Depuis
une vingtaine d'années, il existe en allemand une littérature
critique sur le Dalaï-lama. Le théologien bâlois Bruno
Waldvogel-Frei figure parmi ceux qui ont alerté l'opinion sur le pan
mystique et secret du bouddhisme tibétain.
Pour
Bruno Waldvogel-Frei, les français ont une image erronée du
lamaïsme. Il souligne l'influence et le rôle médiatique du moine
Matthieu Ricard.
En
France, dit Bruno Waldvogel-Frei, « il n’y a pas
vraiment d’analyse approfondie du bouddhisme tibétain du point de
vue de la philosophie de la religion. L’entourage du Dalaï-lama a
magnifiquement réussi à escamoter complètement l’orientation
religieuse spécifique de sa « star ». Il est le plus haut
représentant de l’Ordre de Gelougpa, un système tantrique
(mystico-sexuel) qui fait froid dans le dos. Rares sont les
Occidentaux à savoir, par exemple, que le sexe avec des adolescentes
à partir de douze ans joue un rôle central dans cette voie
d’illumination. Quand j’ai découvert cela, j’ai crû m’être
trompé de film. Ce courant propre au Dalaï-lama, qui se présente
sans façon comme représentant du bouddhisme, est du reste
directement désavoué par d’autres courants du bouddhisme et non
des moindres.
Question :
Comment situer le Dalaï-lama par rapport à d’autres figures
religieuses qui s’adressent beaucoup aux politiques, le pape, par
exemple ?
Bruno
Waldvogel-Frei : Je
l’ai déjà dit, il se présente comme quelque chose qu’il n’est
absolument pas dans la vision bouddhiste globale. Le Dalaï Lama
n’est pas le pape des bouddhistes, même si son fan-club de
Hollywood et lobby dalaïste le clament haut et fort. Son système
religieux n’est ici ou là (zum teil) pas du tout compatible avec
d’autres courants. Et ce n’est de toutes façons même pas le
programme – contrairement au Pape et aux catholiques, par exemple.
La
situation relève de la schizophrénie. Voilà un homme dont on a
fait une icône, mais dont on voudrait passer sous silence le système
religieux dont il est issu… et c’est ce qu’on fait. L’histoire
du bouddhisme tibétain est, même si elle n’est pas la seule, une
longue liste de luttes de pouvoir, d’empoisonnements, de cabinets
de torture jusqu’à une armée de moines. C’est toujours le cas
aujourd’hui. En Inde, les adorateurs de Dordjé Shugden [une
manifestation «concurrente» du Bouddha – ndlr] sont expropriés,
jugés, leurs maisons détruites. Le Dalaï-lama au sourire perd le
Nord et on ne peut pas parler d’entente cordiale avec de tels
courants différents du bouddhisme.
Si
l’on prend une autre comparaison, par exemple, celle de Maharishi
Mahesh Yogi, propagateur de la paix mondiale par la paix intérieure
grâce à la MT dans les années 80.
Bruno
Waldvogel-Frei :
Oui, il y a des points communs entre le Dalaï-lama et Maharishi.
Tous deux sont célébrés comme des popstars ; ils sont la
coqueluche de nos élites. Et tous deux ont réussi à apprêter
l’ésotérisme oriental pour les salons de l’Occident.
Le
Dalaï Lama est le tenant, historiquement, l’héritier,
aujourd’hui, d'un pouvoir dynastique et autoritaire. Son peuple le
soutient-il ?
Bruno
Waldvogel-Frei :
Sa base s’effrite. D’une part parce que les Tibétains en exil
n’ont plus qu’un rapport distant avec leur propre tradition ;
ils ne comprennent plus guère ce qui se passe pendant ces cérémonies
interminables. D’autre part, ils sont déçus par le peu
d’influence qu’a le Dalaï-lama sur l’occupation chinoise. Ici,
on peut aussi préciser que notre histoire du Tibet est complètement
focalisée sur la 20e siècle ; par le passé, les principaux
agresseurs des Chinois ont été les Tibétains. Les actions
violentes de 2008 ont montré que, tant les moines que les jeunes
Tibétains, veulent de la nouveauté, que ça bouge ; et pour
finir, il y a un ressentiment à voir l’establishment religieux
dorer leur temple plutôt que de prendre soin des nécessiteux.
Beaucoup
s'agacent des fastes de la cour de Dharamsala [le gouvernement en
exil des Tibétains se trouve en Inde ndlr].
Il
n’y a pas de discours ouvert sur l’avenir du Tibet. Mais ça,
personne ne vous le dira ouvertement, parce que le Dalaï-lama
incarne l’espoir des Tibétains. Et tant qu’il est de la partie,
on s’agrippe à toute poutrelle, c’est bien compréhensible. Il
faut lui reconnaître cependant d’avoir réussi à faire de la
situation au Tibet un thème des relations internationales. Cela
force le respect.
Le
bouddhisme tibétain présente-t-il un risque au niveau européen,
disons autre que personnel?
Bruno
Waldvogel-Frei : En
Europe, le bouddhisme est plutôt un produit de consommation.
Difficile
d'imaginer la jeunesse occidentale persévérer dans une voie qu'on
dit vraiment exigeante. Par ailleurs, le bouddhisme tibétain n’a
pas de puissance démographique, politique ou militaire,
contrairement à l'islam, par exemple.
Le
bouddhisme tibétain a effectivement très peu de pratiquants. (Toutefois, une "élite" de dégénérés, fascinée par l'occultisme et les pratiques magico-pédophiles du Vajrayana, soutient les lamas contre vents et marées. ndlr)
Bruno
Waldvogel-Frei est l'auteur de "Le sourire du Dalaï-lama". Le livre est épuisé.