lundi, janvier 21, 2013

Identité et chamanisme des Sioux




Danièle Vazeilles, professeur d'ethnologie à l'université Paul Valéry-Montpellier III, a séjourné à plusieurs reprises dans des réserves sioux.

Quelle identité ?

« Il ressortait de mon travail, explique Danièle Vazeilles, que les Sioux, entre 1969 et 1973, ont vécu une période critique de leur vie. En effet, les deux premières années de mon séjour chez eux, je constatai qu'ils faisaient montre d'une attitude très négative envers eux-mêmes. Cette auto-dépréciation de leur identité ethnique et culturelle était due à la manière dont ils ont été perçus et traités par la société euro-américaine globale et par certains métis ayant des postes d'autorité dans les gouvernements tribaux. Les Euro-Américains leur ont toujours imposé une identité caractérisée par des attributs négatifs : « sauvages sanguinaires, arriérés, sales, paresseux, sans religion, superstitieux, quasi analphabètes, etc. ».

Cette intériorisation négative de soi-même et de son groupe a engendré une culture de refoulement caractéristique des réserves nord-américaines et d'une volonté d'en échapper en abandonnant tout pour changer, non de classe sociale, mais plutôt de « race sociale », d'où révoltes et rébellions armées, résistance passive, mouvements messianiques. Ces mouvements de révolte et de contestation du passé ont souvent conduit les Indiens à l'échec. Mais ces différentes formes de résistance ont néanmoins entretenu une mémoire collective tribale et pan-indienne. C'est cette mémoire collective traditionaliste qui a contribué à la continuation des valeurs indiennes, au maintien, d'une part d'une conscience ethnique, tribale et culturelle, et d'autre part à la formation d'une conscience pan-indienne.

Mais, répétons-le, et les Indiens eux-mêmes en sont conscients, les sociétés indiennes nord-américaines sont toujours très menacées. Elles peuvent espérer se défendre grâce à des rencontres et à des échanges à l'échelon continental et international au nom d'une solidarité pan-indigène. Les sociétés amérindiennes revendiquent leur spécificité ethnique, tribale ou culturelle. Le père du tribalisme amérindien est sans aucun doute l'écrivain et polémiste sioux Vine Deloria, Jr., auteur de « Custer Died for Your Sins : an Indian Manifesto et de God Is Red ». Si les anthropologues ont toujours quelques hésitations avant d'utiliser le terme « tribu », il n'en est pas de même dans l'optique populaire nord-américaine et en particulier indienne. Vine Deloria croit que si la société américaine globale « peut s'en sortir », ce sera en écoutant les « peuples tribaux » (tribal people). Selon lui, et les Indiens en général partagent cette opinion, une société tribale est une entité chaleureuse et humaine, qui contraste vivement avec les froides bureaucraties commerciales que sont les sociétés occidentales. Pour la conscience populaire amérindienne, une tribu est une population unie qui « parle le même langage », au sens le plus large du terme, qui fait remonter sa généalogie à des ancêtres communs, qui partage la même économie fondée sur l'entraide, et surtout qui participe à la même religion, celle des Ancêtres.

Cette prise de conscience de leur indianité tribale et pan-indienne est une expression politique, mais surtout un processus social dynamique qu'il appartient aux Indiens de définir Les divers mouvements indiens ne s'y sont pas trompés. Ils visent tous à revaloriser leurs cultures dépréciées pendant si longtemps ; ils cherchent aussi à relancer la pratique des langues amérindiennes. En ce qui concerne les Sioux, ce dernier effort n'a eu à notre avis que relativement peu de succès et peu de résultats pratiques dans les réserves et les quartiers sioux des villes du Dakota du Sud. Le lakota est un langage très différent de la langue anglaise, tant du point de vue de la syntaxe que de la prononciation. Et les jeunes Sioux, trop préoccupés de leur bien-être immédiat et de leur appartenance pan-indienne, refusent de faire les efforts continus nécessaires pour acquérir la pratique quotidienne de la langue parlée de leurs ancêtres. Et pourtant, d'après les Sioux âgés, la langue sioux encore parlée actuellement s'est simplifiée et est devenue nettement moins gutturale.

Le deuxième point important de ces revendications actuelles est la préservation des terres des réserves et éventuellement la récupération d'une partie des terres perdues. Les associations indiennes s'efforcent donc de persuader le gouvernement fédéral de maintenir le système des réserves, et de continuer à fournir des aides financières et techniques pour permettre éventuellement d'arriver à un réel état d'autonomie interne dans les réserves. Or, malheureusement, il est bien évident que le gouvernement américain actuel pencherait pour l'optique inverse. [...]

Les Indiens de l'Amérique du Nord, et tout particulièrement les Sioux, sont conscients que, pour préserver leur identité, il leur faut être très vigilants. Ils ne veulent plus accepter les schémas proposés par les gouvernements fédéraux successifs, schémas constamment fondés sur une politique d'assimilation qu'ils rejettent. Par ailleurs, au niveau idéologique pan-indien, de nombreux Indiens se sont rendu compte, depuis qu'ils font partie des instances internationales, qu'il leur faut aussi se méfier des schémas proposés par les appareils de gauche souvent inadaptés parce que trop pragmatiques. C'est aussi un des constats établis par les chercheurs du « Centre interdisciplinaire d'études latino-américaines » de Toulouse dans leur ouvrage collectif, « Indianité, ethnocide, indigénisme en Amérique latine » (C.N.R.S.).

Pour préserver leur identité culturelle et tribale, les Sioux ont opté pour l'utilisation, en les réinterprétant quelque peu, de certaines formes d'organisation traditionnelle et surtout des croyances religieuses de type chamanique [...].

Chamanisme

Si nous définissons comme visionnaire quiconque a eu des visions à l'état de veille ou en rêve, on peut dire que les Sioux ont été un peuple de visionnaires acharnés, à tel point qu'il est difficile de repérer ceux dont les fonctions et les pouvoirs peuvent être qualifiés de chamaniques.

En effet, jusqu'au 19ème siècle, vers l'âge de dix ans, les garçons devaient participer à leur première quête des visions en jeûnant et en priant. De leur côté, les filles pouvaient entrer en contact avec le surnaturel pendant leur période de retraite solitaire (isnati) au moment de leurs menstruations. Par la suite, tous les individus sioux avaient la possibilité de solliciter directement les Esprits, au cours de rituels précis, quêtes des visions (hanbleceya), loge à transpirer (inipi), Danse du Soleil, pour résoudre leurs problèmes personnels et familiaux.

Ainsi […], selon les Esprits contactés et les pouvoirs par eux octroyés, s'opérait une hiérarchisation des visionnaires. Certains Sioux devenaient des ihanblapi, des rêveurs : ils rencontraient dans leur sommeil ou pendant un rêve éveillé des animaux wakan (wanbli oyate « la nation aigle », mato oyate « la nation ours », etc.) qui leur communiquaient des messages surnaturels. Grâce à ces alliés surnaturels (le loup, le coyote, le bison, le cerf à queue noire, le wapiti, etc.), les rêveurs acquéraient des talents particuliers qui leur permettaient d'accomplir des prouesses à la guerre, à la chasse, mais aussi en tant que danseur, musicien, et chanteur. De leur côté, les femmes lakota pouvaient devenir des spécialistes des broderies en piquants de porc-épic, des spécialistes du tannage et de la préparation des peaux. Certaines des rêveuses fabriquaient des charmes de protection pour la guerre destinés aux hommes ; certaines devenaient, grâce à leur vision, les détentrices de la fécondité et de la bonne moralité des tiyospahe (communautés) sioux.

Le contenu des messages surnaturels et les talents ainsi acquis augmentaient le prestige des rêveurs et leur donnaient la possibilité d'entrer dans les associations de rêveurs, telle hehaka ihanblapi kin, les rêveurs du wapiti, et dans les sociétés guerrières et policières qui regroupaient surtout les rêveurs du loup, du coyote et du chien. On peut dire que l'animal vu en rêve correspond en fait à l'Esprit de l'espèce.

Quant aux quelques Indiens qui échouaient dans leurs tentatives pour entrer en contact avec les Esprits, ils risquaient ainsi d'être voués au manque de pouvoir et donc de succès. En fait, il existait une solution, ceux qui avaient une nombreuse parentèle pouvaient acheter, grâce à la contribution financière de leurs parents, une partie du contenu du sac-médecine (wopiye) d'un visionnaire puissant.

Actuellement, les sociétés guerrières et les associations de rêveurs n'existent plus. Toutefois, des efforts sont entrepris depuis peu par quelques jeunes Sioux traditionalistes pour recréer certaines sociétés masculines, en grande partie à partir de documents ethnographiques, ce que les Sioux concernés ne veulent pas avouer pour le moment.

Par ailleurs, nous avons recueilli des témoignages montrant que des Sioux rencontrent toujours Deer Woman, sous la forme d'une très belle femme, très bien habillée, qui, nous l'avons montré, n'est autre qu'un des avatars d'Anog Ite, Femme au Double Visage, un des personnages centraux des mythes lakota. Si les femmes sioux choisissent les objets féminins que leur présente l'Esprit, elles deviendront des spécialistes en travaux féminins. Mais si elles décident d'imiter l'aspect femme fatale de Deer Woman, ces femmes deviendront des « femmes de mauvaise vie ». Par contre, si un jeune homme rencontre cette entité ambiguë, il peut tomber malade, voire en mourir, ou alors devenir un winkte, un homme-femme, un berdache selon la terminologie des spécialistes des Amérindiens.

Les Esprits pouvaient d'eux-mêmes décider d'entrer en contact avec des hommes et femmes lakota sans que ceux-ci aient cherché volontairement cette rencontre. Le plus souvent, il semble que les individus sioux ainsi contactés devenaient des voyants-guérisseurs, des wicasa wakan, des saints hommes. »

Danièle Vazeilles


de Danièle Vazeilles

Les symboles ethniques sont un lien puissant pour mieux rattacher une culture à son passé, mais aussi pour mieux se reconnaître dans les sociétés pluriethniques et multiculturelles que sont devenues les sociétés contemporaines.

Les Sioux sont un peuple de visionnaires acharnés : simples rêveurs, medecine-man, clowns-contraires, guerriers rêveurs du loup, chef de guerre, etc... On ne peut comprendre la situation contemporaine sans étudier le passé. Les sources écrites américaines sont analysées ici avec rigueur et souci méthodologique. Le travail de terrain et les témoignages recueillis par l'auteur montrent que pour les Lakotas contemporains, les rêves et les visions font encore partie de la vie quotidienne car ils sont porteurs de pouvoir ; les pensées sont formulées en des termes qui font intervenir les forces de la nature.

dimanche, janvier 20, 2013

Métaphysique de la liberté




Dans son livre « Les états multiples de l'être », René Guénon consacre un chapitre à la notion métaphysique de la liberté, liberté ultime qui s'apparente à la « spontanéité » de la sagesse extrême-orientale.

« Pour prouver métaphysiquement la liberté, écrit René Guénon, il suffit, sans s'embarrasser de tous les arguments philosophiques ordinaires, d'établir qu'elle est une possibilité, puisque le possible et le réel sont métaphysiquement identiques. Pour cela, nous pouvons d'abord définir la liberté comme l'absence de contrainte : définition négative dans la forme, mais qui, ici encore, est positive au fond, car c'est la contrainte qui est une limitation, c'est-à-dire une négation véritable. Or, quant à la Possibilité universelle envisagée au delà de l'Être, c'est-à-dire comme le Non-Être, on ne peut pas parler d'unité [...] puisque le Non-Être est le Zéro métaphysique, mais on peut du moins, en employant toujours la forme négative, parler de « non-dualité » (advaita) . Là où il n'y a pas de dualité, il n'y a nécessairement aucune contrainte. et cela suffit à prouver que la liberté est une possibilité, dès lors qu'elle résulte immédiatement de la « non-dualité », qui est évidemment exempte de toute contradiction.

Maintenant, on peut ajouter que la liberté est, non seulement une possibilité, au sens le plus universel, mais aussi une possibilité d'être ou de manifestation ; il suffit ici, pour passer du Non-Être à l'Être, de passer de la « non-dualité » à l'unité l'Être est « un » (l'Un étant le Zéro affirmé), ou plutôt il est l'Unité métaphysique elle-même, première affirmation, mais aussi, par là même, première détermination. Ce qui est un est manifestement exempt de toute contrainte, de sorte que l'absence de contrainte, c'est-à-dire la liberté, se retrouve dans le domaine de l'Être, où l'unité se présente en quelque sorte comme une spécification de la « non-dualité » principielle du Non-Être ; en d'autres termes, la liberté appartient aussi à l'Être, ce qui revient à dire qu'elle est une possibilité d'être, ou, suivant ce que nous avons expliqué précédemment, une possibilité de manifestation, puisque l'Être est avant tout le principe de la manifestation. De plus, dire que cette possibilité est essentiellement inhérente à l'Être comme conséquence immédiate de son unité, c'est dire qu'elle se manifestera, à un degré quelconque, dans tout ce qui procède de l'Être, c'est-à-dire dans tous les êtres particuliers, en tant qu'ils appartiennent au domaine de la manifestation universelle. Seulement, dès lors qu'il y a multiplicité, comme c'est le cas dans l'ordre des existences particulières, il est évident qu'il ne peut plus être question que de liberté relative ; et l'on peut envisager, à cet égard, soit la multiplicité des êtres particuliers eux-mêmes, soit celle des éléments constitutifs de chacun d'eux. En ce qui concerne la multiplicité des êtres, chacun d'eux, dans ses états de manifestation, est limité par les autres, et cette limitation peut se traduire par une restriction à la liberté ; mais dire qu'un être quelconque n'est libre à aucun degré, ce serait dire qu'il n'est pas lui-même, qu'il est « les autres », ou qu'il n'a pas en lui-même sa raison d'être, même immédiate, ce qui, au fond, reviendrait à dire qu'il n'est aucunement un être véritable. D'autre part, puisque l'unité de l'Être est le principe de la liberté, dans les êtres particuliers aussi bien que dans l'Être universel, un être sera libre dans la mesure où il participera de cette unité ; en d'autres termes, il sera d'autant plus libre qu'il aura plus d'unité en lui-même, ou qu'il sera plus « un » ; mais, comme nous l'avons déjà dit, les êtres individuels ne le sont jamais que relativement. D'ailleurs, il importe de remarquer, à cet égard, que ce n'est pas précisément la plus ou moins grande complexité de la constitution d'un être qui le fait plus ou moins libre, mais bien plutôt le caractère de cette complexité, suivant qu'elle est plus ou moins unifiée effectivement ; ceci résulte de ce qui a été exposé précédemment sur les rapports de l'unité et de la multiplicité.

La liberté, ainsi envisagée, est donc une possibilité qui, à des degrés divers, est un attribut de tous les êtres, quels qu'ils soient et dans quelque état qu'ils se situent, et non pas seulement de l'homme ; la liberté humaine, seule en cause dans toutes les discussions philosophiques, ne se présente plus ici que comme un simple cas particulier, ce qu'elle est en réalité. Du reste, ce qui importe le plus métaphysiquement, ce n'est pas la liberté relative des êtres manifestés, non plus que les domaines spéciaux et restreints où elle est susceptible de s'exercer ; c'est la liberté entendue au sens universel, et qui réside proprement dans l'instant métaphysique du passage de la cause à l'effet, le rapport causal devant d'ailleurs être transposé analogiquement d'une façon convenable pour pouvoir s'appliquer à tous les ordres de possibilités. Ce rapport causal n'étant pas et ne pouvant pas être un rapport de succession, l'effectuation doit être envisagée ici essentiellement sous l'aspect extra-temporel, et cela d'autant mieux que le point de vue temporel, spécial à un état déterminé d'existence manifestée, ou plus précisément encore à certaines modalités de cet état, n'est en aucune façon susceptible d'universalisation. La conséquence de ceci, c'est que cet instant métaphysique, qui nous paraît insaisissable, puisqu'il n'y a aucune solution de continuité entre la cause et l'effet, est en réalité illimité, donc dépasse l'Être, comme nous l'avons établi en premier lieu, et est coextensif à la Possibilité totale elle-même ; il constitue ce qu'on peut appeler figurativement un « état de conscience universelle », participant de la « permanente actualité » inhérente à la « cause initiale » elle-même.

Dans le Non-Être, l'absence de contrainte ne peut résider que dans le « non-agir » (le wou-wei de la tradition extrême-orientale) ; dans l'Être, ou plus exactement dans la manifestation, la liberté s'effectue dans l'activité différenciée, qui, dans l'état individuel humain, prend la forme de l'action au sens habituel de ce mot. D'ailleurs, dans le domaine de l'action, et même de toute la manifestation universelle, la « liberté d'indifférence » est impossible, parce qu'elle est proprement le mode de liberté qui convient au non-manifesté (et qui, à rigoureusement parler, n'est aucunement un mode spécial) , c'est-à-dire qu'elle n'est pas la liberté en tant que possibilité d'être, ou encore la liberté qui appartient à l'Être (ou à Dieu conçu comme l'Être, dans ses rapports avec le Monde entendu comme l'ensemble de la manifestation universelle), et, par suite, aux êtres manifestés qui sont dans son domaine et participent de sa nature et de ses attributs selon la mesure de leurs propres possibilités respectives. La réalisation des possibilités de manifestation, qui constituent tous les êtres dans tous leurs états manifestés et avec toutes les modifications, actions ou autres, qui appartiennent à ces états, cette réalisation, disons-nous, ne peut donc reposer sur une pure indifférence (ou sur un décret arbitraire de la Volonté divine, suivant la théorie cartésienne bien connue, qui prétend d'ailleurs appliquer cette conception de l'indifférence à la fois à Dieu et à l'homme) , mais elle est déterminée par l'ordre de la possibilité universelle de manifestation, qui est l'Être même, de sorte que l'Être se détermine lui-même, non seulement en soi (en tant qu'il est l'Être, première de toutes les déterminations), mais aussi dans toutes ses modalités, qui sont toutes les possibilités particulières de manifestation. C'est seulement dans ces dernières, considérées « distinctivement » et même sous l'aspect de la « séparativité », qu'il peut y avoir détermination par « autre que soi-même » ; autrement dit, les êtres particuliers peuvent à la fois se déterminer (en tant que chacun d'eux possède une certaine unité, d'où une certaine liberté, comme participant de l'Être) et être déterminés par d'autres êtres (en raison de la multiplicité des êtres particuliers, non ramenée à l'unité en tant qu'ils sont envisagés sous le point de vue des états d'existence manifestée). L'Être universel ne peut être déterminé, mais il se détermine lui-même ; quant au Non-Être, il ne peut ni être déterminé ni se déterminer, puisqu'il est au delà de toute détermination et n'en admet aucune.

On voit, par ce qui précède, que la liberté absolue ne peut se réaliser que par la complète universalisation : elle sera « auto-détermination » en tant que coextensive à l'Être, et « indétermination » au delà de l'Être. Tandis qu'une liberté relative appartient à tout être sous quelque condition que ce soit, cette liberté absolue ne peut appartenir qu'à l'être affranchi des conditions de l'existence manifestée, individuelle ou même supra-individuelle, et devenu absolument « un », au degré de l'Être pur, ou « sans dualité » si sa réalisation dépasse l'Être . C'est alors, mais alors seulement, qu'on peut parler de l'être « qui est à lui-même sa propre loi » , parce que cet être est pleinement identique à sa raison suffisante, qui est à la fois son origine principielle et sa destinée finale. »

René Guénon, « Les états multiples de l'être ».


Cet extrait du livre « Les états multiples de l'être » ne comprend pas les nombreuses notes de René Guénon. Le livre est téléchargeable gratuitement ICI.



Les états multiples de l'être
(version papier)




samedi, janvier 19, 2013

André Breton & l'intuition poétique



Dessin de Maurice Henry (1907-1984), poète et ami d'André Breton.

L'attitude du surréalisme à l'égard de la nature est commandée avant tout par la conception initiale qu'il s'est faite de l' « image » poétique. On sait qu'il y a vu le moyen d'obtenir, dans des conditions d'extrême détente bien mieux que d'extrême concentration de l'esprit, certains traits de feu reliant deux éléments de la réalité de catégories si éloignées l'une de l'autre que la raison se refuserait à les mettre en rapport et qu'il faut s'être défait momentanément de tout esprit critique pour leur permettre de se confronter. Cet extraordinaire gréement d'étincelles, dès l'instant où l'on en a surpris le mode de génération et où l'on a pris conscience de ses inépuisables ressources, mène l'esprit à se faire du monde et de lui-même une représentation moins opaque. Il vérifie alors, fragmentairement il est vrai, du moins par lui-même, que « tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » et tout ce qui est en dedans comme ce qui est en dehors. Le monde, à partir de là, s'offre à lui comme un cryptogramme qui ne demeure indéchiffrable qu'autant que l'on n'est pas rompu à la gymnastique acrobatique permettant à volonté de passer d'un agrès à l'autre. On n'insistera jamais trop sur le fait que la métaphore, bénéficiant de toute licence dans le surréalisme, laisse loin derrière elle l'analogie (préfabriquée) qu'ont tenté de promouvoir en France Charles Fourier et son disciple Alphonse Toussenel. Bien que toutes deux tombent d'accord pour honorer le système des « correspondances », il y a de l'une à l'autre la distance qui sépare le haut vol du terre-à-terre. On comprendra qu'il ne s'agit point, dans un vain esprit de progrès technique, d'accroître la vitesse et l'aisance de déplacement mais bien, pour faire que les rapports qu'on veut établit tirent véritablement à conséquence, de se rendre maître de la seule électricité conductrice.

Sur le fond du problème, qui est des rapports de l'esprit humain avec le monde sensoriel, le surréalisme se rencontre ici avec des penseurs aussi différents que Louis-Claude de Saint-Martin et Schopenhauer en ce sens qu'il estime comme eux que nous devons « chercher à comprendre la nature d'après nous-mêmes et non pas nous-mêmes d'après la nature ». Toutefois ceci ne l'entraîne aucunement à partager l'opinion que l'homme jouit d'une supériorité absolue sur tous les autres êtres, autrement dit que le monde trouve en lui son achèvement — qui est bien le postulat le plus injustifiable et le plus insigne abus à mettre au compte de l'anthropomorphisme. Bien plutôt à cet égard sa position rejoindrait celle de Gérard de Nerval telle qu'elle s'exprime dans le fameux sonnet « Vers dorés ». Par apport aux autres êtres dont, au fur et à mesure qu'il descend l'échelle qu'il s'est construite, il est de moins en moins à même d'apprécier les vœux et les souffrances, c'est seulement en toute humilité que l'homme peut faire servir le peu qu'il sait de lui-même à la reconnaissance de ce qui l'entoure. Pour cela, le grand moyen dont il dispose est l'intuition poétique. Celle-ci, enfin débridée dans le surréalisme, se veut non seulement assimilatrice de toutes les formes connues mais hardiment créatrice de nouvelles formes — soit en posture d'embrasser toutes les structures du monde, manifesté ou non. Elle seule nous pourvoit du fil qui remet sur le chemin de la Gnose, en tant que connaissance de la Réalité suprasensible, « invisiblement visible dans un éternel mystère ».

André Breton « Manifestes du surréalisme ».




A propos de l'état humain, Breton précise : « On n'a rien dit de mieux ni de plus définitif que René Guénon, dans son ouvrage « Les États multiples de l'être » : il est absurde de croire « que l'état humain occupe un rang privilégié dans l'ensemble de l'Existence universelle, ou qu'il soit métaphysiquement distingué par rapport aux autres états, par la possession d'une prérogative quelconque. En réalité, cet état humain n'est qu'un état de manifestation comme tous les autres, et parmi une indéfinité d'autres ; il se situe, dans la hiérarchie des degrés de l'Existence, à la place qui lui est assignée par sa nature même, c'est-à-dire par le caractère limitatif des conditions qui le définissent, et cette place ne lui confère ni supériorité ni infériorité absolue. Si nous devons parfois envisager particulièrement cet état, c'est donc uniquement parce que, étant celui dans lequel nous nous trouvons en fait, il acquiert par là, pour nous, mais pour nous seulement, une importance spéciale ; ce n'est là qu'un point de vue tout relatif et contingent, celui des individus que nous sommes dans notre présent mode de manifestation ». Par nous une telle opinion n'est, d'ailleurs, nullement empruntée à Guénon, du fait qu'elle nous a toujours paru ressortir au bon sens élémentaire (quand il serait sur ce point la chose du monde la plus mal partagée). »





vendredi, janvier 18, 2013

La faim justifie-t-elle les moyens ?




Hiver 2013

De plus en plus de personnes se livrent au glanage de nourriture à la fin des marchés et dans les poubelles des magasins d'alimentation ou des restaurants. Certains ne respectent plus la loi et volent pour manger. Un gendarme témoigne :

« Ce matin j'ai pris mon service de gendarme de réserve dans une brigade du ... . Après discussion avec mes collègues il est à noter une recrudescence des vols de nourriture... Des jeunes comme des personnes âgées ! Les jeunes font parfois des vols à main armées pour quelques euros dans le but de se nourrir et les vieux embarquent du jambon dans les supermarchés. Ils ont une retraite mais les charges sont tellement lourdes qu'ils n'ont plus de quoi acheter à manger ! Ça fait mal de les voir ainsi ! » (http://www.jovanovic.com/blog.htm)

La classe dominante est insensible à l'augmentation de la pauvreté et ignore les conséquences de la cherté de la vie. Elle refuse de voir l'ampleur de la crise sociale et parfois, comme la bourgeoisie de Nogent-sur-Marne, elle applaudit quand un maire interdit le glanage. Mais des émeutes de la faim pourraient éclater en France.

Hiver 1847

« L'hiver 1846-1847 sera le plus terrible que les pauvres aient eu à subir depuis plus d'un quart de siècle. Une crise multiforme perturbe l'économie d'Occident ; la famine sévit en Irlande ; dans la France de Louis-Philippe se propage une agitation pétrie d'archaïsme. Les campagnes du Berry constituent un des épicentres du mouvement ; c'est qu'ici domine la grande propriété céréalière ; les journaliers agricoles qu'elle emploie sont touchés plus que les autres par la cherté des subsistances.

Les événements qui se déroulent dans l'Indre en janvier 1847 forment une véritable synthèse de la, pratique de l'émeute ; menaces contre les possédants, entrave à la circulation des grains, inventaires autoritaires des greniers, taxation et vente forcées : rien ne manque au catalogue des troubles frumentaires.

La résistance au libéralisme se double ici d'une hostilité à la modernité des techniques, à la mécanisation du travail agricole ; les bandes qui parcourent la campagne détruisent les machines à battre et obligent les propriétaires à embaucher les journaliers sans travail. Il ne s'agit pas, bien loin de là, de violence aveugle mais de gestes accomplis par des artisans et des « laboureurs » qui se réfèrent à une économie morale passéiste et qui ont le sentiment d'agir en toute légalité, avec la caution des autorités municipales.

Très vite, l'événement va révéler les tensions, voire les haines qui fracturent la société rurale ; hostilité à l'égard du « bourgeois » c'est-à-dire, ici, du grand propriétaire, haine à l'égard du meunier et, plus encore, de l'usurier. Incontestablement, les troubles de Buzançais constituent l'aboutissement des révoltes populaires... » (Alain Corbin)

Pendant l'hiver 1846-1847, la cherté des subsistances et le chômage saisonnier aggravent les conditions de vie déjà précaires de maintes catégories sociales. Des émeutes, réflexe à la misère, éclatent dans trente-cinq localités de l'Indre.

Mais la « Jacquerie de Buzançais » reste « l'affaire la plus considérable », tant par la violence des troubles que par la dureté de la répression dont se font l'écho des personnalités marquantes du 19ème siècle : George Sand, Victor Hugo, Karl Marx et Gustave Flaubert.

LETTRE DE GEORGE SAND À RENÉ VALLET DE VILLENEUVE

(Nohant, 5 février 1847)

Cher cousin,

je pars pour Paris dans quelques heures et ne veux pas quitter Nohant sans vous remercier et vous demander pardon des inquiétudes que vous avez eues pour moi. Nous avons été tranquilles pour nous-mêmes comme s'il ne s'était rien passé autour de nous quoique l'émeute se resserrât de tous côtés sur la Vallée Noire et eût même pénétré à une demie lieue de chez nous. Mais il ne faut pas croire tout ce qu'on dit. Je ne juge pas les émeutiers des autres localités, je ne les connais pas ; mais, je juge ceux du Berry et je vois ce qu'ils sont et ce qu'ils font.

Ce sont des gens qui ont faim et qui se fâchent contre les avares et les spéculateurs. Ils ont montré un rare discernement dans leurs vengeances, qui, pour être fort illégales n'en étaient pas moins justes. Ne plaignez pas le propriétaire de Villedieu. C'est un Monsieur Maçon ou Masson, bourgeois enrichi, ignoblement avare, et plus que cela, fripon et méprisable sous tous les rapports, les peintures de Villedieu sur lesquelles il avait spéculé et brocanté comme un juif n'étaient plus que des croûtes, et tout son luxe de mauvais goût jeté à la rivière n'inspire aucun regret. Un autre propriétaire pillé était un espèce de fou qui crachait volontiers à la figure d'un paysan et lui administrait des coups de cravache quand il avait bu. Il a eu la bravoure de se sauver quand on est venu chez lui, et il écrit maintenant des injures au préfet pour ne pas l'avoir préservé, tandis que le préfet était à huit lieues de là au milieu d'une autre échauffourée. Tous les propriétaires qui ont reçu ces révoltés avec calme, bonté et même avec une fermeté noble et polie ont été respectés corps et biens. Une vieille demoiselle seule dans son château leur a donné à souper et leur en a fait les honneurs. Ils n'ont pas seulement élevé la voix devant elle. Un propriétaire a été massacré, il est vrai, mais après avoir tué deux hommes qui ne le menaçaient pas et qu'il eût pu raisonner. En certains endroits, ces brigands ont été d'une générosité extraordinaire dans leurs procédés. Voilà ce qu'on ne dit pas et ce qu'on ne veut pas dire. On a peur, et on invoque les gendarmes, pour se dispenser d'être bon et juste. Encore une fois, je ne dis rien de vos émeutiers, je ne sais rien, mais je vous réponds que si vous étiez ici, vous dormiriez sur les deux oreilles au milieu du bruit, car on n'en veut qu'à ceux qui se conduisent mal, et spéculent effrontément sur cette affreuse misère. N'y a-t-il pas quelque chose de plus révoltant que de voir des hommes privés de tout, perdre patience et demander du pain un peu haut ? C'est de voir des hommes gorgés d'argent refuser le nécessaire à leurs semblables et se frotter les mains en se disant que l'année est excellente pour faire de bonnes affaires sur les blés ! Savez-vous que beaucoup d'industriels s'en vantent et que beaucoup font travailler au rabais, profitant de ce que le désespoir et l'indigence extrême font accepter à des malheureux 12 sous par jour ? Aussi ces Messieurs font-ils beaucoup travailler, l'occasion est si bonne, et l'année si favorable ! C'est affreux, et entre ceux qui vont comparaître aux assises et ceux qui vont les accuser, je ne sais pas trop lesquels ont mérité les galères...

George SAND






jeudi, janvier 17, 2013

Le syndrome de Noé




Un amour pathologique et destructeur : le hoarding

La Société protectrice des animaux est parfois confrontée à un type d'attitude très particulière : « celle de personnes qui n'ont pas conscience qu'elles maltraitent leurs animaux mais qui se laissent dépasser par leur amour pour eux en s'entourant d'un trop grand nombre d'entre eux, les mettant ainsi dans de mauvaises conditions qui ne répondent plus à leurs besoins. C'est le phénomène de l'animal hoarding (de l'anglais to hoard : accumuler), qui a tendance à connaître un véritable essor.

Certains se souviennent peut-être de cette femme russe, habitant en Sibérie, qui comptait dans son appartement près de 150 chats, tous ramassés dans la rue. « Catwoman » avait alors fait la une des télés du monde entier. Loin d'être un simple délire de vieille dame, l'animal hoarding est considéré aux États-Unis comme une vraie maladie mentale, classée parmi les TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Il s'agit d'avoir en sa possession un nombre d'animaux au-delà du raisonnable, sans se rendre compte que l'on est dans l'incapacité de leur fournir le minimum d'hygiène, de nourriture et de soins, ces négligences entraînant une dégradation de l'habitat, de graves problèmes de santé pour les animaux, allant parfois jusqu'à la mort. Cela s'accompagne chez les personnes d'un déni de cette incapacité à les soigner et de problèmes relationnels ou familiaux. Ces critères ont été déterminés par Gary J. Patronek, médecin psychiatre américain qui s'est penché depuis une dizaine d'années sur le problème des hoarders.

Quoique moins étendu, le phénomène n'est cependant pas anodin en Europe. Les associations de protection animale sont de plus en plus régulièrement confrontées à des gens qui adoptent en masse et laissent leurs animaux se reproduire sans aucun contrôle. Ces gens se disent souvent éleveurs ou protecteurs souhaitant sauver tous les animaux en détresse ; ils viennent sur les forums Internet ou dans les refuges, épluchent les petites annonces pour adopter d'autres animaux ou en vendre. Nourriture non adaptée, hygiène déplorable, aucune quarantaine, contaminations et décès d'animaux en cascade... Aujourd'hui, des associations essaient de réunir des preuves contre elles, mais c'est difficile car un hoarder vit dans le déni total, persuadé qu'il aide les animaux ; de plus il a travaillé insidieusement pour se forger une image destinée à se faire respecter. Les cas les plus difficiles à résoudre restent ceux de personnes « déguisées » en sauveurs d'ani-maux légitimes, refuges ou sanctuaires puisque la distinction entre ceux qui pensaient bien faire (et se retrouvent débordés) et les vraies pathologies de personnes victimes de compulsion est ténue.

Détenir beaucoup d'animaux ne fait pas forcément de vous un hoarder tant que vous pouvez accueillir et soigner les animaux dans de bonnes conditions, nécessaires à leur santé et à leur bien-être. Mais les adoptions à outrance peuvent vite submerger les personnes les mieux intentionnées du monde. Si les animaux sont les premières victimes, les humains peuvent également être affectés : les possibilités de contagion existent bel et bien et un hoarder peut aller jusqu'à négliger sa famille pour ses animaux. Voici un exemple en septembre 2008, en banlieue parisienne où les services de fourrières sont appelés pour intervenir dans un domicile. L'alerte a été donnée par les services sociaux car les enfants de la famille n'étaient plus scolarisés depuis plusieurs jours. En pénétrant dans les lieux, ils ont été assaillis par des odeurs pestilentielles et ont trouvé trente chiens de petites tailles entassés dans le salon, probablement pas sortis depuis plusieurs mois (plusieurs années ?), les déjections jonchant le sol, des cadavres de chiens dans les coins et deux enfants de huit et dix ans, eux-mêmes couverts de déjection et dans un état sanitaire déplorable... Les enfants ont été confiés aux services sociaux et les animaux à la SPA, en vue de leur réadoption après une période d'éducation plus que nécessaire. Tel a été également le cas d'une mère et de sa fille qui se sont retrouvées avec plus de cent chiens dans leur maison. Ces personnes qui, au départ, ne possédaient que quelques femelles et mâles n'avaient pas stérilisé leurs animaux faute de moyens financiers. Ces animaux se sont reproduits et elles ont accueilli toutes les portées. En dix ans elles sont passées de moins de cinq chiens à plus de cent. La SPA avait alerté la Direction des services vétérinaires (DSV) plusieurs années auparavant lorsque la famille ne possédait que quelques dizaines d'animaux, sans résultat. En revanche, en 2008, la DSV a su faire appel à la SPA pour récupérer, en urgence bien sûr, la centaine d'animaux présents. »

Caroline Lanty


Caroline Lanty, avocate au Barreau de Paris, a été présidente nationale de la Société protectrice des animaux de 2006 à 2008. Dans son livre, « Le Scandale de l'animal business », elle souhaite sensibiliser et interpeller l'opinion publique pour dénoncer le commerce des animaux de compagnie, trop souvent relégué au rang de l'anecdote et du fait divers.

Le Scandale de l'animal business 

Le regard attendrissant des chiots et chatons parqués dans les vitrines d'animaleries cache souvent une réalité sordide. Celle d'un trafic d'animaux cruel mais très lucratif.

Ce commerce échappe à tout contrôle douanier, sanitaire ou économique et alimente une demande croissante, irresponsable, d'animaux de compagnie devenus animaux objets. Sait-on que ce trafic, de chats et de chiens principalement, est souvent organisé par des filières mafieuses d'Europe de l'Est ? Mais pas seulement... De nombreux élevages en France le pratiquent également. A-t-on idée des sommes que génère ce marché et dans quelles conditions ces animaux marchandises sont élevés, transportés et vendus ?

Face à la passivité des pouvoirs publics, la SPA a dû prendre les devants et créer une cellule de choc, la Cellule anti-trafic, destinée à lutter en France et en Europe contre les trafiquants d'animaux. Mais elle a besoin d'un soutien juridique et pénal, aujourd'hui inefficace, voire inexistant, pour convaincre gendarmes, policiers, et surtout le ministère de l'Agriculture et la Direction des services vétérinaires de la nécessité d'agir.

Ce livre fait la lumière sur des pratiques intolérables passées sous silence. II dénonce également l'ineptie des lois sur les chiens dits dangereux et montre toute l'urgence de mesures protectrices des animaux, paradoxalement menacés par l'amour que nous leur portons.

mardi, janvier 15, 2013

Nourriture terrestre



Selon le journal suisse Le matin du 27 décembre 2012 :

Des Suisses continuent de manger chiens et chats

En Suisse, précise l'article, chacun est autorisé à manger de la viande de chien ou de chat. Les associations de protection des animaux voudraient mettre fin à cette pratique. Mais la Confédération estime que cela relève du choix personnel. 


    Nos plus lointains ancêtres, les premiers hommes, lorsqu'ils se dégagèrent de leur animalité simienne, étaient-ils des carnivores ? Certains préhistoriens actuels vont jusqu'à soutenir que c'est seulement à partir du moment où ces créatures, encore ambiguës et indéfinissables, commencèrent à faire d'autres animaux leurs proies, à devenir, a-t-on écrit, des « tueurs armés », que l'on peut réellement parler d'hommes. En d'autres termes, le début de la prédation marquerait la frontière qui sépare les pongidés ou anthropoïdes, si proches physiologiquement de l'homme, des hominiens proprement dits. La chasse serait le mode d'éducation de l'espèce humaine, le facteur essentiel de transformation qui affecta ses mains, ses pieds et ses dents, et développa son cerveau ; elle serait enfin à l'origine même de sa vie sociale.

Cette vue rétrospective s'appuie évidemment sur les traces de l'existence des hommes préhistoriques qui sont parvenues jusqu'à nous : des os de bêtes et des pierres utilisés comme outils ; les pierres ont donc servi à tuer. Pourtant l'évidence peut être trompeuse, car de la vie de nos ancêtres n'a subsisté que ce qui pouvait se conserver dans le sol : les os et les pierres, mais le reste ? Or ce reste, c'est précisément tout ce qui appartenait au monde végétal, tout ce qui dans la terre ne pouvait que se décomposer.

Toute tentative de reconstitution de la vie préhistorique demeure de ce fait obligatoirement incomplète et par conséquent largement hypothétique. Quant à l'interprétation que l'on peut donner de ces restes, elle est nécessairement subjective, qu'il s'agisse du « tueur armé » ou du « bon sauvage », du naïf paradis de l'âge d'or ou de l'enfer si « réaliste » que certains nous retracent aujourd'hui avec tant de complaisance. L'on ne voit d'ailleurs que trop bien ce qui sous-tend les conclusions pessimistes de tels auteurs. Le « bon sauvage » est apparu au moment où l'on voulait croire à l'innocence originelle de l'homme, à l'époque où l'on pensait qu'il suffirait d'une révolution pour la retrouver. Les révolutions se sont succédé, et l'homme n'en est pas devenu meilleur. On s'était donc trompé et il ne reste plus qu'à prendre le contre-pied de l'ancienne théorie. De plus, reconnaître à l'homme dès son origine des connaissances dont on postule qu'elles ne purent s'acquérir que progressivement serait compromettre les notions conjointes d'évolution et de pro-grès, c'est-à-dire des dogmes devenus sacro-saints. On soutiendra donc que l'homme est parti de très bas, afin de pouvoir démontrer qu'il est parvenu très haut.

Mais ne s'agit-il pas là d'une simple vue de l'esprit ? Et celle-ci ne proviendrait-elle pas du cloisonnement qui sépare aujourd'hui des disciplines qui traitent du même sujet, bien que les aspects qu'elles en examinent soient en effet différents ? Les préhistoriens ne tiennent guère compte des recherches récentes des historiens des civilisations, dont certains vont jusqu'à remettre en cause un schéma de l'évolution historique, qui passait il y a peu de temps pour définitivement acquis, ils ignorent systématiquement les travaux des ethnologues ; et ces derniers, comme les préhistoriens, méconnaissent les études des botanistes et, en particulier, les découvertes décisives des ethnobotanistes, et ainsi de suite...

Peut-être seul empêche d'y voir clair l'écran artificiel, mais étanche, qui sépare radicalement aujourd'hui encore l'homme des animaux, comme si l'homme n'était l'un d'entre eux, comme si avec lui l'évolution — événement sans précédent — fût repartie à zéro. Tout animal a, par définition, une connaissance exacte et précise du milieu où il vit, de sa « niche écologique » ; sans quoi il ne pourrait l'utiliser, donc y survivre. Il en va encore ainsi pour nos plus proches parents, les grands singes anthropoïdes, qui sont des végétariens stricts (les gorilles, par exemple), ou ajoutent occasionnellement à leur régime habituel un apport carné (cas des chimpanzés). De récentes observations ont montré qu'en ce qui concerne l'utilisation des plantes comestibles, les anthropoïdes procédaient généralement par imitation et souvent aussi par essais et erreurs, qu'ils étaient parfaitement capables de faire dans ce domaine des découvertes, d'ailleurs transmissibles et variables suivant les groupes.

Faut-il absolument faire intervenir ici une discontinuité, alors que celle-ci semble bien être surtout un présupposé théorique ? Pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour nos lointains prédécesseurs ? On a prétendu que le milieu où vécurent, en Afrique orientale, les premiers hominiens ne contenait pas de ressources végétales suffisantes : mais c'est là, d'une part, tenir pour certain que ce milieu était identique à ce qu'il est aujourd'hui — ce qui n'est nullement certain, plutôt même hautement improbable — et, d'autre part, juger de ces ressources en fonction des connaissances infiniment plus réduites que nous en avons, en fonction aussi de nos propres besoins d'hommes suralimentés.

Bien plus vraisemblablement doit-on admettre que la nourriture des premiers hommes était, pour l'essentiel, végétale, ne serait-ce que pour la simple raison qu'une proie animale est mobile, que sa rencontre est hasardeuse et bien plus encore sa capture, tandis que la plante est toujours là, à la disposition de qui en connaît l'usage. La nourriture carnée ne peut donc être qu'exceptionnelle, et l'homme, poussé par la nécessité quotidienne, a certainement très vite sélectionné fruits et baies sauvages, pousses et bourgeons agréables au goût, racines et tubercules comestibles.

Il l'a fait d'ailleurs aidé par l'exemple que lui fournissaient les animaux, qui savaient découvrir d'eux-mêmes dans le milieu végétal qui les entourait tout ce qu'il fallait pour satisfaire leurs besoins, grâce à un instinct qui apparaissait à l'homme comme une sorte de divination. Mais de divination à divin il n'y a pas loin et la reconnaissance de ce pouvoir n'a pas manqué d'émerveiller l'homme au point de lui faire rendre un culte à certaines espèces animales qui furent réellement ses instructrices ; culte qui, sous des formes plus élaborées, plus « mentalisées », a subsisté jusqu'au sein des grandes civilisations traditionnelles.

Jacques Brosse







lundi, janvier 14, 2013

Calibre 9, un film anti-oligarchie





Synopsis

« Dans une ville française gangrenée par la corruption, Yann Moreau est un jeune urbaniste frustré par son travail. Sa vie ne se résume qu’à peu de choses : magouiller, profiter du système et obéir à son patron, le Maire de la ville.

Mais, l’intrusion dans sa vie d’un étrange pistolet va entraîner Yann dans une terrible descente aux confins de la folie. Sarah, un Calibre 9 possédé par l’âme d’une ex-prostituée, dévoile au jeune urbaniste le revers de ses actes crapuleux. Manipulé par celle-ci, Yann se retrouve malgré lui dans la peau d’un justicier et abat froidement l’un des plus grands pontes et gangsters de la ville Frédéric Pontamousseau.

Recherché par Richard Wolfhound un vieux flic dérangé, aux méthodes peu recommandables, Yann Moreau n’aura plus aucune alternative pour sauver sa peau, il devra s’associer coûte que coûte avec Sarah, le Calibre 9. »

Site de Calibre 9




« Certaines vies valent la peine d'être supprimées. »

Vers la fin du film, quand les justiciers du peuple (l'urbaniste Yann Moreau et le policier cancéreux Richard Wolfhound) massacrent l'organisation oligarchique ainsi que le préfet corrompu qui contrôlent la cité, une voix off déclare :

« ...Personne ne t'a jamais dit quelque chose d'aussi important, d'aussi vrai, d'aussi vital :

J'ai laissé les clés du monde à ceux qui le gouvernent aujourd'hui parce qu'on a permis à cette bande de salopards de rester les maîtres du monde pour ça, pour l'argent, pour le pouvoir, pour le territoire. Il faut le reprendre ce territoire, il est à nous. Et aujourd'hui, on va le faire. On peut le faire avec ça (le pistolet animé par l'âme d'une femme)...

On remet les compteurs à zéro :
  • Les politiciens qui ne servent que leurs intérêts : peine de mort !
  • Les industriels qui pourrissent la planète : peine de mort !
  • Les chefs religieux, la grande distribution : peine de mort !
  • Les groupes pharmaceutiques : peine de mort ! »


Le taux d’hémoglobine du film dépasse largement la moyenne. Mais derrière la caricature, le réalisateur de « Calibre 9 », Jean-Christian Tassy, exprime la violence des sentiments d'une partie de la population à l'égard de l'oligarchie.




dimanche, janvier 13, 2013

Mariage gay & retour de l'Eglise





« De toutes les choses sérieuses, le mariage étant la plus bouffonne... »
Beaumarchais, « Le Mariage de Figaro ».



Le 13 janvier 2013, les opposants au mariage homosexuel (800 000 selon les organisateurs) manifestent dans trois cortèges, un quatrième est emmené par les intégristes de Civitas. Avec cette importante mobilisation, l'Eglise fait son grand retour dans le débat politique. Retour qui ne plaira pas à l'auteur de cette lettre : 

« Mon cher petit frère,

Tu ne peux savoir combien je regrette que tu aies ainsi embrassé la carrière ecclésiastique ! Combien je souffre de t'y voir persévérer, malgré mes conseils, exhortations, malgré mes insultes ! Combien je rougis de honte à la lecture de chacune de tes lettres : tu appelles sur moi la bénédiction de la Vierge, et j'enrage de te voir te vautrer dans la boue catholique, toi qui montrais tant de talents... Un jour peut-être te demandera-t-on des comptes, si j'en crois ces paraboles que tu ne comprends plus à force de les lire.

Voilà ce que je voudrais te montrer aujourd'hui : tu as des yeux et tu ne vois plus. Tu as épousé la cécité, l'impuissance et l'inutilité. Dieu se moque de toi, ne le comprends-tu donc pas ? Avec tes archevêques, tes processions, ton encens, tes paroles rituelles, tes étoles et tes burettes, ton saint-chrême et tes sermons, tu emboîtes le pas d'une cohorte de misérables, d'indécrottables imbéciles dont Dieu se rit.

Oui, j'ai bien échoué avec toi. Je te parle et tu ne m'entends plus. Quelle pitié ! Tu m'échappes et tu te perds.

Je vais te les montrer, toutes ces saintes que tu vénères, ces "bienheureuses" : la Madeleine du Caravage, l'épaule nue, la bouche entrouverte, les yeux révulsés ; celle de Simon Vouet, le sein lumineux, les lèvres en sourire ; la sainte Thérèse du Bernin, lovée dans ses plis de marbre qu'un amour ailé froisse d'une main spirituelle, les paupières mi-closes, la bouche semblant exhaler un souffle de plaisir ; la bienheureuse Ludovica Albertone, du Bernin également, étendue sur son sofa, une main sur le ventre, une autre se pétrissant le sein, et toujours cette tête rétroversée, cette bouche ouverte ; ces multiples extases de sainte Thérèse, celle de Francesco del Cairo, celle de Sébastien Ricci, qu'on dirait une apothéose... Mais tu ne les connais donc pas ? À quoi passes-tu ton temps, dans ton séminaire romain ?

Tu pourrais aussi lire. Tu ne savais pas, j'en suis sûr, que le Christ disait à sainte Marguerite : "Mon cœur est si passionné d'amour pour tous les hommes et pour toi en particulier que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu'il les répande en toi." Il lui disait aussi, mais tu l'as oublié : "Voilà le lit de mes chastes amours où je te ferai consommer les délices de mon amour." Comme disait Stendhal, pour qui certaine femme pieuse n'avait point de secret, "rien de plus beau qu'une femme qui prie". Mais cela fait belle lurette que tu ne regardes plus les femmes, en prières ou en extase. Tu ne vois plus leurs jambes arpenter la terre. Tu ne sais pas comme c'est beau. Et de l'orgasme, tu ne sais que les visages pâmés des mystiques. [...]

De même qu'il est absurde d'établir une différence entre l'acte sexuel à deux et l'acte sexuel solitaire, il est impossible d'établir une différence de nature entre la jouissance de la mystique et celle de la femme dans le lit de son amant. Ainsi écrit Angèle de Foligno : "En cette connaissance de la croix, il me fut donné un tel feu que, debout près de la croix, je me dépouillai de tous mes vêtements et m'offris toute à lui." Inutile de t'en dire plus...

L'extatique, comme son double noir, la possédée, est habitée par Dieu (la possédée, par le Démon). Là est le point que tu ne dois pas perdre de vue : quelqu'un est en elles. Elles ont été pénétrées. Le but est celui-ci : être prise, jamais prendre. C'est ainsi qu'il y a tant de mystiques femmes. Elles appellent la mort avec impatience, elles appellent Dieu avec le même désir furieux, comme d'autres appellent le membre de l'homme. Et tandis que lui désire pénétrer, percer, autrement dit tuer, elles veulent être pénétrées, percées, tuées. On retrouve ainsi ce mot que je te citais : perdre la tête. On perd la raison, à défaut de la vie. Les extatiques tendent les bras vers le néant, qu'elles appellent de toutes leurs forces. C'est ainsi que se réalise l'union d'amour. »

JACQUES DRILLON, Le Livre des regrets.


Des saints amoureux jusqu'à l'extase :
http://bouddhanar.blogspot.fr/2012/04/des-saints-amoureux-jusqua-lextase.html







vendredi, janvier 11, 2013

Satan parmi nous





Dans une vidéo-interview en trois parties, Gilbert Abas, ancien officier de police des Renseignements généraux, retrace toutes les affaires satano-pédocriminelles et « met en évidence l'existence d'un réseau bien organisé, protégé par un système mafieux particulièrement pourri ».

Les réseaux satano-pédocriminels par Gilbert Abas :

Gilbert Abas est l'auteur du livre « Qui veut encore tuer le Christ ? »

Satan parmi nous

De tous les personnages historiques, le Diable demeure le plus célèbre, mais il n'est personne au monde qui pourrait, à notre avis, le définir exactement. Son portrait idéal, mais combien difficile ! devrait rassembler le pied fourchu de Pan, la bouche grimaçante des gargouilles médiévales et l'œil de braise du prince des sabbats. Encore faudrait-il lui adjoindre la mandoline de Méphistophélès et les panonceaux des bandes publicitaires qui tendent à réduire sa terrible figure aux proportions d'un livreur d'anthracite ou de paquets d'ouate thermogène.

Après la Renaissance qui prétendit le connaître dans ses aspects les plus intimes, les doutes ont surgi et le Diable a disparu de la scène jusqu'au mouvement Romantique dont les aimables conteurs ont ravivé sa rougeoyante image, magnifiée par le tintamarre de Berlioz. Pourtant, ni Gounod, ni Boïto n'ont réussi à le revaloriser auprès des sceptiques et des matérialistes contemporains de Victoria et du Second Empire. Malgré Charles Baudelaire et Gustave Doré, le Malin semblait s'effacer dans l'indifférence et dans l'oubli...

Mais l'hallucination et le mystère romantiques avaient préparé — grâce à l'Allemagne surtout, chacun le sait — une rentrée assez effrayante du fantastique. Dès 1836 « Gaspard de la Nuit » était véritablement « en quête du Diable » et, après toutes les chevauchées de Franz Schubert, Richard Wagner et Hugo Wolf, il nous revint avec « La nuit sur le Mont Chauve » (1867). Le génie de Moussorgsky sut ressusciter le cortège claudicant de la sorcière Baba-Yaga ( Tableaux d'une exposition, 1874), dont le bâton diabolique dirigea l'orchestre de Paul Dukas dans l'« Apprenti sorcier », qui fut d'abord plus fêté à Berlin qu'à Paris. La présence étrange et subtile de l'Esprit inspire à Maurice Ravel ses « Sortilèges » et, justement, son « Gaspard de la Nuit ». Le Diable en chair et en os, que ce soit en littérature ou dans les arts plastiques, n'apparaissait plus, comme l'Ennemi de Dieu, le Tentateur incessant, le Séducteur...

Au reste, n'est-ce point une gageure que de vouloir discuter des rapports existant entre Satan et l'Art moderne ? Le Diable, direz-vous n'existe pas, et il n'a probablement jamais existé. Pur concept de l'imagination hallucinée de nos lointains ancêtres, son emprise a, aujourd'hui tout à fait disparu. Quel artiste oserait donc le représenter, sans risquer de tomber dans un anachronisme ridicule ? Et quelle forme conviendrait-il de lui donner, qui éviterait un recours au classique accoutrement des ailes de chiroptères. des griffes, de la longue queue poilue, voire des attributs sexuels fortement accusés ?

Pourtant, aucune époque n'a été aussi imprégnée par le Satanisme que celle où nous vivons. Rodin avait exprimé son angoisse devant la Porte de l'Enfer et prouvé que dans notre monde, l'infernal était plus en deçà, qu'au-delà. Après 1918, les éructations et les pétarades du Jazz le réaffirmèrent ironiquement, quand son exotisme vint narguer la civilisation. Puis ce furent les lugubres désolations de la guitare hawaïenne : « Le chant d'un peuple qui s'enterre lui-même ! » disait un jour Ernile Mâle, néanmoins rompu aux larmes et aux horreurs du Moyen Age finissant.

Enfin, Stravinsky, en faisant déchirer Orphée par les Ménades — sur des rythmes qui n'apportèrent, certes, aucune interprétation luciférienne nouvelle ! — présentait, sans l'avoir cherché — ce macabre organisé, caractéristique de notre « univers concentrationnaire ». Un frisson glacé pouvait parcourir les rangs des spectateurs. « Délectation froidement abstraite, obstinément anti-expressive... qui prend à mon goût le masque de la laideur... » écrivait le critique René Dumesnil : il n'était, précisément, qu'une victime mal consciente du véritable diabolisme contemporain, diffus, mais attaché à tout et à tous... Cette dénonciation des supplices de la condition humaine d'aujourd'hui, impassiblement, le russo-américain l'offrait à ses admirateurs, en retard, toutefois, de vingt ans sur le Maître et attachés à l'anecdote ! Il n'y avait évidemment là, aucune intention de musique à programme ! mais, en raison de ce que l'Univers est ce qu'il est et que Stravinsky en cristallise sans le vouloir, du fait de son génie, les contradictions irritantes et malfaisantes, son « Orphée » était infernal. (Cette « cristallisation » dont Stravinsky parle lui-même dans sa « Poétique musicale », la psychanalyse l'explique, on s'en doute... et il y faut voir une impérieuse nécessité de libération de ce qui l'obsède : on pourrait dire que Stravinsky s'essaye à chasser le Mal. le Désordre, le Diable... « Le besoin de briser conduit ce grand musicien » écrit, d'ailleurs, André Michel). Sur un plan plus banal, du reste, que d'auditeurs enthousiastes ont déclaré de lui, depuis un demi-siècle : « Il y a du diabolique dans cet homme ! » Faut-il s'étonner qu'il domine, par la musique, tout notre siècle ?

Jamais, devant la faillite d'une science plus que discutable et d'une médecine puérile, qui mènent inexorablement aux conflits armés et à la pratique d'expériences monstrueuses, les hommes n'ont eu autant recours aux guérisseurs, aux pythonisses, aux médiums et à tous les théurges qui ont succédé aux sorciers des âges révolus. Les annonces mirifiques qui remplissent nos journaux offrent une planche de salut — Satan n'est-il pas le grand Consolateur ? — à tous ceux qui luttent contre l'inexorable ennui d'une existence étriquée et banale. Les salons des cartomanciennes et des magnétiseurs ne désemplissent pas, car nous sommes revenus au temps de Nostradamus et de Ruggieri. Qui sait même si certaines officines ne sont pas la réplique des sinistres cabinets de La Voisin et de l'abbé Guibourg ? Assurément, ces grands marabouts, ces gitanes, ces prêtresses, ces professeurs, et ces devins qui prétendent lire l'avenir dans la main, les taches d'encre, les boules de cristal et les tarots, ont de quoi nous faire sourire, quand ils promettent le bonheur « à tous les Français de bonne volonté ». Leur fructueux commerce qui fait intervenir la psycho-synthèse, les mystères de la galaxie et des démonstrations spiritualistes parfaitement vides de sens n'en demeure pas moins le reflet d'une époque bien troublée.

Au sein des mystères épais qui nous entourent, l'adoration des faux dieux renaît sur les ruines d'un rationalisme mal compris et l'action du démon se manifeste sous les formes les plus décevantes. L'archange déchu a depuis longtemps compris tout le parti qu'il était susceptible de tirer de la clandestinité et de l'ignorance. Jamais il n'oublie qu'il est le Prince du Mensonge, quand il s'occupe de tests stupides, de psychanalyse et de statistiques qui ramènent l'Amour à des chiffres et le Sacré à une courbe. Il n'en continue pas moins de hanter les couvents et le maintien des exorcistes dans les diocèses prouve que l'Eglise croit encore à la possession, à l'envoûtement et au succubat. Il n'y a pas si longtemps que le Grappin se montrait au curé d'Ars et qu'il détruisait les meubles de Don Bosco, Bernadette Soubirous aussi l'a entendu et, tout comme Chamiso et Dostoïevski, Papini prétend même l'avoir rencontré. A l'en croire, le Diable est « un personnage qui sort de l'ordinaire. Il est grand et très pâle ; il est encore assez jeune, mais de cette jeunesse qui a trop vécu et qui est plus triste que la vieillesse. Son visage très blanc, étiré, n'a de remarquable que la bouche mince. fermée, serrée, et une ride unique et très profonde qui s'élève perpendiculairement entre les sourcils et va se perdre presque à la racine des cheveux. Je n'ai jamais bien su de quelle couleur peuvent être ses yeux. pour la raison que je n'ai jamais pu le regarder plus d'un instant, et je ne sais pas davantage la couleur de ses cheveux, parce qu'un grand béret de soie, qu'il n'enlève jamais, les cache complètement. Il est toujours vêtu décemment, de noir, et ses mains sont toujours impeccablement gantées » (Il Diavolo, traduction de René Patris).

Sous cet aspect glacial, irréprochable, digne des vieillards des « 120 journées », et des voluptueux de l'« Histoire d'O », le Diable cache un tortionnaire sadique et un déicide convaincu. Oubliant un peu vite les exploits de Valdès et de Torquemada, les catholiques ont vu en Hitler le « médium de Satan », qui ne pouvait se passer de l'odeur du sang et de l'encens des crématoires. Les gestes accomplis par ses agents maléfiques, les bourreaux des camps de la Mort, qui se plaisaient à mêler la musique aux cris des réprouvés, ne différaient d'ailleurs guère, de ceux des démons de Polignac et d'Angkor. Aujourd'hui, le Marxisme passe pour la synthèse de toutes les hérésies et certains le considèrent comme la nouvelle Bête de l'Apocalypse contemporaine. Mais cette interprétation nous paraît aussi simpliste que celle qui consiste à ne voir en Dulle Griet, par exemple, que la représentation de la sorcière ou de la méchanceté. En fait, le Diable qui appartient consubstantiellement au monde, demeure légion, pluralité et métamorphose. S'il a cessé d'apparaître physiquement, il continue de rôder autour de nous et les saints dont les sens sont des plus exercés ont, comme Thérèse de Jésus, des Visions « où. sans percevoir aucune forme on voit quelqu'un présent ». Il souffle sur l'univers le vent de la folie et pousse les hommes à se précipiter au pied des idoles modernes qui se font adorer au cinéma, sur les stades et dans les réunions politiques. Le monde est retombé dans un étrange polythéisme dont les dieux exigeants se nomment record, vitesse et machinisme. En imposant le culte de la vedette et de la personnalité. Satan l'orgueilleux en est à ce point arrivé à duper les hommes qu'ils ont admis de pouvoir se sacrifier pour un seul homme ! L'admiration béate des monstres Sacrés, savamment entretenue par les campagnes publicitaires, a conduit à l'abêtissement des masses et l'effort intellectuel a fini par sombrer dans la négation de tout, et dans une étonnante confusion des valeurs. Humiliées par les gestes automatiques, les masses opprimées et asservies qui, jadis se révoltaient, ne réagissent même plus. La machine sociale comme l'a dit si justement Simone Weil est devenue une « machine à briser les cœurs, à écraser les esprits, une machine à fabriquer de l'inconscience, de la sottise, de la corruption, de la veulerie et surtout du vertige ». Le grand mot est lâché : le Vertige ! car c'est bien lui qui vous prend devant les folles expériences nucléaires dont l'affreux réalisme surpasse et de loin, les bizarreries des chapiteaux de l'An Mille, et des innombrables Danses macabres. La terreur collective, l'angoisse cosmique, risquent bientôt de s'emparer des âmes et les réactions en chaîne de la fission de l'atome pourraient bien devenir les chapitres d'une fulgurante Apocalypse. Jamais la voûte céleste n'a été aussi près de tomber sur ceux qui rêvent de conquérir les espaces sidéraux. Lange des Ténèbres, nouveau théoricien de la relativité, aux bords des abîmes de notre aveuglement, continue de jouer avec la Mort, sa fidèle compagne.

Témoins de leur temps, les écrivains ne peuvent échapper à l'oppression étouffante du diabolisme. Bien mieux, ils s'y délectent ainsi que des possédés volontaires et font tomber leurs lecteurs dans un masochisme qui glorifie l'abjection, la décomposition et la pourriture. Omniprésent, Satan n'admet point les demi-mesures, et il n'hésite pas à frapper de paralysie ou de gâtisme tous ceux qui. dans le même temps, cherchent à boire dans sa coupe et dans celle des archanges. Comme autrefois, il exige que l'on soit tout pour ou tout contre lui, mais il n'en chérit pas moins les modes insidieux de la calomnie et de l'hérésie venimeuse, qui exaltent la haine, le vice et les passions infâmes. Agissant grâce à des personnes interposées, des « âmes qu'il ulcère et incite à d'inexplicables crimes », il a semble-t-il cessé désormais de demander au Tout-Puissant la permission d'agir sur ses créatures.

Toutes les formes de l'Art qui, jadis célébraient la victoire du Dieu bon paraissent périmées, et nous assistons à un véritable retournement de la philosophie manichéenne. C'est le Dieu bon — sans le savoir, ou sans le vouloir — qui doit à présent s'efforcer de prouver la réalité de son action et l'efficacité de son pouvoir. L'Art sacré, ravalé aux broderies des kermesses de Lourdes et de Beauraing, figé dans le saindoux ou la matière plastique de Saint-Sulpice. a bien de la peine à défendre la splendeur divine en un temps où l'image du Christ sert de baromètre, et où le portrait de la Vierge orne les coquetiers et les verres à dents. En revanche, l'Art diabolique qui avait perdu du terrain après Goya et le mouvement romantique, n'a cessé de progresser depuis le début du vingtième siècle. Il a rencontré de fervents adeptes parmi les surréalistes et tous ceux dont les improvisations jaillissent de l'inconscient ou d'un choc psychologique indépendant de la volonté. Utilisant les forces, les chants et les passions occultes qui dorment en lui, l'artiste, comme l'écrivait Giorgio de Chirico ressent, avec la rapidité d'un éclair, un moment, une pensée, une combinaison qu'il jette sur la toile. « Comme le tremblement de terre secoue la colonne sur sa plinthe, nous tressaillons jusqu'au fond de nos entrailles. Nous jetons alors sur les choses des regards étonnés, c'est le moment. Le Protée qui dormait en nous a ouvert les yeux. Et nous disons ce qu'il fallait dire. Ces secousses sont pour nous ce qu'étaient pour le prophète glauque les lacs et la torture ». A l'heure actuelle, le Diable a, non seulement retrouvé les figurations sous lesquelles il apparaissait au Moyen Age, mais son mythe s'est encore développé grâce à la carte postale. à la bande dessinée et à la pellicule cinématographique. Michelet, ce grand intuitif, s'est lourdement trompé, en 1862, quand il a déclaré que, devenu un bon vieux, le Diable s'était résigné à gagner sa vie dans les petits métiers du spiritisme et des tables tournantes. Il ne pouvait présager la floraison de la littérature et de la dialectique infernale de nos contemporains qui, prenant Sade et Ducasse pour modèles encensent le Mal et le crime gratuit.

Roland Villeneuve


Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...