jeudi, janvier 12, 2012

Maria de Naglowska, le plaisir satanique





« Seul celui qui a dépassé ce rite (la pendaison initiatique) peut s'unir utilement à une femme correctement instruite parce que, connaissant l'indicible bonheur du plaisir satanique, il ne peut pas se noyer dans la chair d'une femme, et s'il accomplit avec son épouse le rite de la terre, il le fera pour s'enrichir et non pour se diminuer. »
Maria de Naglowska


Les amateurs d'orgies effrénées pourraient, à première vue, s'enthousiasmer pour les théories et la personnalité de Maria de Naglowska. L'érotisant qui se contenterait de lire le titre des œuvres de « la prêtresse de Vénus », qui se contenterait de quelques bribes de l'enseignement qu'elle dispensait non sans volubilité, estimerait avoir trouvé sa voie et sa longueur d'onde. Des titres comme La lumière du sexe, Magia sexualis, ou Le rite sacré de l'amour magique ont de quoi mettre l'eau à la bouche des minorités libidineuses. L'énoncé de sa devise, « Vers la connaissance à travers l'amour », pourrait également tromper l'amateur. De fait, quelque sensuelles que ses théories pussent sembler à première vue, Maria de Naglowska n'a jamais cessé d'être une grande mystique incomprise. Tous ceux qui l'ont approchée, écoutée avec attention, comprise dans toutes ses nuances, s'ingénient à louer son honnêteté foncière. Il est vrai qu'on louangeait aussi la sincérité de Crowley !

Maria de Naglowska prétendait descendre d'une famille princière du Caucase. Son union avec un noble polonais justifierait son nom de famille. Spoliée par la révolution russe de 1917, elle affirma avoir connu Raspoutine qui lui aurait prodigué tout son enseignement. L'hypothèse est actuellement battue en brèche. Une vie errante la mena en Égypte, en Italie et, enfin, à Paris, dans le quartier Montparnasse. Ce fut là, dans de petits bars sans prétention, devant des cafés-crème et des croissants, qu'elle enseigna sa révolution sexuelle psychique. Au physique, la prêtresse de Vénus n'avait d'ailleurs rien d'une bacchante : « C'était alors une femme frêle, blonde, aux traits ingrats, mais au regard magnétique. Il se dégageait de toute sa personne une impression de profonde sincérité. Elle parlait un français châtié, avec un fort accent slave. Elle était accompagnée, au Dôme comme à la Coupole, d'un grand benêt, son fils, que les discours-fleuves de sa mère semblaient prodigieusement ennuyer. » (Cité dans le Dictionnaire des sociétés secrètes.)

Ses premiers disciples, à quelques exceptions près les seuls qu'elle eût jamais, se révélèrent aussi bohèmes et aussi faméliques qu'elle. Dans la suite, elle recruta des amateurs quelque peu plus fortunés, mais qui ne comprirent pas tout ce que la doctrine voulait receler de sérieux et de spirituel.

Maria de Naglowska faisait dériver la plupart de son enseignement des théories de Paschal Berverley Randolph, dont elle adapta l’œuvre principale en français. Selon Randolph, Il était possible de capter l'énergie dégagée au cours de l'acte sexuel, doctrine qui se rapproche de celle des tantristes tibétains. L'acte d'amour revêt une portée mystique qui permet de pénétrer dans le domaine de l'au-delà et, partant, de la vie éternelle. Maria affirmait d'ailleurs que : « Eve est l'arène où la vie et la mort se livrent un combat sans merci. »

Avec de pareilles théories, même si on les prétend pures, il n'était pas étonnant de réunir un certain nombre d'adeptes mus par des sentiments un rien moins purs et un peu plus intéressés. Maria réunissait ses disciples pour des offices collectifs qui attirèrent fort rapidement l'attention de la police. Les cérémonies ne s'en interrompirent pas pour autant, mais elles se déroulèrent désormais dans le plus grand secret. A notre époque, il semblerait que, sous l'impulsion du tantrisme récemment remis à la mode en Europe, l'enseignement de Maria de Naglowska eût retrouvé pas mal d'enthousiasme, sincère ou non, parmi la faune des bohèmes de Montparnasse ou des snobs de Passy.

René Thimmy parle assez longuement d'une certaine Véra de Pétrouchkha, Slave initiée aux plus singuliers rites de la magie. On ne peut douter qu'il s'agisse de Maria de Naglowska. Tout concorde : les titres des œuvres, les théories abracadabrantes et rien moins que claires, la spiritualité exacerbée et incomprise, l'exploitation sensuelle des théories abstraites. Les réflexions de Thimmy rejoignent d'ailleurs les impressions générales que peut connaître un curieux mal au courant des véritables préceptes de Maria : « J'avais toutes les raisons de croire que j'allais me trouver en face d'une de ces bacchantes enfiévrées, de ces ardentes prêtresses d’Éros et de Sapho qui ramènent tout, dans la vie, aux plus basses questions sexuelles. » Pas du tout : il se dégageait en quelque sorte une atmosphère de pureté, de chasteté, de cette petite femme tranquille, sagement assise, parlant peu, gesticulant moins encore, et dont la conduite dans la vie paraissait quasiment ascétique. Son ordinaire consistait dans des cafés-crème, avec des croissants ou même des petits pains. Elle ne buvait pour ainsi dire jamais d'alcool, et sa seule débauche, c'étaient quelques cigarettes très ordinaires, pas même des cigarettes de luxe, qu'elle fumait avec délices. »

Quelques-unes de ses déclarations recelaient des interprétations dangereuses dont ses ennemis firent des gorges chaudes. Elle déclara de la sorte : « Redresse-toi, deviens raide comme la flèche. C'est ainsi que tu te lanceras dans la bonne direction en entraînant avec toi tes semblables. » En faisant abstraction de toutes ses périphrases et digressions verbeuses, on pouvait à peu près résumer la théorie de Maria de Naglowska comme suit : la grande prêtresse — Maria, comme de bien entendu — était une sorte d'immense réceptacle capable, par une force psychique exceptionnelle, de capter l'influx émanant du désir érotique. Son champ de bataille préféré comportait donc un groupe entier mû par la passion sensuelle. Recueillant bon nombre d'énergies perdues pour les autres, elle devenait une véritable batterie susceptible d'agir en retour sur ses semblables.

Thimmy a décrit une réunion tenue par Maria de Naglowska. La soirée devait se tenir chez une Américaine « gagnée aux idées de Véra beaucoup plus par curiosité et par une vague perversité sexuelle que par l'amour désintéressé de la magie ». Il semblerait que Maria de Naglowska profitât elle-même de ses profiteurs puisque, d'une part, elle pouvait s'emparer de leur fluide érotique et que, d'autre part, elle cherchait avant tout à réunir une certaine somme pour mener à bien ce qu'elle appelait sa « messe d'or », au cours de laquelle l'acte charnel accompli dans la plus grande pureté constituerait la prière suprême.

La soirée se déroula dans un salon très fin de siècle, où un Villiers de l'Isle-Adam ou un Jean Lorrain eussent pu subir, non sans volupté, leurs crises de délectation morose et d'érotisme malsain. En fait d'étreintes mystiques, le champagne coula à flots, et les participants se sentaient plus intéressés par l'art du lutinage que par les manifestations ésotériques de la prêtresse. Pendant que Maria formait, avec une participante, une mystique équerre magique, suscitant de la sorte une formidable tête de feu visible pour elle seule, les assistants se laissaient aller à d'autres étreintes qui, pour être plus terrestres, n'en étaient pas moins délectables. Thimmy conclut : « Et, mon Dieu ! ce qui se passa chez la belle Gladys est fort conforme à la nature et ne me semble présenter absolument rien de magique. A l'exception de l'hiérophantide qui emmagasinait précieusement les effluves de tous ces corps mélangés, spectateurs et spectatrices connaissaient des extases rien moins que mystiques. »

Par Maria de Naglowska, il est possible de glisser, mine de rien, vers d'autres sectes érotico-surnaturelles avec lesquelles elle sembla en relations étroites. La plus importante est celle de quelques apprentis satanisants qui, sous le couvert de théories assez filandreuses, se livraient à de mémorables soirées orgiatiques au cours desquelles intervenait la strangulation érotique. On sait que la pendaison engendre généralement une érection due au brutal afflux sanguin dans les membres inférieurs. Cette constatation est fort rassurante pour les semi-impuissants qui se strangulent partiellement afin de retrouver une virilité sans défaillance.

Ces pratiques, Lord F... et ses membres les appliquaient pour tenter, juraient-ils, de parvenir au troisième terme de l'initiation satanique. Après la pendaison, la cérémonie tournait d'ailleurs à la grivoiserie : « Lorsque le maître les dépend, il les allonge nus, généralement évanouis et privés de connaissance, sur le dos. Une femme alors, qui a suivi un entraînement rituel des plus sévères, rejette également ses vêtements et, complètement nue elle aussi, s'étend sur le corps inerte de telle sorte que son visage soit à hauteur du bas-ventre de l'homme tandis que sa ceinture repose sur la tête de l'expérimentateur. » Et lorsqu'un petit futé en vient à demander ce qu'il résulte de pareille position, il s'entend répondre : « Une amélioration spirituelle, un éblouissement extraordinaire, la contemplation subite et immédiate de Satan, c'est-à-dire du mal régénéré. »

Libre à chacun d'en croire ce qu'il désire ou de ricaner comme bon lui semble. Inutile de préciser les dangers de pareilles cérémonies. On prétend que Gérard de Nerval est mort, rue de la Vieille Lanterne, après avoir tenté de se livrer à des activités érotiques par la pendaison. L'affirmation est discutée. Elle l'est beaucoup moins en ce qui concerne Lord F... que l'on ne dépendit pas à temps, un beau jour. Il agonisa dans un dernier spasme satanique. Cette mort semblait d'ailleurs fort affecter Maria de Naglowska qui, d'un autre côté, affichait le plus profond mépris pour la secte tout entière.

Jacques Finné





mercredi, janvier 11, 2012

Morelly & le capitalisme





De nos jours, les intellectuels n'incarnent pas de contre-pouvoir. Ils servent sans vergogne les intérêts des maîtres du monde. Les philosophes du XVIIIe siècle sont plus intéressants. 

Né au début du XVIIIe siècle, Étienne-Gabriel Morelly, considère que la propriété privée est l'unique source des maux de l'humanité. Ses livres, « La Basiliade et le Code sont essentiellement la critique d'un ordre social européen perçu comme contre nature et provisoire.

Contre nature, tout d'abord. À ses débuts, l'humanité vivait selon les lois de la nature. L'harmonie régnait entre les hommes sans que ceux-ci aient conscience que cet état fût le meilleur. L'accroissement de la population et la dispersion qui en résulta sonnèrent le début d'une période de troubles durant laquelle les liens d'amour et d'affection entre les hommes se distendirent. C'est à ce moment précis que les premiers législateurs commirent l'erreur de prendre les relations sociales telles qu'elles étaient devenues pour des relations correspondant réellement à la nature de l'homme. Par manque de raison, ils tentèrent et tentent toujours depuis lors de les réglementer, persistant dans l'erreur initiale, alors qu'ils auraient dû revenir aux lois de la nature.

Provisoire, ensuite, car les « îles flottantes » — la civilisation européenne — finissent par sombrer. « Le progrès [étant] la loi générale de la nature », les hommes réfléchissent sur leurs échecs successifs et reviendront, éclairés par la raison, à l'ordre naturel suivi inconsciemment par leurs lointains ancêtres. Il faut donc que les hommes se désassujettissent des préjugés qui leur font prendre un ordre social historique et une construction humaine, la propriété privée, pour des données naturelles.

La critique de la propriété privée — critique dont le fondement est exclusivement moral — est capitale pour Morelly. Elle est la base même de tout cet édifice législatif erroné. En l'instituant, les premiers législateurs ont durablement séparé intérêt général et intérêt particulier. Revenir aux lois de la nature, et par conséquent retrouver la cité idéale, c'est en premier lieu abolir la propriété privée.

Les transformations induites par cette suppression sont radicales. En premier lieu, elles se traduisent par l'effondrement de la hiérarchie sociale et le retour à l'égalité primitive. Les hommes s'entraident mutuellement en participant — obligatoirement — à la production en fonction de leurs capacités et reçoivent selon leurs besoins. Quant aux charges publiques, elles échoient à tour de rôle aux chefs de famille.

Ce type de communisme a pu trouver un certain écho parmi les élites du XVIIIe siècle, mais c'est surtout le siècle suivant qui, en se l'appropriant, en l'interprétant en fonction de ses besoins et en l'annexant au courant socialiste, a contribué à sa postérité. »
Jean-Luc Baudras


Vraies causes de la décadence et des révolutions des États les plus florissants.


« Depuis le sceptre jusqu'à la houlette, depuis la tiare jusqu'au plus vil froc, si l'on demande qui gouverne les hommes, la réponse est facile ; l'intérêt personnel ou un intérêt étranger que la vanité fait adopter et qui est toujours tributaire du premier. Mais de qui ces monstres tiennent-ils le jour ? De la propriété. C'est donc en vain, sages de la terre, que vous cherchez un état parfait de liberté où règnent de tels tyrans. Discourez tant qu'il vous plaira, sur la meilleure forme de gouvernement ; trouvez les moyens de fonder la plus sage république ; faites qu'une nation nombreuse trouve son bonheur à observer vos lois ; vous n'avez point coupé racine à la propriété, vous n'avez rien fait ; votre république tombera un jour dans l'état le plus déplorable. C'est en vain que vous attribuerez ces tristes révolutions au hasard, à une aveugle fatalité qui cause l'instabilité des empires, comme celle de la fortune des particuliers ; ce sont des mots vides de sens. »

Morelly


Œuvres philosophiques complètes de Morelly

Le présent volume regroupe l'ensemble des œuvres de Morelly relevant de la philosophie. 

Sont inclues : 
1743 Essai sur l'Esprit humain, ou Principes naturels de l'Éducation. 
1745 Essai sur le Cœur humain, ou Principes naturels de l’Éducation. 
1748 Physique de la Beauté, ou Pouvoirs naturels de ses Charmes. 
1755 Code de la Nature, ou le Véritable Esprit de ses Lois de tout temps négligé ou méconnu. 



A la publication du Code de la Nature, l'abbé Raynal, puis Grimm, pensant qu'il s'agit d'une œuvre de Diderot, s'accordent pour l'éreinter ; seul le marquis d'Argenson le met au-dessus de L’esprit des lois. D'environ 1762 jusqu'à la veille de la Révolution, le Code est avant tout considéré comme un ouvrage impie, philosophique. Avec l'affaire Babeuf, en 1797, le Code accède au rang de grand livre socialiste du XVIIIe siècle, et le projet de constitution qu'il contient le consacrera comme tel. Aujourd'hui le Code offre un extraordinaire condensé des thèmes et idées de l'époque, qui pourrait expliquer ses attributions diverses et notamment le souhait par Grimm que Rousseau en fût plutôt l'auteur. 

A posteriori les œuvres de Morelly possèdent la vertu de nous replonger avec une immédiateté et une fraîcheur incroyables dans les écrits du plus méconnu de ceux qui contribuèrent à ce mouvement philosophique du XVIIIe dont nous sommes encore aujourd'hui les héritiers. 






Morelly est un inconnu. Il se nommerait Etienne-Gabriel Morelly. Sa naissance se situerait à Paris vers 1717-1718, et il semblerait qu'il ait vécu dans la nébuleuse littéraire qui entourait le prince de Conti. Il est surtout connu pour être l'auteur du Code de la Nature, qui paraît en janvier 1755 (l'année du Discours sur l'Origine et les Fondements de l'Inégalité parmi les Hommes de Rousseau) et qui eut cinq éditions connues de 1754 à 1773, trois éditions plus ou moins complètes au XIXe siècle et une dizaine au XXe en France, en Allemagne de l'Est, en Russie, en Yougoslavie, en Italie. 
Le Code de la Nature, inclus dans les Œuvres complètes de Diderot éditées à Amsterdam en 1773, fut attribué à Diderot jusqu'au début du XXe siècle.


Capitalisme : système économique basé sur la propriété privée des moyens de production et structuré en vue de maximiser les profits.

Illustration :
Obélix & Compagnie


mardi, janvier 10, 2012

Les beaux jours de la mouvance néo-spiritualiste





Pendant que les nouvelles spiritualités étayent habilement leurs doctrines grâce aux découvertes scientifiques du troisième millénaire, comme le neutrino qui se déplace plus vite que la lumière et alimente des spéculations mystiques sur la matière, les organisations de lutte contre les sectes évoquent dans l'esprit de beaucoup de personnes le laïcisme, le matérialisme obtus et des idées surannées de la fin du XIXe siècle.

Dans notre société tout se vend, même les gens doivent apprendre à se vendre pour exercer une activité salariée et vivre dignement. La marchandisation, la rentabilité, les profits sont le résultat d'une doctrine politico-économique qui écrase les individus. Or les gens désirent être pris en considération, ils ont besoin d'être reconnus. Ils peuvent parfois obtenir cette reconnaissance dans la mouvance spiritualiste moderne dont les méthodes répondent à leurs attentes, notamment dans le domaine du développement personnel.

De plus, face à la crise économique, des groupes religieux offrent un lieu où se pratique la solidarité. Ces groupes permettent aussi aux délaissés, aux frustrés, d'exprimer une protestation contre les injustices sociales.

L'accroissement de la pauvreté, l'ébranlement des bases morales de la société, une angoisse collective expliquent l'essor de certain mouvements spiritualistes qui recrute en mettant en exergue :

- l'attention accordée au nouvel adhérent qui découvre qu'il est important ;

- les avantages de rejoindre une communauté fraternelle et solidaire en temps de crise économique ;

- le culte émotif, partagé et personnalisé ;

- Une doctrine spirituelle qui donne accès aux « secrets des dieux »...

Jean Vernette écrit : « On doit noter aussi le succès des poussées nouvelles autour de l'Orient (centre de Zen et Yoga, monastères bouddhistes spécialement tibétains, techniques de méditation comme la Méditation transcendantale). Mais nous ne sommes pas ici dans le domaine précis des sectes. […]

Les groupes liés à l'ésotérisme et à l'occultisme représentent un maquis en fort développement qui défie la classification :

les groupes : Théosophie, Fraternité blanche universelle, Graal, Nouvelle Acropole, Arcane, Rose-Croix, Ordres pseudo-templiers.

Les pratiques : acquisitions des "pouvoirs", rites d'initiation, astrologie, spiritisme, etc.

Les croyances : tradition primordiale comme lieu de Révélation, la conscience comme voie de salut, la réincarnation, l'avènement prochain d'une religion cosmique (dont ils représentent les prodromes).

La multiplication de ces propositions semble répondre, entre autres :

à un besoin religieux né de la peur de l'avenir et de l'inquiétude sur l'au-delà (22 % des occidentaux croient à la réincarnation, beaucoup s'intéressent à la "vie après la vie", aux "expériences proches de la mort" et à la communication avec l'autre rive) ;

à un besoin de sécurité affective et spirituelle qui se satisfait de l'acquisition d'un savoir initiatique transmis du passé et procurant un salut individuel fondé sur la connaissance ;

à un goût pour l'irrationnel, l'insolite, le mystère (de la parapsychologie devenue religion de remplacement aux groupes religieux autour des extra-terrestres) ;

à la recherche d'une sagesse plus que d'une religion. Beaucoup désirent être des "spirituels" ("en recherche") plus que des "religieux" (membres d'une religion constituée).

Ces surgissements révèlent aussi un analphabétisme religieux grandissant, joint à une boulimie primaire de chaleur humaine et de spirituel à tout prix. »


Dessin :
Tardi, Adèle Blanc-sec, le démon de la tour Eiffel.

lundi, janvier 09, 2012

Le Club des Surhommes






Comme Basam-Damdu, l'inquiétant dirigeant du Tibet des aventures de Blake et Mortimer, Jean-Claude Monnet se veut le « futur maître du monde ».

Monnet créa un groupe néo-druidique qui évolua pour devenir la Grande Loge du Vril. Le vril est l'énergie maîtrisée par un mystérieux peuple du monde souterrain. Ce peuple est décrit par Edward Bulwer-Lytton (1803-1873) dans son livre La Race à venir, celle qui nous exterminera. Cet ouvrage était le livre de chevet des dignitaires nazis (d'après Jacques Bergier). De nos jour, Zanoni ou la sagesse des Rose-Croix, également rédigé par Bulwer-Lytton, est le livre à clés des adeptes de la Rose-Croix (AMORC). Raymond Bernard, grand maître de cet ordre, écrit :

« La tradition n'a jamais cessé de faire état d'un gouvernement occulte du monde et à ce gouvernement, bien des noms ont été donnés au cours des âges, bien des résidences aussi. Au siècle dernier, Saint-Yves d'Alveydre, pour la première fois peut-être d'une manière aussi explicite et précise, s'y référait avec force détails. Son œuvre voyait le jour au bon moment et j'ai appris depuis, de la source la plus autorisée qui soit, qu'effectivement, comme lui-même le rapporte, il avait reçu des instructions définies pour publier de telles révélations. […]

Je déclarerai donc nettement que le gouvernement occulte du monde n'est plus en aucune façon ce qu'il était il y a encore une trentaine d'années. De plus, il ne se situe plus au désert de Gobi. » (Raymond Bernard, Rencontres avec l'insolite.)

Raymond Bernard, son fils est l'actuel Imperator de la Rose-Croix AMORC, ne révèle pas dans ses livres où se cache ce gouvernement mondial. Serait-il à la City de Londres, à Wall Street, à Tel Aviv, au Vatican... ? Quoi qu'il en soit, il est évident que ce gouvernement mondial, qui pourrait bientôt apparaître au grand jour, fait la part belle à la spéculation financière, aux multinationales prédatrices, aux politiciens corrompus...

Dans la Grande Loge du Vril de Jean-Claude Monnet confluent l'occultisme, les doctrines des sociétés secrètes, le nazisme, l'ufologie... En 1984, Monnet fonde son groupe ufologique, la Golden Dawn OSS. L’année suivante, la Golden Dawn OSS devient le Club des Surhommes (U-Xul-Klub) qui enseigne la vraie « religion des surhommes scientifiquement prouvée ». Son objectif est d'établir une « arche de Noé OVNI » et de sauver l'humanité en combattant « l’égalitarisme, le pacifisme, l’athéisme, le monothéisme, l’homosexualité, la démocratie parlementaire et le féminisme ».




Illustrations :

1) Basam-Damdu est le maître du Tibet. Il apparaît dans la trilogie du Secret de l'Espadon, ainsi que dans l’Étrange Rendez-vous.

2) Le colonel Olrik (ci-dessous) est le chef des services d’espionnage de l’Empire et le conseiller de l’Imperator Basam-Damdu.







L'étoile de l'Empire :

Philippe Biermé et François Nève dans leur livre consacré à Edgar P. Jacobs, Chez Edgar P. Jacobs. Dans l'intimité du père de Blake et Mortimer, considèrent que l'étoile à six pointes, l'emblème de l'empire tyrannique de Basam-Damdu, évoque l'étoile à six branches des inspecteurs de police belges, des shérifs américains, et, étonnamment, « l'étoile rouge à cinq pointes de l'Empire soviétique » (Chez Edgar P. Jacobs. Dans l'intimité du père de Blake et Mortimer, p. 108). Les deux auteurs sont catégoriques : « L'étoile de l'Empire jaune n'est pas l'étoile de David ». Mais des créateurs, comme Edgar P. Jacobs, ont parfois des intuitions bien singulières...


dimanche, janvier 08, 2012

Extrême droite & shivaïsme





En 1984 Jean-Louis Gabin, jeune prof de lettres en Seine-Saint-Denis, obtient d'Alain Daniélou un entretien. « Bientôt, Daniélou l'invite dans sa belle maison de campagne romaine et lui demande d'éditer ses inédits, tâche que Gabin poursuivra après la mort du maître en 1994. Lui aussi part en Inde, apprend le sanscrit et se convertit. Et là, le disciple confronte les textes traduits par le maître aux originaux, comme le raconte par le menu L'hindouisme traditionnel et l'interprétation d'Alain Daniélou, le livre à charge qu'il publie chez les très catholiques Éditions du Cerf. Et avec une préface de choc, signée par Mahant Veer Bhadra Mishra, grand prêtre à Bénarès, élu "héros de la planète" en 1999 pour son action en faveur de la dépollution du Gange, qui souligne que Daniélou a fait de drôles d'erreurs. Non seulement ses traductions de l’œuvre du vénérable Swami Karpatri tronquent les textes et les falsifient, mais, pis, il a présenté le maître hindou comme le fondateur du Jana Sangh (assemblée du peuple), parti d'extrême droite nationaliste, alors qu'il serait le fondateur du Ram Rajya Parishad (le conseil du royaume de Rama), un parti destiné à protéger l'hindouisme traditionnel. » (
http://www.lepoint.fr/culture/ )


Daniélou a bien commis une erreur en attribuant à Karpâtrî la création du Jana Sangh, parti d'extrême droite nationaliste très proche du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). Pourtant, dans son livre, Le Chemin du Labyrinthe, Alain Daniélou avait noté à juste titre : « Karpâtri était très hostile aux idées du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Association pour la défense des valeurs nationales) qui préconisait des méthodes inspirées du fascisme dans la lutte contre le Congrès et les idées modernistes ». L'assassin de Gandhi était un ancien membre du RSS.

Plus grave, Alain Daniélou aurait construit un système en phase avec ses fantasmes, un shivaïsme orgiaque qui permettrait d'accéder au Divin.

Dans son livre, L'Hindouisme traditionnel et l'interprétation d'Alain Daniélou, Jean-Louis Gabin « revisite l'héritage laissé par Alain Daniélou. Il s’appuie non seulement sur l’œuvre de l’orientaliste mais aussi sur des traductions nouvelles, des documents inédits et des recherches approfondies auprès des représentants autorisés de la tradition hindoue. Avec précision et clarté, il raconte sa découverte de l’hindouisme traditionnel. Il met en rapport la spiritualité indienne et l’interprétation qu’en donne Daniélou, l’hindouisme orthodoxe et le fondamentalisme sanglant de l’« hindutva ». Il tente enfin de comprendre les implications à la fois religieuses et politiques — inaperçues depuis un demi-siècle — de la démarche d’Alain Daniélou : l’auteur du « Polythéisme hindou » n’a-t-il pas développé une vision personnelle de la religion, distanciée du christianisme de sa mère et de son frère, et de l’hindouisme orthodoxe par un cheminement dans un shivaïsme ésotérique cherchant à ranimer les cendres du paganisme gréco-romain ? » (quatrième de couverture de L'Hindouisme traditionnel et l'interprétation d'Alain Daniélou)


Le racisme selon Alain Daniélou






Emmanuelle de Boysson, la petite-nièce d'Alain Daniélou, écrit :

« Pour le sanskritiste Pierre-Sylvain Filliozat, le Polythéisme d'Alain Daniélou n'est pas reconnu par les indianistes qui le jugent trop marqué par la personnalité de Karpâtri Ils y voient une interprétation trop moderne des Upanishads « Karpâtri se dit dépositaire de l'hindouisme mais a dû innover, interpréter les textes. Alain aurait pu faire l'histoire de l'interprétation. Il a adhéré à la vision de Karpâtri et a peut-être ajouté quelque chose de la sienne. » Filliozat explique que les notions de polythéisme et de monothéisme ne relèvent pas d'une dialectique indienne : «Il y a une divinité qui émet quelque chose à partir de son essence et qui se multiplie. C'est à la fois un polythéisme et un monothéisme. Les hindous ont réfléchi sur la transformation de la divinité et l'émanation de la divinité par elle-même. Il y a des émanations fortes, d'autres moins, des divinités puissantes — Shiva, Vishnu — et une kyrielle de petites. Tout cela se hiérarchise et construit un système très complexe de divinités. Dans le plus ancien des védas, le Rig-Véda, un très grand nombre de dieux apparaissent, des hymnes les glorifient mais le même éloge est fait à chacun d'entre eux. Les fidèles n'ont pas conscience d'adorer plusieurs dieux puisque tous procèdent d'un même dieu, d'un même principe. » L'homme possède une parcelle divine, l' atman, qui, à la fin du cycle de réincarnation, doit se détacher de la loi du kârma et retourner au monde divin. Retourne-t-elle à sa divinité d'élection ou à un dieu « général », en une fusion avec le Brahman ? Au fond, cela ne change pas grand-chose... En Inde, plusieurs voies coexistent, certains préfèrent Vishnu, d'autres Ganesh ou Shiva. Si Alain a sans doute accentué l'aspect polythéiste, dans son Hindouisme vivant, Jean Herbert insiste sur le fond monothéiste de la religion indienne, rejoignant par là une pensée chère à René Guénon. Selon Herbert, il n'y aurait qu'une divinité unique : Brahman (à ne pas confondre avec le dieu Brahmâ), un principe divin ne possédant ni histoire, ni mythologie propre, ni caractéristique définie au point qu'aucune sculpture ne le représente. Ce principe unique, de nature abstraite et philosophique, contient l'idée sous-jacente d'un Dieu à facettes multiples mais un. Il faut cependant le distinguer nettement du monothéisme des religions du Livre, le séparer du Dieu des juifs qui est une idée, du Dieu des chrétiens qui est une personne et lui substituer un être divin dont les aspects n'en formeraient qu'un seul, polymorphe. Pour Alain, il s'agit là d'un leurre et la diversité reste, à ses yeux, un élément de richesse spirituelle en soi qui demande à n'être unifiée par rien. Seule l'Énergie est unificatrice et les noms qu'elle porte tiennent lieu de symbole. » 


L'Hindouisme traditionnel 
et l'interprétation d'Alain Daniélou




samedi, janvier 07, 2012

Les religions et la domination du monde





Les religions de l'Âge des conflits

Par Alain Daniélou

Parmi les phénomènes caractéristiques du Kali Yuga, se trouve l'apparition des fausses religions qui éloignent l'homme de son rôle dans la création et servent d'excuse à ses déprédations, à ses génocides, et finalement le mènent à son suicide collectif. Les religions de la cité prennent le pas sur la religion de la nature.

D'après les Purânas, la lutte des religions de la cité contre le dieu de la nature se développa sous une forme perverse. Il s'agissait de créer des religions illusoires qui pervertiraient la religion vraie de l'intérieur.

Dans le Shiva Purâna, la création des religions nouvelles est décrite principalement sous la forme du Jaïnisme, religion puritaine, moraliste et athée, pratiquée surtout aujourd'hui par la caste des marchands, et qui est à la base des religions modernes, car elle a profondément influencé le Bouddhisme et plus tard l'Orphisme et le Christianisme.

Selon le Shiva Purâna :

«Le dieu Vishnou, pour pouvoir détruire les Asuras, les Titans dévoués au culte de Phallus, chercha à intervenir dans leurs rites disant : Aussi longtemps qu'ils vénèrent Shiva et observent les règles de conduite shivaïtes, il est impossible de les détruire. Il faut donc détruire leur religion et qu'ils renoncent à vénérer le phallus de Shiva. Vishnou commença donc à ridiculiser les rites afin de mettre obstacle aux vertueuses activités des Asuras... Il créa une sorte de prophète qui, la tête rasée, prêchait une religion nouvelle. Ce prophète forma quatre disciples qui enseignèrent des rites hérétiques. Ils portaient une cruche à la main. Ils couvraient leur bouche d'un morceau d'étoffe. Ils parlaient peu disant seulement quelques mots tels que : « la vertu est le plus grand des biens, la vraie essence des choses », et autres banalités. Ils marchaient lentement pour ne pas faire de mal à des créatures vivantes. Ils s'établirent dans un jardin aux abords de la ville. Mais leur magie était impuissante aussi longtemps que Shiva y était vénéré.

« Le perfide brahmane Nârada alla rendre visite au roi des Asuras et lui parla : Un homme extraordinaire est arrivé ici qui possède toute la sagesse. J'ai connu beaucoup de cultes, mais je n'en ai jamais vu de comparable. Grand roi des Asuras ! Tu dois te faire initier à ce culte. Le roi se fit initier avec ses parents et les habitants des trois cités. La ville se remplit de disciples du prophète, grand expert dans l'art de l'illusion...

« Le prophète leur enseigna la non-violence : Il n'est pas d'autre vertu que la charité envers les êtres vivants... Notre devoir est de nous abstenir de tuer. La non-violence est la plus grande des vertus... Les textes qui encouragent le sacrifice des animaux ne sont pas acceptables pour un homme de bien. Comment peut-on prétendre gagner le ciel en coupant les arbres, tuant les animaux, répandant du sang et faisant brûler des graines de gingembre et du beurre. Nos ancêtres croyaient que les différentes races d'hommes étaient issues de la bouche, du bras, de la cuisse et des pieds de Brahmâ. Comment pourraient des enfants, issus du même corps, être de nature différente. Il ne faut pas considérer qu'il existe une différence entre un homme et un autre. Il critiqua ensuite le manque de vertu des femmes, prôna la continence chez les hommes, parla avec mépris des rites et du culte du phallus. Les citoyens devinrent ennemis des rites, et le mal se répandit. C'est alors que les dieux purent détruire la cité. » (Shiva Purâna, Rudra Samhitâ, y, chap. 3-4-5.)

Ce discours, avec peu de changements, pourrait être celui qu'un Chrétien adressa à l'empereur des Romains. Il rappelle aussi les enseignements de Gandhi. « Après la chute des trois cités des Asuras, les hérétiques tonsurés se présentèrent devant les dieux « Ô dieux, que devons-nous faire ? Nous avons détruit la foi des Asuras en Shiva. C'est selon votre désir que nous avons accompli cet acte abominable. Qu'adviendra-t-il de nous ? » Les dieux dirent : « Jusqu'à l'arrivée de l'Âge de Kali, restez cachés dans le désert. Lorsque viendra le Kali Yuga, vous propagerez votre religion. Les fous inconscients de l'Age des Conflits seront vos fidèles. » (Shiva Purâna, Rudra Samhitâ, V chap. I 2.)

S'appuyant sur des conceptions qui remplacent le respect des dieux et de l’œuvre divine par de prétendues vertus humaines, les rois et les cités s'opposèrent au Shivaïsme avec violence. Les anciens dieux furent dévalorisés et dépossédés. Les religions nouvelles, le Jaïnisme et le Bouddhisme, se répandirent dans l'Inde ; le Judaïsme, l'Orphisme, le Christianisme et l'Islam en Occident. Ces religions — quels qu'aient été le caractère et l'intention première de leurs fondateurs — sont devenues essentiellement des religions d'État de caractère moraliste. Elles ont permis au pouvoir centralisé d'imposer un élément d'unification à des populations très diverses par leurs croyances, leurs coutumes et leurs rites. Nous verrons partout ces religions, tout en parlant d'amour, d'égalité, de charité, servir d'excuse et d'instrument aux conquêtes culturelles et matérielles. Le bouddhisme, né dans la caste royale des Kshatriyas, permit aux empereurs indiens de se libérer de la domination de la classe sacerdotale et a été un prodigieux instrument d'expansion coloniale. Le massacre des populations shivaïtes de l'Orissa par Ashoka a laissé des traces jusqu'à nos jours. Les empereurs Maurya, Ashoka et ses successeurs imposèrent le Bouddhisme en Inde. A travers cette nouvelle religion, l'influence indienne se répandit peu à peu en Asie centrale, au Tibet, en Mongolie, en Chine, en Birmanie, en Asie du Sud-Est et jusqu'au Japon d'une part, et à un moindre degré dans le Moyen-Orient et la région méditerranéenne de l'autre.

En Occident, l'Orphisme, en s'insérant dans le Dionysisme, en dénatura le caractère. L'Orphisme était une adaptation du Dionysisme à la manière de sentir des Grecs. Il correspond aux formes du Shivaïsme incorporé dans l'Hindouisme aryen. Les sources de l'Orphisme ont été considérées comme obscures. Orphée n'est qu'un chantre merveilleux pour les anciens poètes : Pindare, Simonide, Eschyle, Euripide. Dans les textes qui se référent aux mystères dionysiaques, on ne trouve aucune référence ni à l'Orphisme ni au sacrifice du jeune dieu Zagréus déchiré par les Titans. L'Orphisme apparaît comme une sorte de réforme à l'intérieur du Dionysisme. On y sent l'influence de la pensée jaïna. Il serait erroné de le considérer comme représentatif du Dionysisme originel. L'Orphisme revendique pour Dionysos un rôle exceptionnel dans un nouvel âge du monde, mais c'est un Dionysos adapté à une autre tradition et qui s'éloigne sous beaucoup d'aspects des principes fondamentaux liés au culte du Dionysos ancien. Les milieux dionysiaques étaient en fait hostiles au mouvement orphique.

De nombreux moines indiens propageaient la philosophie jaïna dans la Grèce classique, et leurs théories avaient beaucoup d'attrait pour les Grecs. C'est d'ailleurs un sage jaïna qu'Alexandre voulut ramener de l'Inde, mais qui se suicida en route selon le rite jaïna en prédisant d'ailleurs la mort prochaine d'Alexandre. Comme le Jaïnisme, l'Orphisme met surtout l'accent sur des pratiques d'abstinence. Orphée avait appris aux hommes à éviter le meurtre, appliquant comme les Jaïnas la notion de meurtre à tout être vivant. Ses fidèles étaient strictement végétariens et portaient, comme les Jaïnas, lorsqu'ils n'étaient pas nus, des vêtements blancs. Ils refusaient l'usage de la laine parce que de provenance animale. Nous verrons plus tard les Soufis, par réaction, exiger au contraire le port de vêtements de laine. L'Orphisme fut un puissant élément d'émasculation du Dionysisme et prépara la venue du Christianisme, qu'il influença profondément.

Le culte de Mithra, qui se développa en Italie en même temps que le Christianisme, représente un effort pour revenir au shivaïsme ancien. Il a joué lui aussi un rôle dans la formation des mythes et des rites chrétiens.

Ce culte aurait été importé en Italie, selon Plutarque, en 67 av. J.-C., par des pirates ciliciens capturés par Pompée. Il connut une importante diffusion s'étendant à toute l'Europe. Il s'agissait d'une association secrète avec des rites occultes, réservés aux hommes, qui avait à l'origine, parmi ses buts, la résistance armée à l'impérialisme romain. Mithra est le dieu aryen de l'Amitié, des Contrats. Personnification de la camaraderie, il convenait à une organisation secrète de soldats assermentés. Toutefois, tous les symboles et rites d'initiation sont dérivés du Shivaïsme avec pour centre le culte et le sacrifice du taureau. Le croissant de lune, comme dans le Shivaïsme, symbolise une coupe de sperme de taureau, source de vie. Dans les sanctuaires se trouve l'image du Temps représenté par un monstre à tête de lion entouré de serpents — transposition de Kali, la « Puissance du temps », entourée de serpents et dont le lion est la personnification dans le règne animal. Le sanctuaire de Mithra est une caverne où a lieu le sacrifice du taureau. Chevauchant le taureau, Mithra, l'invincible, prend la place de Niké (la Victoire) vénérée par les légions romaines. Les rites sont précédés de banquets où sont consommés le pain et le vin ainsi que la chair de la victime divine, le taureau sacrifié. On fête le 25 décembre la naissance de Mithra, né d'une « pierre à feu », rappelant la hache de pierre symbole du labyrinthe. Ce culte guerrier, qui faillit devenir la religion de l'empire et s'opposa au Christianisme, disparut peu à peu au Ve siècle. Le Mithraïsme avait été une tentative pour recréer une société initiatique d'inspiration shivaïte dans un monde occidental. C'est une expérience qui pourrait servir un jour d'exemple.

Le monothéisme

L'illusion monothéiste est l'une des caractéristiques des religions du Kali Yuga. Les techniques et les rites qui nous permettent de prendre conscience de la présence des êtres subtils doivent tenir compte de la totalité de l'être humain et de sa place dans le cosmos. Le principe du monde est indéfinissable, mais toute existence implique la multiplicité. Le Principe est au-delà de la manifestation, au-delà du nombre, au-delà de l'unité, au-delà du créé. « Il n'est saisissable ni par l'œil, ni par la parole, ni par les autres sens, ni par l'ascèse ou les pratiques rituelles. » (Mundaka Upanishad, I, 8.)

Le divin est défini, dans la philosophie shivaïte, comme « ce en quoi les contraires coexistent ». Nous trouvons la même définition chez Héraclite. « L'union des contraires » (coincidentia oppositorum) était pour Nicolas de Cusa la définition la moins imparfaite de Dieu.

L'homme, faisant partie du créé, ne peut concevoir ou connaître que les aspects multiples de la divinité. Le monothéisme est une aberration du point de vue de l'expérience spirituelle. Issu d'une conception cosmologique qui aboutit à l'idée d'une cause première, ou d'ailleurs d'un dualisme premier, le monothéisme ne saurait s'appliquer à la réalité de l'expérience religieuse. On ne saurait communiquer avec la cause première de l'univers, au-delà des galaxies, pour recevoir des instructions personnelles d'ordre pratique. Une telle simplification fait partie de ce que les Hindous appellent « la métaphysique des imbéciles » (anadhikâri védânta).

Métaphysiquement, le nombre « 1 » n'existe pas, si ce n'est pour représenter un partiel ou une somme, car rien n'existe que par rapport à quelque chose d'autre. L'origine du monde ne peut être attribuée qu'à l'opposition de deux principes contraires et à la relation qui les unit. Le premier des nombres est donc le nombre « 3 », représenté dans la cosmologie hindoue par une trinité dont la signature se retrouve dans tous les aspects du créé, mais dont les principes composants ne sauraient être perceptibles ou concevables que dans leurs manifestations multiples. Les puissances subtiles que nous pouvons appeler des dieux ou des esprits, dont nous pouvons percevoir la présence, qui peuvent concerner le monde des vivants, sont innombrables comme les formes mêmes de la matière et de la vie auxquelles elles président.

Le principe lui-même ne peut être personnifié. « Seul, l'adepte (dhirah), par la connaissance supérieure, arrive à concevoir la présence en toutes choses de ce qui ne peut être perçu ni appréhendé, qui est sans attaches ni caractéristiques, qui n'a ni yeux, ni oreilles, ni mains, ni pieds, qui est éternel, multiforme, omniprésent, infiniment subtil et immuable, la matrice des êtres. » (Mundaka Upanishad, I, I, 6.)

La simplification monothéiste semble issue d'une conception religieuse de nomades, née chez des peuples qui cherchent à s'affirmer, à justifier leur occupation de territoires et leurs conquêtes. Le dieu est imaginé à l'image de l'homme. Il est réduit au rôle d'un guide qui accompagne la tribu dans ses migrations, donne des instructions personnelles à son chef. Il ne s'intéresse qu'à l'homme et, parmi les hommes, qu'au groupe des « élus ». Il devient une excuse facile à la conquête, au génocide, à la destruction de l'ordre naturel, comme nous pouvons l'observer tout au long de l'histoire. A l'origine, il n'exclut pas les dieux des autres tribus, les « faux dieux », mais uniquement pour les opposer, les détruire, et imposer sa domination et celle de « son peuple ». Nous pouvons suivre ce passage du polythéisme à l'exclusivisme, puis au monothéisme dans l'évolution de la religion du peuple hébreu.

Tout homme peut arriver par des pratiques extatiques à entrer en contact avec le monde mystérieux des esprits, monde dont la nature reste toujours indéfinissable et incertaine. Ce sont les soi-disant « prophètes », qui prétendent communiquer directement avec un dieu personnel et unique, édictant des règles de conduite qui ne sont en fait que des conventions sociales et n'ont rien à voir avec la religion ou le domaine spirituel, qui ont été les principaux artisans des déviations du monde moderne. Le monothéisme est contraire à l'expérience religieuse des hommes ; il n'est pas un développement naturel, mais une simplification imposée. La notion d'un dieu, qui, ayant créé le monde, attendrait quelques millions d'années pour enseigner aux hommes, avec un retard difficilement excusable, la voie du salut, est évidemment une absurdité.

Les religions monothéistes ont toujours pour point de départ la pensée, l'enseignement d'un homme, qu'il se dise ou non le messager, l'interprète d'une puissance transcendante qu'il appelle dieu. Ces religions s'expriment en dogmes, en règles concernant la vie de l'homme. Elles deviennent inévitablement politiques et forment une base idéale pour les ambitions expansionnistes de la cité. Parmi elles, le Judaïsme, le Bouddhisme, le Christianisme et l'Islam sont théistes, le Jaïnisme et le Marxisme sont athées.

Adopté par le Judaïsme — qui ne fut pas monothéiste à l'origine — le concept du « dieu unique » à figure humaine est en grande partie responsable du rôle néfaste des religions ultérieures. Moïse, influencé probablement par les idées du pharaon Akhaténon, fit croire au peuple juif en l'existence d'un chef de tribu qu'il appelait le « dieu unique » et duquel il prétendit recevoir des instructions. Mohammed devait plus tard se comporter de même. Ces imposteurs sont à la source de la perversion religieuse du monde sémitique et judéo-chrétien. Ce « dieu », dont tant d'autres après eux ont prétendu interpréter les intentions jusque dans les domaines les plus relatifs, a servi de prétexte et d'excuse à la domination du monde par divers groupes d'« élus » et à un orgueilleux isolement de l'homme par rapport à l’œuvre divine.

L'impertinence et l'orgueil avec lesquels les « croyants » attribuent à « dieu » leurs préjugés sociaux, alimentaires, sexuels, qui d'ailleurs varient d'une région à l'autre, seraient comiques s'ils n'aboutissaient pas inévitablement à des formes de tyrannie, de caractère purement temporel. L'obligation de se conformer à des croyances et des modes d'action arbitraires est un moyen d'avilir et d'asservir la personnalité de l'individu, dont toutes les tyrannies, religieuses ou politiques, de droite ou de gauche, ne savent que trop bien se servir.

Le problème chrétien

Il faut distinguer le Christianisme des autres religions monothéistes, car, bien qu'il soit devenu un exemple typique des religions de la cité, il n'est pas certain qu'il représente l'enseignement réel du Christ lui-même dont il se réclame. Le message de Jésus s'oppose à celui de Moïse et, plus tard, de Mohammed. Il semble avoir été un message de libération et de révolte contre un Judaïsme devenu monothéiste, desséché, ritualiste, puritain, pharisien, inhumain. Sous sa forme romaine, le Christianisme s'opposa d'abord à la religion officielle de l'Empire comme il s'était opposé au Judaïsme officiel, à la religion d'État. Nous ne savons pas grand-chose des sources de l'enseignement de Jésus, de son initiation, de son séjour « dans le désert » vers l'Orient. Le mythe chrétien apparaît très lié aux mythes dionysiaques. Jésus, comme Skanda ou Dionysos, est fils du Père, de Zeus. Il n'a point d'épouse. Seule la déesse mère trouve place auprès de lui. Il est entouré de ses fidèles, de ses bhaktas qui sont des gens du peuple, des pêcheurs. Son enseignement s'adresse aux humbles, aux marginaux. Il accueille les prostituées, les persécutés. Son rite est un sacrifice. C'est dans la tradition orphique que la passion et la résurrection de Dionysos occupent une place centrale. C'est à travers l'Orphisme que nombre de « miracles » de Dionysos furent attribués à Jésus. Divers aspects de la légende du Dionysos orphique se retrouvent dans la vie de Jésus. Le parallèle est évident entre la mort et la résurrection du dieu et celle du Christ.

Les mythes et les symboles liés à la naissance de Jésus — son baptême, son entourage, son entrée à Jérusalem sur un âne, la Cène (rite du banquet et du sacrifice), la Passion, la mort, la résurrection, les dates et la nature des fêtes, le pouvoir de guérir, de changer l'eau en vin — évoquent inévitablement des précédents dionysiaques.

Il semblerait donc que l'initiation de Jésus ait été une initiation orphique ou dionysiaque, et non pas essénienne comme on l'a parfois suggéré. Son message, qui représente une tentative de retour à la tolérance, à un respect de l'œuvre du Père Créateur, fut totalement dénaturé après la mort de Jésus. Le Christianisme ultérieur en est, en effet, exactement l'opposé, avec son impérialisme religieux, son rôle politique, ses guerres, ses massacres, ses tortures, ses bûchers, ses persécutions des hérétiques, sa négation du plaisir, de la sexualité, de toutes les formes d'expérience de la joie divine. Cela n'est pas apparent à ses débuts. Les Chrétiens furent accusés de sacrifices sanglants, de rites érotiques et orgiastiques. Il est difficile de savoir sur quoi ces accusations étaient fondées. Elles seront répétées en ce qui concerne les organisations de caractère mystique, initiatique, plus ou moins secrètes, qui cherchèrent à perpétuer le Christianisme originel. De telles sectes tendent toujours à reparaître dans le monde chrétien, même si, séparées de leur tradition originelle, il s'agit le plus souvent de tentatives naïves, aisément exploitées et perverties.

Nous retrouvons le symbolisme trinitaire hindou à la base de la Trinité chrétienne. Le Père, du fait même qu'il a un Fils, représente le principe générateur, Shiva, le Phallus. Le Fils est le protecteur qui s'incarne dans le monde pour le sauver comme Vishnou et ses avatâras. Le Saint-Esprit, « qui procède du Père et du Fils », est l'étincelle qui unit les deux pôles. Il est appelé Brahmâ, l'Immensité. Le Fils, comme Vishnou, est l'équivalent de Shakti, le principe féminin, la Déesse. Il est donc d'une certaine façon androgyne. Son culte se mélange à celui de la Vierge Mère. Les efforts de l’Église pour dissimuler ses sources ont abouti à l'oubli de la signification du mythe chrétien et conduit à des interprétations matérialistes pseudo-historiques dépourvues de tout sens universel.

Le Polythéisme reste toutefois sous-jacent dans le monde chrétien où l'on remplace simplement les noms des anciennes divinités par des noms de saints. Comme le Bouddhisme du Mahâyâna, le Christianisme a assimilé de nombreux rites, symboles et pratiques des anciens cultes auxquels il se substitua. Il n'existe pratiquement aucun sanctuaire chrétien qui soit dédié à « Dieu ». Tous sont sous l'égide de la Vierge Mère ou d'innombrables divinités appelées des saints. Dans un milieu polythéiste, le Christianisme se fond aisément dans la religion traditionnelle, comme on peut l'observer par exemple dans la religion de l'Inde populaire où l'on invoque tantôt la Vierge, tantôt la déesse Kali, où se confondent le culte de Skanda ou de Krishna-enfant et celui de l'enfant Jésus, où l'esprit (bhûta), qui prend possession des participants au cours des cérémonies de danse extatique, prend le nom d'un saint chrétien quelconque.

Le Christianisme n'est devenu une religion importante qu'à partir du moment où il servit d'instrument à la puissance impériale de Rome. Longtemps, le Dionysisme et ses variantes lui disputèrent la primauté. N'oublions pas que les Dionysiaques de Nonnos datent du Ve siècle de notre ère. C'est à partir du IVe siècle que Constantin décida d'utiliser l’Église comme moyen d'unification de l'Empire. L'histoire religieuse du monde et l'évolution du Christianisme lui-même auraient été tout autres si ce choix politique n'était pas tombé sur cette foi nouvelle.

Le Christianisme devint un instrument de conquête et de domination du monde comme le Bouddhisme l'avait été pour les empereurs indiens. Cette forme d'action s'est perpétuée jusqu'à nos jours, permettant d'éliminer les cultes et les dieux autochtones de l'Europe et du Moyen-Orient, et plus tard d'étendre cette action au monde entier, privant les peuples de leurs dieux, donc de leur force, de leur personnalité, les réduisant à un état de dépendance morale et rituelle, prélude de leur complète annexion et assimilation. L'Amérique « latine » en est un exemple récent. L'Islam, puis le Marxisme ont aujourd'hui pris la relève.

Les missionnaires chrétiens, souvent mandatés par des gouvernements athées, comme ce fut le cas pour la France — qui par ailleurs, sous la IIIe République, avait banni les congrégations religieuses — , ont été l'élément le plus puissant de la dépersonnalisation des peuples conquis et de leur asservissement au conquérant. L'excuse religieuse permit l'extermination des éléments réfractaires qui restaient attachés à leur culture, à leurs traditions, à leurs dieux. Le Christianisme ultérieur, « religion typique du Kali Yuga » (J. Evola, Le Yoga tantrique, p. 9), est à peu près l'antithèse de ce que nous savons des enseignements du Christ. Il représente essentiellement la religion de la cité, de caractère social et moraliste. « Si nous séparons l'Évangile de l'Église, celui-ci devient fou », écrivait Jean Daniélou dans son dernier livre, montrant à quel point l'Église s'est éloignée du message de Jésus, qu'elle ignore et rejette en fait.

L'Islam a utilisé le même monothéisme primaire et le même puritanisme agressif comme moyens de conquête et de domination. Dans l'Inde, soumise à la domination islamique, puis chrétienne, le Sikhisme d'inspiration musulmane, puis l'Arya Samâj de Dayânanda Sarasvati et le Brahmo Sardij de Dévendranath Tagore (père du poète), et enfin le Gandhisme avec ses tendances monothéistes, son puritanisme, sa sentimentalité, inspirée des missionnaires chrétiens, sont des manifestations récentes de ces mêmes tentatives d'adaptation de la religion traditionnelle en se conformant aux préjugés sociaux des conquérants afin soi-disant de mieux pouvoir les combattre. Cela toutefois devait aboutir à des tragédies culturelles et humaines. Le culte marxiste (ou le « libéralisme » du XXIe siècle, note de Bouddhanar), qui tend aujourd'hui à se substituer au Christianisme, ne s'intéresse qu'à l'homme social et empêche son épanouissement individuel. Il représente l'aboutissement de cette tendance. Il est l'antithèse absolue du Shivaïsme et du Dionysisme.

Le message de Jésus est-il récupérable ? Ce n'est pas impossible. Il faudrait pour cela un retour à un Évangile moins sélectif et la redécouverte de tout ce que l'Église a soigneusement caché et détruit de ses sources et de son histoire, y compris les textes évangéliques soi-disant apocryphes dont certains sont plus anciens que les Évangiles reconnus par l'Église. Cela permettrait de revenir à ce que l'enseignement du Christ a pu être en réalité, c'est-à-dire une adaptation pour un monde et une époque particulière de la grande tradition humaine et spirituelle, dont le Shivaïsme et le Dionysisme représentent l'héritage. Le Christianisme originel ne s'est complètement séparé de ses sources que tard. Il a longtemps abrité des sectes initiatiques et mystiques continuant les pratiques dionysiaques Il n'est pas absolument exclu qu'il puisse retrouver son sens primordial. Dépouillée des fausses valeurs dont, depuis saint Paul, on a entouré son enseignement, la personne du Christ peut éventuellement être réincorporée dans la tradition shivaïte-dionysiaque. Cela évidemment ne peut se faire qu'en dehors de ceux qui osent prétendre être les représentants de « Dieu » sur la terre et les interprètes exclusifs de « Sa » volonté. Une religion véritable ne peut être fondée que sur un humble respect de l’œuvre divine et de son mystère. Il est étrange que ce soit aujourd'hui la science athée, dans son effort pour comprendre sans préjugé la nature du monde et de l'homme, qui soit moins éloignée d'une religion véritable que le dogmatisme aberrant des Chrétiens.

« On dit que l'Occident moderne est chrétien, mais c'est là une erreur. L'esprit moderne est antichrétien parce qu'il est essentiellement antireligieux... L'Occident a été chrétien au Moyen Âge, mais ne l'est plus. » (René Guénon, La Crise du monde moderne, p. 111-112.) C'est en effet à partir des environs de l'an 1000 qu'apparaît l'idée que l'homme est capable de dominer le monde, de rectifier la création, de donner en quelque sorte un coup de main à Dieu. Cela représente une transformation profonde dans l'attitude du monde chrétien. C'est donc en dehors des églises que le Christianisme pourrait redevenir, en se rattachant à ses sources, une religion véritable, c'est-à-dire universelle, religion de l'homme tout entier, de l'homme qui retrouve sa place dans le monde naturel et rétablit ses rapports avec le monde des esprits, de la nature et des dieux. Le dernier à le comprendre dans le monde chrétien fut saint François d'Assise. Une religion est en principe une méthode, une manière de se rapprocher du divin. Une religion vraie ne peut pas être exclusive, ne peut pas prétendre détenir la seule vérité, car la réalité divine a de multiples aspects, et les voies qui mènent au divin sont innombrables.

Alain Daniélou, Shiva et Dionysos.

Alain Daniélou

Par Emmanuelle de Boysson

Toute sa vie, Alain aura été un indéfinissable, un inclassable. Indianiste, musicologue et traducteur, il n'est pas ambitieux, ne cherche pas la reconnaissance. Il est lui-même singulier, agaçant, charmeur. Il trouve dans la civilisation de l'Inde ancienne le raffinement, les rites et l'art musical qui lui correspondent. De l'Inde, Alain gardera deux préceptes philosophiques :

« Le divin est partout dans un monde qui n'est que mouvement. »

« Profite de ce que les dieux t'abandonnent et n'envie jamais ce qui appartient à d'autres. »

Son Histoire de l'Inde, bien que contestée par certains indianistes, a été couronnée par l'Académie française. Alain y donne une vision qui colle à son expérience personnelle, à la finalité de son travail : la recherche de ce qui unit les civilisations et les continents. L'histoire de l'humanité est celle de grands cycles où les civilisations se meurent comme s'éteignent les étoiles lorsqu'elles contrarient l'harmonie des dieux. L'Inde est « une sorte de musée de l'histoire où ont été préservées dans des compartiments séparés les cultures, les races, les langues qui se sont rencontrées. Rêve de mort, rêve d'immortalité, l'Inde, couronnée par l'Himalaya, mais émergeant de sa solitude, conserve un secret que nul ne saurait lui dérober ». Alain reconstitue, d'une façon plutôt didactique, le puzzle, attentif à la permanence des cultures et des traditions plus qu'au flux des événements. Au-delà des oppositions, des idées reçues, des conquêtes, se tisse une « trame secrète ». En sanskrit, le premier sens de tantra est « trame ». Alain se penche sur l'enchevêtrement secret des fils, sur une histoire liée à une vision ésotérique : « Dans l'ignorance où l'on est des origines, on fragmente trop l'histoire. » Son parti pris correspond à ses convictions. Il est impossible de rester extérieur au drame d'une Inde colonisée. Alain revendique son engagement politique, il défend les valeurs de l'Inde ancienne. Il se donne pour mission de sauver et diffuser musiques traditionnelles.

Il faut concevoir son œuvre comme une arborescence dont le but principal est de restituer, expliquer, définir la singularité des religions indiennes. L'Histoire de l'Inde s'ouvre sur l'évocation d'une civilisation brillante, une des plus évoluées et des plus raffinées du monde antique : la civilisation de l'Indus qui vécut sur le territoire du Pakistan actuel, 3 000 ans avant J.-C. La religion prédominante chez les Dravidiens est le shivaïsme. Les adorateurs de Shiva vivaient dans les trois cités du soleil. D'après les Puranas (les anciennes chroniques), c'est vers le IVe millénaire avant Jésus-Christ que le dieu Shiva se manifesta sur la terre indienne et enseigna aux hommes la religion, la philosophie, les arts et les sciences. Cette religion resta dominante jusqu'à l'arrivée des Aryens qui l'attaquèrent violemment. Pourtant, le shivaïsme survivra et restera jusqu'à nos jours la religion du peuple. La grande civilisation des Dravidiens s'est répandue jusqu'en France puisqu'un lien existe entre Dravidiens et Celtes. Des vestiges subsistent en Bretagne. Dolmens, mégalithes et lingas attestent de l'influence du shivaïsme en Occident et de croyances en certains pouvoirs des dieux de la nature.

Dans le milieu des indianistes, Alain Daniélou est très critiqué. On lui reproche, entre autres, d'avoir occulté l'influence musulmane, de minimiser le bouddhisme et surtout de s'en tenir à une vision personnelle plus qu'à une analyse historique objective. Alain, qui témoigne d'une incompréhension de toute forme de monothéisme, considère le bouddhisme comme « un instrument puissant d'influence culturelle et le principal véhicule de l'expansion coloniale en Inde ». Il ne se soucie pas plus des « trois voies » du bouddhisme que du Coran ou de la Bible. Son esprit et son cœur ne s'émeuvent et ne s'orientent que vers la multiplicité du divin et son caractère polymorphe. Selon lui, si en Inde le bouddhisme ne semble pas avoir atteint les classes populaires, il intègre au Tibet les religions antérieures dont le culte shivaite. C'est le Grand Véhicule, par opposition au bouddhisme originel, le Petit Véhicule. Traduit par Alain, Le Scandale de la vertu dépeint le haut degré de civilisation de la dynastie des Cholas (IIe siècle). Selon lui, « à partir du moment où les musulmans arrivent en Inde, l'histoire de l'Inde n'a plus aucun intérêt. C'est une longue série de meurtres, de massacres, de spoliations, de destructions... La loi coranique est la seule loi reconnue. Peine de mort, mutilations, taxes lourdes... Une grande partie de la population est réduite à l'esclavage ».

Les spécialistes de l'Inde reprochent à Alain ce qu'ils appellent son sectarisme et que, lui, aurait qualifié de respect total de l'unique tradition. Certains parlent d'amateurisme, le suspectent de ne posséder que de faibles lumières en sanskrit. Or, cette connaissance des langues indiennes (sanskrit, hindi, tamoul) explique l'amitié et la confiance que lui portait Louis Renou, un des meilleurs sanskritistes avec Pierre-Sylvain Filliozat. C'est d'abord à Alain que Renou s'adresse pour un conseil de traduction. « Daniélou ne connaît pas nos méthodes mais, quand je ne comprends pas un texte, c'est à lui que je le demande », reconnaît-il. De plus, dans la correspondance qu'Alain échange avec René Guénon de 1942 à sa mort, celui-ci ne cesse de lui demander conseil pour la traduction de mots précis. On reproche surtout à Alain de ne pas appartenir au modèle universitaire, d'avoir refusé toute affiliation au système occidental et plus particulièrement français. Il ne brigua jamais de poste et aurait sans doute partagé l'opinion de Péguy qui écrit que « si les chaires de la faculté sont si convoitées, c'est d'abord parce qu'on y est assis » !

Emanuelle de Boysson, Le cardinal et l'hindouiste.


Shiva et Dionysos



Illustration « La morale très chrétienne des conquistadores » :

Balboa a la réputation d'avoir été le plus humain des conquistadores... Indigné par la pratique de la sodomie des Indiens, il en punit quarante de ce vice abominable en les livrant à ses chiens. (Le Livre des Antipodes, Johann Ludwig Gottfried, 1630)


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Extrême droite & shivaïsme


Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...