dimanche, novembre 06, 2011

Sogyal Rinpoché





Pas si zen, ces bouddhistes 



Par Elodie Emery


Sogyal Rinpoché, lama tibétain de renommée mondiale, vient d'achever une retraite de quatre jours à Paris. Destinés à initier les Occidentaux à la pratique de la méditation, les enseignements de ce maitre tibétain connaissent un vif succès. Pourtant, les rumeurs sur la légitimité du personnage ne cessent de croître : le gourou entretiendrait des relations à la limite de l'abus de pouvoir avec ses disciples les plus proches.

Reportage à Lerab Ling, dans le principal centre de retraites Sogyal Rinpoché.


« Sogyal Rinpoché en personne, tu te rends compte ? » « Je l'ai déjà vu une fois pendant une conférence à Amsterdam, mais de loin » « Une semaine entière avec lui... Je me sens tellement privilégiée.» Dans le luxueux temple bouddhiste de Lerab Ling, niché au coeur des Cévennes à Roqueredonde, l'excitation atteint son comble : l'arrivée du maître a été annoncée. Assis dans la position du lotus - éminemment inconfortable pour quiconque ne pratique pas assidûment le yoga -, les disciples ont écouté patiemment le discours d'introduction à cette retraite de méditation qui va les occuper pendant huit jours. Ils ont bien noté les règles à respecter : ne pas boire d'alcool, ne pas fumer, ne pas utiliser son téléphone portable, et parler le moins possible. Sauf sur le parking du centre, où ces comportements de débauche sont autorisés. Maintenant, action ! Les retraitants veulent voir leur gourou, en chair et en os.

Sogyal Rinpoché ? Un lama de renommée mondiale. Né au Tibet en 1947, il a été reconnu très jeune comme la réincarnation d'un des maîtres du treizième dalaï-lama, ce qui impose le respect de la communauté religieuse. Dès son arrivée en Europe, en 1971, il commence à enseigner les rudiments du bouddhisme tibétain aux Occidentaux. En plein rejet du christianisme, la génération hippie se passionne pour cette forme de spiritualité exotique. 


Esprit moderne, corps tibétain

Obèse mais énergique, le petit homme prend de l'envergure, jusqu'à fonder le centre de Lerab Ling. Le temple, modèle d'architecture bling-bling en pleine nature, est inauguré en grande pompe par le dalaï-lama en 2008, en présence de Carla Bruni-Sarkozy, Rama Yade et Bernard Kouchner. Il accueille aujourd'hui de 2 000 à 3 000 retraitants chaque année. La brochure de promotion dit de Sogyal Rinpoché qu'il a un « don remarquable pour réunir plus de deux mille cinq cents ans de sagesse et d'expérience bouddhistes d'une manière authentique, accessible, et tout à fait pertinente pour le monde d'aujourd'hui ». Un esprit moderne dans un corps tibétain (ou l'inverse) : le gourou fait mouche chez les Européens en quête de sens. Il est aussi l'autorité spirituelle de l'association Rigpa qui rassemble 130 centres bouddhistes dans 41 pays du monde, et l'auteur du Livre tibétain de la vie et de la mort, vendu à plus de 2 millions d'exemplaires dans le monde. Autant dire que Sogyal Rinpoché est à l'amateur de nourriture spirituelle ce que Lady Gaga est au fan de musique pop : une superstar. Mais sa notoriété et le succès que rencontrent les retraites n'empêchent pas les rumeurs persistantes sur la légitimité du personnage. Rinpoché ne serait pas le véritable auteur de l'ouvrage qui a fait sa renommée, et surtout, il entretiendrait des relations à la limite de l'abus de pouvoir avec ses disciples les plus proches (lire plus bas)...

Mais, en ce mois de juillet 2011, les 500 personnes inscrites à la traditionnelle retraite estivale de Lerab Ling ont d'autres préoccupations. Venues d'Italie, des Pays-Bas, d'Allemagne, d'Angleterre ou de France, toutes ont délaissé les plages et l'apéro au rosé pour s'isoler huit jours dans l'espoir de découvrir les secrets de la méditation. On compte bien dans l'assemblée un hippie quinqua et deux ados gothiques, mais l'essentiel est constitué de gens « ordinaires », venus seuls, en couple ou en famille. Unis par l'originalité de leur démarche, les participants ont le bon goût de ne pas se taper dessus quand les précieux coussins, indispensables pour tenir des heures assis en tailleur, viennent à manquer. Ceux qui en avaient discrètement empilé cinq sous leur postérieur ne rechignent pas longtemps à les céder à leur voisin : l'essentiel, après tout, est d'être en position de voir le gourou. Les architectes du temple ont prévu le coup en disséminant des écrans plats un peu partout dans la salle. Des interprètes se chargent de traduire les discours de l'anglais syncopé de Sogyal Rinpoché (« Is dat clear ? D'you undeustand ? ») dans les différentes langues des retraitants.


Humiliations publiques 

Quand le maître apparaît enfin sur l'estrade dans sa robe orange, comme il le fera chaque jour aux alentours de midi, les 500 groupies se lèvent comme un seul homme. Les plus zélés entament même une prosternation bouddhiste (genoux, ventre et front à terre) difficile à mener à bien, chacun disposant d'un espace limité aux dimensions de son coussin. Sogyal Rinpoché, c'est 1 m3 de pure sagesse : ça s'accueille dignement. « Il a les cheveux plus noirs que la dernière fois, non ? » murmure une femme à son mari. Rinpoché, qui signifie en tibétain « le Très Précieux », prend effectivement soin de son apparence. Les cheveux blancs, c'est un charme dont il se passe.

Ce matin-là, dans le temple à la décoration surchargée, où domine un bouddha en or de 7 m de haut, le gourou pointe d'un doigt agacé un grand portrait de maître placé derrière lui. «Qu'est-ce qu'elle fait là, cette photo ? » demande-t-il sèchement à ses assistants. S'ensuivent vingt minutes de mise au point et de brimades, alors que nonnes et disciples s'agitent en tous sens pour déplacer la photo. Au fil des « enseignements » dispensés chaque jour, ces scènes deviendront vite habituelles : loin du calme détachement du dalaï-lama, le chef spirituel du temple de Lerab Ling s'énerve, se moque et engueule ses collaborateurs. Qui pour une photo, qui pour un verre tombé, qui pour une porte mal fermée. L'exercice prend parfois des allures d'humiliation publique. « Faites-moi penser à investir dans un costume et une coupe de cheveux pour lui », dira-t-il à propos d'un de ses disciples, déclenchant l'hilarité de la salle.

De quoi rendre perplexes certains élèves. Laura, une Française de 31 ans, s'interroge : « Je n'arrive pas à faire le lien entre le Livre tibétain de la vie et de la mort, qui m'a bouleversée, et le personnage que je viens de découvrir ». Les « nouveaux » se rejoignent tous sur un point : pourquoi diable le maître s'acharne-t-il sur ses assistants qui se plient en quatre pour le servir ? « C'est vrai que cela peut surprendre, reconnaît Jack*, l'un des animateurs, un Américain qui essuie au moins 10 blagues par jour de la part du gourou. Mais c'est un enseignement. Si vous ne comprenez pas, c'est le but ! C'est pour casser vos concepts et vos habitudes ». Soit. Les retraitants ne se découragent pas pour si peu, et ils continuent à se lever de bonne grâce pour être à 9 heures pétantes dans le temple, prêts à recevoir la bonne parole.

L'épreuve du feu pour tester la volonté des disciples de casser tous leurs concepts se présente le troisième jour. Sans doute encouragé par le climat de compassion qui règne à Lerab Ling, un Néerlandais d'une quarantaine d'années juge le moment opportun pour se confesser devant le maître, et accessoirement devant les centaines de personnes également présentes dans le temple. L'homme prend la parole pour évoquer ses problèmes conjugaux, et la manière dont sa femme lui hurle dessus à toute occasion. Le gourou se lance alors dans un véritable show : « Avez-vous essayé de l'interrompre en l'embrassant ? Ou en lui faisant l'amour passionnément ? Non ? Et sinon, avez-vous essayé de prendre des cours de karaté ? » Le succès est immédiat, les retraitants se tapent sur les cuisses. « Vous êtes néerlandais ? Ce sont les pires. Peut-être que votre femme a raison de dire que vous ne savez pas communiquer ! Avez-vous essayé de lui dire simplement : « Jawohl, jawohl, mein Führer » ?» La salle s'étrangle de rire devant ces conseils illuminés de sagesse.

Mais la séance prend un tour inattendu quand l'homme se met à raconter ce qui suscite le courroux de sa femme : « J'ai travaillé pendant vingt-cinq ans avec des enfants handicapés mentaux. Un jour, j'ai abusé de ma position avec l'un d'eux ». Frémissement dans l'auditoire. « Je l'ai dit à ma femme, et c'est pour ça qu'elle fait peser une pression terrible sur moi, elle a toujours peur que je fasse quelque chose à notre fille de 4 ans». Devant le manque d'ouverture d'esprit manifeste de l'épouse, le maître choisit le silence. Il commence à être à court de blagues. « Un jour, elle a dû partir quelques jours. J'ai fait couler un bain pour ma fille et moi... L'eau était trop chaude, j'ai eu une sorte de malaise : je pouvais entendre et voir, mais je ne pouvais pas bouger. Et c'est là que ma fille m'a sucé ». La salle est muette, interdite. Sogyal Rinpoché reprend la parole : « C'est très courageux de le dire devant tout le monde ». Des applaudissements compatissants viennent saluer l'aveu de ces deux crimes pédophiles.

Le soir, on annonce que le « monsieur ayant tenu des propos provocants » a quitté la retraite et que « des gens compétents s'en occupent ». Le sujet divise les retraitants et alimente toutes les conversations. Les plus anciens élèves viennent voir les nouveaux, pour discuter avec eux du « mouvement de colère » que l'épisode soulève chez certains. « C'est intéressant que tu réagisses de manière aussi virulente, estime une disciple confirmée d'une soixantaine d'années, en s'adressant à une jeune femme en larmes. - Pour moi, c'est stupéfiant que ça te laisse aussi indifférente », lui répond-elle. Dès le lendemain cependant, l'épisode du « Néerlandais aux propos provocants » est enterré.


Silence, le gourou pète ! 

Encore cinq jours à tenir. Chacun se recentre sur son objectif : apprivoiser l'esprit qui s'échine à nous rendre malheureux, réveiller le bouddha qui sommeille en nous. Pour l'atteindre, une seule solution : suivre le maître. Les retraitants apprennent bien vite que tout ce que fait ou dit Rinpoché est un teaching, un « enseignement ». Personne n'a de mal à le comprendre quand il évoque avec beaucoup de clarté les principes de base de la méditation. Les élèves, enchantés, commencent à toucher du doigt le calme que procure la pratique du « repos de l'esprit », et c'est bien pour cela qu'ils sont venus. Mais c'est beaucoup moins évident quand le gourou se transforme en incarnation tibétaine de Jean-Marie Bigard et se met à imiter le bruit d'un pet ou à disserter sur les vibromasseurs. Ou quand il passe la moitié de la session à rabrouer son équipe parce que son gratte-dos n'est pas en place. Pendant le déjeuner, les retraitants échangent leurs impressions. Le conseil dispensé par les disciples confirmés est limpide : il ne faut surtout pas entrer en « résistance » avec les enseignements. Seule la « dévotion » de l'élève permet d'atteindre une authentique « connexion » avec Rinpoché. C'est lui-même qui l'explique le plus clairement : «Suivez les enseignements, ne réfléchissez pas trop. Je suis votre boss, je suis votre maître, votre rôle est de me suivre ». Au début de la semaine, l'accent était mis sur la communication ; mais à partir du quatrième jour, le gourou change d'avis et propose de supprimer les ateliers de discussion de l'après-midi qui, selon lui, ne servent à rien. On conseille au néophyte en quête d'éveil de ne pas trop poser de questions, mais plutôt de regarder le visage du maître quand il médite, d'écouter sa voix qui a des « pouvoirs spéciaux » et de prier pour lui quand il n'est pas dans son assiette. Sogyal Rinpoché promet que la technique a fait ses preuves. Il raconte comment certains de ses élèves ont guéri du cancer ou retrouvé la vue grâce à la force de leur « connexion ». Motivés, la plupart des retraitants suivent ces conseils avisés. Après tout, ils ont bien l'intention de tirer un maximum de bénéfices de l'expérience : ils ont payé pour ça.

Cash machine

Les plus jeunes et les plus fauchés (souvent les mêmes) ont déboursé 500€.Pour cette somme, ils ont accès aux enseignements, aux repas (légumes avec accompagnement de... légumes), et sont autorisés à planter leur tente dans la forêt. Il y a beaucoup de moustiques, et la distance qui sépare les dernières tentes du bloc sanitaire transforme toute envie nocturne en véritable expédition. Par ailleurs, les tempêtes à répétition et les températures autour de 7 °C (le centre est perché à 850 m d'altitude) ont fini par faire craquer les plus vaillants. Au sixième jour, une Française se jetait en travers du chemin de Sogyal Rinpoché pour implorer de dormir dans un endroit sec. Son geste désespéré et ses cernes sous les yeux ont convaincu le maître, qui lui a affecté un chalet privé pour la nuit suivante. Au grand dam de tous les autres campeurs qui ont amèrement regretté de ne pas avoir eu la même idée... ou de ne pas avoir rallongé la facture de quelques centaines d'euros pour dormir dans un chalet.

Les retraitants doivent également s'acquitter d'une tâche quotidienne appelée « rota » pour participer à la vie du temple. Les plus «avancés » sur le chemin spirituel n'hésitent pas à se dévouer au nettoyage des toilettes, les autres préfèrent donner un coup de main à la compta :500€ minimum la retraite multipliée par 2 000 ou 3 000 disciples, cela fait au bas mot de 1 à 1,5 million d'euros qui rentrent dans les caisses. Ils peuvent aussi aider la boutique du centre.

C'est dans cette échoppe que l'on peut faire l'acquisition des ouvrages spirituels de référence et des photos des grands maîtres. L'endroit offre également l'occasion d'apprécier qu'on peut être bouddhiste sans être dépourvu d'un sens aigu du marketing : tasses Lerab Ling, coussins de méditation Lerab Ling et T-shirts « Osez la méditation ! », on trouve de tout.

A la fin de la retraite, les participants dépensent facilement 70€ pour rapporter chez eux un souvenir de cette semaine hors du temps pendant laquelle ils se sont consacrés, souvent avec quelque succès, à l'apaisement de leur esprit, en méditant plusieurs heures par jour et en écoutant en boucle le message du Bouddha. Ou plutôt celui de Sogyal Rinpoché, qui pourrait se résumer en deux mots : « Adulez-moi ».

Mais, pour l'instant, ceux qui s'en plaignent à voix haute sont encore rares...

* Tous les prénoms ont été changés.

Profession : esclave de gourou 

En novembre 1994, une femme connue sous le pseudonyme de Janice Doe porte plainte contre Sogyal Rinpoché pour « abus sexuel, mental et physique ». L'affaire se règle hors tribunal par une transaction financière. Si aucune nouvelle plainte en justice n'a été déposée depuis, les forums Internet regorgent de témoignages d'élèves ayant quitté l'association de Sogyal Rinpoché en raison d'un comportement jugé « non conventionnel ». Daniel Genty est le créateur d'un blog consacré au cheminement spirituel intitulé « Les voies de l'âme ». En octobre 2007, il poste un extrait du Livre tibétain de la vie et de la mort qui lui a particulièrement plu. A sa grande surprise, le billet suscite pas moins de 462 réactions, dont certaines sont particulièrement virulentes à l'adresse du chef spirituel de Lerab Ling. Car voilà : Rinpoché se revendique d'une tradition, celle de la « folle sagesse » (lire l'entretien avec Marion Dapsance plus bas). Un héritage particulièrement inadapté aux normes occidentales, dans la mesure où il autorise toutes les pratiques, notamment sexuelles, pouvant amener les élèves à l'éveil. « Le maître, c'est comme le feu, dit un proche du gourou. Si on en est loin, on a froid ; si on s'approche trop, on se brûle ». Mimi, qui a travaillé comme assistante personnelle du maître pendant trois ans, fait partie de celles qui se sont brûlées. « Mon job, c'était d'être à sa disposition : le laver, l'habiller, transmettre ses ordres aux autres, dormir au pied de son lit au cas où il aurait besoin de moi, préparer ses voyages...» S'occuper du maître n'est pas une mince affaire. Chaque déplacement de Rinpoché mobilise des dizaines de personnes et répond à des règles dignes du protocole royal britannique. Le « collaborateur » privilégié se voit remettre un document de plusieurs dizaines de pages de consignes à respecter : veiller à ce qu'il y ait toujours de la nourriture et à boire dans la voiture, s'assurer que quelqu'un à l'arrivée est prêt à lui ouvrir la portière, exiger un menu composé de viande bovine quand Rinpoché doit prendre l'avion (loin d'être végétarien, le maître adore le boeuf), ainsi qu'une place à l'avant de la cabine... La liste est sans fin. « Après quatre mois de ce régime, on est épuisé, on ne réfléchit plus. Le jour où il m'a demandé de me déshabiller, je l'ai pris comme un test de plus pour évaluer ma dévotion », dit Mimi. Un « test » qui lui a été présenté comme une grande chance dont elle devait à tout prix conserver le secret. Aujourd'hui, alors qu'elle a définitivement quitté le maître, l'ancienne disciple a décidé de parler. Elle a témoigné dans le cadre d'un documentaire sur les abus de pouvoirs intitulé « In The Name Of Enlightenment » (« Au nom de l'éveil »). Réalisé par Debi Goodwin, le film a été diffusé le 23 mai 2011 sur la chaîne canadienne Vision TV. Mimi travaille à l'écriture d'un conte autobiographique sur ses rencontres dans le bouddhisme. Dans l'entourage du maître, on rappelle que Rinpoché n'est pas un moine, et qu'il est en droit d'avoir des relations sexuelles avec ses élèves si elles sont consentantes : « Tout ce que fait le maître, c'est toujours dans le but d'amener à l'éveil. Si la disciple ne comprend pas la chance qu'elle a d'avoir une telle connexion avec le maître, c'est que son ego revient en force. C'est très dommage ».





Interview Marion Dapsance, doctorante en anthropologie


Doctorante en anthropologie à l'Ecole pratique des hautes études, Marion Dapsance travaille sur l'importation du bouddhisme tibétain en Occident. Elle s'intéresse plus particulièrement à Lerab Ling et aux autres centres ouverts par Sogyal Rinpoché en France.


Marianne : Pourquoi un tel engouement pour une pratique spirituelle si éloignée de nous culturellement ?

Marion Dapsance : Justement parce que c'est éloigné de nous ! Il y a tout un imaginaire romantique qui a fait du Tibet un sanctuaire de pureté abritant une « spiritualité originelle », non entachée par la civilisation « matérialiste » de l'Occident. Le bouddhisme n'aurait notamment aucun des défauts attribués au christianisme : il se caractériserait par une absence de dogmes, d'autorité, de hiérarchie. Son succès repose en grande partie sur un rejet de l'Occident, qui correspond souvent, pour les Occidentaux qui s'y adonnent, à une véritable détestation de soi. Le paradoxe de cette adhésion négative est double : d'une part, l'« alternative » en question consiste souvent à se présenter comme une « science » (la fameuse « science de l'esprit »), qui est un critère éminemment occidental. D'autre part, en cherchant à éliminer leur bagage culturel considéré comme un « obstacle » à la vérité ou au bonheur, certains pratiquants arrivent à un état de confusion tel qu'ils en viennent à poser des actes absolument contradictoires avec ce qu'ils disent par ailleurs faire. Tout en prônant la liberté d'esprit, ils s'en remettent parfois corps et âme à un maître. Je ne parle pas ici bien sûr de tous les pratiquants, mais d'une partie - assez importante néanmoins - d'entre eux.

Qu'est-ce que la « folle sagesse » ?

M.D. : La « folle sagesse » est une notion théorisée par l'un des plus célèbres vulgarisateurs du bouddhisme tibétain en Occident (actif surtout dans les années 70) : Chögyam Trungpa. Ses ouvrages sont des best-sellers - comme le livre de Sogyal Rinpoché, du reste. Il s'inspire à la fois de la tradition tibétaine des « saints fous », ces yogis vivant à la marge de la société, et du mouvement contre-culturel des années 60-70. Le mot d'ordre est la rupture vis-à-vis de tout type de convention. L'idée est aussi que la sagesse d'un maître est tellement grande qu'elle dépasse notre entendement - ce qui conduit à la seule position possible : la foi. Puisqu'il est considéré mauvais de s'interroger sur le bien-fondé des enseignements, cela peut conduire à de réels abus d'autorité.

Comment éviter ces écueils, sans pour autant se priver des bénéfices que peut nous apporter la découverte du bouddhisme tibétain ?

M.D. : L'important est sans doute de rester lucide sur les personnes que l'on a en face de soi, je veux parler des « maîtres ». Ce sont avant tout des êtres humains, avec des défauts, des ambitions, des lacunes, et porter sur eux un regard critique est un geste salutaire qui n'empêche pas l'appréciation de leurs qualités d'enseignants « spirituels ». Ce n'est pas parce que l'on n'est pas d'accord avec tout qu'on n'est d'accord avec rien.


Source :

Sogyal, l'adipeux gourou tibétain, est la vedette du documentaire intitulé « Au nom de l'éveil », catégorie : les scandales sexuels dans la religion.








La religion est une bonne affaire




Derrière les controverses quiétistes qui émurent au VIIIe siècle les bouddhismes indien et chinois, Paul Demiéville a donc su déchiffrer des conflits impériaux qui nous éclairent ceux d’aujourd’hui, prouvant ainsi, une fois de plus, que l'érudition, et la plus exigeante, n’a jamais stérilisé que les imbéciles. (Lire http://bouddhanar.blogspot.com/2011/11/la-chine-le-bouddhisme-et-le-tibet.html )

Dédiés à Demiéville, les Aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du Ve au Xe siècle, en effet, ne sont indignes ni d’un maître de cette qualité ni de ce Marcel Granet auquel Jacques Gernet succéda en Sorbonne. Pas plus que l'écran de fumée dont Gernet, de Paris à Touen-houang et de Touen-houang à Paris, s’abritait en 1957 derrière sa pipe, les silences de Gernet, qui finissaient par former un seul bloc de silence, ne m’avaient dérobé durant notre voyage le prix du peu qu’il disait. A le croire zéniste, ce Sorbonnard ! Mais je découvris bientôt qu’au lieu de s'enfermer dans le silence des maîtres de Dhyâna, de Tch’an ou de Zen, Jacques Gernet acceptait parfois la transmission discursive : ne nous a-t-il pas donné, voilà dix ans, les Entretiens du Maître de Dhyâna Chen-houei du Ho-tsö (668-760) ? Quand il se tait, Jacques Gernet, il n’entre point en Dhyâna, lui, mais il pense ; comme ceux qui le font droitement, il pense corrosivement.

Tout comme Marcel Granet, l’un de mes pères puisqu’il m’initia aux penseurs de la Chine, Gernet excelle à décrasser les idoles. « La langue est belle », disait Alain, et c’est vrai : j'aime à croire que c’est en vertu du principe chinois des dénominations correctes que le nom de Gernet s’accorde si richement à celui de Granet son prédécesseur. Après Marcel Granet, qui nous astiqua Confucius et le confucianisme, voici que Jacques Gernet vient de nous nettoyer le bouddhisme chinois; J’ignore s’il doit au marxisme quelque chose ou beaucoup, car on ne discerne chez lui aucun des tics, aucun des mots du jargon de l’École; mais je sais bien que ses travaux réalisent exactement l’idée que je me faisais de la critique des religions quand j’avais vingt ou vingt-cinq ans. Peut-être Jacques Gernet se sert-il tout bonnement de sa raison, sans se réclamer d’aucune autre forme que la patiente et méthodique recherche des vérités. En un temps où la pensée marxiste déserte presque tous ceux qui s’en réclament, voila donc une étude exemplaire et dialectique ! Elle montre évidemment que, pour aller dans le sens de Marx, il suffit aujourd’hui d’aller contre le « marxisme ». Clair et lucide, minutieux et vaste, rigoureux et tonifiant, le bon livre que voilà ! Non, la sinologie française n’a nullement périclité.

On a souvent reproché aux confucéens - et de Groot en particulier dans Sectarianism and Religious Persecution in China - d’avoir tyrannisé les irréprochables bouddhistes ; il faut entendre ce bon M. de Groot condamner K’ang-hi et Yong-tcheng, par exemple, ces « persécuteurs-en-chef » des pauvres, des innocents moines ! A une caricature de confucianisme déchu en idéologie, il sera toujours facile d’opposer l’idéal du Bouddha, comme aux pratiques staliniennes la générosité du Sermon sur la montagne ; mais si, aux bûchers de l'Inquisition, à la corruption du bouddhisme chinois, vous opposez l’idée que Marx on Épicure se faisaient de l'humanisme, elles ont bonne mine, les religions ! Tous ceux-la out toujours tort qui se livrent à ce jeu si vain : opposer a une religion incarnée, celle d’autrui, l’épure d’une religion, la nôtre.

Que le bouddhisme ait contribué non seulement aux arts, mais aussi à la spiritualité de la Chine, seul un idiot en douterait. Qui sort ébloui des grottes de Touen-honang, comment espérez-vous qu’il n'admire pas la peinture des moines ? Non, Gernet n'oublie pas qu'en multipliant les sanctuaires, la religion de Fo, le bouddhisme, favorisa les voyages, aménagea le réseau routier, multiplia les ponts, les bacs, les hôtelleries. Si le monde communiste et le monde chrétien peuvent exalter leurs défricheurs, le monde bouddhiste eut les siens : les communautés mettaient souvent en valeur les terres ingrates et, dans un pays où l’on s’occupait surtout de céréales, riz ou blé, elles créaient des cultures de types variés : pacages, vergers, bois, taillis, etc. Gernet ne conteste même pas le rôle - en un sens heureux - qu'ont pu jouer des couvents déguisés en banques de crédit agricole. Tout cela peut et doit être inscrit à l'actif de la religion. Si l'économie chinoise s'est transformée énergiquement entre le Ve et le Xe siècle de notre comput, « c’est en partie au bouddhisme qu'on le doit ».

A quel prix pour le peuple, et pour la Chine ? Les manuscrits de Touen-houang nous montrent le revers de cet agréable décor.

Pour satisfaire une piété populaire qu'ils stimulaient ingénieusement, passe encore que les moines fondissent force sapèques (monnaie chinoise) pour les mouler en objets de piété ; mais quand les paysans s’égaraient jusqu’à vendre leurs instruments aratoires afin d'acquérir ces gris-gris dont les moines leur assuraient que seuls ils assuraient le salut, c'est-à-dire la fin du cycle infernal des transmigrations, l'empereur n’est-il pas sage qui essaie de mettre fin au commerce canoniquement illicite des chose pieuses ? Non contents de coloniser les terres en friche, que les moines, peu à peu, s’insinuent puis s'installent dans les régions bien cultivées ; qu’en falsifiant le cadastre ils dépouillent religieusement les paysans des terres arables, et les réduisent à la condition de chemineaux ; pour mettre en valeur des domaine toujours plus vastes, que les monastères exploitent les « familles du Bouddha », c'est-à-dire des esclaves publics, des forçats, des condamnés à mort dont la peine était commuée ; fût-elle exploitée à si bon compte, que la terre bientôt leur paraisse moins rentable que les industries de transformation, et qu'ils monopolisent peu à peu pressoirs et moulins, pressentant à leur profit l'idée qui sera chez nous celle du four et du moulin banals, s'asservissant ainsi la paysannerie, n'est-ce pas outrer le vœu de pauvreté ? Quel rapport je vous prie entre l'illumination du Bouddha et ces instituts de prêts sur gages ou de prêts usuraires qu'imaginent alors les moines, grâce à une casuistique selon quoi tout profit devient licite qui peut être porté au crédit du Bouddha, c'est-à-dire de ceux qui s'arrogent le droit de le représenter, alors que tout homme deviendra bœuf, âne, chameau ou esclave, qui dérobe si peu que ce soit aux saints hommes dont les biens sacrés sont surnaturellement inaliénables ?

Si je précise, mais cela va de soi, que tout moine chinois était exempt d'impôts et de corvée, et que, la Chine se trouvant en guerre, contrainte de solliciter des couvents quelque secours, un chef de bonzes - comme disait Voltaire - menaça l'empereur en ces termes : « Je crains que cet acte impie n'attire sur notre pays une grande calamité », vous comprendrez pourquoi ce fut bientôt à qui entrerait là-bas en religion : hommes, femmes, enfants la mamelle, par villages entiers on se déclarait moines, sans du reste changer de vie, pour obtenir la franchise d'impôt. Comme si ce n'était pas assez, on vit bientôt les ordinations à l'encan, les dignités ecclésiastiques tarifées (disposiez-vous de cent mille sapèques, sans lire un mot de pali vous deveniez « expert en sutra »), et les certificats d’ordination, transformés en effets de commerce, se négocier sur les marchés. Édifiant spectacle, assurément, que cette moinerie universelle, mais plus fâcheux encore qu’édifiant, car le nombre des imposables diminuait dangereusement.

Patience! Nous n’en sommes qu’au début de cette heureuse complicité qui unit toujours les affaires à la religion. Le Bouddha, c’est connu, faisait au don la place grande. On assista donc en Chine à une espèce de gigantesque potlatch : c’est à qui comblerait les couvents de cadeaux précieux. Plus affichée la pauvreté, plus princier le don. Sapèques et soieries arrivaient aux monastères par chariots lourdement chargés. La science des livres sacrés servait assez bien son homme, elle aussi : tel moine obtenait d’un seul coup trois cent mille sapèques, fortifiées d'une mensualité viagère de trente mille sapèques. Le saint homme, et qu’il est courageux de faire vœu de pauvreté ! Pour attirer les cadeaux compensatoires, on se mutilait par le feu, ou de toute autre façon. D’autant plus somptueux le don que plus horrible le sacrifice ; or, si je me fie aux plus récentes statistiques, les fous, ça se trouve presque autant chez les religieux que chez les professeurs. Pour assurer la prospérité du couvent, on se faisait donc dévorer par les bêtes féroces, ou frire à l'huile. Certains empereurs se prêtent, à ce jeu dément : à plusieurs reprises, Wou des Leang fit « don » de sa personne au Bouddha ; ses ministres étaient ainsi contraints de le racheter aux pauvres moines. Ci : un milliard de sapèques. Ajoutez les dépenses extravagantes encouragées par une piété aberrante que les moines se gardent bien de corriger, puisqu'ils en bénéficient : au sommet d’une tour haute de 200 mètres, installez une jarre d’or massif où ranger vingt coffrets taillés dans la pierre précieuse ; disposez tout autour trente plats d’or fin destinés à recueillir la rosée ; que les clochettes d’angle elles aussi soient en or, et aussi les trois mille quatre cents clous, vous aurez quelque chance d’entrer un jour au paradis de l’Ouest, et d’y entendre de belles musiciennes, séduisantes houris. Ce faisant, vous contribuerez pieusement à enrichir de pauvres moines. D’après les archives des monastères de Touen-houang, il arrivait qu’un quart des recettes provînt de cette panique des hommes devant la mort.

Le pays se déboisait, les métaux précieux manquaient, les paysans n’en pouvaient plus d'impôts ni de corvées, mais, dès le VIIIe siècle, la pauvre Église bouddhique possédait à soi seule les trois quarts du patrimoine de la Chine. En 778, année où, l’on comptait cinq millions d’adultes imposables, les sommes prélevées sur un million d’entre eux suffirent tout juste à entretenir deux cent mille moines. Le bien-être d’ascètes voués à la pauvreté absorbait donc le cinquième des rentrées fiscales de l'Empire.

Comme l'argent pourrit tout, les boutiques de prêts hypothécaires devenaient autant de tripots : les moines y vivaient grassement et s’y soûlaient, au mépris des interdits alimentaires. Pour résister plus méritoirement, faut-il croire, aux tentations de la chair, ils s’entouraient de concubines ou de putes.

Nous ne sommes pas au bout de notre émerveillement. Parmi les moines faux ou vrais qui avaient choisi la profession lucrative d’ascètes itinérants, on comptait maint charlatan qui avait mis au point des techniques respiratoires importées de l’Inde, des tours de passe-passe, des histoires à dormir debout comme celle du tigre mangeur d’hommes que la vertu d’un moine convertit au bouddhisme, bref : de quoi obtenir sur le peuple, toujours crédule, un ascendant redoutable. On le vit bien lorsque les pseudo-prophéties de ces imposteurs se mettaient au service des puissants de la cour. Le plus illustre surgeon du bouddhisme féminin, l’impératrice Wou Tsö-t'ien, été élevée par des nonnes ; dès qu'elle eut usurpé le pouvoir suprême, les prophètes de carrefour soutinrent et justifièrent sa cause. Ordonné moine et par elle anobli, un de leurs compères couchait avec la garce et en obtenait des crédits pour construire les temples où la mégalomanie de cette sanguinaire dévote se donnait libre carrière. Malheur aux lettrés qui dénonçaient de tels abus ! Les nonnes circonvenaient les femmes, qui circonvenaient leurs amants. Ni son intégrité ne sauva Han Yu de l'exil, ni la sienne Tchang-tsieou Tseu-t'o de périr sous la main du bourreau.

Dans un pays où « les plus fervents adeptes du bouddhisme sont souvent des monstres de cruauté », dans une Chine où, selon le mot du lettré Ton Mou, « on achète le bonheur et on vend ses péchés, comme dans une opération commerciale », il est clair que, les mesures de laïcisation sur lesquelles gémissent nos amateurs de Zaine (Zen) étaient, comme l’écrit Gernet, des mesures d’assainissement économique, politique et moral. C'est peut-être parce qu’elle avait pris au sérieux la croyance selon laquelle le troisième et dernier stade du déclin avait commencé pour la doctrine, que la secte du Troisième Degré, si puissante en Chine entre le VIe et le VIIIe siècle, avait installé par tout l'Empire un réseau de comptoirs à rafler les offrandes, amassant ainsi les « trésors inépuisables ». Ce faisant, elle ne pouvait que hâter sa ruine en précipitant les mesures de salut public.

Lisez donc le Voyage du moine japonais Ennin, lequel, de 838 à 847, parcourut la Chine bouddhique. Voici ce que vous lirez, en 845 : « Un édit impérial a été promulgué, qui force tous moines et nonnes de moins de cinquante ans à reprendre la vie laïque et les renvoie à leurs lieux d'origine. Un édit impérial ultérieur spécifie : Les moines et nonnes de plus de cinquante ans qui n’ont pas de papiers du « bureau des sacrifices » [une des quatre divisions du ministère des Rites] doivent reprendre la vie laïque et être renvoyés à leurs lieux d’origine. Ceux qui sont munis de papiers du bureau des sacrifices seront interrogés par les préfectures ou sous-préfectures ; et tous ceux qui seront dans une situation irrégulière seront forcés de reprendre la vie laïque et renvoyés à leurs lieux d’origine. [...] Puis les monastères ont reçu l'avis qu’ils devraient livrer leurs meubles. [...] Tout le monde dit que la saisie des esclaves et de l'argent des monastères est le signe avant-coureur de leur destruction. » Un peu plus tard, autre édit : « Les vêtements noirs des moines et des nonnes rendus à la vie laïque doivent tous être rassemblés et brûlés par les préfectures et sous-préfectures respectives. On craint que les fonctionnaires n’aient usé de leurs pouvoirs pour cacher chez eux des moines et des nonnes qui portent en secret leur robe noire. Tous ces vêtements doivent être confisqués et brûlés sans pitié ; rapport fait au Trône ; après quoi, moines ou nonnes qui porteraient des robes noires qu’ils n'auraient pas remises et ceux qui, au moment de l’enquête, les protégeraient, seront condamnés à mort, conformément à l’édit impérial. »

A l'édit impérial, vous lisez bien. Quand vous gémissez sur la politique de Mao Tse-toung à l'égard des religions, vous montrez simplement que vous ignorez tout de l’histoire de la Chine.

René Etiemble, Connaissons-nous la Chine ?, Éditions Gallimard, 1963.

samedi, novembre 05, 2011

La Chine, le bouddhisme et le Tibet





Comme si nous manquions de Gurdjiefs et de Fakirs Birmans, de yogis et d’Ouspenskis, de Fathers Divine et de Christs de Montfavet, de Miss Tick et autres « mystiques » qui, en effet, ne méritent pas les quatre maravédis de considération que leur refusait Jean de la Croix, voici depuis quelque temps que le Zen relaie la gnose et le Tao Tö King mal entendu, bref tout ce qui invite l'homme d’aujourd’hui à résigner le peu qui le distingue encore des lombrics et des méduses : le courage lucide et la sagesse raisonnable.

Qu’on m’entende bien : je pratique volontiers Hallaj, Toukaram, Jean de la Croix, et les compte, s’ils daignent, au nombre de mes amis chers. L’écrivain et le philosophe Tchouang-tseu ont évidemment plus de génie que Confucius. Mais, pour qu’une société puisse impunément faire aux Hallaj et aux Tchouang-tseu toute la place qu’ils méritent, encore faut-il qu’elle fonctionne bien, selon une morale et une politique avisées, qui réservent à la folie sa juste place ; en revanche, toute société me paraît méprisable, pour qui « mystique » signifie simplement tout le pouvoir à la déraison, à la démence, à l'anarchie, voire à la bestialité. Ce qui m’agace, ce n’est donc pas l'existence d'un Zen. Ce qui m'irrite, me révulse et m'effraie, c’est l'usage que font ici, du Zen, comme de Lao-tseu ou du Yi-King, des gens qui ne pensent qu’à nous livrer, apathiques et anesthésiés, aux différents tyrans qui prétendent à nous séduire.

Ainsi, peu de temps après que M. Demiéville a répété une fois de plus que malheureusement nous ne comprenons pas encore le Yi-King, ce traité de divination par l'achillée sternutatoire et le plus ancien des ouvrages auxquels remonte l'histoire de la pensée chinoise, en voici chez nous paraître une édition nouvelle, dans la vieille traduction de Harlez. Pour ceux qui savent qu’au XVIIIe siècle déjà les jésuites s'entichèrent si habilement de ce Canon des Mutations que d’y retrouver toute l'arithmétique binaire de Leibniz, et que Leibniz en personne tomba dans le panneau que lui tendait le jésuite Bouvet, rien d'étonnant si, au XXe siècle, un homme intelligent découvre que les hexagrammes manifestent les archétypes de Jung, et que la psychologie des profondeurs était familière aux Chinois dès avant Confucius. Aucun sinologue n’oserait aujourd'hui proposer à ses collègues une traduction commentée du Yi-King, mais les familiers de la Librairie Véga auront la leur.

Lorsque Jean Grenier publie un essai sur l'esprit du taoïsme, les sinologues font la petite bouche, et d’autant plus petite que Jean Grenier ne peut évidemment citer que des traductions périmées du P. Wieger. En tant que sinologue, assurément ils ont raison. J'accepte pourtant, avec joie, ces pages de Grenier, parce que, s’il est un homme aujourd’hui qui pense et vive un peu en taoïste, aucun doute, c’est lui. Quelles que soient les différences qui, du quiétisme taoïste, séparent celui de Fénelon et de Mme Guyon, Grenier prouve qu’un Français du XXe siècle peut assimiler une part non négligeable de Tchouang-tseu, et que le taoïsme est un des modes universels de vivre et de penser.

Mais il faut dire non, un non catégorique, à tous ceux pour qui le quiétisme du Zen est une fin de non recevoir opposée à tous les hommes qui posent aujourd’hui des questions précises et atroces : le chômage ? le racisme ? le viol des consciences ? la surpopulation de la planète ? les techniques chimiques ou chirurgicales employées par les policiers ? Zut à ce Zen-là, et zut au Zen de Suzuki, car Suzuki est au Zen ce qu’à Confucius Lin Yu-tang, et Maurois aux pensées d’Alain. N’importe, ils ont tous lu le Zen de Suzuki. Qu’ils l'aient lu, passe encore ; qu’ils ne lisent que ça, voilà le mal, ou le péril. Lorsque Jean Paulhan, dans le Clair et l'Obscur, une fois de plus nous raconte l'initiation
à coups de bâton, malgré la référence de rigueur à Suzuki, il n’y a que quart de mal, car il conclut en pirouette : « Il n’était pas besoin d’aller chercher les Japonais. » En effet. Étant donné l'usage qu’ils font du Zen, nos contemporains pourraient aussi bien « étudier la mystique » dans Nous deux, ou dans le Pèlerin, qui les abrutiraient à moins de frais et, de plus, à la française.

Quand le premier numéro de Bief, le nouveau bulletin mensuel des surréalistes, publie un articulet de M. Guy Cabanel pour exalter le caractère « hautement irrationnel » du coup de bâton des Maîtres Zen, quand il compare ces coups de bâton aux appels surréalistes à la violence, ou encore quand il ose rapprocher la méditation bouddhiste de l'automatisme psychologique, comme on regrette que la prose de Breton se mêle à ces inepties. Il est vrai qu’au second cahier M. Cabanel se fait rappeler à l'ordre par un correspondant qui écrit du Japon et raille les Parisiens tout rassotés de Zen. Par malheur, cet anonyme dénigre le Zen avec autant de démesure que l’autre lascar en mettait à l'exalter. Pour lui, zen = bushido = nationalisme = terreur policière. Tout cela, trop simpliste, démontre une fois de plus que nos zénistes feraient bien d'aller à l'école chez un vrai maître de Zen, et par conséquent de lire quelques-uns de ceux aujourd’hui qui parlent du bouddhisme Dhyâna, Tch’an ou Zen avec un peu de compétence : Demiéville, ou Gernet.

Ils ne découvriraient ni la pierre philosophale, ni la drogue d'immortalité, mais ils serraient puissamment armés pour mieux comprendre ce qui vient de se passer au Tibet, et la politique de Pékin à l'égard des minorités religieuses.

Soit l'affaire tibétaine. J’ai lu là-dessus, dans la presse, des choses bien belles : le mystère tibétain, la spiritualité tibétaine, aujourd’hui menacés par le matérialisme sordide qui, etc. Et comme on s'apitoie sur le Dalaï-lama, un saint homme de lama, un ascète pour lequel on a prévu des caisses de provisions à la douzaine, et quelques kilos d'aïcecrimes, afin de rafraîchir le Saint qui descend du Toit du Monde. Autant je réprouve la brutalité avec laquelle les Chinois ont récupéré Lhassa (que les savants écrivent Lhasa), autant je refuse de pleurnicher sur la « spiritualité » des moines et la vertu des féodaux. Non, je ne m’afflige point sur une théocratie où, complices de grands propriétaires, lamas de tout poil entassent leurs trésors, dérobés à des serfs abrutis de superstition. Si j’ai gardé un peu de ma tête à moi en cette histoire tibétaine, c'est surtout parce que je connaissais le premier tome du Concile de Lhasa, où M. Demiéville étudie une controverse sur le quiétisme entre bouddhistes de l’Inde et de la Chine au VIIIe siècle de l'ère chrétienne. Je ne conseillerais pas ce livre aux paresseux ; à tous les autres, comment donc ! Ne serait-ce que pour le secours qu’ils en recevront s’ils veulent se désintoxiquer du Zen de nos zones. Car Demiéville montre assez bien ce qu’il y a derrière le Dhyâna, cette mystique passive, quiétiste, nihiliste, qui n’aspire qu’à la « connaissance sans différenciation ». Je surprendrai sans doute quelques personnes en disant, le moins surnaturellement du monde, que j'ai quelque expérience d’un état pourrait doctement s'appeler quelque chose comme nirvikalpa-jñâna, mais je n’en fais pas une histoire ni ne convoque les journalistes pour qu’ils assistent à mes « moments ». Je sais donc, et d'expérience, que si des états pareils peuvent illuminer en effet une vie, en aucune façon ils ne la justifient. D’abord, parce qu’ils sont très rares, ensuite parce que la terrible usure nerveuse qui s’ensuit nous impose de penser que, moins rares, ils deviendraient meurtriers ; enfin parce que ces états illuminatifs ne constituent nullement des états de connaissance. Demiéville le dit fort bien : la prajñâ-pâramitâ est une « connaissance » si étrangère au concept à la, distinction du sujet et de l'objet que, pour lui maintenir sa qualité de connaissance, il faut recourir « à toutes sortes d'échappatoires et de faux-fuyants ». Du reste, au Concile de Lhasa, le Maître de Dhyâna se targue d’être incapable de tout effort conceptuel ; sur quoi Demiéville : « Rien de plus embarrassant pour un adepte du Dhyâna que de se voir soumis à un interrogatoires discursif. Lorsqu'il s’agit de discipline, on s’en tire par le mutisme, une boutade ou une énigme, un grognement, un soufflet, un coup de poing. Mais les non-initiés ont de détestables exigences. Lorsque l'administration des T’ang institua pour le clergé des examens trisannuels portant sur les textes de sutras, il fut bien entendu qu’il serait interdit aux candidats de répondre aux questions des examinateurs en s'asseyant pour entrer en dhyâna. » Pas bêtes, les Chinois: ils refusent le grognement ou le coup de bâton ; ils posaient des questions, et demandaient des réponses. Assurément c'était un fameux Zéniste, mon premier maître de chinois, l'honnête Vissière, demanda mon expulsion de l'École des Langues orientales avec le motif suivant : « me pose des questions ». Boyer par chance était une brute rationaliste, et je pus continuer mes études. Qu'ont, fait depuis dix ans nos grands chefs, sinon de refuser tout interrogatoire discursif, et de nous répondre à coups de grognements et de bâton. Un Voltaire, ça exige des réponses ou sur l'affaire Calas ou sur l'affaire Audin. Un Zéniste, lui, entre aussitôt en Zen : comme certains animaux qui, apeurés, entrent en catalepsie, il choisit cet heureux état où la vie ne se distingue plus de la mort, ni du mensonge la vérité. La belle chose que le Zen ! Presque tous nos premiers ministres, depuis la Libération, furent des maîtres de Dhyâna, de Tch'an et de Zen. Le Zen est aujourd’hui chose si bien française que je propose à l'Académie, sitôt qu'elle en sera au début de la lettre Z, d’ici deux ou trois siècles, de naturaliser le Zen, et d’en faire le Zaine.

Le Concile de Lhasa nous éclaire autre chose encore : le conflit actuel entre le Dalaï-lama et le gouvernement de la Chine communiste. Voici de nouveau souffler sur les hauts plateaux d’Asie centrale ce « vent de l'erreur » que répandait jadis, au VIIIe siècle, « l'éventail de la mondanité profane » ; voici que les maîtres de la dialectique marxiste – qui serait heureusement toute proche de la taoïste, et par conséquent de la sensibilité bouddhique – s’efforcent de montrer aux Tibétains que le vent « de l'erreur » est celui de la vérité, et réciproquement ; et voici que tous les alliés de Pékin nous annoncent que, dans cette guerre de mille ans et plus entre la Chine et le Tibet, pour une fois enfin on entrevoit la paix car Sa Sainteté le Dalaï-lama « se montre favorable à l'union avec la Chine » cependant que le Panchen-lama se réjouit de penser que le Tibet tout entier « avec ses montagnes et ses fleuves fait partie de la République populaire de Chine ». Ces vérités, que souffle le « vent de l'erreur », vous les lirez dans Visa pour le Tibet, de M. Alan Winnington. Quand on vient de lire les dernières déclarations du Dalaï-lama, depuis son exil dans l'Inde, on se demande à qui faire confiance. Parbleu, à Mao Tse-toung qui, familier de l'histoire chinoise, mettait les choses au point au sixième paragraphe du célèbre Rapport qui secoua la Chine en 1957 : « Les conditions au Tibet ne sont point encore mûres pour que nous y puissions réaliser des réformes démocratiques [...] Nous venons de décider de ne tenter au Tibet aucune réforme démocratique durant le second plan quinquennal. Ce n’est qu’à la lumière de ce que sera la situation au début du troisième plan que nous pourrons décider que faire alors à cet égard. »

Que s’est-il passé depuis lors ? Les Chinois ont-ils commis l'invraisemblable imprudence de revenir sur cette sage décision ? Ou si les Tibétains sabotent les accords conclus ? Ou si les puissances étrangères ont essayé de voir d’un peu près, d’un peu trop près, le Toit du Monde ? Comme ni le Dalaï-lama, ni non plus Mao Tse-toung ne m’ont fait leurs confidences, je ne sais rien, ou presque, et suspends mon jugement. Si, pourtant ; M. Paul Demiéville m’a fourni deux ou trois événements qui advinrent au VIIIe siècle pour m'éclairer la situation présente : lors du mariage d’une princesse chinoise avec un roi du Tibet, les Tibétains extorquèrent à titre de donation le territoire de K’ieou-K’iu, que les Chinois mirent plus de quarante ans à récupérer ; lorsque les Tibétains conquirent et occupèrent la région de Touen-houang, ils trouvèrent sans peine chez les moines plus d’un collaborateur ; en 714, les Tibétains scandalisèrent l'empereur chinois Hiuan-tsong en réclamant « les rites d’États égaux », et l'empereur en fut si outré que, quinze ans plus tard, il refusa encore des propositions de paix ; en 781, le souverain du Tibet s'égarait jusqu’à écrire à l'empereur de Chine une lettre ainsi libellée : « Notre grand Tibet et les T’ang », insinuant ainsi, et même insolemment, qu’il exigeait des « rites inégaux » mais au préjudice de la Chine ; je n'oublie pas non plus ces poèmes désespérés que nous traduit Paul Demiéville, et que composèrent au Tibet des Chinois emmenés en âpre captivité. Entre la Chine et le Tibet, les relations furent donc toujours extrêmement difficiles.

D’autant plus ambiguës, ces relations, que, dès l'époque des Tcheou, les Chinois étaient « travaillés par ce que nous appellerions aujourd’hui la problématique du colonialisme » (Demiéville), et qu’ils ont toujours essayé de masquer, par des ruses diplomatiques ou rhétoriciennes, leurs ambitions impériales. Puisque vous croyez à la sainte religion du Bouddha, disent-ils ingénument, ingénieusement, aux Tibétains, vous vous devez d’être pacifiques, et même pacifistes : au nom du bouddhisme, il vous convient donc d’ôter votre cuirasse et de mettre bas les armes, bref de nous laisser faire. Sous les T’ang, il arriva même qu’un ministre astucieux camouflât de confucianisme les ambitions chinoises sur le Tibet. En proposant aux Tibétains des relations que nous appellerions exactement culturelles et techniques, le président du département de la Chancellerie, P’ei Kouang-t'ing, entendait bien, et il l’avoua au prince chinois son maître, que « l'unification des essieux de chars et de l’écriture » devait former les Tibétains « au moule de la glorieuse doctrine » (celle de Confucius), et les agréger ainsi, sans trop de douleur, à « la grande union ». Croyez-vous que les choses aient tellement changé ? L'article premier de l'accord sino-tibétain signé à Pékin le 23 mai 1951 stipule que « le peuple tibétain rentrera au sein de la grande famille de la mère patrie : la, République populaire de Chine », mais chacun des seize autres articles a pour fin d’apaiser l'orgueil et les craintes de Lhassa. L'article 7 n’hésite pas à garantir que Pékin « s'abstiendra de toute ingérence dans les revenus des monastères » ! Faut-il que les Chinois aient besoin de contrôler politiquement cette partie du monde, pour qu'au nom ou au mépris a de leur idéologie, ils acceptent de livrer un million environ de serfs, pasteurs et laboureurs, à la discrétion, ou plutôt à l'indiscrétion de cent cinquante mille moines appuyés sur cent cinquante familles nobles. Il s’agit donc toujours de préparer « la grande union », sans donner prise au grief de colonialisme mais tout en contrôlant le Tibet. Cercle carré.

Supposons maintenant que les Chinois quittent le Tibet. Qu'adviendrait-il ? Le lendemain matin, les agents de l'impérialisme occidental auraient imposé au Dalaï-lama un traité plus dur encore que, celui qui, le 1er septembre 1904, fit du Tibet un protectorat britannique. Article 9 : « Aucun territoire tibétain ne pourra être vendu, loué, ou hypothéqué à quelque puissance étrangère que ce soit, sans l'autorisation de la Grande-Bretagne; aucune puissance étrangère n'a le droit de se mêler à l'administration du gouvernement tibétain, ni à la gestion de ses affaires intérieures », etc. Regardez l'Asie centrale : quiconque installerait au Tibet des rampes de lancement prendrait à revers, d'un seul coup, l'Union Soviétique et la Chine, et vous imaginez que, si les Chinois quittaient Lhassa, les
Russes permettraient aux Américains d’y organiser leurs bases d'opérations contre le monde communiste ? Ne faites pas les naïfs, et laissez-nous tranquilles avec la « spiritualité » tibétaine. Si les Chinois veulent que les lamas de Lhassa défilent en robe jaune à Pékin sous la bannière du marxisme, c’est parce que la géopolitique, dès le VIIIe siècle, commandait à un ministre chinois de mettre au pas les Tibétains sous la non moins glorieuse bannière du confucianisme. Le Chinois et le Tibétain sont deux frères ennemis sont aussi frères siamois.

Si vous avez lu le Concile de Lhasa, vous aurez compris, une fois pour toutes, la politique tibétaine de la Chine : « la grande union, la paix universelle, mais à la condition d’y jouer le premier rôle, de présider à l'embrassade générale. La paix universelle devait être une paix chinoise. » Ah ! que M. Demiéville ne regrette pas toutes les digressions, toutes les notes prodigieusement savantes, mais non moins vivantes, dont il enrichit sa traduction des dossiers relatifs à la controverse sur le quiétisme Dhyâna, c'est-à-dire Tch’an ou Zen ! L'actualité de certains des documents qu’il étudie le frappait durant la dernière guerre ; elle nous frappe en ce moment d’un coup plus vif encore, et plus illuminant : d’un coup qui vaut bien le coup de bâton d’un Maître Zen. Car les « rites égaux », il s’agit de savoir aujourd'hui si cela s’appellera indépendance, autonomie, ou statut semi-colonial. Sur le principe des « rites égaux », la Chine et le Tibet,feindront volontiers de se mettre d’accord ; ils ne se déchireront que pour définir, au nom de la doctrine confucéenne des dénominations correctes, le sens du mot chinois qui veut dire autonomie, ou peut-être protectorat.

Sous prétexte que les nazis ont dévié en leur faveur la géopolitique, nous aurions tort de croire que la géographie n'oriente pas la politique et qu’un bon politique ignore la géographie autant à. Peu près que l'histoire.

René Etiemble, Connaissons-nous la Chine ?, Éditions Gallimard,1963.








Miss Tick



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vendredi, novembre 04, 2011

La conspiration du Verseau





En 1980, Marilyn Ferguson publie, chez Tarcher, The Aquarian Conspiracy.

L'ouvrage est impossible à résumer. Tout au plus peut-on en dégager les idées force.

- Une conspiration douce, sans doctrine politique, sans manifeste, est à l'œuvre à tous les niveaux de la société. Encore souvent inconsciente de sa propre existence, elle forme un puissant réseau dépourvu de dirigeants mais dont les membres sont persuadés que tout peut être autrement. Cette certitude est d’abord spirituelle. Elle est le fruit d’une expérience transformative qui a permis un élargissement de la conscience du sujet. Ces expériences peuvent être provoquées par des moyens d'entrée extrêmement divers : accidents, deuils, rencontres, lectures, psychotechniques diverses, et l'auteur reconnaît aussi l’importance des expériences psychédéliques dans l'origine du mouvement. Les conspirateurs ont donc d’abord expérimenté la transformation de l'intérieur comme un changement personnel avant de s'impliquer dans la mise en œuvre de projets sociaux alternatifs. Cette nouvelle vision du monde est une révolution, un changement de paradigme au sens où l'entend Thomas Khun. Mais cette révolution doit se faire en chacun avant de pouvoir transformer le monde lorsqu’une certaine masse critique sera atteinte. Elle est donc un gigantesque espoir, le seul peut-être avant l'inévitable catastrophe « écologique, totalitaire ou nucléaire ».

- Cette conspiration a eu des précurseurs qui, « à la frange de la science et de la religion », crurent, en se basant sur leur propre expérience, que « l'homme pouvait transcender sa propre conscience et changer l'humanité. Maître Eckardt, Jakob Boehme, Emanuel Swedenborg, William Blake, les transcendantalistes et, plus près de nous, Jung, Teilhard de Chardin, Huxley, Maslow, ainsi que tout un panel de physiciens, philosophes et psychologues sont convoqués pour en arriver, à la fin des années soixante-dix, à la prise de conscience que quelque chose de plus grande ampleur que ces intuitions individuelles est en train de se produire.

Le nouveau savoir scientifique change la perception que nous avons de nous-mêmes. Or la science et les scientifiques expriment de plus en plus le « besoin impérieux de changer, de vivre avec la nature et non pas contre elle ». C’est tout le courant « science et conscience », illustré en France parle travail du Groupe des Dix, l'œuvre d’Edgar Morin, Ïouvrage d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La Nouvelle alliance... La nouvelle science, basée sur le principe d'incertitude et la complexité, a renoncé à sa vision morcelante du monde au profit d'une vision systémique où « l'essentiel c’est la relation ». Des notions comme la non-séparativité, les structures dissipatives, l'interdépendance, la théorie holographique... sont susceptibles de nous éclairer sur la structure de l'univers mais aussi sur notre propre fonctionnement, puisqu'il n’y a pas de solution de continuité entre les différents éléments du système et que nous sommes partie de l'univers. Nos potentialités et nos capacités d’agir sur le réel pourraient s’en trouver radicalement modifiées, venant ainsi confirmer ce que les phénomènes psi laissent présager à certains. Dans le même temps, les scientifiques les plus théoriques (les physiciens en particulier) se réfèrent de plus en plus à des conceptions philosophiques ou mystiques.

- La conspiration semble annoncer l'émergence d’une forme nouvelle de pouvoir : un pouvoir juste puisqu’il prend sa source dans les changements intérieurs des individus qui forment la société. Mais, pour favoriser le changement, il faudra trouver moyen d’échapper à la « tyrannie » quantitative de la majorité au profit d’une vision plus qualitative, sur le modèle de la Satyagraha, « force de l'âme » ou « force de la vérité », introduit par Gandhi. Les réseaux constituent l'outil privilégié de mise en œuvre de ce nouveau pouvoir qui, politiquement, prendrait la forme d’un « centre radical », « une synthèse des traditions conservatrice et libérale, dépassant les polarités et les querelles anciennes » et qui donnerait toute sa place à une vision féminine du monde, favorisant l'intégration, l'empathie, et la conciliation.

- Ce nouveau paradigme a des effets immédiats sur les façons de considérer la médecine et l'éducation, deux domaines où une vision holiste de l’homme trouve directement ses applications, ouvrant la voie à une infinité d'alternatives. Il transforme aussi profondément les valeurs sociales, entraînant un nouveau rapport au travail, à l’esprit d’entreprise, à la technologie, dans une société où « l'intelligence créative » des citoyens devient la principale richesse.

- Il bouleverse aussi les relations aux autres, entre les sexes, au sein de la famille, entre les peuples. Il faut faire l'inventaire de la terre entière puisqu'elle est un pays sans frontières où il y a place pour tous les hommes, « tous les modes de savoir humain, tous les mystères et toutes les cultures ». La conspiration est celle de la terre entière, pour la paix, contre la misère et la faim.

- La transformation ouvre la voie à la quête spirituelle qui est comme une image en miroir de la science. Celle-ci cherchant à atteindre de l'extérieur la vérité que celle-là cherche à l'intérieur. La quête spirituelle est une quête de sens que les religions traditionnelles occidentales ne parviennent pas à satisfaire. C’est la recherche d’un savoir direct qui passe par l'expérience mystique, un savoir sans doctrine, une fusion.

- Trois pages, sur les quatre-cent-quarante et une du livre, sont consacrées aux implications plus directement religieuses : l'expérience transformative amène souvent à l’idée que Dieu est en soi, ce qui est « la plus vieille hérésie du monde », et qu’un certain aspect de la conscience est impérissable. Par ailleurs, les expériences mystiques de nombreux individus en diverses parties du globe semblent, dit l'auteur, converger ces dernières années en une « vision collective qui va s'intensifiant », celle d’une « transition imminente de l’histoire humaine : une évolution de conscience aussi significative que chacune des étapes de la longue chaîne de notre évolution biologique ». Cette vision reprend la métaphore la plus ancienne et la plus répandue de l'expérience spirituelle : celle d’une évolution vers la lumière.

Si nous terminons sur cet aspect religieux, ce qui n’est pas le cas dans le livre, c’est pour mieux en souligner à la fois le caractère marginal et la distance sociologique prise par fauteur à l’égard de ce matériau. Tandis que l’on sent chez elle un véritable enthousiasme quand elle évoque les transformations sociales en cours ou la grande réconciliation de l’esprit et de la matière au sein des sciences, tandis que sa sympathie est patente quand elle parle de la quête de sens de ses contemporains et de leur curiosité pour toutes les formes de spiritualité, elle semble se tenir à l’écart de ce qui est le cœur proprement religieux et apocalyptique du New Age : cette idée d’une transition prochaine de l'humanité vers un plan de conscience plus élevé dont elle nous explique qu’elle est un « rêve de lumière et de libération » présent dans les plus anciennes traditions.

Le livre de Marilyn Ferguson n’est donc pas, comme sa réputation de « bible du New Age » pourrait nous le laisser entendre, l'exposé d’un ensemble de doctrines auxquelles il serait demandé au lecteur d’adhérer. Il est bien plutôt le constat d’une nouvelle sensibilité qui émerge dans les années 1980 et qui, partant du besoin de trouver un sens à la vie individuelle, débouche sur une transformation des valeurs sociales dont l'auteur dresse le patient inventaire dans tous les domaines de la société. Que ce constat prenne la forme d’une apologie, c’est indéniable, qu’il cherche à conforter le phénomène qu’il décrit est non seulement évident mais très clairement expliqué. Mais ce n’est en aucun cas l'œuvre d’une croyante. C’est celle d’une observatrice enthousiaste, parfois naïve, inquiète cependant des dérives ou des récupérations possibles ; partagée en tout cas entre la conscience de la fragilité du phénomène qu’elle décrit et l'exaltation provoquée par la convergence et la force de ce qui lui semble être une avancée irrésistible. Il est certain qu'entre action et observation sa posture n’est pas dénuée d'ambiguïté, mais dans la classification plus ou moins explicite qui est toujours faite entre la littérature produite par le Nouvel Âge et la littérature sur le Nouvel Âge, cette ambiguïté même est occultée: l'œuvre de M. Ferguson est considérée comme celle d’une sympathisante active. L'édition de 1987 tentera bien d’accentuer la posture sociologique et de mieux afficher le contenu du livre en en précisant le titre: The Aquarian Conspiracy, Personal
and Social Transformation in the 80's. Peine perdue.

La précision était d’autant plus utile que la sortie de l'ouvrage, en 1980, avait déclenché une intense polémique aux États-Unis, sur deux fronts, politique et religieux. Très favorablement accueilli au sein des réseaux dont son auteur nous décrit l'existence, ceux des conspirateurs, le livre fait l’objet de comptes rendus enthousiastes dans le Yoga Journal ou le Noetic Sciences. Mais parallèlement, et dès le mois de février 1980, un historien marxiste de la Stanford University, Paul Robinson, publie dans une revue bien connue, Psychology Today, une critique virulente. Selon lui, M. Ferguson révèle « l'immaturité psychologique » des gens qu’elle décrit, des membres de la classe moyenne qui « contemplent leur nombril ». Il insiste sur le fait que l'optimisme de leur vision de la condition humaine représente une dangereuse « abdication de l’esprit critique » et qu’elle est à même de faire « plus de tort que de bien à l'humanité ». L'attaque, on le voit, est moins axée sur l'auteur que sur le phénomène social qu’elle décrit. Paul Robinson ne se trompe pas de cible. Mais la critique est très vite relayée par un petit groupe d'activistes qui publie un « manuel de combat » intitulé Écraser la Conspiration du Verseau et entreprend d'entraver la promotion du livre en harcelant Marilyn Ferguson dans ses déplacements et ses conférences.

Plus décisive pour notre propos sera la violente réaction de Constance Cumbey, une juriste du Michigan, chrétienne fondamentaliste. Prenant au pied de la lettre l’idée de l'existence d’une conspiration, elle cesse en 1981 ses activités professionnelles pour se consacrer à la rédaction d’un livre dénonçant ce qu’elle nomme le New Age Movement (NAM). The Hidden Dangers of the Rainbow : tbe New Age Movement and our Coming Age of Barbarism est publié en 1983.

Elle y explique que selon les sources même du Nouvel Âge, le NAM est un réseau international regroupant des dizaines de milliers d'organisations qui coopèrent pour mettre en place un « Nouvel Ordre Mondial » et qui aurait déjà infiltré non seulement le gouvernement mais le monde des affaires et la plupart des institutions américaines. Ce mouvement, « que Marylin Ferguson appelle La Conspiration du Verseau, et qui tire son nom du prétendu Âge du Verseau, englobe des groupes ou des sous-mouvements tels que : le Mouvement holistique, la Psychologie humaniste, la Psychologie transpersonnelle, le Mouvement humaniste, le New Thought, le Third Wave, la Third Force, la Nouvelle spiritualité, le Mouvement pour le potentiel humain, l'Humanisme séculier et l’Humanisme ». Viennent s’y ajouter les groupes écologistes, pacifistes, ceux qui luttent pour les droits de l'homme ou contre la faim dans le monde. Selon Cumbey, tous, qu’ils en soient ou non conscients, sont partie prenante d’un programme occulte préparant le retour de l'antéchrist, ce Christ dont, en 1948, l'ésotériste et ancienne théosophe Alice Bailey annonçait la venue sous le nom de Maitreya, l'instructeur mondial annonçant la transition dans un nouvel âge. Contrairement à ce qu'annoncent les New Agers lorsqu’ils prétendent ne pas avoir de doctrine, le mouvement serait au contraire très cohérent puisqu’il reposerait depuis son origine sur les enseignements de l'École Arcane d’A. Bailey qui professe la croyance en la toute-puissance de la pensée et l’idée que l'homme est son propre dieu. Il s’agit la, assène Cumbey, d’une illusion proprement satanique, de même nature que celle que le serpent faisait miroiter à Adam et Ève dans le jardin d’Eden. Elle ajoute que tous ceux que le NAM désigne comme des guides spirituels et religieux sont aussi les chantres de la « déité de l'homme » : Pierre Teilhard de Chardin, Herman Hesse, Eric Fromm, Abraham Maslow, Carl Rogers et « pire que tout, Ram Dass, un ennemi avoué de la tradition religieuse judéo-chrétienne orthodoxe, et prosélyte de la conversion de masse à l'hindouisme et aux autres formes de mysticisme oriental ». Selon elle, la pratique de la méditation, des psychotechniques et l'usage des drogues psychédéliques sont des techniques de manipulation mentale qui ouvrent la voie à la « transformation », un « euphémisme » pour désigner une emprise grandissante de l'influence démoniaque. Dans ce contexte, le livre de Marylin Ferguson, qualifié de manifeste du Nouvel Âge, fait bien entendu partie d’un plan d’ensemble dont le but est d’« annoncer et de populariser ce que les New Agers choisissent d’exposer publiquement dans leur mouvement ». Ce plan, secret jusqu’en 1975, serait, depuis, affiché ouvertement. Pour Cumbey, l'existence de ce plan satanique, destiné à détruire le christianisme et à instaurer un gouvernement mondial totalitaire qui serait une reviviscence du nazisme, ne fait aucun doute. Il est d’abord annoncé, nous dit-elle, par la Bible elle-même, dans l’Apocalypse de Jean par exemple, prophétisant l'arrivée de la bête immonde qui imposera son autorité à la terre entière et fera adorer Satan. Elle en voit la signature dans l’œuvre d’Alice Bailey et les organisations qu’elle a créées (Lucis Trust et l'association pour la Bonne volonté mondiale), mais aussi dans les ouvrages de H.-G. Wells, l’auteur de science-fiction bien connu, qui est aussi le défenseur de l’idée d’une édification d’un État mondial et qui, en 1928, publie The Open Conspiracy. Blue Print for a Word Revolution (La conspiration ouverte. Plan pour une révolution mondiale) (Cumbey, p. 55). Selon Cumbey, la meilleure preuve que les deux idéologies sont liées est un article publié en 1977 dans la revue des Presses de la Lucis Trust (The Beacon, mai-juin, p. 310) et intitulé « H. G. Wells, a Forerunner » (« H. G. Wells, un précurseur ») ainsi que le fait que Wells soit mentionné à trois reprises dans The Aquarian Conspiracy. Et Constance Cumbey d'énumérer les signes de l'infiltration satanique dans tous les milieux : depuis les créateurs de Findhorn qui ne comprennent pas que les êtres spirituels avec lesquels ils communiquent sont en fait des êtres démoniaques, en passant par la méthode Montessori, la méditation transcendantale, la carte de crédit, le symbole de l'arc-en-ciel (cher aux New Agers et qui serait le pont jeté entre l'homme et Lucifer), et le 666 qui serait figuré sur la couverture du livre de Marylin Ferguson.

De fait, le livre de Constance Cumbey apparaît comme une inversion de celui de Marilyn Ferguson. Une sorte de lecture énantiodromique. Mais l'intéressant est que cette inversion ait pu s'opérer au prix d'une opération intellectuelle particulière : un amalgame, sous le nom de New Age Movement, d'un certain nombre de croyances religieuses issues de la dissidence de la Société théosophique et des nouvelles formes de sensibilité décrites par Ferguson qui trouvent, en grande partie, leur origine dans la contre-culture des années soixante et soixante-dix. À sa manière, et en réponse à la synthèse de Ferguson, Cumbey opère sa propre synthèse, faisant sienne l'idée de l'existence d'une conspiration mais qu'elle considère comme bien réelle et non plus métaphorique. D'une certaine façon, et tout comme Ferguson d'ailleurs, elle aussi contribue à donner une existence au phénomène qu'elle décrit. Comme l'écrit un de ses lecteurs dans un compte rendu publié sur Amazon.com : « Tenter de comprendre les recherches sur le NAM sans se référer à Constance Cumbey, c'est essayer de comprendre l'égyptologie sans mentionner la pierre de Rosette. Cumbey raccorde les différents points. Elle relie les principaux segments du New Age Movement avec les groupes qui leur sont associés et en fait un tout systématique » (c'est moi qui traduis). Dès lors, le New Age prenait la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, celle mouvement tentaculaire, aux sulfureuses racines religieuses, dont il est impossible de donner même une définition tant il semble regrouper de courants de pensée qui paraissent tout à la fois différents les uns des autres mais étrangement proches, et dont on n’arrive pas à déterminer s’il est un mouvement social ou un mouvement religieux ou les deux, s’il est vraiment mouvement ou même s’il existe réellement. Et dès lors aussi, les spécialistes trouveront tout naturel de se demander pourquoi Marilyn Fergus avait omis de citer les sources théosophiques de sa conspiration (On trouve par exemple chez VERNETTE (Jean), Le Nouvel Âge : « La première à avoir énoncé de manière construite le concept de Nouvel Âge fut une disciple de la Société théosophique, Alice Ann Bailey (1880-1949). Chose curieuse, là aussi, Marilyn Ferguson ne cite ni l'une ni l'autre dans l’index des Enfants du Verseau. Or les emprunts du Nouvel Âge à madame Blavatsky et à Alice Bailey sont multiples ».).

Claudie Voisenat et Pierre Lagrange, L'ésotérisme contemporain et ses lecteurs.


L'ésotérisme contemporain et ses lecteurs

Comment l’ésotérisme a-t-il recomposé ses héritages? Quel rapport existe-t-il entre les soucoupes volantes, le Nouvel Âge, les enfants indigo et l’intérêt grandissant pour les techniques de développement personnel? Pourquoi la fiction – de Coehlo à Dan Brown – semble-t-elle aujourd’hui devenue le mode privilégié de communication d’une vérité cachée? Que font les lecteurs de ce qui leur est ainsi transmis? Autant de questions abordées dans ce livre qui permet de prendre la mesure de l’inscription de la pensée ésotérique au cœur de notre modernité.

Sans céder à la tentation d’un travail ouvertement démystificateur, les auteurs ont cherché à faire entendre le « point de vue indigène » des ésotérismes contemporains. D’abord en dessinant leur généalogie complexe, ensuite en décryptant le contenu de quelques discours actuellement dominants, enfin en entrant, grâce aux forums en ligne, dans la communauté virtuelle de leurs lecteurs. Le tableau qu’ils donnent à lire remplace avantageusement l’ignorance volontaire dans laquelle les intellectuels se sont généralement réfugiés. Avec prudence et modestie, Claudie Voisenat et Pierre Lagrange nous aident à dépasser cette censure et par la voie de la connaissance de « l’autre », nous ramènent aux vertus cardinales de la raison.

Claudie Voisenat, chargée de mission pour la recherche au ministère de la Culture, mène ses travaux au sein du LAHIC (Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture, UMR 2550). Elle travaille sur les pratiques sociales du patrimoine et les liens entre l’émergence d’une conscience patrimoniale et les premiers développements d’une ethnographie de l’Europe.

Sociologue des sciences, spécialiste de l’étude des controverses sur les « parasciences », Pierre Lagrange est chercheur associé au LAHIC et enseigne la sociologie des controverses scientifiques à l’École des mines de Paris.



jeudi, novembre 03, 2011

Le Dalaï-lama et d'autres représentants religieux demandent l'interdiction du blasphème



L'incendie criminel qui a détruit les locaux du journal satirique Charlie Hebdo est lié au numéro spécial Charia Hebdo. Pour les musulmans, l'édito de Mahomet intitulé L’apéro Halal, une double page de dessins pour expliquer la charia molle ou encore un supplément Charia Madame et un dessin représentant Mahomet avec un nez rouge de clown sont blasphématoires. 

Des religieux, dont le Dalaï-lama, veulent que l’interdiction du blasphème soit inscrite parmi les droits de l’Homme.

Catherine Segurane écrit :

« La deuxième conférence mondiale sur les religions après le 11 septembre s'est tenue à Montréal dans une grande discrétion. Dommage. Elle aurait mérité plus d'attention, car il y a été très sérieusement question de s'adresser à l'ONU pour faire inscrire l'interdiction du blasphème au nombre des droits de l'homme.

Et toutes les religions étaient là, y compris le bouddhisme, représenté par le Dalaï-lama.

L'évènement s'est tenu le 7 septembre 2011 au Palais des Congrès de Montréal.

Y participaient des représentants de toutes les religions, dont le Dalaï-lama et Tariq Ramadan, celui qui demande un simple moratoire sur la lapidation.

Il en est résulté principalement une Déclaration universelle des droits de la personne par les religions du monde un peu spéciale, puisqu'on peut y lire ceci (article 12 alinéas 4 et 5) :

« (4) Chacun a le droit que sa religion ne soit pas dénigrée dans les médias ou dans les maisons d'enseignement

(5) Il est du devoir de l'adepte de chaque religion de s'assurer qu'aucune religion n'est dénigrée dans les médias ou dans les maisons d'enseignement. »

Oui, vous avez bien lu : il est demandé que l'interdiction du blasphème, et même la simple interdiction de critiquer les religions, soit inscrite au rang des Droits de l'Homme.

Tout en ayant approuvé, comme les autres participants, cet appel à la censure, le Dalaï-lama critiqua cependant la censure en Chine. Allez comprendre ... Ou plutôt, on comprend très bien : les religions veulent pouvoir censurer les autres sans être censurées par le pouvoir politique. En fait, elles veulent la théocratie.

Et ce n'est pas tout : cette "Déclaration des droits de l'homme" à la sauce religieuse a l'ambition de remplacer la vraie, celle qui a été adoptée à l'ONU. On peut y lire en effet :

« Ce document vise à reformuler la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations-Unies le 10 décembre 1948 (...) C'est un fait connu, la Déclaration des Nations-Unis a été largement critiquée, d'« occidentale », critique qui tire son origine de l'impression que, lorsque de tels efforts viennent de l'Occident, ils sont une prolongation de l'impérialisme, c'est-à-dire, un effort continu de la part de l'hémisphère occidental d'imposer ses propres valeurs au reste du monde en vue de déguiser l'universalisme. »

Le document de travail originel a été proposé par le Département des affaires religieuses de l'Université Mc Gill de Montréal.

En réalité, les religions réclament le droit d'opprimer les individus. Le théologien Grégory Baum, de l'Université Mc Gill, déclara en conférence de presse que l'Occident ne doit pas imposer ses valeurs de séparation de l’Église et de l’État. Il ajouta :

« Dans certains pays, la religion fait partie de la culture. Se convertir, c'est renier la culture, se couper du reste de la société.L'ONU reconnaît le droit des peuples de défendre leur culture. On peut considérer que ça peut amener à interdire les conversions. Il existe aussi des droits collectifs, un peu comme le Québec qui réglemente la langue. »

Patrice Brodeur, professeur de théologie à l'université de Montréal, expliqua que « La Déclaration fait abstraction de l'importance de la religion ... Après la fin de la guerre froide, on a redécouvert son importance. »

Ces changements rendraient-ils inacceptables les caricatures danoises sur l'islam et la violence ? « Seulement celle où on voit Mahomet avec un turban en forme de bombe, estime M. Brodeur. Le monde musulman vivra éventuellement une modernisation comme celle de la chrétienté, qui a appris à tolérer ce genre de critique. »

Cette revendication d'interdiction du blasphème rejoint une revendication de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI) réitérée depuis de nombreuses années dans toutes les enceintes possibles.

Elle met en grave danger de nombreuses personnes, dont des chrétiens persécutés au Pakistan sous de fausses accusations de blasphème, ce qui explique le refus du Saint-Siège de soutenir à l'ONU les résolutions anti-blasphème qui y sont votées de façon continue. »

Source :

http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/des-religieux-dalai-lama-compris-100802

mardi, novembre 01, 2011

Amma distribue gratuitement des câlins





Après Paris, de nombreuses personnes, qui ressentent le besoin d'un peu de tendresse dans un monde où règne un « ordre cannibale » (selon l'expression de Jean Ziegler), sont à Toulon pour se faire câliner.

Au Zénith Oméga de Toulon, du 31 Octobre au 2 Novembre, Amma, une Indienne de 58 ans considérée comme une sainte dans son pays, fait dans le darshan, l'étreinte censée apporter un grand réconfort. Une bénévole française explique : « Amma n’est pas là pour créer une nouvelle religion, elle insuffle juste un esprit d’amour par son étreinte maternelle ».

Pendant 3 jours, 18 000 personnes se blottiront dans les bras d'Amma. Auparavant, à Cergy Pontoise, du 23 au 25 octobre 2011, 20 000 personnes s'étaient déplacées pour se faire câliner par la Mahatma, la Grande âme.

Alexandra Gonzalez écrit dans le journal France Soir :

« Ces câlins gratuits et désintéressés ne sont pas sans rappeler le mouvement des Free Hugs (« Câlins gratuits »), né en 2004 en Australie. Il s’agit de gens, munis d’une pancarte où il est écrit « Free Hugs », qui proposent aux passants dans un lieu public de les étreindre. Le mouvement s’est rapidement étendu sur tous les continents, et notamment en France, où de nombreux ados se sont mis à proposer des câlins dans les rues des grandes villes. Mais selon François de Singly, sociologue spécialiste du lien social, ces deux démarches sont diamétralement opposées.

« Les câlins d’Amma servent à se retrouver soi-même, on est dans une forme de thérapie où l’on descend à l’intérieur de soi. Il y a une dimension de psychologie religieuse. Il y a une attente mise en scène avant l’acte, puis une émotion primale ressentie dans les bras d’Amma. Cela ne fait pas avancer le lien social, c’est au contraire une démarche presque narcissique. Les gens qui attendent d’être étreint par Amma ne parlent pas forcément entre eux, c’est une foule solitaire. Les Free Hugs en revanche sont plus sympathiques, ils permettent de recréer du lien dans l’espace public. Pour moi, c’est de l’ordre des apéros géants organisés par les jeunes, de la Fête des voisins, ou des amis que l’on cumule sur Facebook. Les gens ne sont pas à la recherche de liens amicaux profonds, car ils souhaitent garder leur liberté, mais ils en ont assez de la vie collective anonyme et veulent nouer des liens légers, qui font du bien mais ne demandent pas trop d’investissement personnel. Ce mouvement des Free Hugs rétablit le fait que nous sommes tous des humains sur la même planète. Cela redonne de l’humanité à notre société. Les étreintes d’Amma sont aussi très positives, mais dans un sens très différent. »


Pour le sociologue, cet engouement pour les câlins, que ce soit à Amma ou à un anonyme dans la rue, n’est pas symptomatique d’un manque d’affection quelconque dans nos sociétés modernes.
« Ce sont juste des manières de se retrouver soi-même et de créer du lien, mais ces valeurs auraient pu s’exprimer autrement que par des câlins. Quand cela passera de mode, on réinventera de nouvelles formes. Tous les types de liens, même les plus légers, comme un sourire dans le métro, font qu’une société reste humaine. »




Si les câlins d'Amma sont gratuits et ne génèrent pas directement des bénéfices, les caisses de l'organisation, qui planifie les tournées d'Amma, sont pleines et permettent de financer des orphelinats, des hôpitaux gratuits, des maisons de retraite... L'argent provient des dons et des ventes de DVD, livres, CD, etc...



Darsham, film consacré à Amma, est réalisé par Jan Kounen, le réalisateur des films Blueberry, l’expérience secrète et de Dobermann qui a une démarche spirituelle.







Même des lamas tibétains viennent chercher un peu de réconfort dans les bras d'Amma. (Il faut reconnaître que le lamaïsme n'est pas toujours très zen.)





Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...