vendredi, février 10, 2012

Henri Michaux & la mescaline





Le poète Henri Michaux est un explorateur de la pensée. Il multiplie les expériences pour connaître le fonctionnement de son esprit, les possibilités de son être, les limites de son imagination. « J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure de la vie ». Il n'hésite pas à étudier sur lui l'effet de la mescaline.

Sous l'effet de la drogue, le poète, être fermé sur lui-même, a l'illusion de s'ouvrir à l'infini.

D'abord, désintégration de sa personnalité qui se transforme en torrent; mais l'homme est à la fois mouvement, objet qui subit, intelligence qui dirige. Secoué par une tornade qui le nettoie de son individualité, en le disloquant. Des sensations disparates se mêlent : le patient devient lumière, transparence, douleur, cris dont la portée est infinie.

Parfois le mouvement est ascensionnel, par un escalier de cristal, dans un monde de lumière. Plus d'ombre autour de lui, en lui. Puis, reprise de la navigation sur des rapides et lutte contre des araignées surnaturelles qui contrarient l'élan.

Un arrêt involontaire. Capturé par une étoile de mer avec laquelle il se confond. De nouveau, la course irrésistible.

A la mescaline, Michaux demande non une évasion dans la folie, un bonheur artificiel, mais une approche de la sagesse. « Les drogues nous ennuient avec leur paradis ; qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir. »
Roger Mathé


Misérable miracle

Ce jour-là fut celui de la grande ouverture. Oubliant les images de pacotille qui du reste disparurent, cessant de lutter, je me laissai traverser par le fluide qui, pénétrant par le sillon, paraissait venir du bout du monde. Moi-même j'étais torrent, j'étais noyé, j'étais navigation. Ma salle de la constitution, ma salle des ambassadeurs, ma salle des cadeaux et des échanges où je fais entrer l'étranger pour un premier examen, j'avais perdu toutes mes salles avec mes serviteurs. J'étais seul, tumultueusement secoué comme un fil crasseux dans une lessive énergique. Je brillais, je me brisais, je criais jusqu'au bout du monde. Je frissonnais. Mon frissonnement était un aboiement. J'avançais, je dévalais, je plongeais dans la transparence, je vivais cristallinement.

Parfois un escalier de verre, un escalier en échelle de Jacob, un escalier de plus de marches que je n'en pourrais gravir en trois vies entières, un escalier aux dix millions de degrés, un escalier sans paliers, un escalier jusqu'au ciel, l'entreprise la plus formidable, la plus insensée depuis la tour de Babel, montait dans l'absolu. Tout à coup je ne le voyais plus. L'escalier qui allait jusqu'au ciel avait disparu comme bulles de champagne, et je continuais ma navigation précipitée, luttant pour ne pas rouler, luttant contre des succions et des tiraillements, contre des infiniment petits qui tressautaient, contre des toiles tendues et des pattes arquées.

Par moments, des milliers de petites tiges ambulacraires d'une astérie gigantesque se fixaient sur moi si intimement que je ne pouvais savoir si c'était elle qui devenait moi, ou moi qui étais devenu elle. Je me serrais, je me rendais étanche et contracté, mais tout ce qui se contracte ici promptement doit se relâcher, l'ennemi même se dissout, comme sel dans l'eau, et de nouveau, j'étais navigation, navigation avant tout, brillant d’un feu pur et blanc, répondant à mille cascades, à fosses écumantes et à ravinements virevoltants, qui me pliaient et me plissaient au passage. Qui coule ne peut habiter.

Le ruissellement qui, en ce jour extraordinaire, passa par moi était quelque chose de si immense, inoubliable, unique que je pensais, que je ne cessais de penser : « Une montagne malgré son inintelligence, une montagne avec ses cascades, ses ravins, ses pentes de ruissellement serait dans l’état où je me trouve, plus capable de me comprendre qu’un homme…

Henri Michaux, Misérable miracle.



Publié en 1956 aux éditions du Rocher, Misérable Miracle, sous-titré « La Mescaline », est le premier d'une série d'ouvrages d'Henri Michaux (1899-1984) consacrés aux drogues. Suivront L'Infini turbulent (1957), Connaissances par les gouffres (1961) et Les Grandes Épreuves de l'esprit (1966). Le texte fera l'objet, en 1972, chez Gallimard, d'une nouvelle édition « revue et corrigée », c'est-à-dire pour l'essentiel complétée d'addenda qui constituent à la fois un bilan et un congé donné à l'expérience commencée dans les années 1950. Si les livres sur la drogue occupent, on le voit, une place bien circonscrite dans l'œuvre de l'écrivain, celui-ci avait déjà, à plusieurs reprises, évoqué ou abordé le thème dans ses premières œuvres (allusion à l'éther et à l'opium dans Ecuador en 1929, au haschisch dans La nuit remue, en 1935). Il y reviendra, de loin en loin, jusqu'à la fin de sa vie (« Le Jardin exalté », en 1983). On ne peut donc nier la permanence d'une préoccupation : de là à conclure à une aliénation, il y a un pas que Michaux, dès la fin de Misérable Miracle, décourageait par avance quiconque de franchir : « Aux amateurs de perspective unique, la tentation pourrait venir de juger dorénavant l'ensemble de mes écrits comme l'œuvre d'un drogué. Je regrette. Je suis plutôt du type buveur d'eau. Jamais d'alcool. »



Misérable Miracle s'ouvre sur un Avant-propos (chapitre I) qui expose les difficultés auxquelles l'auteur a été confronté, et qui justifie la forme originale du livre. Suivent quatre chapitres : « Avec la mescaline » (II) restitue d'aussi près et aussi fidèlement que possible les états où se trouve tour à tour plongé le sujet. Plus distants, « Caractères de la mescaline » (III) analyse de façon clinique les effets de la drogue et leur évolution, tandis que « Le Chanvre indien » (IV) compare la mescaline et le haschisch. Enfin, « L’Expérience de la folie » (V) rapporte comment une erreur de dosage à fait basculer l'auteur dans le gouffre d'une […]



Illustration :
Henri Michaux, Dessin « mescalinien ».

Le Saint-Empire Euro-Germanique

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