dimanche, avril 15, 2012

L'iboga, le bois sacré





Le chamanisme fait souvent penser aux hauts plateaux d'Asie et aux étendues septentrionales d'Amérique. Mais il s'est également développé en Afrique, notamment en Afrique Équatoriale, au sein de l'aire Bantoue. Il s'est transmis et développé ensuite plus particulièrement au Gabon, chez les Mitsogho (ou Tsogho).

Les Mitsogho ont en effet un rite chamanique, le bwiti. Il fait appel à l'iboga, une plante psychoactive employée dans un but initiatique (localement appelée « eboga »). Le rite bwiti est tant lié à cette plante qu'on parle parfois de religion Eboga, ce qui est un peu réducteur. Le rite bwiti est également passé chez certains groupes Fang (au Cameroun, mais aussi au Gabon), chez lesquels il remplace un autre rite, celui du byeri. Le byeri fait appel à une autre plante psychoactive, l'alan (Alchornea floribunda), aux effets réputés moins puissants, raison qui ont conduits certains Fang à adopter le bwiti. Au Congo-Kinshasa, le bwiti a donné naissance au rite Zebola chez les Mongo, une forme de psychothérapie traditionnelle.

Le rite bwiti

Il s'agit d'une cérémonie secrète de passage d'un néophyte — un jeune homme — vers la vie adulte. Schématiquement, celui-ci est d'abord invité à retrouver symboliquement l'état d'avant la naissance. Puis on lui fait mastiquer de la racine d'iboga, sous la surveillance d'un aîné initié qui lui sert de « mère symbolique » durant le rite. La mastication d'iboga entraîne tout d'abord l'apparition de violents et incontrôlables vomissements. Le néophyte se vide symboliquement. « y compris du lait de sa mère ». Ensuite surviennent les hallucinations, sous forme d'images se succédant rapidement. Durant cette phase, le néophyte reste en contact avec sa « mère » et les autres hommes participant au rite, qui peuvent l'interroger sur ses sensations. Ils disposent en effet d'un antidote à l'iboga, si les choses venaient à se compliquer. Le néophyte doit passer par quatre stades successifs, dont le dernier consiste à ressentir l'état de « mort initiatique ». consistant à entrer en contact avec les fondateurs de la cosmogonie Mitsogho, Nzamba-Kana et Disumba. Ce n'est qu'a ce prix que le néophyte sera considéré comme ayant l'instruction suffisante pour gagner la qualité d'initié. Il devient un nganga, c'est-à-dire un guérisseur (en langage politiquement correct, on parlera de « tradipraticien »). Les stades successifs correspondent en réalité à une intoxication graduelle par l'iboga, effectuée sous contrôle.

Comme de très nombreux rites tribaux à travers le monde, le bwiti connaît des variantes locales, avec par exemple une forme destinée aux femmes.

Du bwiti à la médecine...

En 1962-1963, Howard Lotsof, un jeune américain en proie à l'héroïne, expérimenta l'iboga et découvrit une propriété intéressante de la plante : dans des conditions bien particulières, elle supprime l'addiction physique aux drogues opiacées. Lotsof étudia d'abord sur lui, puis sur d'autres, la propriété qu'a l'iboga de jouer le rôle d'un « interrupteur de la dépendance chimique ». Lotsof deviendra chercheur, déposera 20 ans plus tard deux brevets à propos de la « procédure Lotsof », au moment où d'autres études arrivaient aux mêmes conclusions. Lotsof développa une méthode de sevrage direct des personnes sous l'emprise de l'héroïne. Mais parallèlement, dès 1967, l'iboga fut aussi employé aux États-Unis pour un usage récréatif, en substitut du LSD.

Et de la médecine au bwiti

Le militantisme de Lotsof fera des émules, durant. les années 90, lorsque la consommation d'héroïne battait son plein en France. Quelques personnes iront en Afrique accomplir le rite bwiti et à leur tour organiser en France des stages de désintoxication, en associant. l'aspect spirituel du chamanisme (un « nouveau départ »), un passage au vert, pendant. quelque temps, et un aspect plus médical (la possibilité de décrocher). Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'époque ne voyait pas d'un œil favorable les consommateurs d'héroïne. Ces stages se déroulaient sans que quiconque s'en soucie ou s'y intéresse : après tout, tout cela n'était que des histoires de junkies !

En dehors d'un cadre médical, l'usage de l'iboga présente pourtant des risques, notamment de convulsions. Mais pas seulement. Paradoxalement, le danger d'une overdose de drogue opiacée est augmenté par la prise d'iboga. Lotsof avait noté qu'un cinquième environ des sujets traités à l'iboga reprenait leur consommation de stupéfiants comme avant. Or l'iboga supprimant l'accoutumance à l'héroïne et à la. méthadone (accoutumance qui a progressivement amené le drogué à augmenter ses doses), le sujet se retrouve comme vierge vis-à-vis de ces drogues. S'il reprend de l'héroïne (ou de
la méthadone) aux même doses qu'auparavant, il s'expose alors à l'overdose.

Au début des années 2000, l'iboga commença à se trouver dans la ligne de mire des pouvoirs publics. Deux drames vont accélérer le mouvement. En juillet 2006, un toxicomane décède au cours d'un stage de désintoxication organisée par une association, en Ardèche, en lien avec une « Association africaine d'aide humanitaire à l'occident ». En décembre 2006, un ressortissant français meurt dans des conditions similaires, au Gabon. Le 28 janvier 2007, un tribunal condamne l'association ardéchoise pour sa responsabilité dans le drame survenu en Ardèche. Huit jours plus tard, un arrêté d'interdiction de l'iboga est soumis à la signature du Directeur général de la santé. L'iboga est dorénavant interdit dans plusieurs pays européens, notamment en Belgique.

Cette histoire laisse une impression d'inachevé. Dans la logique du Vieux Monde, les plantes politiquement incorrectes ont presque toujours connu le même trajet : ignorées, suspectées, surveillées, dénoncées, interdites avant d'être réhabilitées. Or l'iboga, ou du moins la substance active principale, l'ibogaïne, offre un espoir particulièrement intéressant de délivrer les personnes prisonnières de la nasse à opiacés. Si les recherches médicales se poursuivent, l'iboga reviendra peut-être sur le devant de la scène...

Jean-Michel Groult, Plantes interdites.







Plantes interdites

Saviez vous que...

... le cannabis fut, aux USA dans les années 30, l'objet d'une violente campagne médiatique car l'alcool étant à nouveau autorisé, il fallait bien continuer à justifier les activités du Bureau des stupéfiants ?

... de la coca pousse librement sur les bords des chemins, quelque part en France ?

... l'absinthe fut interdite, notamment à cause de la concurrence déloyale qu'elle causait aux producteurs de vin, confrontés à la crise du phylloxéra ?

... sous le IIIe Reich, des botanistes allemands cherchèrent à éradiquer une plante " bolchévique " venue de Sibérie, afin de protéger la pureté de la flore germanique ?

... les avortements ont fait, dans l'Antiquité, la richesse d'une province, avant que la plante employée ne s'éteigne pour cause de surexploitation ?

A travers la grande et la petite histoire, Jean Michel Groult décrypte toutes les raisons, scientifiques, culturelles ou économiques, qui ont conduit à mettre au ban de la société certaines plantes : cannabis, absinthe, coca, peyotl, pavot, iboga, khat, etc. Innombrables sont ces plantes, psychotropes, chamaniques, abortives, invasives, transgéniques... qui selon les époques et les lieux, sont out à tour acceptées et prohibées. L'iconographie témoigne avec force de l'évolution de la société sur ces questions. Un beau livre passionnant qui permet de faire le point dans un débat encore souvent explosif !


Jean-Michel Groult est botaniste, journaliste et photographe. Passionné de plantes, il cultive dans son jardin une grande diversité d'espèces. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages aux éditions Ulmer, dont Jardiner durablement, les solutions bio qui marchent vraiment (Prix Saint-Fiacre 2007).


Photographie :
Une thérapeute française participe à un rite d'initiation pour femmes.

samedi, avril 14, 2012

« Apportez-nous la vérité »





Les grenouilles de La Fontaine suppliaient le Ciel de leur envoyer un roi. Aujourd'hui, on demande des gourous. « Dites-nous ce que nous devons croire et comment nous devons agir. »

Devenir adulte, c'est reconnaître, sans trop souffrir, que le Père Noël n'existe pas. C'est apprendre à vivre dans le doute et dans l'incertitude.

Il ne suffit pas d'apporter la connaissance, le vulgarisateur doit encore signaler les limites de la démarche scientifique. « Telle théorie est modérément crédible. » « Telle affirmation est encore largement spéculative et ne doit être acceptée qu'avec prudence. » « A telle question, il y a plusieurs réponses possibles, entre lesquelles nous ne pouvons pas encore choisir. »

Il importe également de signaler les limites et les dangers du discours simplifié utilisé par le vulgarisateur : « Telle image est ambiguë ; telle comparaison peut prêter à confusion. »

« Quel plaisir de comprendre ! Je me sens intelligent. Je croyais ces notions bien au-dessus de mes capacités intellectuelles. » Ces propos, les vulgarisateurs scientifiques les entendent souvent. Ils signalent, à mon avis, une grave déficience de nos systèmes d'éducation.

Loin de donner envie d'apprendre et d'accroître l'aptitude à penser, les institutions, trop souvent, privent les étudiants du plaisir de la connaissance et injectent, en prime, un sentiment d'incompétence.

« Quel dommage que l'astronomie ne soit plus enseignée au lycée ! » disent quelquefois les spectateurs après une projection de photos astronomiques. « En êtes-vous bien sûr ? » est ma réponse habituelle. « Pourriez-vous encore y prendre du plaisir ? »

Les dommages causés par l'école ne sont pas (nécessairement) irréparables. Redonner confiance, ressusciter le goût d'apprendre, le plaisir de connaître, voilà certes une des plus hautes missions de la vulgarisation scientifique.

« Où en est la recherche aujourd'hui ? Quelles sont les questions à l'ordre du jour ? Sur tel sujet, quelles sont les hypothèses, les théories rivales ? » Personne n'aime se sentir « hors du coup ». Quoi de plus valorisant que cette intégration, que ce sentiment d'appartenir à la culture contemporaine ?

Si la science ne peut pas répondre aux questions telles que « Dieu existe-t-il ? La vie a-t-elle un sens ? Y a-t-il une vie après la mort ? », les connaissances scientifiques nous permettent néanmoins de nous situer dans le cosmos par rapport aux étoiles, aux plantes, aux animaux. La science retrace notre passé, retrouve nos racines cosmiques et décrit l'aventure de la matière qui s'organise, où notre existence s'insère.

Pour vivre, pour se comporter parmi ses semblables, pour prendre les décisions qui s'imposent, chacun de nous développe sa propre philosophie de la vie (philosophie avec un petit p), sa propre vision du monde. C'est dans l'élaboration de cette vision du monde que les connaissances scientifiques jouent un rôle primordial.

Hubert Reeves


vendredi, avril 13, 2012

Thérapies miraculeuses





Accusé d'escroquerie, Benoît Yang Ting, gourou des faux souvenirs induits, faisait payer 320 euros l'heure. Le cancérologue David Khayat demande 500 euros pour une consultation. Médiatique mandarin et auteur d'un livre au titre  prétentieux, « Le vrai régime anticancer », David Khayat est un gourou "officiel". La maladie permet à toutes sortes de charlatans de s'enrichir.

L'actrice Shirley Maclaine a fait connaître le guérisseur Alex Orbito. Elle écrit :

« J'ai invité Orbito à venir passer quelques semaines dans ma maison de Malibu afin qu'il puisse continuer à m'observer. Peu de temps avant Noël, j'ai fait savoir qu'Alex opérerait ses guérisons à Noël et que chacun pourrait, dans la mesure de ses moyens, contribuer par des dons à la construction de son centre de soins. Près d'une centaine de personnes sont venues ce jour-là et le lendemain des amis, des amis d'amis, des chercheurs spirituels poussés par la curiosité et quelques personnes réellement malades.

J'ai logé Alex, sa femme et leur assistante dans les chambres d'amis et j'ai transformé ma salle de yoga en clinique.

Ma table de massage a servi à allonger les patients. Alex s'est installé derrière, sa femme et son assistante à ses côtés. J'ai assisté à de nombreuses interventions, à certaines même que je n'aurais jamais cru avoir l'estomac de supporter. Mais je l'ai fait et j'ai regardé de très près.

Les gens méditaient paisiblement avant d'entrer dans la pièce. Presque tous avaient confiance, ce qui ne les empêchait pas de se montrer aussi anxieux et effrayés que je l'avais été. Je comprenais fort bien la contradiction. J'étais passée par là. Ils se soutenaient mutuellement. Alex a conduit une prière et une « connexion commune avec Dieu » avant de commencer à opérer.

Au cours des interventions dont j'ai été témoin, je l'ai vu sortir l’œil de l'orbite d'une malade avec ses doigts, en nettoyer l'arrière et le remettre en place. La patiente n'a rien senti. Elle s'est levée et a quitté la pièce toute souriante en disant qu'elle n'avait perçu qu'une pression.

Il a retiré des tumeurs pulmonaires et abdominales, extrait une dent avec ses doigts et arrêté l'hémorragie, sorti des kystes et des excroissances de toutes les parties imaginables du corps.

Lorsque les patients souffraient de problèmes génitaux, je quittais toujours la pièce. J'ai su qu'Alex avait opéré des hémorroïdes et des fibromes, mais il les atteignait généralement de l'extérieur, rarement par le vagin et l'anus.

Il a extrait des cancers du sein et un goitre.

Il a retiré des caillots de sang du cou d'un ami de quatre-vingt-six ans souffrant d'artériosclérose.

Il a ouvert des gencives pour guérir une pyorrhée.

Il a sorti une tumeur d'un cerveau.

Certains souhaitaient parfois voir opérer les autres, mais Alex préférait qu'ils soient peu nombreux car, disait-il, les énergies sceptiques drainaient la sienne.

Au cours de cette même période de congé, il s'est rendu à Ojai pour y prodiguer ses soins. Beaucoup ont quitté Los Angeles pour l'accompagner sur mon invitation.

Je me souviens de la première journée passée à Ojai. Alex avait installé sa salle d'opération dans l'entrée d'une chapelle de témoins de Jéhovah. Une trentaine de personnes tenaient à le voir pratiquer sur quelqu'un avant de permettre le moindre traitement sur leur propre corps. Je me suis portée volontaire, car beaucoup étaient venus là à cause de moi.

Ils sont entrés à la file dans le vestibule où j'étais allongée tout habillée. Alex, la tête dans ses mains, priait derrière la table. Il a prié longtemps. J'ai senti que la diversité d'énergies accumulées l'y obligeait (les psychiques et les sensitifs captent tous les schémas d'énergie. L'impact sur eux s'avère parfois négatif).

Alex tardait à relever la tête. Finalement, le visage toujours baissé, il m'a chuchoté d'une voix hésitante : « Shirley... l'homme en sweater bleu, contre le mur... son énergie est négative.., très négative.., il ne m'aime pas... ni ce que je fais... Très difficile... s'il vous plaît... vous pouvez lui demander de sortir ? »

Je suis restée allongée et j'ai tourné la tête pour repérer l'homme en question. C'était l'ami d'un journaliste que j'avais invité. Plutôt que le renvoyer seul, j'ai préféré dire : « Quelqu'un parmi vous dégage un grand scepticisme et beaucoup d'énergie négative. Cette personne le sait. Il vaudrait mieux qu'elle revienne plus tard, lorsqu'elle se sentira plus positive. » (Avec l'âge j'ai fini par apprendre la diplomatie.)

L'homme au sweater bleu est sorti sans faire d'histoire, suivi de deux autres personnes et nul ne leur en a tenu rigueur. Alex s'est remis à prier. Son expression a changé à mesure qu'il entrait en légère transe. Il a commencé à m'« opérer ». Je n'ai pas regardé ses mains pénétrer dans mon abdomen, préférant contempler les visages des spectateurs. Ils étaient stupéfaits, horrifiés, choqués, ahuris. Comment décrire l'expression de ceux qui observent ce qui défie leur notion de la réalité ? Quelqu'un s'est écrié : «Oh non !... Soyez prudente, Shirley ! » Cette personne était si inquiète que je l'ai rassurée de ma table. Certains semblaient surpris que je puisse discuter avec Alex, alors que ses mains étaient enfouies jusqu'aux poignets dans mon abdomen d'où s'échappaient des bruits de succion et les remous habituels. Le sang s'écoulait de chaque côté de mon corps à jets quasi continus. J'ai ressenti une forte pression à l'intérieur de mon ventre et je dois reconnaître que, cette fois, j'ai éprouvé une légère douleur, provenant du manque de confiance des observateurs. J'ai fermé les yeux et me suis efforcée de communiquer à mon esprit un état de confiance absolue, mais la douleur a subsisté. » Pendant qu'Orbito fouille ses entrailles, l'actrice américaine a une illumination : « C'est alors que j'ai compris très clairement l'importance de la confiance pour ce qui concerne le spirituel en général et la guérison en particulier. »

Mais la confiance s'estompa en 2005, quand Orbito fut accusé de charlatanisme par les autorités canadiennes.





Illustration :



jeudi, avril 12, 2012

Philosophie des hommes sans projets





Gamin, j'ai changé maintes fois d'école. C'est dans les cours de récréation que j'ai acquis la conviction, jamais ébranlée par la suite, que l'homme est un loup pour l'homme. Et, même si ce n'est pas très glorieux, je dois avouer que la peur que suscitent en moi les humains est une de mes passions dominantes.

Sans grand risque de me tromper, je pense que le pire est surtout à craindre de l'homme qui a des projets. Versant dans l'illusion que le neuf est possible sous le soleil, Monsieur J'ai-des-projets se figure qu'il en sera, comme il dit, le « promoteur » et l'« acteur », qu'il deviendra, en somme, indispensable. Rien de plus effrayant à mes yeux que cette obsession du projet. Je ne puis oublier que les cimetières sont pleins d'hommes indispensables et qu'ils y jetèrent avant eux, prématurément, quantité de gens qui ne furent pas très convaincus de la nécessité de leurs projets.

Mais je remarque que Monsieur J'ai-des-projets, représente une nuisance sans même qu'il passe à l'action : il suffit qu'il parle, qu'il déverse sans cesse et partout, comme on l'y autorise, le langage de la motivation et de l'investissement personnel. Jadis c'était le militant politique qui s'exprimait de la sorte, mais avec d'autres mots. Il ne se posait pas en homme motivé mais concerné. Il ne s'investissait pas dans tel ou tel objectif ciblé, mais adhérait à une cause et s'engageait à y faire adhérer les autres. Imprégné d'existentialisme sartrien, son projet était que le monde et les hommes aillent dans le sens historique du meilleur, fût-il au fond d'un charnier ou derrière des barbelés. À présent, les discours optimistes du militant politique ont laissé place aux paroles optimisantes de Monsieur J'ai-des-projets. Non seulement ses palabres ne laissent présager elles aussi que de la casse, mais déjà, en elles-mêmes, de par leur diffusion médiatique, elles se répandent comme une pollution intellectuelle. Croyant incarner le nouveau sens de l'Histoire, l'Innovation, sans même recourir à l'existentialisme sartrien, Monsieur J'ai-des-projets milite, infatigable, dans le parti totalitaire de la vulgarité.

Davantage qu'à Lucrèce, l'Ecclésiaste me fait penser à Arthur Schopenhauer, auteur d'une philosophie du vouloir-vivre aveugle à l'usage des hommes sans projets.

Pour Schopenhauer la vie d'un humain n'a d'autre sens que de payer au prix fort le crime d'être né. Durant des années il lui faut satisfaire ses besoins, éviter la maladie, combattre la misère, se protéger de l'agressivité d'autrui, toutes sortes d'efforts humiliants car, in fine, il n'aura d'autre récompense que la décrépitude et ne trouvera de délivrance que dans la mort.

Le sentiment qui m'affecte depuis longtemps, est celui de la stérilité. Tout se passe comme si j'avais en moi un élan créateur destiné à exploiter de riches réserves de sens ou d'imagination, mais que je ne pouvais mettre en action faute d'une énergie suffisante. Sitôt que je me mets à une tâche, une voix intérieure m'en dissuade et je me sens disqualifié. Du coup, épuisé par l'inertie de mon génie, j'incline en permanence à dormir, autrement dit à opter pour la version inconsciente de ma stérilité. Mais comme nulle sieste, même répétée dans une journée, ne me déleste de cette pesanteur, je donne l'image d'un type n'ayant d'autre éthique que la flemme. Combien de fois, durant ma prime jeunesse, ma mère, mes maîtres à l'école, mes professeurs au lycée et même mes amis, me serinaient que j'étais un « fatigué de naissance ». Aujourd'hui encore, j'entends ce refrain. Mon père, lui, ne me fit jamais cette réflexion. Comme je l'ai déjà dit, il m'a vu naître et atteindre l'âge de neuf ans ; puis la vie s'est brutalement fatiguée de lui. Schopenhauer dit que le besoin métaphysique vient de la « stupéfaction douloureuse » qu'on éprouve face au spectacle de la vie ; je dirais plutôt que, pour moi, le goût de philosopher est venu suite à une douleur stupéfiante.

Après un désastre affectif, certains, paraît-il, trouvent la force de se reconstruire. Depuis près de quarante ans je me maintiens plutôt bien dans le délabrement, ballotté entre la tentation d'une vie sociale qui, à ce qu'on prétend, offre des consolations, et le réflexe de la déserter de peur de m'y dissoudre. N'étant visiblement pas fait pour ce monde, je me suis résigné à l'idée qu'il n'en existait pas d'autre et qu'il valait mieux que j'en fusse spectateur plutôt qu'acteur — vocation incertaine qui m'amène à n'être qu'un dilettante vaguement philosophe, vaguement esthète, sans autre projet que de jouir sans entraves de ses temps morts.

Si j'ai fait de Schopenhauer un de mes pères spirituels adoptifs, c'est parce que grâce à lui, je ne me sens aucunement coupable de ma vie comme velléité et comme contemplation. À l'en croire, le dilettante, sensible aux œuvres majeures de l'art et de la philosophie, présente un meilleur visage que l'homme d'action, celui qui aime à se qualifier de « professionnel », ou pire, de « pro ». Inversant une logique commune, Schopenhauer affirme que, pour être plein de vitalité, l'homme d'action est passif, tandis que, pour en manquer, l'homme de la contemplation est actif. Rien de plus illusoire que l'action dont s'enorgueillit le « pro ». S'il peut rendre compte des mobiles personnels de ses faits et gestes, il ignore tout de ses réels motifs qui ressortissent à la force impérieuse et aveugle du vouloir-vivre qui le manœuvre. Le dilettante, au contraire, observant à la loupe, dans une œuvre, la sempiternelle tragi-comédie des gesticulations de ses semblables, ne se laisse pas aveugler par le vouloir-vivre. Animé d'une vive démotivation, le voilà disposé à la connaissance, forme supérieure de l'action selon Schopenhauer, et même, parfois au génie créateur — deux activités relativement gratuites, sans grand danger pour les autres.

Le voilà condamné à la lucidité, avancerais-je pour ma part. La lucidité est la morsure de la mort dans la chair de la conscience. La douleur en est tantôt vive, tantôt lancinante. Une torture intime qui s'appelle le cafard. Comme le cafard n'est pas de tout repos, la morale est sauve.

Frédéric Schiffter, Le plafond de Montaigne.


Le plafond de Montaigne

En 1571, Michel de Montaigne a trente-huit ans. Lassé de ses charges de magistrat et de sa vie de soldat, écœuré des guerres de religion, il se retire en son château orné de deux petites tours. Dans l’une d’elles, au dernier étage, il aménage sa “ librairie ”, un bureau bibliothèque où il rédige jusqu’à son dernier souffle les Essais.

Quand on visite aujourd’hui ce lieu, on aperçoit sur les poutres de la charpente, artistement gravées, des citations d’auteurs que Montaigne affectionnait. Pêle-mêle : Sophocle, Euripide, Xénophane, Pline, Térence, Horace, Lucrèce, Sextus Empiricus, saint Paul, Érasme. Au faîte de ce panthéon, l’Ecclésiaste.

Tout le scepticisme et le pessimisme de Montaigne se reflètent sur ce plafond.

Montaigne disait aimer les citations parce que, ramassant la pensée d’un grand esprit, elles lui donnaient l’occasion de penser par lui-même. Comme les auteurs de Montaigne sont aussi ceux de Frédéric Schiffter, ce dernier a prélevé quelques-unes des sentences et maximes de son choix pour se livrer à son tour à un essai de méditation.

Le Plafond de Montaigne est un ciel d’intelligence vers lequel s’élève l’âme de n’importe quel honnête homme.





mercredi, avril 11, 2012

Démasqué





Jacques Lacarrière résume la pensée gnostique en ces termes : « Nous sommes des exploités à l'échelle cosmique, les prolétaires du bourreau-démiurge, des esclaves exilés dans un monde soumis viscéralement à la violence, les sédiments d'un ciel perdu, des étrangers sur notre propre terre ». (« Les gnostiques », Albin Michel)

Pour les gnostiques, le démiurge, bourreau pervers de l'humanité, représente l'esclavagisme qui règne dans le monde matériel et dans la sphère astrale (l'au-delà des occultistes ou le « Paradis » des religions). L'énergie vitale de l'homme est l'objet d'un véritable parasitisme durant la vie et après la mort.

Michaël, lecteur de Bouddhanar, présente « Démasqué », livre écrit par Jan Van Rijckenborgh, un gnostique du XXe siècle. Ce texte est une véhémente dénonciation du système d'exploitation instauré dans le monde matériel et la sphère astrale.

Démasqué

Un livre visionnaire pour éclairer l’obscure lumière de notre époque.

Par Michaël


4. Jésus leur répondit : Prenez garde que personne ne vous séduise.
5. Car
plusieurs viendront sous mon nom, disant : C'est moi qui suis le Christ.
Et ils séduiront beaucoup de gens.
23. Si quelqu'un vous dit alors : Le Christ est ici, ou : Il est là, ne le croyez pas.
24. Car il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes ; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s'il était possible, même les élus.
25. Voici, je vous l'ai annoncé d'avance.
[Mathieu 24 :4-5, 23-25,]

Notre époque semble porter de nombreux signes avant-coureurs de la fin d’un monde, de la clôture d’une ère qui a eu son sens, ses conflits, ses lueurs d’espoir et qui se doit de passer son chemin comme tout dans notre univers rempli de cycles. Nous sommes en train de vivre une transition fondamentale pour notre espèce, l’ancien monde se craquèle de toute part, la religion, la philosophie, la famille, les sciences, les rapports sociaux rien de ce en quoi nous avons cru jusqu’ici ne semble tenir le choc de cette mutation. Alors, devant l’angoisse du changement, les uns fuient en arrière en retournant vers les traditions du passé et les autres fuient en avant en fixant leur croyance sur un monde technologique garant de notre salut. Très rares sont les êtres qui ne fuient ni en arrière, ni avant et restent là, ici et maintenant, avec ce qui est, le fait que rien de ce qui fait partie de notre connu nous aidera à franchir le cap. Comme le disait les gnostiques d’Orient et d’Occident avant hier et hier Krishnamurti, il nous faut nous libérer de toutes les structures mentales liées à l’ancien monde pour être réellement créateur et vivre la mutation en pleine conscience. Ainsi, je vous invite à relire les écrits de ces hommes et femmes pour y puiser une force qui n’est pas de ce monde et qui pourtant remplie de lumière notre monde intérieur quand cette force se mue en conscience de vérité.

Le livre de Jan Van Rijckenborgh nous invite à comprendre les rouages occultes qui sous-tendent la crise actuelle. Je parlais plus haut de la fuite en arrière, de ce retour aux religions d’antan par celles et ceux qui perçoivent (avec raison parfois) la crise du monde moderne. On peut le comprendre, c’est humain, mais ce retour à des structures non adaptées à notre ère causera lui aussi de nombreuses désillusions et surtout des conflits inter-communautaires sans précédent à l’échelle mondiale. Nous le voyons dans l’actualité, le retour des identitarismes qu’ils soient nationaux ou religieux se fait sentir comme une attitude de repli et de protection face au monstre mondialiste qui écrase et broie l’âme humaine. Le livre « Démasqué » nous propose de soulever le voile et nous permet la compréhension et le constat lucide que tout se joue sur les plans énergétiques de notre planète, dans les coulisses du théâtre planétaire. Les égrégores religieux (qui sont depuis longtemps coupés de leur source divine au profit des forces anti-divine de ce monde) ont démarré une lutte pour leur survie énergétique et ils manipulent leurs fidèles par un besoin d’auto-conservation. Les rayonnements du Verseau mettent à mal leurs structures énergétiques et pour conserver la vie ils ont ainsi besoin de générer un maximum d’énergie émotionnelle. La peur, la haine de l’autre, le repli identitaire, les prières dirigées contre les ennemis sont un formidable réservoir énergétique pour ces égrégores et les victimes sont encore et toujours les humains. Le drame religieux réside dans la croyance auto-suggérée et alimentée par les égrégores par le biais des prédicateurs qui ne possèdent plus les clés ésotériques des écrits sacrés. J’ai cité l’évangile selon Mathieu en introduction de ce texte, mais ne croyez pas que les religieux chrétiens comprendront le sens ésotérique de ce passage. Non, la plupart percevront leurs ennemis comme les faux prophètes qui s’opposent et menacent leur foi, et au nom d’un texte mal compris justifieront la guerre sainte. Au même titre que le djihad (guerre sainte en arabe) est ésotériquement la guerre contre l’ego, et non la lutte armée contre les impies. Le scénario entrevu dans ce livre nous invite à faire preuve d’un profond discernement quant aux événements qui surviennent et surtout envers ceux qui vont advenir à court et moyen terme. Car que recherchent les fidèles des religions du monde que l’on a coupé de leurs voies initiatiques ? Le retour de leur messie respectif, la validation de leur foi et qu’il soit Jésus, le Machi’ah fils de David, le Mahdi, le Bouddha Maitreya ou Krishna, ils font tous partie des mêmes structures manipulatoires présentent dans notre sphère astrale et se nourrissant de l’émotivité des fidèles pour les maintenir en esclavage.

Ce livre vous permettra de comprendre en détail les processus mystico-occultes qui créent l’esclavage énergétique de l’humanité et son emprisonnement de notre sphère terrestre. Et, je l’espère de tout mon cœur, vous permettre de ne pas vous laisser manipuler par les forces terrestres et leurs propagandes haineuses mais aussi par les forces astrales qui sont la source de nos maux. Je donnerai un avertissement spécial aux tenants du Nouvel Age et au nombre considérable d’individus qui sont reliés à ces groupes, se croyant libérés de la religion ils s’enchaînent à une illusion beaucoup plus subtile, celle de leur Maîtres ascensionnés qui, vous le verrez dans l’ouvrage, sont interreliés avec les égrégores religieux.

Que faire ?

Lire et relire ce livre dans un premier temps, le prendre en soi pour l’infuser et l’intégrer puis vous relier à votre Être intérieur, à cette présence calme et rayonnante qui vibre dans le silence. Par-delà toutes formes de manifestations lumineuses ou d’apparitions de saints ou de maîtres. Relisez abondamment les ouvrages de Krishnamurti, ils vous offrent des clés essentielles pour franchir cette période trouble de notre histoire commune. Et pratiquer le wei-wu-wei (agir-sans-agir) des taoïstes pour ne pas être pris dans le lutte pour la survie qui écrase l’autre et voile notre cœur.

Sincèrement,
Michaël.

Télécharger gratuitement Démasqué :

Illustration :


lundi, avril 09, 2012

L'alimentation des Français





L'UNESCO a inscrit la gastronomie française au patrimoine de l'Humanité. Mais l'art gourmand des Brillat-Savarin, destiné aux nantis suralimentés, était heureusement inaccessible aux classes populaires. Pour la Doctoresse Catherine Kousmine, la suralimentation bourgeoise serait responsable d'une inexorable déchéance physiologique et morale.

Le véritable régime français

Au début du XXe siècle, la France était majoritairement paysanne. Vers 1910-1920, « dans nos campagnes, le boucher passait le samedi et les paysans riches mangeaient de la viande le dimanche. La base de la nourriture était, à ce moment, le pain, l'honnête pain bis, aliment presque complet, dont on accompagnait les légumes de saison, cuits « à la française », c'est-à-dire à l'étouffée, sans eau, mijotés tout doucement avec un bon morceau de beurre, ou de lard ou bien avec une cuillerée d'huile d'olives, suivant la région.

En été et en automne, on ajoutait au menu les fruits de la saison ; l'hiver des oignons, des châtaignes, des noix, des pommes. Le soir, on mangeait une bonne soupe faite de légumes cuits à petit feu toute la journée dans de l'eau, mais cette eau, on ne la jetait pas, comme dans la cuisson à l'anglaise : elle servait à tremper les tranches de pain coupées dans la soupière, conservant ainsi les sels précieux contenus dans les légumes et mis en dissolution par la cuisson. C'était une alimentation presque parfaite », écrit Henri-Charles Geffroy.  


dimanche, avril 08, 2012

Le perroquet spirite





Rien n'est plus triste que cette Champagne pouilleuse balayée de siècle en siècle par l'invasion. On y sent toujours la pourriture des batailles et les troupes de corbeaux s'abattent avec délices sur ces plaines monotones que traversent, dans un alignement sans fantaisie, des files d'arbres frissonnants.

Au-dessus de Troyes aux ruelles gothiques, il n'y a rien ou presque rien pendant des heures. C'est une Hollande sans moulins, une Castille sans couleurs.

Las du parcours et surpris par la nuit, je m'arrête dans un gros village où l'enseigne du « Lion d'Argent » grince sous le vent d'automne.

Bonsoir, m'sieurs-dames, dis-je d'un ton guilleret, afin de me mettre dans l'ambiance et d'inspirer la sympathie du cercle des consommateurs accoudés au comptoir. Un silence hostile et dédaigneux répond à mes avances. Seule une mouche, quittant son plafond familier, vient me souhaiter une bienvenue dont le patron s'est dispensé. Au fait, où est-il, ce patron ?

Une mince créature, au dos voûté que reflète un miroir graisseux, pourrait bien être sa moitié. Je m'apprête à lui adresser la parole lorsqu'un géant à face patibulaire paraît, jailli d'une porte invisible :

Vous désirez ?

Une chambre et dîner.

Bien tard !... Il n'y a plus que des œufs.

Je m'en contenterai.

Faudra bien, mon gars.

Monsieur... 


— Au pays de Danton, on dit : mon gars !

Puis-je voir la chambre ?

Si vous n'avez pas votre contentement, vous n'aurez qu'à le dire : ce sera le même prix.

Je décide de rester pour voir jusqu'à quel point le malotru poussera l'insolence. Vrai coupe-gorge, en vérité, que ce cabaret, mais j'en ai vu d'autres pendant la guerre !

Je commande une bouteille de vin blanc. Le géant la tire des profondeurs et la pose brutalement sur la table tandis que les assistants ricanent.

Examinant l'entourage à la dérobée, je constate que personne ne boit, et que l'on semble attendre quelque chose qui tarde à venir.

Dans l'arrière-salle, la voix criarde d'un perroquet répète d'un ton monotone : « C'est bon, hein ! », accompagnant cette appréciation d'affreux sifflements.

On apporte l'animal en grande pompe pour l'installer sur un perchoir de bois doré. C'est une bête superbe, d'une espèce que je n'ai jamais vue. Avec son plumage noir et rouge et son aigrette flamboyante, il a l'allure d'un Méphistophélès d'opéra.

En m'apercevant, il se met à claquer furieusement du bec, puis, la tête penchée, les doigts crispés, il me fixe d'un œil sournois.

Tout à coup, sans que rien ne laisse prévoir son geste, il saute sur le plancher et se précipite sur mes souliers qu'il veut lacérer. De hauts rires accueillirent cet exploit. Je recule.

Il n'a pas l'air de vous aimer beaucoup, mon Timboum ! grogne le patron. Moi, je ne trouve pas ça bon signe. Heureusement que vous êtes un client, et que les clients, chez moi, c'est sacré, n'est-ce pas, les amis ?... Un murmure d'approbation lui répond. Timboum, cependant, volète de table en table, et l'on pourrait croire qu'il dit un mot à chacun.

Parle-t-il ? demande quelqu'un.

Il dit que Bébert est un filou !

II n'a pas tort.

Il connaît ceux qui nous sont favorables... Les autres, il leur bouffe les panards, ah, ah, ah !

Est-il facétieux ! remarque la patronne attendrie. Sur quoi, Timboum de lui donner un gracieux bécot au coin de l'oreille, laissant la mégère toute pâmée. La joie est vive parmi l'assistance.

Pas jaloux, patron ? fait un mauvais plaisant.

Penses-tu ! un confrère !

En effet, le géant a un bec d'oiseau, des yeux ronds, des mouvements saccadés, un faciès cruel. Je me demande avec une angoisse croissante comment la soirée va se terminer. Par bonheur, le vin est excellent et soutient mon courage.

Je reçois enfin une omelette sans lard avec un quignon de pain rassis que je grignote distraitement. Tous les regards sont dirigés vers moi, mais je baisse les yeux sur mon assiette d'un air absorbé. J'ai à peine avalé la maigre pitance, que la patronne vient m'annoncer d'une voix hypocrite que ma chambre est prête et qu'il faut monter car on va fermer et se coucher.

J'ai droit, au premier étage, à un réduit glacé avec lit de fer, matelas bourré de foin et cuvette fêlée. Étendue depuis cinq minutes sur mon grabat, le dos déjà endolori, j'entends soudain comme un bruit de dispute. Me relevant d'un bond, je reste un instant immobile pour essayer de saisir les bribes de la discussion. Dans l'obscurité, j'aperçois un rais de lumière qui filtre à travers un interstice du plancher. Je m'abaisse aussitôt, colle un œil à la fente et vois en panorama ce qui se passe dans la salle du café.

Les faux consommateurs, très agités, se tiennent en cercle autour du perroquet Timboum juché sur un haut pupitre. On a placé devant lui une planchette sur laquelle les lettres de l'alphabet sont grossièrement gravées au couteau. Sur chacune de ces lettres, on a posé une graine de tournesol. —

La présence d'un étranger dans la maison pourrait bien le troubler ! dit quelqu'un d'un ton méchant.

Il doit dormir à présent, assure le patron. Attendez, je vais aller contrôler. Il monte l'escalier avec précaution et s'arrête devant ma porte. Je me mets immédiatement à ronfler de toutes mes forces et, après un court instant, il s'en retourne comme il est venu.

En bas, la scène reprend.

Frétillant de la queue, dodelinant du chef, Timboum contemple les graines. Il paraît hésiter. Enfin, d'un coup, il en happe une, puis une autre, puis une troisième, pendant que les assistants épellent : M... F... V...

Eh bien, qu'est-ce qu'il veut dire ?... demande-t-on à la patronne qui semble jouer le rôle de truchement.

M.F.V. ? réfléchit-elle. Ça veut dire : méfiez-vous !

Tous se regardent, consternés.

Tout à coup, la sale bête déploie ses ailes et, gigotant comme un diable se met à hurler : « Timboum a soif ! » Et chacun de s'affairer pour apporter, qui du vin rouge, qui de l'eau-de-vie. Timboum goûte à tous les verres et, désaltéré, s'exclame : « C'est bon, hein ! »

Je l'aperçois alors, tout ébouriffé, se livrant à une sorte de danse sauvage, sautillant, titubant, donnant les signes les plus évidents de l'ébriété.

Continuons à consulter l'oracle, insiste le géant que ce spectacle paraît surexciter. Il faut en savoir davantage, nous sommes peut-être en danger...

On replace l'animal devant sa planchette. Il picore cette fois les lettres E et S.

E...S répète la patronne, le front dans sa main. Ah ! il dit : ESPION.

Mais qui est l'espion ? questionne le chœur.

J'ai mon idée là-dessus... mais Timboum va nous le dire. Timboum prend une dernière graine, celle de la lettre O.

En haut, traduit la patronne. C'est l'étranger qui est là-haut !

Et c'est ainsi qu'au beau milieu de la nuit, par la grâce d'un perroquet trop savant, je suis empoigné par des bras vigoureux, transporté brutalement au rez-de-chaussée et jeté dehors sans autre forme de procès.

Guy de Wargny



samedi, avril 07, 2012

Une souris verte







Une souris verte :

« Comptine inepte que l'on apprend aux enfants dès la maternelle pour être sûr que, lorsqu'ils seront plus grands, ils seront prêts à réciter par cœur n'importe quoi. »

Jean-François Kahn


jeudi, avril 05, 2012

L'égorgement rituel, une spécialité française ?





Source de la carte : http://viande-laique.fr/


« Ma mère, écrit Lamartine dans ses Confidences (on ne les lit plus et l'on a bien tort), ma mère était convaincue, et j'ai comme elle cette conviction, que tuer les animaux pour se nourrir de leur chair et de leur sang est une des infirmités de la condition humaine que c'est une de ces malédictions jetées sur l'homme, soit par sa chute, soit par l'endurcissement de sa propre perversité. Elle croyait, et je le crois comme elle, que ces habitudes d'endurcissement de cœur à l'égard des animaux les plus doux, nos compagnons, nos auxiliaires, nos frères en travail et même en affection ici-bas, que ces immolations, ces appétits de sang, cette vue des chairs palpitantes, sont faits pour brutaliser et pour endurcir les instincts du cœur... Quelques jours après, ma mère me fit passer dans la cour d'une boucherie. Je vis des hommes, les bras nus et sanglants, qui assommaient un bœuf ; d'autres qui égorgeaient des veaux et des moutons, et qui dépeçaient leurs membres encore palpitants. Des ruisseaux de sang fumaient çà et là sur le pavé. Une profonde pitié mêlée d'horreur me saisit... L'idée de ces scènes horribles et dégoûtantes, préliminaires obligés d'un de ces plats de viande que je voyais servir sur la table, me fit prendre la nourriture animale en dégoût, et les bouchers en horreur ».

« Michelet, qui écrit (La Femme) que c'est « une grâce d'amour de vivre d'aliments innocents », ajoute que le régime végétarien ne contribue pas pour peu à la pureté de l'âme, et que « cette grossière alimentation de viandes sanglantes rend la femme violente, fantasque, passionnée ».

Bossuet s'écrie, dans son Discours sur l'Histoire : Comme dernière conséquence du meurtre des animaux, le sang humain, abruti, ne pouvait plus s'élever aux choses intellectuelles.

Dans l'Inde, les lois de Manou proclament : « Celui qui, se conformant à la règle, ne mange pas de la chair comme un vampire, se concilie l'affection dans ce monde et n'est pas affligé par les maladies ».

Il n'est guère possible non plus de prétendre au respect de la vie humaine, et de massacrer ou laisser massacrer les animaux pour satisfaire un simple plaisir gustatif, alors que les fruits sont si savoureux, si sains, bien plus nutritifs, et ne contribuent à émousser les sentiments, comme cela peut survenir avec des pratiques carnivores. « Il est banal d'entendre dire, écrit le Dr Kalmar (Comment vous vieillissez) « Puis-je manger du mouton ? » ; « Que dois-je manger de préférence, du veau ou du bœuf ? ». La sensibilité est à ce point émoussée qu'on ne perçoit même pas ce qu'il y a d'horrible dans de tels propos. Car, à l'arrière-plan, il y a le sang répandu, et tout cela suppose des assassinats commis au nom d'un pseudo-besoin physiologique. Il est vrai que dans un monde où des millions d'hommes sont périodiquement assassinés, sans motif valable, les flots de sang des animaux ne sauraient émouvoir. Et pourtant, c'est dans les abattoirs et les boucheries que se préparent les guerres, car c'est là que l'on tue la sensibilité, prélude à la tuerie des hommes. » 


Les hommes s'évertuent à améliorer leurs conditions d'existence : ils luttent pour un avenir toujours meilleur, ils rêvent du paradis perdu. Et ils espèrent de la viande à tous les repas ! Concevraient-ils l’Éden installé dans un abattoir ? L'âge d'or serait-il l'âge du sang ?

Raymond Dextreit



On dissimule aux consommateurs qu'ils achètent de la viande d'animaux égorgés. Ils ignorent aussi que l'agonie de l'animal dure 14 minutes...

  

mercredi, avril 04, 2012

Éloge de la lenteur





Lutter contre la dictature du court terme, relocaliser l'économie..., autant de principes que le mouvement Slow applique déjà à son échelle dans un esprit convivial.

N'en avez-vous pas parfois assez de courir après le temps, sans prendre suffisamment le temps de manger, de créer, de bavarder... ? De ce constat est né en Italie (dans le village de Brà, dans le Piémont) le mouvement Slow, créé par Carlo Petrini dans les années 1980, avant de s'étendre peu à peu à 50 pays. Il compte désormais près de 100 000 adhérents à travers la planète et a pour objectif de lutter contre la surconsommation. Paul Ariès, directeur du bimestriel Le Sarkophage et auteur de La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance (La Découverte, 2010), évoque plus largement « une société qui nous pousse à vouloir toujours plus ; sous une contrainte constante d'accumulation matérielle et de pouvoir ».

Au départ, l'alimentation

Même si le mouvement Slow touche désormais tous les aspects de nos vies (transports, vêtements...), c'est d'abord via l'alimentation qu'il a commencé à s'ancrer en France en 2003. 2 000 adhérents se réunissent désormais dans 45 groupes locaux, appelés « conviviums ». Ils organisent des rencontres à l'occasion desquelles les adhérents établissent des relations avec des producteurs de leur région, mènent des campagnes pour protéger les produits alimentaires traditionnels, organisent des dégustations et des ateliers, invitent des chefs cuisiniers à s'approvisionner localement et travaillent pour développer l'éducation au goût dans les écoles.

Fédérés au sein de Slow Food France, ses membres luttent contre la malbouffe et œuvrent pour la défense de la biodiversité, en s'appuyant, rappelle Jean Lhéritier, président de la structure hexagonale, « sur des valeurs, une façon de vivre le plaisir et une culture alimentaire locale ». Il commente : « Notre objectif est notamment de lutter contre l'appauvrissement et la standardisation des modes d'alimentation. Nous cherchons donc autant à préserver les variétés de maïs que l'on ne trouve qu'en Amazonie qu'une recette ancestrale auvergnate, ou bien encore un mode de cuisson comme le tagine ou une façon de manger ensemble, à l'africaine par exemple, dans un plat commun. »

Les villes lentes

Informer les citoyens sur l'agriculture, l'environnement, le mode de développement et défendre une production de proximité permettant de relocaliser l'économie constituent deux axes majeurs des actions de Slow Food. L'association défend par ailleurs ce qu'elle appelle la « haute qualité alimentaire », un concept que les collectivités territoriales pourraient, selon elle, reprendre à leur compte dans les services publics en appliquant, par exemple, le slow dans les cantines scolaires ou les maisons de retraite. Enfin, Slow Food France prône le développement d'une agriculture « propre, bonne et juste », comprenant trois dimensions : le bon goût, le respect des écosystèmes et la juste rémunération des agriculteurs.

Au-delà de nous permettre de renouer avec une qualité de vie, son projet a en effet pour but de promouvoir un modèle économique plus écologique. Ainsi, le mouvement Slow propose d'appliquer le concept à notre façon de nous habiller, de nous meubler - le slow design adopte les principes du développement durable en prônant la récupération, la bonne gestion des ressources, la lutte contre la standardisation, etc. -, mais aussi de vivre ensemble en ville. Les villes lentes ou città slow, nées en Italie en 1999, promeuvent une gestion municipale centrée sur la qualité de vie, l'économie de proximité, le respect des paysages, au détriment de l'extension des zones commerciales et industrielles, de l'étalement pavillonnaire et de la prédominance de la voiture. En Italie, 70 villes appliquent ce principe, dont Orvieto, Barga, Greve in Chianti et Positano. En France, Segonzac (ville d'un peu plus de 2 000 habitants), en Charente, est la première municipalité à avoir adhéré, en mai 2010, au réseau international des villes lentes (Cittaslow). Concrètement, cela se traduit, par exemple, par l'ouverture d'un parc, la préservation du patrimoine historique, l'incitation au retour du petit commerce, la réhabilitation d'un réseau de ruelles piétonnes et cyclables, la création de marchés des produits locaux, l'investissement dans les structures d'accueil pour la petite enfance et les personnes âgées, la création de jardins partagés, la transformation de la station d'épuration en bassins filtrants naturels...

Contre la dictature du court terme

Jean Lhéritier rappelle que le concept du slow est déjà une tendance médiatisée par la presse, dont la femme du Président américain, Michelle Obama, se serait inspirée pour créer le potager de la Maison Blanche... Pour autant, il peine à s'imposer comme un modèle alternatif Paul Ariès abonde en son sens : « En France, on a du mal à mobiliser sur la lenteur et la relocalisation. Et pourtant, l'enjeu est social : quand une société accélère, c'est toujours au détriment des plus faibles ; la vitesse est génératrice d'exclusion, pour les personnes âgées par exemple, mais aussi pour ceux qui sont le moins armés pour la course à la productivité. »

Et d'ajouter : « La vitesse est consubstantielle au capitalisme. Il s'agit d'une part d'un système fondé sur l'exploitation des salariés, qui leur impose aujourd'hui de produire des biens et des services en flux tendus, à la demande du client. Et il s'agit également, c'est son autre versant, d'un système qui impose un style de vie précis à un nombre toujours plus important de consommateurs à travers le monde. Le capitalisme répond ainsi à nos angoisses existentielles en exploitant notre peur du vide et de la mort. » Face à cela, les leviers pour réagir ne manquent pas : du bridage des moteurs à l'interdiction de travailler le dimanche, en passant par la fin de l'éclairage dans les villes la nuit. Individus, collectivités, législateurs, nous sommes donc tous des ralentisseurs en puissance. Prenons le temps d'y réfléchir.




Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...