spiritualités orientales » et dans leur association avec la science. Voir notamment Donald Lopez, "Prisoners of Shangrila", op.cit. ; Janet Oppenheim, "The Other World. Spiritualism and psychical research in England", 1850 – 1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1982; Alex Owen, "Places of Enchantment: British Occultism and the Culture of the Modern", Chicago, Chicago University Press, 2004; Peter Washington, Madame Blavatsky’s Baboon. "Theosophy and the Emergence of the Western Guru", Londres, Seker and Warburg, 1993.

5) Voir les témoignages de contemporains : Stephen Butterfield, "The Double Mirror: A Skeptical Journey into Buddhist Tantra", Berkeley, North Atlantic Books, 1994 ; Tom Clark, "The Great Naropa Poetry Wars", Cadmus Editions, 1980 ; Diana Mukpo, "Dragon Thunder : My Life with Chögyam Trungpa", Boston, Shambhala, 2006 ; Ed Sanders, "The Party: A Chronological Perspective on a Confrontation at a Buddhist Seminary, Poetry, Crime, and Culture Press", Woodstock, New York, 1977.

6) Voir notamment l’apologiste français Fabrice Midal, "Trungpa, l’homme qui a introduit le bouddhisme en Occident", Paris, Le Seuil, 2014.

7) Parcours initiatique que j’ai décrit dans ma thèse de doctorat soutenue à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en décembre 2013 et publiée sous forme de journal d’enquête par les éditions Max Milo en mars 2016.



lundi, octobre 10, 2016

Le bouddhisme à l’occidentale : une sagesse de notre temps ?




Bouddhisme tibétain, le Centre d'Albuquerque (New Mexico, USA).




Le bouddhisme à l’occidentale :
une sagesse de notre temps ?



par Marion Dapsance



L
e grand appartement monégasque donne sur la mer. Il y règne une intrigante atmosphère de voyage. La propriétaire, qui dirige l’association, est constamment entre deux avions, suivant autant que possible son maître dans ses tournées internationales. Elle porte des jupes longues et des chemises en soie colorée rapportées d’Inde et du Népal, se nourrit essentiellement de riz aux lentilles, fait brûler des bâtonnets d’encens dans toutes les pièces. Une volubile servante indonésienne vient faire le ménage chaque jour. Aux murs de l’entrée, des photographies en noir et blanc représentent un vieillard tibétain en robe de lama. Ses longues moustaches blanches et son crâne chauve lui donnent un air stéréotypé de « sage asiatique ». Le salon, transformé en « salle de pratique », est pourvu d’un autel chargé d’offrandes et de photos de maîtres, de statuettes de bouddhas, d’images peintes et d’objets rituels que je ne connais pas encore. On se déchausse en entrant, avant de venir s’asseoir sur un petit coussin rond. En pénétrant dans cette pièce, certains se prosternent devant la grande photographie du maître, qui fait face à l’entrée. Une petite chambre adjacente sert de bibliothèque : il est possible d’y emprunter des livres et des revues traitant du bouddhisme tibétain et d’ésotérisme, de yoga et de végétarisme. J’y découvre les ouvrages de Kalou Rinpoché et de Mme Blavastky, de Dilgo Rinpoché et d’Annie Besant, des livres sur les extraterrestres, les « grands maîtres » hindous et Arnaud Desjardins. On me parle de « pratiques », on m’offre un livre relatant l’histoire de la lignée, on me fait regarder des vidéos sur la vie du maître et les couvents qu’il a fondés dans les régions himalayennes, on m’invite à participer à des liturgies en tibétain, dont le sens ne m’est enseigné que progressivement, au fil de discussions avec d’autres étudiants, échangeant ouvrages théologiques et conseils pratiques sur la manière d’effectuer les rituels. On me parle bien sûr de la « méditation », qui consiste à se tenir assis sur un coussin, les yeux fermés, et à « observer ses pensées ». Cependant, je constate que peu la pratiquent.

Les membres de cette association appartiennent à toutes les catégories sociales et à tous les âges, la proportion des hommes étant aussi élevée que celle des femmes. Tous sont liés par une même « connexion » avec le maître, qu’ils disent devoir entretenir quotidiennement et qu’ils appellent également « dévotion ». Tous, un jour, ont été « touchés » par sa personne, son image, sa simple évocation. À certains, il apparaît en rêve, s’impose à la pensée ou même se matérialise sous forme d’animal pour leur communiquer un message important au moment le plus opportun.

La plupart sont assidus à la « pratique », qu’il s’agisse de liturgies liées au culte de divinités comme Tara ou Tchenrézig, organisées quotidiennement, ou de rituels tantriques plus complexes, comme le rituel de Tcheu, organisé certains soirs, en fonction du calendrier lunaire. Quelque fois, un lama subalterne vient séjourner sur la Côte. Il s’enquiert de la « pratique » des membres du groupe, répond aux questions, règle les peines de cœur, prodigue des conseils sur l’orientation professionnelle des uns et des autres, établit l’horoscope des nouveau-nés, bénit les enfants.

Quelques semaines après mon entrée dans l’association, on me propose une « retraite ». Celle-ci a lieu dans le centre européen de la lignée, situé en Bretagne. Le bâtiment, un ancien corps de ferme perdu en pleine campagne, est un lieu paisible et agréable. L’arrivée du lama y est célébrée en grande pompe : long tapis rouge, haie de disciples baissant la tête et joignant les mains sur leur poitrine, sonorités stridentes des cors et des hautbois tibétains, fumigations, aspersions d’eau bénite. Parmi la foule, je vois des Occidentaux en robe de moine rouge, l’épaule découverte et les pieds nus dans leurs sandales, malgré le froid. Des hommes en costume sombre se courbent à l’approche du maître, qui sort d’une élégante berline, pour lui remettre une écharpe blanche. Le lama, marchant les pieds en canard, sourit à tous d’un air heureux. Accompagné jusqu’à la ferme par une suite de religieux tibétains, d’Européens ordonnés et de disciples chanceux, le grand maître disparaît loin des regards.

C’est ma première rencontre avec lui. À chaque enseignement, donné tous les jours sous une grande tente, le lama est accueilli avec le même faste et la même révérence, tenu à l’écart des centaines de disciples venus du monde entier pour l’écouter. Il explique en anglais des doctrines morales et théologiques, se référant à des textes, des maîtres et des divinités qui me semblent très exotiques. La retraite est consacrée aux pratiques rituelles de Tcheu et de Vajrayogini. La première, m’explique-t-on, était à l’origine pratiquée la nuit dans des charniers. Elle consiste à se visualiser soi-même sous forme d’une divinité féminine se découpant en morceaux, de manière à rendre sensibles le démembrement de l’ego et la vacuité des phénomènes. La seconde consiste à se visualiser sous la forme d’une jeune fille de seize ans, nue et rouge de peau, entrant en relation sexuelle avec son maître. Dans les deux cas, les rituels sont longs et compliqués. Ils incluent de nombreuses prières, invocations, confessions de fautes et réitérations de vœux, récitations de litanies de maîtres et de bouddhas, le tout en tibétain. Des gestes, des mouvements, des visualisations et des attitudes mentales codifiés s’ajoutent à la récitation.

Centres bouddhistes vus de l’intérieur

Lors de cette retraite, je suis frappée par le décalage que je constate entre ce que j’avais appris dans les ouvrages de vulgarisation consacrés à cette « spiritualité laïque » et ce qui m’était effectivement proposé dans les centres bouddhistes tibétains – aujourd’hui l’obédience la plus représentée et la plus populaire en France (1). Alors que les discours diffusés auprès du grand public mettent systématiquement en avant la dimension supposément areligieuse de ces traditions, les « centres du dharma » regorgent d’Occidentaux ravis de s’adonner à la pratique de ce que l’on appelait encore il y a peu, avec mépris, « le lamaïsme (2) ».

Comment interpréter cet écart entre les discours et les pratiques observables ? Les apologètes et les médias (3) expliquent régulièrement que les Occidentaux sont séduits par le bouddhisme en raison de son athéisme, de son absence de dogme, du fait qu’il constituerait une philosophie adaptée à la vie moderne, à laquelle il apporterait un regain de bien-être psychique. Dans un article publié dans Psychologies magazine et intitulé « Pourquoi le bouddhisme nous attire (4) », Frédéric Lenoir informe ainsi ses lecteurs que le bouddhisme nous paraît plus « moderne » que le catholicisme en raison du « caractère non dogmatique des enseignements du Bouddha, lequel affirmait que chacun de ses disciples ne doit suivre ses préceptes qu’après les avoir lui-même éprouvés ». Ainsi, « l’expérience individuelle [serait] au coeur du bouddhisme ». Il ajoute que le catholicisme au contraire « apparaît comme un discours dogmatique sur ce qu’il faut croire et ne pas croire, faire et ne pas faire ». Lenoir va plus loin encore en affirmant que ces « techniques » intéressent aujourd’hui les plus grands chercheurs et constitueraient même une « véritable science du sujet qui n’existe pas en Occident ». Outre qu’il balaie d’un revers de la main plusieurs siècles de philosophie occidentale, Frédéric Lenoir n’explique pas en quoi les rituels tantriques pratiqués par les religieux tibétains constitueraient des « techniques scientifiques ». Pour cet auteur, l’affaire est entendue : le bouddhisme attire les Occidentaux parce qu’il serait athée, rejetterait les croyances non fondées sur la raison, ferait la promotion de valeurs généreuses comme la compassion, la liberté, le respect de la vie, la nonviolence, la tolérance et favoriserait le développement personnel et la sérénité. Les entretiens réalisés auprès d’un millier de pratiquants des bouddhismes zen et tibétain viennent, dans ses travaux, à l’appui de cette hypothèse (5).

Cependant, l’observation même rapide des pratiques adoptées dans les centres invite à revoir ces analyses, qui s’en tiennent essentiellement, aussi bien pour le sociologue que pour ses informateurs, à la répétition d’un certain nombre d’idées reçues. Face aux scènes décrites plus haut, on peut en effet se demander ce qui attire vraiment les Occidentaux dans le bouddhisme tibétain – et ce qui les conduit à y rester.


Une religion sans Dieu
qui fait la part belle aux divinités


Selon les observateurs, le premier critère justifiant l’attirance des Occidentaux pour le bouddhisme serait l’athéisme, qui rangerait ce dernier dans le camp des « spiritualités modernes », opposées aux « religions dogmatiques ». Cette affirmation appelle au moins deux éclaircissements. Tout d’abord, qu’en est-il exactement de l’« athéisme » du bouddhisme ? Il est vrai que les bouddhistes ne conçoivent pas l’univers comme étant la création d’un être supérieur, éternel, parfait et omniscient. Pour autant, cela ne les empêche pas de reprendre à leur compte la cosmologie hindoue, selon laquelle l’univers est peuplé d’une multitude de dieux, de demi-dieux, d’hommes, d’animaux, de démons et d’esprits avides (6). Ces êtres séjournent successivement sur plusieurs terres, dans plusieurs enfers et plusieurs paradis, où ils subissent supplices et délices, pour des durées plus ou moins longues, en fonction de la moralité de leurs actions passées – cette moralité étant par ailleurs strictement définie par des textes et non suivant leur conscience personnelle, comme le croient aujourd’hui la plupart des Occidentaux (7). Les dieux et les demi-dieux sont soumis comme les hommes à l’empire des passions, et donc au samsara, le cycle sans fin des morts et des renaissances. La différence entre les hommes et les dieux tient au fait que ces derniers connaissent des états de bonheur plus intenses et plus durables, et qu’il est possible de se concilier leurs bonnes grâces pour en obtenir des avantages, souvent matériels. Ils se rapprochent en cela davantage des dieux de l’Antiquité grécoromaine que des divinités monothéistes. Contrairement à ces dernières, les déités bouddhiques appartiennent au monde de l’impermanence et de l’imperfection, qui se distingue radicalement des « terres pures » peuplées par les bouddhas, ces êtres éveillés qui ont transcendé l’ignorance, la mort et la renaissance. Ces êtres exceptionnels, dont le Bouddha Shakyamuni ne serait que le spécimen le plus récent, interviennent à intervalles réguliers dans le monde pour le sauver de son errance mortifère. Pour cela, ils disposent certes des enseignements – le dharma – mais également de pouvoirs surnaturels. Les bouddhas sont donc comparables aux êtres extraordinaires jouant les intermédiaires entre l’ici-bas et l’au-delà, dont les exemples les plus connus en Europe sont le Christ, la Vierge et les saints. Ce qu’il importe de retenir, c’est que la hiérarchie des êtres instaurée par le bouddhisme ne différencie pas les hommes de Dieu (ou des dieux), comme notre culture grécochrétienne nous y a habitués, mais bien les « éveillés » du reste du vivant. Il est par conséquent absurde de parler d’« athéisme » au sujet du bouddhisme. C’est d’abord faux si l’on s’en tient au sens strict du mot : le bouddhisme n’est pas une « religion sans Dieu », c’est même une religion qui en comporte plusieurs. C’est ensuite une forme de projection ethnocentrique, dans la mesure où l’importance que l’on accorde ou non à l’existence d’un Dieu est une question sensible pour les juifs, les chrétiens et les musulmans modernes, mais non pour les bouddhistes, pour qui les dieux, nous l’avons vu, n’ont pas grande importance.

On pourrait rétorquer que la question de l’existence ou de l’inexistence d’un Dieu créateur revêt une importance réelle pour les sujets qui nous occupent, à savoir les Occidentaux déçus du christianisme qui adhèrent au bouddhisme pour sa conception du monde apparemment plus « rationnelle ». Les adeptes et les sympathisants que j’ai rencontrés ou dont j’ai lu les témoignages considèrent généralement – la nouvelle n’est pas neuve – que les récits bibliques sur l’origine du monde ne sauraient s’accorder avec les dernières découvertes de la science. Le bouddhisme, en revanche, proposerait une vision « scientifique » de la vie, pour la simple raison que toute cause première aurait été évacuée. Pour les bouddhistes, l’univers n’a ni commencement ni fin. Il résulte des actions individuelles et collectives des êtres qui le peuplent. Les actes produisent des effets, c’est la « loi du karma », que chacun, nous dit-on, peut vérifier tous les jours. Or l’absence d’un dieu créateur, le caractère éternel ou atemporel de l’univers et le fait que les actions posées emportent leurs conséquences n’impliquent pas de facto le caractère scientifique de l’explication bouddhique du monde. Le bouddhisme a bel et bien son mythe des origines. Ses admirateurs occidentaux pour la plupart le méconnaissent, ou le rejettent comme une vieillerie superstitieuse – mais dans ce cas, pourquoi ne pas faire de même avec le récit génétique judéo-chrétien ?

Seconde remarque, il semble peu probable que l’athéisme attire particulièrement les Occidentaux au bouddhisme – en tout cas, si elle les séduit au premier abord, cette fausse réputation dont on l’accrédite ne saurait les convaincre très longtemps – étant donné leur bonne volonté à pratiquer les rituels tantriques consacrés aux divinités indo-tibétaines dans les « centres du dharma ». En effet, les lamas présents sur notre territoire proposent, en réponse à la demande occidentale de « méditation », les pratiques religieuses auxquelles ils ont été formés. Or, dans le bouddhisme tantrique indotibétain, les divinités sont au centre des liturgies (8). La pratique du tantrisme se caractérise par le « yoga des déités », dans lequel le pratiquant se visualise lui-même sous la forme d’un bouddha. Le méditant considère tout d’abord que la bouddhéité comporte deux aspects : le corps de vérité, qui est l’esprit omniscient d’un bouddha, et le corps d’apparition, qui est la forme physique adoptée par ce bouddha pour se rendre manifeste. Il commence par méditer sur la vacuité des phénomènes et du soi, avant de faire apparaître en son esprit, suivant des descriptions strictement codifiées dans des textes, le bouddha qui lui aura été attribué comme divinité tutélaire, en raison de ses qualités et de ses pouvoirs particuliers. Après avoir loué et prié ce bouddha, s’être confessé à lui et lui avoir présenté toutes sortes d’offrandes matérielles et mentales, le pratiquant récite des dizaines, voire des centaines de fois sa formule sacrée (mantra) en effectuant les gestes (mudra) appropriés. Puis, il imaginera que ce bouddha n’est autre que son maître (lama) et s’unira à lui en esprit, avant de dissoudre la visualisation en une explosion de lumière débouchant finalement sur le vide.

L’objectif est d’intérioriser les qualités de la divinité (qui n’est autre que l’esprit omniscient des bouddhas sous une forme sensible) et de réaliser son irréalité, sa vacuité profonde. La conclusion du rituel est en effet la constatation que la divinité est « vide », c’est-à-dire qu’elle n’existe que sur un plan relatif, mais non absolu. À un niveau supérieur, elle se confond avec le corps ultime des bouddhas (dharmakaya). Ces rituels se fondent sur la doctrine des « deux vérités » ou des « deux réalités », selon laquelle les phénomènes que nous constatons et l’individu que nous croyons être ne sont vrais qu’à un « niveau relatif », celui auquel évoluent les êtres aux « capacités limitées », c’est-à-dire la grande majorité des humains, les animaux, les dieux, les demi-dieux et les esprits avides. Seuls de très rares pratiquants, de même bien sûr que les bouddhas et les boddhisattvas, sont capables d’avoir accès à la « réalité absolue », au-delà de toutes les apparences et de toutes les conventions. Le yoga de la déité est ainsi un entraînement permettant de dépasser la « réalité relative » et d’acquérir les pouvoirs requis pour accéder à la « réalité absolue ». Ces pratiques et ces doctrines complexes, aujourd’hui proposées à un vaste public d’Occidentaux, sont traditionnellement réservées à une élite religieuse, les laïcs tibétains se contentant habituellement de la récitation de prières, de la bénédiction des moines et des lamas, des pèlerinages et de la vénération de reliques. Or, si les lamas les ont enseignées aux Occidentaux dès leur arrivée dans les années 1960, c’est parce que ces derniers se sont révélés demandeurs (9).

Le bouddhisme n’est donc pas « athée », et ce pour deux raisons : au plan cosmologique, les divinités abondent ; au niveau de la pratique religieuse, elles sont au centre des rituels. Or les Occidentaux n’hésitent pas à adopter ces rituels, certains considérant même que les divinités existent, et qu’il convient de les prier de la même manière que leurs grands-parents invoquaient la Vierge et les saints. Il est donc douteux que le bouddhisme attire en raison de son athéisme.


La découverte et l’invention de nouveaux dogmes


Venons-en maintenant à la deuxième explication invoquée par les observateurs : le bouddhisme attirerait en raison de son « absence de dogmes ». Considérer que le bouddhisme ne comporte aucun dogme est lui-même un dogme, hérité du XIXe siècle (10). Même dans les « centres du dharma » qui proposent un « bouddhisme adapté à l’Occident », c’est-à-dire axé sur la pratique de la « méditation » au sens de concentration mentale, de nombreuses contraintes stéréotypées sont imposées aux disciples.


Tout d’abord, une manière de pratiquer ladite « méditation (11) ». Il convient d’abord de s’asseoir dans la « posture en sept points » : jambes croisées, mains posées sur les genoux, dos droit, épaules dégagées, tête et menton légèrement baissés, bout de la langue touchant le palais, regard posé sur le bout de son nez ou dans l’espace devant soi. Il faut adapter son regard à son état d’esprit : légèrement vers le bas quand il est agité, légèrement vers le haut quand il est plutôt léthargique. L’étudiant doit rester conscient de son souffle, de ses pensées, de ses émotions, de ses sensations et de l’environnement dans lequel il se trouve, sans se laisser pour autant emporter par eux.

Ensuite, une manière de parler. Dans les groupes bouddhistes occidentaux, j’ai observé une même manière stéréotypée de s’exprimer, qui mêle langage psychothérapeutique ordinaire et concepts bouddhiques traditionnels. Les nouveaux venus acquièrent ce sabir au contact des plus anciens, tandis que le lama, la plupart du temps, s’adresse à eux en anglais traduit. L’objet principal des (nombreuses) discussions entre disciples est d’une part soi-même, en tant qu’individu s’acheminant vers la découverte libératrice de l’irréalité du soi, d’autre part le lama, décrit comme un être parfait capable de les mener à la libération. Aussi le vocabulaire employé est-il binaire : les disciples se caractérisent par la « confusion », les « concepts », les « fabrications », etc. ; le lama par « la Vue », « la spontanéité », « la plénitude », « la perfection », « la nature de Bouddha », etc. Les verbes utilisés sont essentiellement des verbes d’état. Ce langage implique une vision du monde dichotomique, figée, définitive : les disciples sont dans l’ignorance, le lama est la perfection. Leur ignorance n’est pas accidentelle : elle est au fondement même de leur être. Nous ne sommes pas donc très loin, même si les mots employés diffèrent et que la chose n’est pas théorisée, de la doctrine du péché originel. En outre, il découle de la catégorisation – a priori et constamment ressassée – du lama comme être parfait un dogme nouveau pour les Occidentaux, que l’on pourrait appeler « dogme de l’infaillibilité lamaïque » : quoi qu’il fasse, ou plutôt quoi qu’il ait l’air de faire du point de vue de la « réalité relative », le lama a raison. Si son disciple doute de la bonté de ses intentions, c’est bien la preuve qu’il est empêtré dans « l’ignorance samsarique (12) ».


Ce dogme de l’infaillibilité du lama se rencontre dans la plupart des « centres du dharma » d’Europe et des États-Unis. Je l’ai en tout cas constaté dans tous ceux que j’ai fréquentés. Correspondant aux formes tibétaines de la confiance et de la dévotion dues aux lamas, il a pu être traduit en contexte occidental grâce aux écrits des théosophes, qui ont, depuis la fin du XIXe siècle, propagé l’idée que les « maîtres tibétains » étaient des êtres surévolués ayant pour mission de délivrer l’Occident du matérialisme (13). Cette croyance peut cependant aller beaucoup plus loin. Certains enseignants bouddhistes – qu’ils soient tibétains, japonais ou occidentaux – développent en effet une véritable théologie du maître parfait, conjuguant dévotion traditionnelle et doctrine des « moyens habiles » (upaya en sanscrit). Selon cette dernière, un bouddha peut employer toutes les méthodes qu’il juge nécessaires à la conversion de ses disciples. Il peut ainsi user de ruse, de mensonge, de violence ou de magie (14). Ainsi certains enseignants, dont les plus connus sont les tibétains Chögyam Trungpa et Sogyal Rinpoché, ont systématisé cette conception du maître éveillé capable de tout. Dans leurs centres, le maître démontre sa bouddhéité par le fait d’être absolument imprévisible et imparfait : il arrive systématiquement en retard à ses enseignements, humilie publiquement ses disciples, se fait servir comme un roi, dispose de harems (15). Ce comportement est appelé « folle sagesse » (yeshe cholba en tibétain), apanage des « saints fous » de la mythologie (les « grands adeptes », mahasiddha en sanscrit). Quiconque refuse la « folle sagesse » et tout ce qu’elle comporte de vexations, de privations et de sacrifices est indigne de faire partie du groupe et en est généralement expulsé. Quiconque use de son esprit critique – pourtant présenté comme central dans le bouddhisme – et remet en question l’intérêt spirituel d’un tel comportement est considéré comme inférieur. Quiconque, en somme, refuse ce dogme est assimilé à un « démon (16) ».

Contrairement à ce qu’affirment les commentateurs – rappelonsnous Frédéric Lenoir, qui considère que le bouddhisme n’est pas, comme le catholicisme « un discours dogmatique sur ce qu’il faut croire et ne pas croire, faire et ne pas faire » –, ce n’est pas parce qu’elle serait dépourvue de « dogmes » que les Occidentaux apprécient cette « spiritualité ». Elle en comporte beaucoup, de nouveaux comme de traditionnels, et les Occidentaux semblent éprouver un certain plaisir à s’y soumettre. Comment l’interpréter ? Plusieurs explications sont possibles. D’abord, les vérités non questionnables et les contraintes qui en découlent (ce que Lenoir et d’autres appellent les « dogmes ») passent inaperçues parce qu’elles sont rarement formulées de manière aussi abrupte. Cette situation s’explique essentiellement par le fait que la plupart des discours sur le bouddhisme sont le fait de pratiquants ou de sympathisants. Rares sont les observateurs qui osent prendre du recul par rapport à l’exégèse associée à ces croyances et se contentent de relever ce qui est fait et dit, sans se référer au discours justificateur des adeptes. Rares sont ceux qui quittent leurs livres pour se rendre dans un centre et vérifier par eux-mêmes le bien-fondé des assertions qu’on leur assène. Les critiques qui s’élèvent actuellement contre ce qui est pratiqué dans les centres émanent d’anciens disciples, dont il est facile de considérer après coup qu’ils sont « aigris », « déçus » ou « avides de vengeance ». D’une part, la déception n’exclut pas la clairvoyance – l’inverse est plutôt vrai. D’autre part, il faut bien avoir intégré ces centres et les avoir quittés pour se faire une idée précise de ce qui y est enseigné. Deuxième explication possible : ces vérités non questionnables et les contraintes qui leur sont assorties sont acceptées avec enthousiasme parce qu’elles sont exotiques. Leur découverte progressive procure au nouveau disciple l’impression grisante de s’aventurer dans un univers mystérieux qu’il déchiffre peu à peu, à la manière d’un roman d’aventures dont il serait le héros. L’éclaircissement progressif de ces mystères, l’impression que l’on apprend à les dominer – alors que l’on ne fait qu’intégrer un ensemble de normes édictées par une autorité nouvelle – confère au novice une nouvelle perception de lui-même. Il se démarque du commun des mortels pour accéder à une sphère supérieure dans laquelle les mots et les actes revêtent un sens différent, profond, imperceptible à première vue. La cohérence et l’originalité de cette série de normes insolites font ainsi l’effet d’une révélation mystique individuelle, qui est précisément ce que recherchent les adeptes. Troisième explication possible : l’apprentissage de nouvelles vérités et de nouvelles normes apporte aux disciples les repères existentiels qui leur manquent aujourd’hui. Ces repères leur fournissent un nouveau modèle d’interprétation du monde et les moyens d’y trouver une place privilégiée, valorisante.

Paix intérieure, sybaritisme et dévotion


La troisième explication donnée par les observateurs au succès du bouddhisme en France a trait au bien-être psychologique que permettrait l’adoption de cette tradition. Ses commentateurs et ses adeptes précisent ainsi que le bouddhisme serait à la fois une « philosophie » et un « travail sur soi », enseignés dans le cadre d’une relation d’ordre « thérapeutique » avec un « maître spirituel ». En cela, il s’opposerait évidemment aux religions monothéistes, qui n’offriraient pas de « philosophie » mais imposeraient une série de « dogmes », n’inviteraient pas au « travail sur soi » mais à l’« obéissance », seraient enfin dispensées aux fidèles dans une relation de « domination (17) ». Qu’en est-il effectivement de ces trois aspects supposés du bouddhisme – philosophie, travail sur soi et relation thérapeutique ? Nous avons vu quelle était la vision du monde promue par le bouddhisme : un univers hiérarchisé selon les capacités spirituelles de chaque individu, une réalité à multiples facettes, dont l’interprétation définitive revient en dernier ressort à celui qui détient le pouvoir (le maître), l’idée que l’existence ne serait qu’une illusion, un rêve dont il convient de s’éveiller grâce au secours d’êtres supérieurement évolués. En quoi l’adhésion à ces doctrines apporte-t-elle un « mieux-être » aux Occidentaux – qui sont nombreux à l’affirmer ? Tout d’abord, l’idée que le monde serait dénué de réalité intrinsèque permet de relativiser les aléas de la vie. Imaginer que sa souffrance psychologique ou sa douleur physique n’est qu’une illusion peut procurer un certain soulagement, de la même manière que l’espérance du Royaume de Dieu permettait de parcourir le cœur un peu moins lourd cette triste vallée de larmes. L’idée, certes, a quelque chose de reposant pour soi-même. Mais elle implique également un rapport spécifique à autrui, qui est loin d’être anodin. En effet, considérer le monde comme un mirage et soi-même comme un composé inconsistant et transitoire conduit à concevoir les relations humaines comme factices, illusoires et trompeuses. Elles deviennent dès lors, comme la vie même, source de malheurs. À quoi cela sert-il de s’investir dans une relation amicale, amoureuse ou filiale quand on croit que l’autre et soi-même ne sont que des fabrications mentales, que leur existence même n’est que « relative », produit médiocre d’une ignorance fondamentale ? De lourds malentendus sont susceptibles d’en résulter. Il ne reste donc plus qu’à s’asseoir sur son coussin et à « méditer » jusqu’à ce qu’à ce que l’« illusion » se dissipe. C’est d’ailleurs ce à quoi invite traditionnellement le bouddhisme, qui a vu son fondateur quitter femme, enfant, père et royaume pour se livrer à l’ascétisme d’une vie forestière. Le désengagement affectif est une conséquence logique et manifeste de l’adoption du bouddhisme par les Occidentaux. Il est quelquefois renforcé par les maîtres eux-mêmes, qui exigent que tel couple se sépare et que tel autre se forme – quand ce n’est pas pour s’engager eux-mêmes dans des relations sexuelles ambiguës avec plusieurs de leurs disciples (18). Autre effet pratique de l’adhésion à ce système de valeurs : supposée aussi scientifique que celle de la gravitation (et donc moralement souhaitable, selon la logique actuelle), la « loi du karma » peut entraîner une absence de charité à l’égard du prochain. La souffrance ou les revers que ce dernier subit résultent de ses manquements passés, et l’on ne peut rien y faire. Bien sûr, la compassion et l’altruisme sont très souvent invoqués par les bouddhistes occidentaux (19), mais, dans les faits, il est rare que soient organisées des collectes de fonds ou de nourriture en faveur des indigents, par exemple. L’argent des disciples doit aller en priorité « au dharma », c’est-à-dire au maître, censé mieux que quiconque savoir en disposer. Le soutien psychologique, que l’on affuble de différents vocables tels que « thérapie dharmique », « psychothérapie bouddhiste » ou « science de l’esprit », s’adresse d’abord aux membres du groupe et aux visiteurs extérieurs payant leur entrée. Il n’est pas offert gratuitement à autrui, pour la simple raison que « l’on ne peut aider les autres tant que l’on est soi-même dans l’illusion (20) ». L’adhésion à la « philosophie » bouddhique peut donc également conduire – ce qui s’observe dans de nombreux cas – au désengagement éthique et social. Ce désengagement moral concerne également les rapports que l’on entretient avec soi-même. Les adeptes ne pratiquent pas l’examen de conscience, ne mesurent pas leurs actes et leurs sentiments à l’aune de grandes valeurs : cela ne fait pas partie de leur ethos. L’objectif est de réaliser la « vacuité du soi », non de bâtir une personnalité selon les règles du Bien. Le « travail sur soi » adopté par les bouddhistes occidentaux consiste par conséquent à « accumuler les pratiques » (effectuer un nombre maximal de rituels) et à traquer, grâce aux remarques du maître, les « manifestations » blâmables de leur inconsistant « ego ». C’est sur ce modèle que se mettent en place, dans de nombreux centres, des communautés de dévots au service du maître. L’exercice de la dévotion, extrêmement concret puisqu’il consiste à faciliter la vie quotidienne de l’être éveillé dans ses moindres détails, devient une « formation spirituelle », par laquelle les disciples apprennent à s’effacer – c’est-à-dire à rendre tangible l’abolition de soi (21). Or il est vrai qu’une certaine quiétude peut découler de l’obéissance : celle-ci dispense de trop se poser de questions. Servir un être supérieur donne en outre du sens à l’existence, une organisation et un emploi du temps nouveaux que l’on n’a pas à choisir, le sentiment d’être un élu. Tel est peut-être le « mieux-être » ressenti par les convertis à travers la pratique du « travail sur soi » proposé par le bouddhisme. Cependant, on l’aura compris, cette « relation thérapeutique » avec le maître n’est pas exempte de rapports de force. Quant à la « méditation », également appelée « pleine conscience », shiné (en tibétain) ou zazen (en japonais), il est possible qu’elle détende certaines personnes. Toutefois, parce qu’elle se focalise sur « l’instant présent », l’attention aux sensations et aux émotions plutôt qu’aux idées, elle est souvent moins une « sagesse » qu’une forme de sybaritisme. Ses pratiquants n’ont pas à réfléchir : ils recherchent et éprouvent un « bien-être (22) », c’est-à-dire un plaisir charnel qu’ils espèrent contrôler par l’esprit, évitant ainsi de se livrer à des délices purement physiques, qui ne feraient pas d’eux des êtres « spirituels » mais « matérialistes ». La définition et la redéfinition de soi sont ici très importantes, l’individu moderne ayant pour injonction de se construire lui-même.

N’aurions-nous pas là affaire à un hédonisme soft, pour ne pas dire inassumé ? Désengagement moral, social et affectif, anti-intellectualisme, culte de l’instant présent, souci quasi exclusif de soi, recherche de la sensation pure, habillage des relations de pouvoir en « relations thérapeutiques », distance cynique à l’égard d’un monde qui ne serait qu’illusion : le bouddhisme des Occidentaux paraît en tout point correspondre à ce que l’historien américain Christopher Lasch appelait « la culture du narcissisme (23) ». Ne serait-ce pas parce qu’il leur donne l’occasion d’être confortés dans cette culture que ce bouddhisme les fait « se sentir bien » et leur paraît « moderne et rationnel » ? Ainsi est-il possible que la « modernité » de ce bouddhisme ne soit pas liée aux idéaux des Lumières revendiqués par ses apologètes, ses commentateurs et ses sympathisants, mais plutôt aux valeurs de l’Occident d’après-guerre, voué de plus en plus au culte de l’individu solitaire, dont on attend qu’il se démarque et qu’il « se réalise » par la seule force de sa volonté. Le bouddhisme attire ainsi, non pas parce qu’il serait dépourvu de « croyances », mais parce qu’il en propose de nouvelles, conformes, sinon à l’image que l’on se fait de soi, du moins à ce que l’on est en réalité : une société qui cultive l’ego, cet objet ambigu au centre des préoccupations bouddhiques.


Marion Dapsance est docteur en anthropologie de l’EPHE (Paris) ; boursière de la Robert H. N. Ho Family Foundation, études bouddhiques (Hong Kong) ; en résidence postdoctorale à l’université de Columbia, département des religions (NewYork mdapsance@gmail.com).


Notes


1. D’après la sociologue et anthropologue Cécile Campergue, auteur du "Maître dans la diffusion du bouddhisme en France", Paris, L’Harmattan, 2012, il y avait 270 « centres du dharma » en France en 2011 (associations culturelles de loi 1901) et 5 associations cultuelles de loi 1905 en 2012. 60% des associations bouddhiques françaises sont d’obédience tibétaine.

2. Le terme de « lamaïsme » apparaît pour la première fois sous la plume du naturaliste allemand Peter Simon Pallas à la fin du XVIIIe siècle. Il fut repris par la suite par de nombreux voyageurs. Ce qui frappait les esprits était la place centrale accordée au lama, considéré comme un être surnaturel et supérieur, et la complexité des rituels qu’il préside.

3. En France, les porte-parole attitrés du bouddhisme sont principalement Matthieu Ricard, Frédéric Lenoir, Fabrice Midal et Philippe Cornu, tous de fervents adeptes ou admirateurs du bouddhisme tibétain.

4. Article publié sur le site de Psychologies magazine (http://www.psychologies.com/Culture/Spiritualites/Pratiques-spirituelles/Articles-et-Dossiers/La-spiritualite-un-nouveaubesoin/Frederic-Lenoir-Pourquoi-le-bouddhisme-nous-attire).

5. Le compte rendu complet de l’enquête de Frédéric Lenoir, issu d’une thèse de doctorat en sociologie des religions, a été publié sous le titre "le Bouddhisme en France", Paris, Fayard, 1999.

6. Voir notamment Donald Lopez, "The Story of Buddhism: A Concise Guide to Its History and Teachings", San Francisco, HarperOne, 2001.

7. Ainsi, pour ne retenir que deux exemples considérés comme des critères de « modernité », l’avortement et l’homosexualité sont condamnés.

8. Voir notamment Rolph A. Stein, "la Civilisation tibétaine" [1962], Paris, L’Asiathèque, 1996.

9. La plupart des lamas l’affirment et en ont été agréablement surpris. Voir notamment, pour la France, "Dagpo Rinpoché, le Lama venu du Tibet", Paris, Grasset, 1998, pour les États-Unis, David Urubshurow, “From Russia With Love: The Untold Story of How Tibetan Buddhism Came to America”, Tricycle, hiver 2013.

10. Voir mon article "Sur le déni de la religiosité du bouddhisme. Un instrument dans la polémique antichrétienne", Le Débat, no 184, mars-avril 2015.

11. Je m’appuie ici sur l’enquête ethnographique réalisée dans Marion Dapsance, "les Dévots du bouddhisme", Paris, Max Milo, 2016.

12. Cette croyance a quelquefois des conséquences tragiques ou imprévues, notamment lorsqu’il s’agit de jeunes femmes ou de personnes vulnérables. En anglais, lire "Martha Sherrill, The Buddha from Brooklyn", New York, Random House, 2000, Stephen Butterfield, "The Double Mirror: A Skeptical Journey into Buddhist Tantra", Berkeley, North Atlantic Book, 1994 et Tom Clark, "The Great Naropa Poetry Wars", Tiburon-Belvedere, Cadmus Editions, 1980.

13. Voir Donald Lopez, "Fascination tibétaine. Du bouddhisme, de l’Occident et de quelques mythes", Paris, Autrement, 2003.

14. Sur l’usage de la violence dans le bouddhisme, voir Bernard Faure, Bouddhisme et violence, Paris, Le Cavalier Bleu, 2008.

15. Sur Chögyam Trungpa, voir T. Clark, "The Great Naropa Poetry Wars", op. cit., S. Butterfield, "The Double Mirror", op. cit. et Diana Mukpo, "Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungpa", Boston, Shambhala, 2006.

16. Le terme de « démon » est bel et bien employé de nos jours dans le bouddhisme occidentalisé pour désigner les « ennemis du dharma », c’est-à-dire toute personne qui remettrait en question les vérités enseignées par les maîtres.

17. Pour se convaincre de l’anti-monothéisme de ces observateurs, lire Bruno Étienne et Raphaël Liogier, "Être bouddhiste en France aujourd’hui", Paris, Hachette, 1997.

18. Cas notamment de Chögyam Trungpa, Sogyal Rinpoché et Jetsunma Ahkon Lhamo, voir les ouvrages précédemment cités. Des affaires du même genre émaillent également le bouddhisme zen, voir par exemple Michael Downing, "Shoes Outside the Door: Desire, Devotion, and Excess at San Francisco Zen Center", Berkeley, Counterpoint, 2001.

19. Qui l’évoquent dans toutes leurs prières. En effet, chaque rituel doit s’effectuer « pour le bien des êtres », c’est-à-dire en dédiant mentalement les bénéfices spirituels obtenus par la pratique aux êtres errant dans le samsara, et non pour soi-même (et c’est ainsi que l’on atteint l’éveil).

20. Sogyal Rinpoché, par exemple, en a fait un leitmotiv de ses enseignements, en forme de sagesse populaire (« Charité bien ordonnée commence par soi-même »).

21. Je décris en détail ce parcours dans M. Dapsance, "les Dévots du bouddhisme", op. cit.

22. Ce bouddhisme à l’occidentale s’inscrit ainsi dans la mouvance actuelle des psychothérapies et des méthodes de développement personnel. Celle-ci a profondément transformé l’expérience religieuse chrétienne, et plus largement la culture et les moeurs occidentales. Voir notamment le récent ouvrage de Pierre Pradès, "De la sainteté à la santé. Puritanisme, psychothérapies, développement personnel", Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, 2014.

23. Christopher Lasch, "The Culture of Narcissism: American Life in an Age of Diminishing Expectations", New York, W. W.Norton, 1979. Traduction française : "la Culture du narcissisme. La vie américaine à un âge de déclin des espérances", Paris, Flammarion, 2006 (rééd.).



lundi, octobre 03, 2016

Le pape, le dalaï-lama et le président



Une messe (ou un mantra) n’avait jamais fait de mal à personne et ne pouvait pas nuire à une carrière sous Nicolas Sarkozy

par Patrick Buisson


Chargée de la rédaction du discours pour la réception que le président devait donner le 11 septembre (2008) à l’Elysée en l’honneur du souverain pontife, Emmanuelle Mignon reçut pour consigne de « ne pas refaire un Latran bis », pas plus qu’elle ne devait employer le mot de « transcendance ». Effectivement, il ne fut pratiquement plus question de « laïcité positive », la « belle expression » qui avait si fortement impressionné Benoît XVI, ni du rôle de la religion comme ciment social. Une phrase, en revanche, figurait en bonne place à la demande du chef de l’Etat et attira aussitôt notre attention : « Le dalaï-lama mérite d’être respecté et écouté pour cela et c’est dans cet esprit que, le moment venu, je le rencontrerai. »

Tout droit sortie du rayon « bien-être et développement personnel » de l’espace culturel Leclerc, une religion asiatique réduite à une spiritualité light s’invitait dans l’allocution présidentielle destinée à accueillir le pape.

A vrai dire, nous redoutions cette intrusion depuis que Carla Bruni-Sarkozy, mains jointes et revêtue de la kata, l’écharpe de bienvenue traditionnelle, avait rencontré l’ancien maître du Tibet lors de l’inauguration, au mois d’août précédent, d’un temple bouddhiste sur le plateau du Larzac. Elle avait pris feu et flamme pour la croisade non violente de l’homme à la tunique safran : « Est-ce vrai, l’avait-elle interpellé, que c’est vous qui avez demandé à mon mari qu’il ne vous reçoive pas pendant les Jeux olympiques de Pékin ? » Ayant recueilli la parole de l’oracle, la Première dame de France, jean slim et t-shirt du créateur chinois Yiqing Yin, s’était retournée vers son président de mari : « Tes collaborateurs t’ont menti. Je ne laisserai pas fouler aux pieds ton image de défenseur des droits de l’homme. » Nous étions confondus. La cause étant sacrée, la partie s’annonçait rude.

En gants blancs, comme à son habitude, « Diplomator » Levitte tenta une percée : « Est-ce bien le moment d’annoncer une rencontre avec le dalaï-lama ? Notre ambassadeur à Pékin va être appelé en consultation et nous allons subir une nouvelle campagne de boycott contre les produits français. Les Chinois ne voient pas en lui une figure spirituelle, mais un agent de démantèlement de leur pays. » Je m’engouffrai dans la brèche : « La confusion des deux fonctions, c’est la théocratie. Est-ce bien là le projet que veulent soutenir tes amis, les partisans des droits de l’homme ? Au reste, tu connais les journalistes, ils ne retiendront rien d’autre que cette annonce. Ne mélangeons pas les registres. C’est le chef de l’Eglise catholique que tu accueilles demain. » En un tour de main, Sarkozy, qui n’avait pas son pareil pour habiller les concessions conjugales du drapé des grands principes, régla l’affaire à notre grand désespoir :

— La vérité, c’est que nous avons maquillé une réalité peu flatteuse. La France est-elle une nation indépendante ? Voilà la question. En vérité, je me suis couché, j’ai dit que la Chine ne fixerait pas l’agenda du président de la République et j’ai fait exactement le contraire. Je suis allé à Pékin et je n’ai pas reçu le dalaï-lama pendant les Jeux olympiques.

Que faire devant une force supérieure sinon battre en retraite ?

Pour cette raison et quelques autres, la visite de Benoît XVI ne marqua pas une nouvelle étape dans la définition des valeurs sous l’invocation desquelles le président avait pourtant tenu à placer son mandat. Bientôt la politique de civilisation irait rejoindre la fosse commune des idées mort-nées, ensevelies sous les retombées de la crise financière. Le krach boursier ayant paradoxalement provoqué un krach de la transcendance au plus haut sommet de l’Etat, on n’en parla plus pendant de longs mois. Cependant, une vague odeur d’encens imprégna encore un temps les tentures du salon Murat où se tenait, chaque mercredi, le Conseil des ministres. Il se disait qu’une bonne messe n’avait jamais fait de mal à personne et ne pouvait pas nuire à une carrière sous Nicolas Sarkozy.

Patrick Buisson, « La cause du peuple ».




Pourquoi, depuis quarante ans, la France traverse-t-elle une crise politique, sociale et morale sans précédent ? Comment sont advenus le règne de l'idéologie, le déni du réel, la trahison du peuple par les élites ? Et nous faut-il nous résigner au déclin ?

Pour répondre à ces questions cardinales et découvrir le pouvoir de l'intérieur, voici le livre tant attendu de Patrick Buisson, le conseiller privilégié et controversé de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Une chronique riche en révélations parfois cruelles et souvent cocasses sur les coulisses de l'Elysée. Une analyse aiguë, puisant dans l'histoire, chez Saint-Simon et Tocqueville comme chez Péguy et Bernanos, des contresens et des dérives de la classe dirigeante actuelle. Un appel fort, enfin, à une grande politique conservatrice de droite renouant avec le catholicisme social.


Témoignage capital sur la déliquescence du pouvoir et contribution majeure au débat public, ce livre, où fond et forme se conjuguent, ne laissera personne indifférent.

vendredi, septembre 16, 2016

Le bouddhisme occidental et l'ésotérisme théosophique




Les porte-parole du bouddhisme (Frédéric Lenoir, Matthieu Ricard et Raphaël Liogier...) œuvrent à la persistance d’une dommageable confusion.


Le bouddhisme occidental et l'ésotérisme théosophique



par Marion Dapsance


Le bouddhisme est traité par de nombreux intellectuels occidentaux – notamment les plus médiatisés – comme un prétexte à la remise en cause des conceptions occidentales de la science. 


Le bouddhisme n’est pas décrit pour lui-même, mais pour ce qu’il est censé apporter à la pensée occidentale, dont on condamne le caractère obstinément matérialiste. Curieusement, cette nostalgie de la métaphysique passe la plupart du temps inaperçue, quand elle n’est pas louée dans des magazines consacrés aux bienfaits scientifiquement prouvés de la “méditation”. Elle n’est jamais considérée comme un échec ou un manquement à la rationalité moderne, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit d’autres théories pseudo-scientifiques d’origine religieuse (l’intelligent design, par exemple). Il semble ainsi légitime que des instituts de recherche “scientifiques” cherchent à prouver les pouvoirs magiques des Tibétains dans une perspective évolutionniste. Que faut-il en déduire ? D’abord, que le cadre d’interprétation majoritaire du bouddhisme en Occident n’a pas évolué depuis les écrits de Madame Blavatsky et de Sinnett : lorsque l’on parle de “bouddhisme”, on parle en réalité très souvent de bouddhisme ésotérique, renvoyant par là aux représentations du monde occultistes typiques du XIXe siècle européen plutôt qu’aux conceptions asiatiques. Ensuite, que les écrits d’intellectuels occidentaux porte-parole du bouddhisme – dont Frédéric Lenoir, Matthieu Ricard et Raphaël Liogier ne sont que des exemples locaux – condamnent à l’échec le “dialogue Orient-Occident” qu’ils disent pourtant appeler de leurs vœux. En effet, ces auteurs œuvrent à la persistance d’une dommageable confusion plutôt qu’ils ne contribuent à la dissiper.

Il est tentant de penser que cette vision théosophique du bouddhisme n’est l’apanage que de quelques érudits occidentaux, à l’influence relativement limitée. L’on pourrait en effet supposer que la multiplication des “centres du dharma” en Europe et aux Etats-Unis, la diversification de l’offre religieuse et la présence accrue d’enseignants bouddhistes d’origine asiatique amorcent le déclin progressif de l’héritage théosophique. Or, les études de terrain tendent à prouver l’inverse. Il ressort des enquêtes menées par Cécile Campergue et moi-même, que non seulement les disciples, mais parfois également les enseignants (Chögyam Trungpa et Sogyal Rinpoché notamment) ont recours au vocabulaire, au langage, à la symbolique et aux modes d’initiation théosophiques. Ainsi parlent-ils souvent d’“énergie”, de “vibrations”, de “corps subtils”, d’“omniscience” des “grands maîtres”, de “télépathie”, d’“archétypes”, de “niveaux de conscience”, etc. Ces expressions recouvrent parfois les notions tibétaines, renvoyant ainsi à une réalité ou à une croyance commune aux deux cultures, permettant alors le dialogue entre les deux populations. Néanmoins, comme je l’ai indiqué dans un autre article ainsi que dans ma thèse, le malentendu fréquent sur les termes utilisés, tout en rendant possible l’interaction entre maîtres et disciples, engendre souvent aussi des conflits. Quoi qu’il en soit, bien qu’elle ne soit pas toujours discernable à première vue, l’influence de la théosophie sur les milieux bouddhistes occidentaux est encore bien réelle et permet un dialogue plus ou moins fructueux entre Occidentaux et enseignants venus d’Asie. Il existe probablement des exemples qui démentiraient la persistance de l’ésotérisme occidental et indiqueraient l’émergence d’une autre forme de bouddhisme occidentalisé. Ces cas attendent leur ethnographe.


jeudi, septembre 15, 2016

Le vrai visage de Sogyal, le gourou de Rigpa

Témoignage d'Olivier Raurich, traducteur de Sogyal Rinpoché, ex-directeur de Rigpa France. 

En 2008, à l'occasion des jeux olympiques de Pékin, le gouvernement Sarkozy s'aligne sur la politique étasunienne de déstabilisation de la Chine. Il exprime son soutien aux lamas tibétains sans rien savoir du lamaïsme et ses dérives sectaires.


Olivier Raurich a travaillé pour le « maître » durant vingt-huit ans, avant de claquer la porte l'été dernier. Il témoigne pour la première fois et livre ici un éclairage salvateur sur les mécanismes à cause desquels des personnes intelligentes et éduquées peuvent se laisser séduire par un discours aux accents mystiques, parfois jusqu'à l'endoctrinement. Le Bouddha lui-même ne recommande-t-il pas de « voir la réalité telle qu'elle est » ?

Marianne : Quand avez-vous commencé à vous intéresser au bouddhisme et comment avez-vous fait la rencontre de Sogyal Rinpoché ?


Olivier Raurich : J'ai fait des études de mathématiques à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, je me destinais à être chercheur scientifique. A 24 ans, j'ai vécu une crise existentielle, une quête spirituelle. Quand j'ai découvert le bouddhisme, le côté « vérifié par l'expérience » m'a beaucoup plu : au début, il ne s'agit pas de croire, mais de méditer, et d'en éprouver les bienfaits. J'ai assisté à des conférences, et je suis tombé sur Sogyal Rinpoché. Il parlait anglais, il était percutant. Au bout de quelques années, il m'a remarqué : j'étais très assidu, je parlais assez bien anglais. Je suis devenu son traducteur en France, sans avoir jamais de relation personnelle avec lui, car Sogyal Rinpoché a imposé tout de suite une verticalité absolue dans les rapports : il était le maître, inaccessible et ombrageux ; il s'agissait d'exécuter ses instructions, point final.

Vous avez donc été un témoin privilégié de son ascension et du succès grandissant de son association, Rigpa ?


O.R. : Au fil des années, je suis effectivement devenu de plus en plus actif au sein de Rigpa, enseignant en méditation, puis président de Rigpa France. Je suis passé plusieurs fois à la télévision dans l'émission « Sagesse bouddhiste » sur France 2.
J'avais mon métier de professeur de maths en classe prépa en parallèle, car presque tout le monde est bénévole à Rigpa, et les quelques salariés sont très peu payés. Faire des offrandes en argent et en travail fait partie du bouddhisme, et je trouvais formidable de rendre service gratuitement ; plus tard, je me suis aperçu que, sous ce prétexte, les Occidentaux devenaient de véritables vaches à lait

Le grand centre de retraite de Lérab Ling, situé dans l'Hérault, a ouvert en 1992. La même année, le "Livre tibétain de la vie et de la mort" est paru : il a été rédigé par Patrick Gaffney, un érudit anglais brillant et modeste, un homme que j'admire beaucoup, à partir d'enseignements de Sogyal Rinpoché et d'autres maîtres. C'est devenu un best-seller international, et Sogyal Rinpoché, une vedette internationale du bouddhisme ; les gens ont afflué. J'étais enthousiaste : j'avais l'impression que nous allions pouvoir diffuser la sagesse du bouddhisme dans la société.

Le comportement de Sogyal Rinpoché surtout avec ses disciples les plus proches, ne vous a-t-il pas choqué au cours de toutes ces années ?


O.R. : Sogyal Rinpoché était un communicant charismatique, mais ce qui m'a tout de suite choqué c'est le décalage entre le discours et le personnage. Il aime le luxe, la mode, les films américains violents ; l'écologie et les questions sociales ne l'intéressent pas du tout. Il n'est pas du tout gêné de faire son propre éloge immodéré devant tout le monde. Il voyage dans des hôtels de grand luxe, s'entoure des gadgets électroniques les plus coûteux. J'ai eu du mal à accepter ce comportement, car dans le même temps certaines personnes à Rigpa sont très pauvres, et lui-même prêche le contentement, la simplicité et le renoncement à cette vie, sans les pratiquer.

Pendant longtemps, je lui ai trouvé des excuses liées à sa culture, à son origine de prince tibétain.

A mon égard, c'était le chaud et le froid : tantôt il encensait à l'extrême mes qualités de traducteur, tantôt il se montrait humiliant en public. Et, toujours, très autoritaire.

Il y a toujours eu des bruits disant qu'il abusait de jeunes femmes, pas par violence physique, mais par une emprise psychologique énorme.

Mais tout cela était officiellement justifié par le concept de « folle sagesse », selon lequel les grands maîtres peuvent commettre des actes incompréhensibles pour le commun des mortels. Cela s'applique à tout : « Si le maître se montre humiliant, c'est pour libérer de l'ego, pour purifier les disciples » ; « Il n'y a pas d'action plus excellente que de faire la volonté du maître, quelle qu'elle soit », et ainsi de suite... 
Les textes traditionnels tibétains sont très clairs sur ce point.

Quant à moi, j'étais intéressé avant tout par les enseignements bouddhistes. J'animais des stages, et de ce côté-là, avec toute l'équipe des instructeurs, nous avons fait un bon travail de diffusion du bouddhisme. C'est cela qui m'a fait rester si longtemps.

Comment se fait-il que Sogyial Rinpoché n'ait pas été inquiété ?
Pourquoi le dalaï-lama n'a-t-il jamais réagi ?


O.R. : Plusieurs crises ont eu lieu. Il y a eu la poursuite judiciaire de 1993 aux Etats-Unis pour harcèlement sexuel. Par la suite, certaines ont raconté leur histoire, et pas mal de gens ont quitté Rigpa lors de ces occasions, notamment en 2000 et 2007.

Ensuite est paru en 2011 l'article de Marianne, après lequel Sogyal Rinpoché a décidé de ne plus apparaître dans les retraites de méditation à Lérab Ling pour les nouveaux. Beaucoup de gens sont partis, et Rigpa a payé très cher une agence professionnelle de communication de crise à Paris pour apprendre à quelques porte-parole, dont moi-même, à répondre aux allégations de harcèlement sexuel et d'abus financier. On nous a conseillé de ne pas répondre aux questions, il s'agissait de répéter en boucle certaines phrases clés ; il fallait citer le dalaï-lama au maximum comme caution morale.

Le dalaï-lama a exprimé clairement que les comportements abusifs des maîtres doivent être exposés publiquement et explicitement.

Pourquoi n'a-t-il pas réagi lui-même ? Mon hypothèse est qu'il ne peut pas déconsidérer Sogyal Rinpoché publiquement, parce que cela ébranlerait le bouddhisme tibétain. Sogyal Rinpoché a su se rendre indispensable dans la communauté tibétaine.

Quand avez-vous commencé à avoir des doute ?

O.R. : Je suis resté toutes ces années, malgré mes nombreuses réticences, car j'espérais que Rigpa allait permettre de diffuser une sagesse profonde au plus grand nombre, pour la société. Mais il devenait de plus en plus difficile d'inviter à ses enseignements notre entourage, nos relations, car son comportement devenait parfois impossible, prétentieux, même en public.

J'ai commencé à écrire mon premier livre, pour montrer le chemin d'une sagesse bouddhiste authentique et ouverte au monde, adaptée à l'Occident, et conforme à l'idéal humaniste.

A partir de l'article de Marianne, j'ai senti la tension monter d'un cran dans les instances dirigeantes de Rigpa. Tout ce secret et cette manipulation de l'information me pesaient. J'étais venu pour des enseignements qui parlent d'humilité, d'amour, de vérité et de confiance, et je me retrouvais dans une ambiance quasi stalinienne, et un double langage permanent. Son côté dictatorial et colérique empirait et me gênait de plus en plus. Il n'hésitait pas à faire taire brutalement et à ridiculiser les gens dans les réunions. L'esprit critique est interdit dans son voisinage, la parole est verrouillée.

Les feed-back négatifs ne remontent pas, seules les louanges lui sont rapportées, car les gens ont peur de lui dans le cercle rapproché. Il peut faire des colères où il humilie les proches ; il peut aussi se montrer affable et plein d'humour si tout est conforme à ses désirs.

A l'été 2014, au cours d'une retraite pour des anciens étudiants. Le pas a été franchi, j'ai clairement vu sa fausseté. Il a demandé des offrandes abondantes, spécifiquement en argent liquide, devant 800 étudiants. Chacun devait écrire son nom sur l'enveloppe, pour qu'il puisse vérifier le montant.

Il y a eu aussi l'augmentation du contrôle sur les étudiants réguliers : on les culpabilise s'ils ne viennent pas aux retraites, il y a une grosse pression ; la base de données informatique interne de Rigpa recense les participations aux retraitées, aux pratiques, les entretiens passés, etc. Si un étudiant ne vient pas, il doit se justifier ; s'il part au milieu d'un enseignement, quelqu'un doit le suivre et lui demander pourquoi. Ça a fait fuir aussi pas mal de gens.

Quel bilan tirez vous de cette expérience qui a duré vingt-huit ans ?

O.R. : De fait, il se trouve que mon éducation spirituelle a été faite par son entremise. « Le Livre tibétain de la vie et de la mort », ce n'est pas lui qui l'a rédigé, mais c'est quand même lui qui l'a impulsé. C'était un très bon livre, il a aidé des milliers de gens, même s'il contient aussi quelques éléments de superstition tibétaine.

Je ne renie pas du tout ces années, car j'y ai étudié, pratiqué et partagé la méditation, l'entraînement de l'esprit à la compassion, les bases de la philosophie bouddhiste : l'impermanence, l'interdépendance... C'est ce qui explique que j'ai demandé une préface à Sogyal Rinpoché pour mon premier livre.

Mais. ces dernières années, il a insisté de plus en plus sur la religiosité et la dévotion absolue au maître, alors que le bouddhisme authentique est une sagesse, fondée sur l'expérience et la réflexion, comme l'explique souvent le dalaï-lama, qui incarne un bouddhisme exemplaire.

Aujourd'hui, je laisse derrière moi les aspects abusifs ou traditionnels qui ne sont plus adaptés à notre temps, et je participe à la diffusion d'une sagesse laïque pour l'Occident sur un mode collaboratif et égalitaire, sans gourous ni grigris, où chacun s'efforce d'incarner ce qu'il enseigne. Je suis enfin réconcilié avec moi-même.

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLODIE EMERY de Mariane.

Pour en savoir plus :



Un livre de Marion Dapsance



Marion Dapsance a assisté à plusieurs scènes de brimades :

« Sogyal Rinpoché a ridiculisé un homme qui le servait pour ses cheveux longs, a affirmé haut et fort qu’un autre sentait mauvais, en a traité de « yack » un autre encore, a fait s’accuser publiquement une disciple d’être stupide, en a fait pleurer une autre. Ces séquences sont conçues pour « déstabiliser l’ego » des participants, et, de fait, les réactions physiques ou émotionnelles ne sont pas rares, comme cette disciple assise au premier rang que j’ai un jour vue s’évanouir devant le maître. Ce dernier l’a fait monter sur scène et, devant tous, l’a fait s’asseoir sur un petit siège, lui a fait apporter un verre d’eau, lui a donné une bénédiction en plaisantant au sujet de ce malaise, affirmant que c’était là « la manifestation de son ego », qu’elle cherchait à se rendre intéressante, etc. Il lui a demandé de danser devant tous pour manifester son regain de vitalité. Elle s’est exécutée, et la salle entière a applaudi en riant. »



mercredi, septembre 14, 2016

La vérité sur le néo-bouddhisme


SOGYAL Rinpoché
Les dévots du lamaïsme sont traités comme des esclaves.


Le gourou tibétain Sogyal Rinpoché dit à un dévot en le molestant : "Je suis ton maître, tu es mon esclave. Ah, ce n’est peut-être pas très politiquement correct chez vous, les Occidentaux, d’accord, mais au Tibet c’est comme ça, vous devez vous soumettre totalement." 



Les dévots du bouddhisme


La première enquête de terrain sur le bouddhisme en Occident. 

L’anthropologue Marion Dapsance a réalisé UNE ENQUETE DE PLUSIEURS ANNEES AU CŒUR DES MILIEUX BOUDDHIQUES OCCIDENTAUX QUI VIENT FAIRE VACILLER TOUS NOS PRESUPPOSES. 


AU FIL DES RENCONTRES, DES EXPERIENCES RACONTEES, DES TEMOIGNAGES RECUEILLIS IL DEVIENT EVIDENT QUE LE BOUDDHISME N’EST RIEN D’AUTRE QU’UNE RELIGION. QUI PLUS EST, SA VERSION OCCIDENTALE CONNAIT DE TRES NOMBREUSES DERIVES

Un livre à lire pour ne pas se laisser piéger par cette religion détournée qui laisse sans voix :




Organisation sectaire, 

Dérives sexuelles, 

Pyramides financières, 

Humiliations hiérarchiques...



Un livre édifiant qui fait la somme de ses longues années d’enquête sur les coulisses du bouddhisme en France. Méticuleusement, la chercheuse détricote les mythes que des Occidentaux « fatigués et spirituellement démunis » ont projetés sur cette religion.”




Le temple tibétain Lérab Ling dans l'Hérault (34)

Le temple est bondé. « Ça pue ici » dit le maître (Sogyal) en anglais. « Vous ne devez plus faire de prosternations, ou alors il faut ouvrir les fenêtres. » Un grand intendant maigre fait discrètement remarquer qu’il pleut à verse, et que, peut-être, cela n’est pas tout à fait indiqué. Le maître l’attrape alors par les cheveux et le secoue d’avant en arrière. « Qui es-tu pour juger ? Je suis ton maître, tu es mon esclave. Ah, ce n’est peut-être pas très politiquement correct chez vous, les Occidentaux, d’accord, mais au Tibet c’est comme ça, vous devez vous soumettre totalement. Il ne faut jamais tenir tête à un grand maître. »

Marion Dapsance évoque également les usages auxquels les Occidentaux acceptent de se plier : « J'observais des individus, européens, qui effectuaient des rituels dans le cadre d'un temple tibétain, récitaient quotidiennement des prières, invoquaient des divinités, s'en remettaient avec dévotion à un lama pour des questions liées à leur vie personnelle ou professionnelle, se prosternaient devant lui. » Le tout « en déclarant pratiquer une spiritualité, une sagesse, une science de l'esprit sans aucun rapport avec la religion ».



Le témoignage d'Olivier Raurich, ex-directeur de Rigpa France

Ce que Marion Dapsance décrit dans son livre, Olivier Raurich en a été le témoin privilégié. Traducteur de Sogyal Rinpoché, ex-directeur de Rigpa France, il a travaillé pour le « maître » durant vingt-huit ans, avant de claquer la porte l'été dernier.

Il a témoigné pour la première fois et livre dans le journal Marianne un éclairage salvateur sur les mécanismes à cause desquels des personnes intelligentes et éduquées peuvent se laisser séduire par un discours aux accents mystiques, parfois jusqu'à l'endoctrinement. Le Bouddha lui-même ne recommande-t-il pas de « voir la réalité telle qu'elle est » ?

Télécharger gratuitement l'article de Marianne « Les escrocs du bien-être » et le témoignage de l'ex-directeur de Rigpa France ICI



Un livre de Marion Dapsance




Le silence coupable du Dalaï Lama face au sulfureux Sogyal Rinpoché

Depuis lundi 12 septembre, le Dalaï Lama, chef spirituel des Tibétains, est en visite en France, à Strasbourg. L’occasion pour Marianne de rappeler les scandales sexuels et financiers que traîne derrière lui le lama Sogyal Rinpoché depuis de nombreuses années, révélés notamment par le livre de Marion Dapsance, « Les dévots du bouddhisme », publié cette semaine. Le Dalaï Lama est au courant, mais hélas, se tait.


Lire l'article d'Elodie Emery sur le site de Marianne.




Le dalaï-lama n’attire plus autant les foules



La rencontre d'Emmanuel Macron et du dalaï-lama, de quoi ont-ils parlé ?


Boudé par les politiques et les foules, le dalaï-lama rencontre un nouvel admirateur, l'ambitieux Emmanuel Macron.




Le dalaï-lama n’attire plus autant les foules


« Si elle ne passe pas inaperçue dans les médias, la venue pour une semaine en France de Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama, ne suscite pas les mouvements de foule d’il y a vingt ans.

Sur son agenda, pas de réception en grande pompe à l’Élysée, ni de rencontre avec des stars du show-business. De Paris à Strasbourg, où il s’apprête tout de même à remplir le Zénith durant tout un week-end, celui qui incarne depuis 1959 la cause des Tibétains en exil n’entend s’exprimer que sur des sujets religieux, culturels et environnementaux. Une conférence devant les étudiants de Sciences-Po a même été annulée à la dernière minute : Bref, on est loin de l’engouement suscité à la fin du siècle dernier lorsque, bien qu’étant à la tête d’un courant minoritaire du bouddhisme tibétain (soit une fraction de l’immense galaxie bouddhiste), le dalaï-lama partageait avec Jean-Paul II le statut d’icône spirituelle planétaire. »




Samuel Lieven avec Alice Papin, La Croix du 13/09/2016.





Les amis du dalaï-lama : 

Heinrich Harrer, son précepteur nazi ; Bruno Beger, anthropologue nazi ; Miguel Serrano, propagateur du néo-nazisme ; Shoko Asahara, gourou terroriste et tueur ; Jörg Haider, dirigeant du FPÖ autrichien, admirateur du 3e Reich ; George W. Bush, criminel de guerre et bourreau de l’Irak ; Emmanuel Macron (simple admirateur ou nouvel ami ?), valet des Rothschild et de la dictature financière...

Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...