mardi, novembre 20, 2012

Le Catholicisme face à l’homoconjugalité et l'homoparentalité


La double question de l'homoconjugalité et de l'homoparentalité déstabilise radicalement l'ordre socio-symbolique que le catholicisme a imprimé dans la culture de trois façons au moins.

— La première concerne la relativisation qu'elle opère des notions de «couple », de « mariage », et de « famille » reçues comme allant de soi dans notre société. Certes, Pierre Centlivres est fondé à souligner que l'anthropologie, loin de découvrir des lois universelles et invariantes qui gouverneraient, en leur principe, les rapports humains, « peut en revanche nous rendre attentifs à la très grande diversité des attitudes et des institutions qui organisent les relations entre les humains dans le monde ». « Elle permet ainsi, note-t-il, de relativiser des notions qui "vont sans dire", tels le mariage, la famille, l'amour même, ainsi que les rapports que ces notions ont — ou n'ont pas — entre elles : l'approche anthropologique fait éclater des entités qui sont en réalité des assemblages de valeurs et d'usages divers. » Mais cette relativisation anthropologique — elle-même «relativisée » par le puissant sentiment de supériorité que les sociétés occidentales ont d'elles-mêmes ! — opère de l'extérieur de notre propre société, en référence à des sociétés « différentes », mais lointaines, et aucunement menaçantes, en fin de compte, pour nos évidences partagées. La reconnaissance publique des couples homosexuels fait au contraire travailler cette relativisation à l'intérieur même de ces évidences. Elle fait voler en éclats la « naturalité » du couple hétérosexuel et de la « famille naturelle », et fait apparaître cette « naturalité » même pour ce qu'elle est : une construction sociale, politique et culturelle, qui a fourni au modèle catholique du mariage (longuement reconduit, sous une forme séculière, dans le droit civil) le dispositif de « sacralisation » (d'absolutisation) qui lui a permis de s'imposer comme la forme exclusive et universelle de l'institution du mariage.

— À ce pouvoir de déconstruction qui s'attache à la manifestation publique de l'existence d'une conjugalité homosexuelle, revendiquant d'être reconnue comme telle, s'ajoute une autre dimension qui touche à la « modernité » spécifique du couple homosexuel. Le couple homosexuel, dans la mesure même où il est complètement dépourvu de cette « évidence naturelle » que porte en elle-même la potentialité procréative (deux hommes, ou deux femmes, ne feront jamais un enfant ensemble), ne correspond, pour les deux personnes qui le constituent, à aucun destin inscrit dans leur physiologie. Il est tout entier, et exclusivement, du côté du désir et du choix d'un individu pour un autre. Le couple homosexuel pousse à la limite, si l'on peut dire, la définition moderne et même ultramoderne du lien conjugal comme pur consentement, continuellement renouvelable, qui vaut contrat entre deux sujets. On peut porter, sur cette contractualisation montante du lien conjugal, le regard que l'on veut : le problème ici n'est pas d'évaluer, mais d'identifier des tendances sociales. La reconnaissance des couples homosexuels s'inscrit dans une réorganisation globale de la conjugalité et du mariage, qui est une nouvelle donne de notre culture. Comme le souligne encore P. Centlivres, « dans l'Occident postmoderne, le mariage apparaît comme s'étant vidé de son "plein", peut-être trop plein : procréation, sexualité légitime, amour romantique, sociabilité conjugale sont disjoints. L'amour, après avoir intégré le mariage dans l'idéal des classes moyennes s'en sépare à nouveau dans de nombreux cas de figure ; il déborde le couple vers le multiple, le varié et l'exotique ; il se déterritorialise, en quête de l'exaltation de soi par la diversité, loin de l'attachement-contrainte. » Contrairement à ce qu'un courant catastrophiste, alimenté par la nostalgie d'un monde en ordre, ne cesse pas d'annoncer, cela ne signifie pas la fin des valeurs et l'anomie sociale, pas plus d'ailleurs que cela ne marque nécessairement un accomplissement de l'humanité. C'est une donnée de fait, susceptible de faire émerger des tendances sociétales contradictoires, qu'il faut identifier, évaluer et qualifier en termes politiques et éthiques. Ce qui nous intéresse ici concerne uniquement l'implication majeure de cette nouvelle donne culturelle dans le processus de l'exculturation du catholicisme.

— Cette exculturation se manifeste, de façon encore plus éclatante, avec la revendication des couples homosexuels d'accéder à la parentalité. Là encore, cette revendication heurte un familialisme catholique qui associe strictement la légitimité du désir d'enfant à la possibilité de procréer, dans le cadre seul autorisé du mariage. Cette problématique traditionnelle s'étaye du côté psychanalytique, de la démonstration de l'immaturité supposée de la demande homoparentale. Certes, il y a toutes les raisons d'interroger de façon critique la revendication actuelle d'un « droit à l'enfant », qui instrumentalise l'enfant à naître pour la satisfaction d'un pur désir d'accomplissement de soi et/ou d'ostentation sociale. Mais cette critique vaut aussi bien pour des couples hétérosexuels, non seulement dans les cas « d'acharnement procréatif », mais également dans des situations tout à fait ordinaires, qui témoignent néanmoins que l'enfant n'est pas voulu d'abord pour lui-même, mais pour la satisfaction narcissique des parents. Du fait de son caractère général, l'invalidation de la revendication homoparentale relève d'un autre type d'évaluation, qui prend en compte non le contexte psychologique et relationnel concret dans lequel s'exprime, au cas par cas, la demande d'enfant, mais les caractéristiques physiologiques, considérées comme déterminantes par elles-mêmes, des membres du couple. La démonstration ne peut donc pas dissimuler le simplisme biologique de la représentation de la différence des sexes qui la sous-tend. Elle manifeste, en même temps, la pauvreté de la conception de l'individu que cette biologisation induit. La revendication homoparentale est condamnée, dit-on, par « l'amour du même» qui unit ceux qui la formulent. Cette proposition suggère (et même affirme) que deux hommes qui s'aiment, ou deux femmes qui s'aiment, sont assignés — par leur constitution physiologique — à une irréductible «mêmetude » (si l'on peut s'autoriser cet affreux néologisme !).

Du point de vue de la définition, psychologique aussi bien que philosophique et politique, de l'individu comme sujet, ce point de vue mérite, à tout le moins, discussion. Mais il est curieux qu'il fasse l'objet d'un aval aussi immédiat, du côté des évêques instruits par leurs experts, au regard de la reconnaissance chrétienne de la singularité irréductible de tout individu, « créé homme et femme » (quoi qu'il en soit de son identité sexuelle biologique et anatomique) : l'affirmation de l'attention absolument spécifique que Dieu réserve à tout individu absolument singulier s'accorde mal — c'est le moins qu'on puisse en dire — avec la réduction biologisante (et in fine profondément matérialiste) de l'identité individuelle qu'implique l'argument avancé contre l'homoparentalité. Là encore, la question n'est pas de prendre parti en un sens ou un autre, mais de s'étonner de la fermeture a priori du débat théologique sur ce point, autant d'ailleurs que de la clôture dogmatique qui entoure les reprises séculières de cette négation de la singularité irréductible de tout individu, dont la notion de « sujet » est pourtant porteuse. En tout état de cause, le principal effet de la revendication homoparentale est, sur ce terrain comme sur celui de la définition du couple, d'obliger tous les couples à pousser dans toutes ses conséquences, la découverte proprement moderne que — quoi qu'il en soit de la manière dont on les fait (« naturellement», par procréation médicalement assistée ou par adoption légale) — les enfants ne sont nôtres que pour autant que nous les adoptons. Dans la mesure où la génération (physiologique) se trouve, dans le cas du couple homosexuel, radicalement disjointe de l'engendrement, la revendication homo-parentale manifeste ce fait majeur, qui trouve également toute sa portée dans la perspective du développement des procréations médicalement assistées : en matière de paternité et de maternité, la « reconnaissance » (comme choix et comme engagement) prime sur la biologie. [...]

On fera remarquer, non sans raison, qu'en campant sur ses positions traditionnelles en ces matières, le catholicisme, loin de s'automarginaliser, demeure au contraire en affinité avec les réflexes dominants d'une société qui manifeste, sur la question de l'homoparentalité, des résistances extrêmement fortes.

Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d'un monde.


L'androgynie sacrée



La photographie représente sainte Wilgeforte (XVIe siècle), église Saint-Etienne, Beauvais. Vierge portugaise crucifiée ; elle porte une épaisse barbe qui lui serait poussée après qu'elle eut implorée la Vierge de la préserver d'un mariage païen ! Cette fable rassurante ne masque-t-elle pas la représentation de l’androgynie du Christ ?

Jean Louis Bernard écrit : « L'Androgyne est un être fabuleux, fils d'Hermès et d'Aphrodite, réunissant les deux sexes. [...] Dans son sens profond, la fable désignait l'initié qui, s'identifiant à Hermès, épousait intérieurement la féminité cosmique ou divine, celle-ci mi-abstraite car n'existant que sur le plan de l'énergie – l'Aphrodite céleste. Par l'introversion (et non l'inversion), la force d'Eros reconvertirait son être intérieur, sublimant son anima ».


Catholicisme,la fin d'un monde
de Danièle Hervieu-Léger 

Dire que le catholicisme est en crise aujourd'hui en France apparaît comme une banalité. Et l'on invoque souvent pêle-mêle, à titre de description comme d'explication, les méfaits de la sécularisation, l'ostracisme des médias et le poids de l'histoire. Mais si cette crise n'était pas seulement due aux aléas de l'histoire et des temps ? S'il s'agissait d'une crise profonde, inéluctable, qui touche le catholicisme au cœur en ôtant toute légitimité à son discours sur l'homme, la nature, la vie en société ?
Après de nombreuses années passées à enquêter sur la religion et à proposer divers modèles d'explications des comportements religieux contemporains, Danièle Hervieu-Léger expose avec rigueur la conclusion de son analyse : Quoi que nous puissions dire ou penser, le catholicisme ne fait plus aujourd'hui partie des références communes de notre univers culturel français. Ses références et ses valeurs, ses représentations et son personnel sont sortis - ou en train de sortir - du champ social. Les conséquences de cette « exculturation » du catholicisme sont immenses. Danièle Hervieu-Léger nous fait prendre la mesure de cet événement historique majeur et interroge en finale les réactions - souvent peu appropriées du monde catholique à ce séisme culturel.


Danièle Hervieu-Léger, sociologue, dirige le Centre d'études interdisciplinaires des faits religieux à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Ses ouvrages sur les mutations du phénomène religieux dans la société contemporaine font largement autorité.




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