lundi, juillet 18, 2011

Evola & la révolte totale prônée par les traditionalistes




...Les traditionalistes - nous parlons ici de ceux qui jugent encore nécessaire d'exercer une action politico-culturelle dans la société - étaient passés à côté de Chevaucher le tigre, (écrit par Julius Evola), ne l'avaient pas compris. Vingt ans plus tard, donc aujourd'hui, ces mêmes milieux ne le comprennent pas plus. 


Héritiers conscients de tout le courant de pensée contre-révolutionnaire qui a procédé, après 1789, à une critique systématique des idéologies modernes, les traditionalistes s'arrêtent presque toujours à la phase défensive de cette critique, oubliant ainsi qu'elle est passée à l'offensive avec Nietzsche, qui parle déjà pour ce qui viendra après le monde moderne, mais sans le moindre espoir de changer quoi que ce soit au présent état de choses. Près d'un siècle avant Chevaucher le tigre, le « philosophe au marteau » avait en effet compris que la subversion moderne ne devait pas être freinée, mais accélérée, afin de laisser l'espace libre à la restauration d'un véritable Rangordnung : « O mes frères, suis-je donc cruel ? Mais je vous le dis : ce qui tombe, il faut encore le pousser. Tout ce qui est d'aujourd'hui tombe et succombe : qui voudrait le retenir ? Mais moi, je veux encore le pousser. » ( Friedrich Nietzsche) L'impasse du traditionalisme se résume à une attitude viscéralement passéiste, qui confond constamment l'attachement illégitime à des formes traditionnelles, par définition sujettes au devenir et à la mort puisque manifestées, et le rattachement légitime et indispensable au noyau interne, purement doctrinal, intangible et indestructible, de la Tradition.

Cette confusion engendre à son tour une compréhension pessimiste de la doctrine des cycles - interprétée sur un plan exclusivement horizontal, temporel et historique -, qui débouche sur une sorte de « catastrophisme historique » totalement paralysant. De fait, il est peu de milieux aussi profondément désespérés que celui des traditionalistes dont nous parlons. Leur situation ressemble à celle d'un homme qui, voyant un ami très cher sur le point de se noyer, chercherait bien sûr à le sauver, mais sans disposer d'aucun moyen pour y parvenir. Les meilleurs d'entre eux sont voués, s'ils ont quelque talent, à jouer le seul rôle qui leur ait été assigné, semble-t-il : celui de Cassandre, et à rabâcher que tout va mal et que tout ira de plus en plus mal si on ne les écoute pas. Par la haine même qu'ils vouent au monde moderne, et qui est trop passionnelle chez eux pour ne pas receler un conditionnement, ils prouvent qu'ils lui accordent ce qu'il ne mérite pas du tout : une réalité absolue. Ils oublient ainsi au passage - ce qui est logique chez des gens qui passent en réalité plus de temps à suivre l'actualité qu'à lire des traités de métaphysique - l'enseignement de ceux qu'ils ont élus, un peu rapidement peut-être, leurs maîtres à penser. Le « point de vue » ultime, en effet, bannit toute crainte : « ….si l'on veut aller jusqu'à la réalité de l'ordre le plus profond, on peut dire en toute rigueur que la "fin d'un monde" n'est jamais et ne peut jamais être autre chose que la fin d'une illusion » (René Guénon) ; « ...le destin du monde moderne n'est nullement différent ni plus tragique que l'événement sans importance d'un nuage qui s'élève, prend forme et disparaît sans que le libre ciel puisse s'en trouver altéré ». (Julius Evola)

Ces virtuoses du dégoût - état qui n'est pas forcément mauvais en soi, mais qui n'est qu'une étape - ressemblent en fait étrangement à un personnage que Nietzsche avait imaginé : celui que le « peuple » avait appelé le « singe de Zarathoustra », car il avait dérobé à ce dernier « quelque chose du ton et du rythme de son discours ». Ce « fou écumant » se plaçait toujours aux portes de la Grand-Ville pour y faire entendre ses imprécations furieuses contre la pourriture environnante, mais Zarathoustra, le jour où il le rencontra, le fit taire et lui lança : « Pourquoi t'es-tu arrêté au bord du marécage jusqu'à devenir toi-même grenouille ou crapaud ? N'as-tu pas dans tes propres veines le sang putride et spumeux des marécages, pour avoir si bien appris à coasser et à blasphémer ? (...). Ton mépris, je le méprise ; et puisque tu m'as averti, que ne t'es-tu plutôt averti toi-même ? » Et en guise d’adieu, Zarathoustra lui laissa la maxime suivante, que bien des traditionalistes devraient méditer : « Où il n'y a plus rien à aimer, passe ton chemin ! »

Paradoxalement, on pourrait dire, pour employer un langage religieux, que les traditionalistes cherchent à tout prix à « sauver » des gens qui ne demandent désormais qu'a être « perdus ». C'est notamment le cas d'un certain nombre de traditionalistes italiens qui se sentent une vocation que nous qualifierons de « franciscaine ». Ils manquent en somme de détachement et d'une forme particulière de « cynisme » ; un cynisme qui, malgré les coupes d'amertume qu'il faut boire, a appris, devant les innombrables illusions du monde moderne, non seulement à ricaner, mais aussi à rire.

Cependant, il y a plus grave. Quand les « franciscains » s'aperçoivent un peu tard que le monde mauvais les rejette ou les ignore purement et simplement, ils tombent parfois dans l'excès inverse du nihilisme. La société actuelle, que leur imagination non bridée a transformée en une sorte de monstre qui les hante jour et nuit, devient alors l'objet de leur rage destructrice. Seulement, c'est le combat du pot de terre contre le pot de fer, dont l'issue ne fait pas le moindre doute. Pour ceux qui n'ont vu dans Chevaucher le tigre qu'une sorte de manuel de la révolte totale - alors que son seul objet est la mise à nu du problème existentiel et sa résolution -, le malentendu a pesé très lourd. En Italie - puisque c'est dans ce pays qu'est apparu le phénomène en question -, il s'est traduit par une répression impitoyable qui a jeté en prison des centaines de traditionalistes, dont ils ne sont pas prêts de sortir, car on sait que de nos jours tous ceux qui sont taxés, à tort ou à raison, de « fascisme », n'intéressent aucunement, quel que soit leur sort, les bonnes âmes de la conscience universelle et les professionnels de la pétition.

Dès l'apparition de ces formes d'« anarchisme de droite », Evola avait d'ailleurs pris position d'une manière claire et d'autant plus chargée de sens qu'elle ne faisait aucune concession « modératrice ». Au sujet des possibilités de « révolution », il affirmait : « Il se s'agirait pas de "contester" et de polémiquer, mais de tout faire sauter : ce qui, à l'époque actuelle, est évidemment fantaisie et utopie, n'en déplaise à un anarchisme sporadique. » Sur un activisme d'inspiration vaguement traditionnelle, il portait le jugement suivant : « Certes, si l'on pouvait organiser aujourd'hui une sorte de Sainte-Vehme agissante, capable de tenir les principaux responsables de la subversion contemporaine dans un état d'insécurité physique constant, ce serait une excellente chose. Mais ce n'est pas une chose que des jeunes puissent faire ; par ailleurs, le système de défense de la société actuelle est trop bien construit pour que de semblables initiatives ne soient pas brisées dès le départ et payées à un prix trop élevé. »

Certains affirment pourtant de façon péremptoire que, pour un type humain actif qui a fait siennes les valeurs de la Tradition, il n'est d'autre moyen, aujourd'hui, d'être « cohérent » avec soi-même que de lutter ouvertement contre toutes les expressions - y compris les expressions politiques – du monde contemporain, quelles qu'en soient les conséquences. Ce point de vue terriblement limitatif fait donc du courage le seul critère de la valeur d'un individu, ce qui est une façon bien romantique de voir les choses, car on ne peut pas nier que certains représentants des courants modernes les plus subversifs sont aussi capables de faire preuve d'un grand courage. La vérité, c'est que, passé un certain stade, l'obstination aveugle, si « héroïque » soit-elle, confine à la bêtise. Il faut donc répondre à ceux qui, affectés d'une mentalité un peu inquisitoriale, voient dans tout refus de l'action extérieure l'alibi de la peur et de la faiblesse, que la voie de la connaissance, elle aussi, n'est pas une fuite : « ...quand on s'est assimilé certaines vérités, on ne peut ni les perdre de vue ni se refuser à en accepter toutes les conséquences ; il y a des obligations qui sont inhérentes à toute connaissance, et auprès desquelles tous les engagements extérieurs apparaissent vains et dérisoires ; ces obligations, précisément parce qu'elles sont purement intérieures, sont les seules dont on ne puisse s'affranchir. » (René Guénon)

Un dernier point qu'il importe de souligner. parce qu’il est une des raisons de l'incompréhension témoignée par les traditionalistes devant un livre comme Chevaucher le tigre, c'est le conformisme de ces milieux. Autant leurs idées sont effectivement à contre-courant par rapport aux dogmes de notre temps, autant leur comportement dans la vie de tous les jours possède souvent les caractères de l'existence petite-bourgeoise, comme n'a pas manqué de le leur reprocher Evola : « ...si l'on parle d'anticonformisme, de rejet du système bourgeois, très fréquemment j'ai pu relever, chez les jeunes, une singulière inconséquence : alors qu'ils prônent, politiquement et idéalement, une attitude révolutionnaire, trop souvent, sur le plan existentiel, dans la vie pratique individuelle, ils finissent par succomber de façon désolante aux routines de la vie bourgeoise détestée (pour donner un exemple : en se mariant bien tranquillement), se trouvant par-la même encore plus obligés de "s'installer" dans la société actuelle, et ainsi de suite. Franchement, le type du beat authentique (...) bien qu'inférieur, me semble à cet égard plus cohérent. Et j'apprécie beaucoup la cohérence. »

S'arrêtant trop souvent à une réaction qui dégénère en crispation, nostalgiques des formes traditionnelles appartenant au passé, conformiste à l'égard des structures résiduelles du monde bourgeois, les traditionalistes sont donc mal placés pour saisir le sens et la portée de Chevaucher le tigre.

L'esprit encombré de notions et de pseudo-certitudes agissant comme un poids mort, il leur est difficile d'accéder au dénuement intérieur de l’« homme différencié », qui a su se débarrasser à jamais de l'accessoire pour ne s'appuyer que sur l'essentiel, et qui s'est délibérément interdit de regarder en arrière (et « en avant », doit-on ajouter, car la perspective d’Evola est résolument étrangère à tout messianisme, à toute téléologie, et ne s'intéresse qu’à l’« ici et maintenant »). Prisonniers d'un style comportemental rigide. les traditionalistes ne possèdent pas la « souplesse » existentielle nécessaire pour « passer leur chemin » parmi les décombres de cette fin de cycle.

Philippe Baillet, préface de l'édition de 1982 de "Chevaucher le tigre".


Chevaucher le tigre



***



Breivik, la tuerie de masse et la mort de Dieu

Quand André Breton, encore tout jeune, déclara que l'acte surréaliste le plus simple serait de descendre dans la rue et de tirer au hasard sur les passants, il anticipait sur ce que quelques représentants des dernières générations devaient réaliser plus d'une fois après la seconde guerre mondiale, passant ainsi de la théorie à la pratique, et cherchant à atteindre, à travers l'action absurde et destructive, le seul sens possible de l'existence, après avoir refusé de voir dans le suicide une solution radicale pour l'individu métaphysiquement seul... LIRE la suite :


Revenir au naturel




Quand l'action conforme au Principe dépérit (quand les hommes cessèrent d'agir spontanément avec bonté et équité), on inventa les principes artificiels de la bonté et de l'équité), et ceux de la prudence et de la sagesse qui dégénérèrent bientôt en politique.

Quand les parents ne vécurent plus dans l'harmonie naturelle ancienne, on tâcha de suppléer à ce déficit par l'invention des principes artificiels de la piété filiale et de l'affection paternelle.

Quand les États furent tombés dans le désordre, on inventa le type du ministre fidèle.

Rejetez la sagesse et la prudence (artificielles, conventionnelles, la politique, pour revenir à la droiture naturelle primitive), et le peuple sera cent fois plus heureux.

Rejetez la bonté et l'équité (artificielles, la piété filiale et paternelle conventionnelles), et le peuple reviendra (pour son bien, à la bonté et à l'équité naturelles), à la piété filiale et paternelle spontanées.

Rejetez l'art et le lucre, et les malfaiteurs disparaîtront. (Avec la simplicité primordiale, on reviendra à l'honnêteté primordiale.)

Renoncez à ces trois catégories artificielles, car l'artificiel ne suffit pour rien.

Voici à quoi il faut vous attacher : être simple, rester naturel, avoir peu d'intérêts particuliers, et peu de désirs.


Lao-Tzeu

Illustration :
Tan Xiaochun, « The I CHING, an Illustrated Guide to the Chinese Art of Divination ».



The I CHING
An Illustrated Guide to the Chinese Art of Divination



dimanche, juillet 17, 2011

Existentialisme spirituel & Sâmkhya




Le sâmkhya est par excellence la philosophie pratique transmise par Kapila.

Le sâmkhya donne une notion claire du Purusha-esprit et de la prakriti représentée par la « grande Nature ». Cette dernière se manifeste essentiellement d'une manière mécanique, comme du reste toutes les lois cosmiques qui nous régissent.

Je sais combien il est difficile de transmettre des valeurs spirituelles profondes à ceux qui ont été élevés dans une tradition différente. A cause de cela, je pense que la meilleure approche, pour relier les choses de l'au-delà avec les choses du monde, est celle de la psychologie pratique. La psychologie parle un langage universellement connu.

Le sâmkhya est la seule philosophie religieuse utilisant un langage psychologique qui est, de ce fait, un langage scientifique. On peut tout expliquer du point de vue sâmkhya. Il est à la base des Pitakas bouddhiques aussi bien que des préceptes soufis. Pas plus que les Upanishads, il ne parle de rites, ou de dogme.

Ceux font pénétrer ces idées très larges dans le courant de la pensée accomplissent une chose importante. En cela, Georges Ivanovitch Gurdjieff, qui a suivi cette méthode dénuée de tout artifice, est un pionnier en Occident. Il est très en avance sur son temps, de là les attaques virulentes dont il est l'objet.

Il n’existe rien, dans aucun domaine, qui ne procède par déduction à partir d’une loi supérieure. A un moment donné, il faut accepter d'entrer dans ce processus déductif et aller vers un existentialisme spirituel. Ce processus est pur sâmkhya ; il est la descente en prakriti, inéluctable, sous la pression d’en-haut, du Vouloir unique. A partir de ce moment-là, tout devient mécanique : l'intelligence supérieure (buddhi), l'âme, l'ego, tous les centres de l'être humain avec chacun leur partie d'intelligence naturelle. La mécanicité fonctionne à partir du moment où des rapports s'établissent entre les différents plans de l'être, ses organes internes de perception (indryas), ses sens, ses éléments constitutifs et ses densités.

Quand la descente est accomplie volontairement par « celui qui sait », quand le point le plus bas, c'est-à-dire le nadir est touché, l’« être » du chercheur resplendit. A ce moment-là, il entre consciemment dans la discipline de la remontée consciente avec une lucidité et une plasticité constantes.

L’homme, par nature, est inductif ; il marche à tâtons, il s’en va à l'aveuglette. La femme au contraire, par sa nature, est toute passivité active car sa fonction est de créer l'enfant. C’est d'elle que sont nés le mari et le père. Tout ce qui est manifestation : esprit, âme, matière, est venu d'elle. C’est en cela qu’elle est la « Mère divine », la base d'où partir pour monter lentement vers la source.

Dans le védanta et pour les védantins, le chemin vers le haut n’est qu’un long renoncement, un retrait et une constante frustration si le point de félicité, en pleine passivité de tous les centres, n’est pas atteint.

La science spirituelle du sâmkhya peut faire un saint d'un homme qui n'a plus de foi, ni en Dieu, ni en lui-même.

Au début le sâmkhya apparaît d'une effroyable sécheresse et manquer d'amour, car l'imagination et les émotions de toutes sortes sont rigoureusement mises de côté. Mais quand l'être intérieur a retrouvé l'équilibre perdu ou découvert l'équilibre jusque-là jamais entrevu, il se nourrit d'un amour très pur qui n'a plus aucune racine dans l'amour humain.

Lizelle Reymond, « La vie dans la vie, pratique de la philosophie du sâmkhya d'après l'enseignement de Shrî Anirvân ».


La vie dans la vie
Pratique de la philosophie du sâmkhya d'après l'enseignement de Shrî Anirvân

La première partie de ce livre nous montre la vie quotidienne dans un ermitage de l'Himalaya auprès d'un Maître, vie dans laquelle chaque geste révèle la tentative d'établir un équilibre profond dans l'être intérieur. Les données strictes de la connaissance de soi sont la constante mesure de la discipline spirituelle envisagée.

La deuxième partie nous met en présence des principes de la philosophie du Sâmkhya.

Le maître Baul, Shrî Anirvân (1896-1978), parle aux élèves groupés autour de lui dans un ashram en Inde. Il répond à leurs questions en utilisant toujours leurs propres expériences de vie, pour les amener à concevoir le " Vide " qui est à la fois le " tout " et le " rien ", la relation du Purusha avec la Prakriti et l'intelligence des grandes lois cosmiques. Dans cet enseignement, il n'y a pas place pour la sensibilité ou pour la dissection intellectuelle, mais on y découvre une discipline intérieure s'appuyant sur les découvertes scientifiques modernes en psychologie. Cette discipline acceptée permet à l'élève de prendre place dans l'univers et de savoir ce qu'est l'amour véritable dans une vision objective des relations humaines : un contact journalier avec la Vie consciente peut alors s'établir.


Télécharger gratuitement « Secret of Sankhya : Acme of Scientific Unification » :




Anirvân était Baul, les Bauls et les Janghâmâs (ci-dessus, photo de Rajesh Bedi), sont des ménestrels. En hindi, les Bauls sont appelés bardaï, mot probablement de la même origine que le mot barde (ci-dessous un célèbre barde gaulois).


samedi, juillet 16, 2011

Le yoga de l’Éveil spontané (Amanaska-Yoga)



Des gourous, parfois parés de titres religieux ronflants, participent au plus redoutable système totalitaire jamais conçu. Ce système utilise l'illusion de la liberté pour mieux enchaîner l'homme.

La société de consommation exploite le mythe du pays de cocagne, terre de fêtes, de liberté et de bombances. Mais l'abondance qui s'étale dans les supermarchés est trompeuse car les produits sont presque tous frelatés, toxiques et de plus en plus chers. 

Le marché culturel et pseudo-spirituel conditionne les esprits. De plus, les nombreuses et coûteuses techniques de développement personnel ne sont pas dénuées de dangerosité. Quand le corps est intoxiqué et quand l'esprit est l'objet d'une constante manipulation, l'homme n'est pas libre. Dans ce contexte, il est utile de reproduire quelques préceptes de l'Amanaska-Yoga (un écrit de la tradition des Nâths traduit par Tara Michaël) qui préconisent une simplicité  et une lucidité revivifiantes. Ainsi, nous pouvons restaurer l'équilibre du corps et de l'esprit.

Dans cette voie, nul besoin d’éveiller Kundalini et de lui faire percer (les chakra), pas d’étapes progressives jusqu’à l'Unmanî (état transcendant le mental). Rien que l'application attentive à ce yoga confère la suprême réalisation. [...]

Ne sachant pas que la Réalité réside en lui-même, le fou s'égare dans les textes sacrés, comme un berger cherche ses moutons dans le puits alors qu'ils sont à la bergerie. [...]

Il y a des sages pleins d'intelligence qui discourent sur le Brahman suprême. Mais ceux qui sont experts à enseigner l'art de l'Eveil total sont rares à découvrir sur cette terre.

Ils parlent en vérité de l'état non mental, ceux qui sont versés dans la connaissance ésotérique du Vedânta. Mais même après avoir expliqué aux autres ce secret, ils ne l'expérimentent pas eux-mêmes. […]

Rejette toujours ce qui est composé, ce qui conceptuel, ce qui est hérissé de difficultés. Consacre-toi toujours à l'Incomposé, à ce n’est pas du domaine des fonctions mentales, à ce qui n'implique aucun effort. […]

Ayant à grand effort conquis son souffle au moyen de techniques variées, sources d'oppression pour le corps, ayant par son acharnement accompli le périple des nâdî qui se trouvent dans son propre corps, ayant même véritablement réussi à atteindre le pouvoir incroyable de pénétrer dans le corps d’autrui, le yogin qui, fort de cette connaissance, se complaît en ce qui n’est que diversion, ne réalise pas le Principe suprême.

Il y a des gens qui boivent de l'urine qui est l’excrétion de leur propre corps (Amarolî) ; d’autres [utilisent des techniques qui] provoquent une abondante salivation (Khecari-mudrâ). Certains, qui vont jusqu'à la limite, font remonter leur sperme même une fois tombé dans le vagin d’une jeune femme (allusion à Vajroli-mudrâ). Il y en a qui absorbent les substances corporelles (dhâtu), habiles qu'ils sont à faire passer l’énergie vitale dans tous les canaux du corps. Chez aucun de tous ces gens ne se trouve la perfection du corps, en l'absence du Râja-yoga qui opère la cessation des fonctions mentales.

Certains ont l’esprit endurci à force de logique et de dialectique, d’autres sont bouffis d’orgueil et d’arrogance, certains sont emplis de présomption du fait de leur caste, d'autres s’embrouillent dans les méditations et autres rites, pour ainsi dire toute la masse des êtres animés est dans la confusion et entretient des conceptions diverses, au lieu de se plonger dans l'unique jouissance, celle de la Béatitude qui est vide de conceptions.

Le port d'un bâton ou d’un trident (emblèmes des ascètes), le chignon tressé et l'onction de cendres, l'épilation des cheveux, la nudité, le vêtement d’écorces de couleur rouge, le comportement démentiel, la pratique de boire et de manger ce qui ne doit pas être consommé, l'observance du mode de vie d'un pâkhanda (homme inculte), tout en arborant des signes de secte de cette sorte, les gens vont braillant leurs positions philosophiques variées.

Pour celui en qui s’est produit l’Éveil à soi-même, qui est devenu détaché de tout et qui s'engage dans la pratique constamment, rien de tout cela n’est utile.

Les différentes manières de fixer le regard, les diverses postures (âsana) et les modalités (bhâva, « états » spirituels) variées du psychisme ne sont jamais d’aucune utilité pour le yogin [qui a atteint le non-mental].

Bien des yogin, dont le sens de l’ego va se fortifiant car ils ont pris connaissance d'une multitude de traités, ne connaissent pas cet enseignement malgré les centaines de livres qu'ils ont lus.

Ceux qui s’absorbent et se perdent dans des textes se préoccupant essentiellement de méditations et autres pratiques qui ont pour racine l'idéation, ceux-là ne découvrent pas, même au prix de pénibles efforts, le Lieu désiré qui est à atteindre. [...]

Le japa pratiqué selon diverses techniques parmi lesquelles la prononciation de « Om ! » est la principale, la visualisation de lumière dans le lotus intérieur, la méditation prenant pour support l'espace vide, tout cela est à transcender, ayant considéré tous les exercices comme une agitation de l'esprit. Au moment de la mort de ce corps, que les sages se consacrent exclusivement à cet indicible et unique Non-mental.
Tara Michaël, "Le yoga de l'Éveil"

Le yoga de l'Éveil

Dans la tradition hindoue, la « voie du Yoga» permet à l'adepte - le yogin - d'accéder à l'expérience de l'Absolu dès cette vie même.

En Occident, où le Yoga passe souvent pour n'être qu'une discipline corporelle salubre, il exerce une fascination parce qu'il se présente comme une méthode expérimentale n'impliquant aucun credo et indépendante de tout endoctrinement dogmatique.

Loin de s'opposer aux religions, le Yoga fournit les méthodes de réalisation spirituelle du Principe suprême, qui est, selon la métaphysique indienne, à la fois la source de l'univers manifesté et le fondement de la conscience individuelle. Il se présente comme la culmination de l'esprit religieux qu'il dépouille de toute extériorité, le menant jusqu'à la plus haute expérience de l'inconcevable. Cette expérience vécue de l'Absolu est comparée à «l'autre Rive» qu'il nous faudrait atteindre, en traversant cette immensité houleuse qu'est l'océan de l'existence.

Ce livre veut précisément expliquer la « Science de la Traversée », ou Éveil au Soi, en nous guidant à travers les textes sanscrits qui l'enseignent.



Tara Michaël, docteur en Études indiennes et chercheur au CNRS, a vécu plus de dix ans en Inde et a publié plusieurs livres sur les nombreuses formes de la tradition du Yoga, dont la Hatha Yoga Pradîpikâ (Fayard, 1974), et sur les danses sacrées de l'Inde.


Photo :
« La cérémonie secrète du percement de l'oreille symbolise l'initiation dans l'ordre Gorakha nâtha. Tout d’abord les disciples de cet ordre portent un anneau en terre (kundala), qui peut être remplacé plus tard. Les boucles d'oreilles de couleur foncée en peau de rhinocéros sont très répandues.
Les sannyâsis tissent eux-mêmes leur laine et confectionnent des sacs dans lesquels ils rangent leurs vêtements et accessoires religieux. »
Ramesh Bedi


vendredi, juillet 15, 2011

Un monde secret, mélange de sensualité et de mysticisme




En Inde, de nombreux sadhus se glorifient de mener une existence d'austérité et de chasteté (lire le récit de Marco Polo). Selon Râmakrishna, dont la vie est relatée par Romain Rolland (prix Nobel de littérature), il y a parmi les ascètes des hommes parfaitement chastes (ûrdhvaretas), qui n'ont jamais eu aucune émission, et des gens nommés « dhairyaretas », qui ont usé précédemment de leur virilité, mais sont revenus à la continence absolue. Râmakrishna affirmait : « Si un homme peut rester dhairyaretas, pendant douze ans, il obtient un pouvoir surhumain ; un canal subtil nouveau se développe en lui, canal que l'on nomme le canal de l'intelligence (medha-nadi) et il peut connaître toute chose et en garder le souvenir ». Ramakrishna était catégorique : « Si vous ne pratiquez pas la continence absolue, vous ne pouvez comprendre les vérités subtiles de la spiritualité ».

La doctrine de l'abstinence n'est pas partagée par tous les spiritualistes. Les adeptes de la mystique shivaïte ont toujours dénoncé les concepts étroits de la religion et de la morale. « A l'époque moderne, écrit Daniélou, Swâmi Vivékânanda, le fondateur de l'ordre de Râmakrishna à la fin du XIXe siècle, a été particulièrement actif dans la propagation d'une théorie du Yoga et du Védanta adaptée aux concepts et aux préjugés du puritanisme anglo-saxon. Il sera suivi dans cette voie par Aurobindo et les autres commentateurs récents de l'hindouisme écrivant pour la plupart en langue anglaise. »

Alain Daniélou, qui a vécu près de vingt ans au bord du Gange et a été initié aux enseignements secrets de l'hindouisme, dévoile dans son livre, « Le bétail des dieux », un autre hindouisme, mélange de sensualité et de mysticisme, de tendresse et de détachement. L'auteur nous fait découvrir cet univers sous forme de contes. Mais ces contes sont des histoires vécues dont tous les personnages sont réels :

Les personnages représentés dans ces histoires sont réels. J'ai parfois changé leurs noms et aussi combiné plusieurs personnages en un seul. Je les ai connus et j’ai parfois été témoin des événements décrits.

Le monde parallèle des Sadhus, des moines errants de l’Inde, est un monde à part dont la fonction est de transmettre à travers les âges les formes les plus profondes de la sagesse antique, de la philosophie, des sciences traditionnelles. Une grande partie de ce savoir reste secret, toutefois les Sadhus ont le devoir d'enseigner partout où ils se trouvent, même dans le plus humble village, les préceptes qui sont nécessaires au maintien des traditions religieuses et morales. Ceci fait que des villageois indiens ont parfois en fait un niveau de culture et des préoccupations philosophiques et théologiques qui nous surprennent. Ces enseignements jouent donc un rôle très important, bien que parfois peu apparent au premier abord, dans la vie sociale, culturelle, religieuse et spirituelle du pays.

Nul ne peut pénétrer dans le cercle mystérieux et fermé que forment les Sadhus, ou du moins a ceux qui y pénètrent ne reviennent jamais dans la société ordinaire des hommes. Le monde des Sadhus reste inchangé quelles que soient les transformations de la société qui les entoure. C’est eux qui sont les gardiens et les représentants de cette « religion éternelle » (Sanatana Dharma) qui est la base de toutes les religions. Leurs pouvoirs sont grands mais les occasions où ils ont le droit et le devoir d’utiliser ces pouvoirs sont rares et sévèrement réglementées.

Plus un Sadhu occupe une place élevée dans la hiérarchie monastique, plus son rôle est secret et son approche difficile. Au sommet de « cette hiérarchie existe peut-être cet être impersonnel et mystérieux que l’on a parfois appelé le « Roi du Monde » et que l’on ne peut jamais identifier ou localiser. C’est à ce Grand Maître des Sadhus qu'appartient le devoir, lorsque la terre est affligée par la folie des hommes, de leur inspirer ces connaissances et ces ambitions par lesquelles ils se détruisent eux-mêmes. Sur une moindre échelle, tous les Sadhus sont détenteurs de pouvoirs similaires sur le monde qui les environne mais rares sont les occasions où ils ont le droit d’agir, car, selon la loi de Manou, c’est seulement lorsque les bases mêmes de la société sont menacées que les «sages et les brahmanes doivent prendre part au combat ».

Le recrutement des Sadhus est lui aussi mystérieux. Il est rarement le fait d’un acte tout à a fait volontaire. Certains êtres sont choisis parfois dès avant leur naissance et sont téléguidés à travers des circonstances apparemment accidentelles vers leur initiation.

Il existe autour des véritables Sadhus une importante floraison d'hommes qui revêtent la robe orange des moines simplement par lassitude du monde ou pour éviter de prendre leurs responsabilités devant la vie. Ils ont ainsi une existence paresseuse et facile dans un pays où l’on ne refuse jamais nourriture et abri à un moine errant. Leur rôle est important car il permet aux vrais initiés, lorsqu’ils s’approchent de la société des hommes, de passer complètement inaperçus.

Les Sadhus emploient des agents laïcs qui reçoivent une initiation et des enseignements limités. Ils servent à répandre, lorsque cela paraît utile, certains concepts permettant d'améliorer les conditions du monde, d'offrir des solutions aux problèmes de l'humanité. Ces agents vivent dans le monde sans obligations monastiques et leur appartenance n'est jamais révélée.

Gandhi et avec lui les dirigeants des mouvements politiques qui ont combattu pour l'indépendance de l'Inde avaient cru qu'il était nécessaire de s'attaquer aux structures fondamentales de la société et de la religion hindoues pour permettre à l'Inde de jouer un rôle dans le monde moderne. C’est pour lutter contre cette tendance, qui sacrifiait des valeurs éternelles à des intérêts immédiats, que se sont manifestés certains émissaires du monde des Sadhus qui ont organisé des mouvements culturels, religieux et même politiques. Ces mouvements prennent une place toujours croissante bien que peu connue au dehors, dans l'Inde d'aujourd’hui.

Pour l'étranger et même pour l'Indien moderne, il est utile de rappeler que, contrairement au monde judéo-chrétien, la morale dans la tradition hindoue. n’est pas liée à la vie sexuelle. La puissance mentale et l’énergie sexuelle sont considérées, selon la doctrine des tantras comme de même nature. L'utilisation de l'énergie totale de l’homme à des fins spirituelles est un but difficile à réaliser qui ne peut être atteint que par la maîtrise complète des techniques du Yoga. Il ne saurait être question de refoulement ou de répression. La voie de l'abstinence complète est considérée comme impossible dans l’Age des Conflits (le Kali Yuga) où nous nous trouvons. L’abstinence est un élément de déséquilibre dangereux et rarement conseillable à des adolescents. La vie érotique sous toutes ses formes est tout à fait indépendante du mariage, acte social à fins de continuation d’une race, qui est sévèrement réglementé. L’homme qui veut conquérir la terre et le ciel doit cultiver les deux énergies, érotique et mentale, et finalement transférer l'une dans l'autre. Une activité sexuelle apparaît donc essentielle dans les premiers stages de cette ascension. Certains moines prennent une
compagne, une Shakti, mais comme ils ne doivent pas donner naissance à des enfants qui se trouveraient en dehors de la société normale, les relations avec une femme posent des problèmes et doivent être prudentes. Les relations entre personnes du même sexe sont donc toujours préférables et très largement pratiquées. Ce lien entre l'homosexualité et la vie monastique et spirituelle et la valeur sacrée de ce genre de relations est connu dans toutes les religions. La psychose anti-homosexuelle du monde judéo-chrétien a servi de prétexte à la persécution de nombreux mouvements de caractère mystique, gênants pour les ambitions matérielles des églises, sous le couvert d’une conception arbitraire de la morale.

Une relation sexuelle permet cette plénitude dans les rapports du maître et du disciple grâce à laquelle l'épanouissement du corps mène à l'anoblissement de l'âme et aux plus hautes vertus morales. L'érotisme est considéré, dans la tradition hindoue, comme l'un des arts. Le Kama Soutra fait partie des textes que les enfants doivent étudier à l'école. L'abstinence sexuelle, qui fait partie des techniques du Yoga, n’a de valeur que si l'énergie vitale est réellement employée, à l’aide d’exercices physiques et mentaux complexes et difficiles, pour développer les pouvoirs intellectuels et spirituels de l’homme.

Alain Daniélou, « Le bétail des dieux et autres contes gangétiques ».



Le bétail des dieux et autres contes gangétiques

mercredi, juillet 13, 2011

Moines nudistes




En Inde, des moines, des yogis, des ermites (Jaïns, shivaïtes, sadhus nagas...) vivent nus. Le droit à la nudité était pour Élisée Reclus « la grande révolution esthétique et morale qui laissera au civilisé moderne le droit qu'avait le Grec autrefois de se promener débarrassé de langes à la lumière du soleil, cette grande révolution est encore, parmi toutes les ambitions de l'homme moderne, celle qui paraît la plus difficile à réaliser ».

Marco Polo et les yogis qui « vont nus et n'ont nulle vergogne de montrer leur membre ».

Ils (les brahmanes) ont parmi eux des réguliers et des ordres de moines qui sont nommés ciugi (transcription du terme « yogi »), et qui vivent certainement plus que tous les autres du monde, car vivent de cent cinquante à deux cents ans ; et même alors, ils gardent encore leurs facultés corporelles : ils peuvent fort bien aller et venir là où ils veulent, et font fort bien tout le service de leurs moustiers (moutiers, monastères) et de leurs idoles, et quoiqu'ils soient si vieux, lisent aussi bien que s'ils étaient jeunes. C'est à cause, disent-ils, de la grande abstinence qu'ils font du manger et du boire. Car ils prennent toujours fort peu de nourriture, mais fort bonne : pain, riz et lait plus que de toute autre chose. Et encore vous dis que ces ciugui qui vivent aussi longtemps que je vous ai dit mangent de ce que je vous dirai, ce qui vous semblera bien grande chose. Car je vous dis qu'ils prennent vif-argent et soufre, et les mêlent ensemble, et en font breuvage avec de l'eau. Puis le boivent, et disent qu'il accroît la vie. Ils font ainsi deux fois chaque mois, et sachez qu'ils usent de ce breuvage dès l'enfance pour vivre plus longtemps, et il n'y a pas d’erreur ; ceux qui vivent aussi longtemps que je vous ai dit usent de ce breuvage de soufre et de vif-argent.

En ce royaume de Maabar (Côte de l’État indien du Tamil Nadu) est encore une autre religion, également appelée ciugui, qui font aussi grande abstinence que je vous dirai, et mènent très forte et âpre vie pour l'amour de leurs idoles. Car sachez très véritablement qu'ils vont tous nus sans rien porter sur eux, et ne se couvrent ni la nature ni nul membre. Ils adorent le bœuf, et la plupart d'entre eux portent une peau de bœuf ou un petit bœuf découpé dans du cuir, du cuivre ou du bronze dorés au milieu du front; et entendez qu'ils se les attachent en cet endroit... Et encore vous dis qu'ils brûlent aussi la fiente de bœuf et en font une poudre, dont ils font une grande variété d’onguents. Ils s'en oignent alors en plusieurs lieux du corps avec grande révérence, bien aussi grande que celle que les Chrétiens ont pour l'eau bénite. Si quelqu'un les salue lorsqu'ils vont leur chemin, ils l'oignent au front de cette poudre comme de quelque chose de très saint. Ils ne mangent ni sur table, ni en écuelles, mais sur des feuilles de pommier du Paradis ou sur d'autres grandes feuilles ; toutefois, non quand elles sont vertes, mais sèches. En effet, les vertes, ils disent qu'elles ont une âme, ainsi, d'ailleurs, que toutes les choses créées, et ce serait donc un péché. Car je vous dis que plus que, toute créature au monde, ils se gardent de faire une chose dont ils pensent qu'elle serait péché, car ils se laisseraient plutôt mourir que de faire une chose qu'ils supposent péché. Et quand les autres hommes leur demandent pourquoi ils vont nus et n'ont nulle vergogne de montrer leur membre, ils disent :

- Nous allons nus parce que nous ne voulons nulle chose de ce monde, parce que nous vînmes en ce monde sans nul vêtement et nus ; et si nous n'avons pas honte de montrer notre membre, c'est parce qu'avec lui nous ne faisons nul péché. Voilà pourquoi nous n'avons pas plus honte de lui que vous n'en avez lorsque vous montrez vos mains, votre visage, ou vos autres membres qui ne commettent point de pêché de luxure. Mais comme votre membre commettra péché et luxure, vous le portez couvert et en avez vergogne. Nous, nous n'en avons pas plus que de montrer le doigt, parce que nous ne faisons nul péché avec eux.

Telle est la raison qu'ils donnent aux hommes qui leur demandent pourquoi ils n'ont point vergogne de montrer leur membre. Et encore vous dis qu'ils n'occiront nulle créature ni animal du monde, ni mouche, ni puce, ni pou, ni ver, parce qu'ils disent qu'ils ont une âme, et disent qu'ils n'en mangeraient point à cause du péché qu'ils commettraient. Et encore vous dis qu'ils ne mangeraient nulle chose verte, ni herbe, ni fruit, ni racine, tant qu'elle n'est pas sèche, parce que, disent-ils, les choses vertes ont une âme.

Quand ils désirent se soulager, ils vont à la plage ou au rivage de la mer, et là, auprès de l'eau, ils font dans le sable, et se lavent ensuite fort bien avec l'eau. Et lorsqu'ils sont lavés, ils prennent une petite branche ou baguette dont ils dispersent la crotte et la répandent çà et là dans le sable au point qu'on n'en peut plus rien voir. Si on leur demande pourquoi ils font ainsi, ils répondent :

- Parce que des vers y prendraient naissance ; les vers ainsi créés, lorsque leur aliment serait consumé par le soleil, ils mourraient faute de nourriture ; et comme cette substance sort de notre corps, puisque sans nourriture, nous non plus, nous ne pourrions vivre, la mort de tant d'âmes issues de notre substance nous chargerait d'un très grand pêché. Ainsi donc, nous détruisons cette substance, pour que des vers n’en puissent être créés et qu’ensuite lorsque l’aliment leur fera défaut, ils ne puissent mourir par notre faute et négligence.

Et encore vous dis que ces hommes religieux dorment tous nus sur la terre nue, sans rien ni dessus ni dessous. C’est une bien grande merveille qu’ils n’en meurent point, et qu’ils vivent aussi longtemps que je vous ai dit ci-dessus. Ils font aussi grande abstinence de manger, car ils jeûnent tous les ans, ne mangent rien que du pain et boivent de l'eau, rien d’autre.

Et vous dirai encore une autre chose à leur sujet ; car ils ont leurs réguliers, qui demeurent dans les moustiers pour servir les idoles. Et quand on les nomme à un rang ou office, on les éprouve comme je vais vous dire. Donc, quand l’un d'entre eux meurt et qu’un autre doit être choisi à sa place, ils le gardent quelque temps dans leur moustier et lui font mener leur vie. Ensuite, ils font venir les pucelles qui sont offertes à l'idole, et font toucher par ces pucelles cet homme qui garde les idoles. Elles le touchent et çà et là par maintes parties du corps, elles l'accolent et le baisent, et le mettent dans le plus grand plaisir du monde. Cet homme qui est touché de telle manière par les pucelles, si son membre ne change en rien, mais demeure comme il était avant que les pucelles le touchent, alors il est tenu pour bon et pur, et ils le gardent avec eux dans l’Ordre. Mais un autre que les pucelles touchent, si son membre se meut et se dresse, ils ne le retiennent mie, mais le chassent incontinent de la compagnie des moines, disant qu’ils ne veulent retenir un tel homme de luxure.

Marco Polo

Le devisement du monde
Le livre des merveilles

A la fin du XIIIe siècle, l'Europe chrétienne se prépare à la grande plongée qui, de la perte de la Terre sainte et de la Peste noire au grand Schisme, la conduira vers la Renaissance. Le monde islamique subit l'attaque mongole. Le Califat, Byzance et le Saint-Empire germanique vont sombrer. C'est à cette époque charnière que trois marchands vénitiens, Nicolo, Mafeo et Marco Polo sillonnent le monde. De 1250 à 1270, les deux aînés visitent Constantinople, la Russie et poussent à travers l'Asie centrale vers la Chine. A partir de 1271, Marco Polo se joint à eux. Ils traversent les hauts plateaux d'Anatolie, l'Iran, le Haut Afghanistan, le Pamir et le Turkestan chinois pour arriver à Pékin. Seize ans de séjour en Chine permettent à Marco Polo de parcourir une partie importante du pays. Le retour les conduira vers d'autres contrées : l'Indochine, Ceylan, les côtes indiennes. Et même des régions jusqu'alors non visitées comme les côtes de l'Arabie, l’Éthiopie et le littoral africain jusqu'à Zanzibar seront fidèlement décrites à travers les témoignages recueillis. Le livre de Marco Polo se présente non seulement comme une géographie complète de son temps mais comme un témoignage unique qui étale aux yeux de l'Europe en crise les incomparables richesses et le degré de civilisation de l'Asie. Marco Polo clôt l'ère des géographes du légendaire pour ouvrir celle des précurseurs des explorateurs et des colonisateurs des temps modernes.


Cliquer sur la vignette pour feuilleter le livre (tome II)

Marco Polo (1254-1324), marchand vénitien, est l'un des voyageurs les plus connus de la Route de la Soie. II rapporta les récits d'un voyage qui dura vingt-quatre années de sa vie.

Photo :
"La vigueur magnifique des nagas qui se dirigent, dans un état de profonde excitation, vers le confluent du Gange, de la Yamuna et de la souterraine Sarasanati à Prayaga, le jour du Mauni Amavasya, pour le Grand Bain, remplit l'air d'exultation."
Ramesh Bedi



mardi, juillet 12, 2011

Séjour contemplatif dans le Northumberland




Des centres bouddhistes hébergent gratuitement des sympathisants désargentés à condition que ces derniers travaillent comme bénévoles (voir Springwater Center ). En revanche, les centres affiliés à l'Ordre des Bouddhistes Contemplatifs ne cherchent pas à profiter d'une main d’œuvre bon marché et la participation aux frais est laissée à la libre appréciation des personnes.

Le bouddhisme contemplatif a fait son trou à Throssel Hole Abbey au sud de la ville d'Hexham, dans le Northumberland (Angleterre). Dans une ferme transformée en monastère bouddhiste, des religieux (moines et nonnes), appelés du titre de révérend, accordent une grande importance à la liturgie.

Le prieuré est ouvert toute l'année pour tous ceux qui veulent simplement partager la vie quotidienne des moines. Attention : deux semaines par an, il est fermé pour des retraites réservées aux moines résidents.

Les hommes et les femmes, les moines et les laïcs dorment dans la salle de méditation selon la tradition de l'école Sôtô. Le programme quotidien comporte cinq méditations d'environ une demi-heure chacune (lever à 6h et coucher à 22h). […]

The Order of Buddhist Contemplatives est aussi représenté par des groupes de méditation dans les villes ou localités d’Aberdeen, Birmingham, Bristol, Cambridge, Cardiff, Chichester, Edimbourg, Exeter, Harrogate, Huddersfield, Lancaster, Leicester, Liverpool, Londres, Manchester, Milton Keynes, Newcastle, Norwich, Nottingham, Preston, Sheffield et Telford. Également des groupes affiliés en Allemagne et aux Pays-Bas. (Guide du Zen)


Des moines de l'ordre des Contemplatifs sont intarissables sur la doctrine 



Les amateurs de dharma talks trouveront leur bonheur à cette adresse :
http://www.obcon.org/ (site de l'Ordre des Bouddhistes Contemplatifs)



Les Voyages de Gulliver



L’œuvre pour laquelle Swift est universellement connu reste évidemment les Voyages de Gulliver. Avec une fantaisie débridée, une imagination féconde mais particulièrement maîtrisée et beaucoup d'humour, Swift se révèle un libre-penseur délivré des préjugés les plus profondément, les plus insidieusement enracinés. Il dénonce la brutalité et la sottise. Il démystifie la tyrannie de l'État, de tout État, comme le nationalisme. Il se livre à une critique très moderne, très intense, de l'impérialisme.

La guerre, pour Swift, comme pour tout homme civilisé d'ailleurs, symbolise le mal. Cela a fait des Voyages, qui se centrent sur cette idée, une œuvre profondément subversive, une œuvre réellement anarchiste. Godwin, le père de l'anarchisme théorique, la salua d’ailleurs ; de même que d'autres gens de gauche parmi lesquels Cobbett, Leight Hunt, etc.

Un grand révolutionnaire tranquille

Il fallait un courage intellectuel dont on ne se rend pas compte aujourd’hui pour aller aussi loin que Swift. Ne s'attaqua-t-il pas à ce que l’on pourrait appeler le mythe porteur de la société de l'époque : le colonialisme ? Ne dénonça-t-il pas aussi les méfaits de l'argent roi ?

Swift eut une vue lucide sur l’« exploitation ordinaire », celle que les propriétaires font des petites gens. Il comprit le rôle, en cette affaire, des institutions qui sous prétexte de veiller à la paix civile font le jeu de l'exploitation. Quelques formules de lui sont significatives de ce point de vue : « La liberté induit que le peuple soit gouverné par des lois qui ont été promulguées avec son consentement. La servitude, elle, implique l'inverse. [...] Les pays pauvres ont faim, et les pays riches ont de la superbe. »

Swift ne quitta que fort rarement l’Irlande. Il ne s'engagea dans aucune lutte violente. Il fut ce qu’on appelle «un père tranquille ». En apparence, du moins ! On en vient naturellement à se demander la raison d’être de la rage qui l'habitait et de sa lucidité politique. Elles s’expliquent peut-être si l’on tient compte du fait que Swift aimait fortement son Irlande natale, qu’il aimait ses petites gens et que celles-ci le lui rendaient bien. Un écrivain, un créateur est régionaliste lorsqu’il rétrécit l'amour pour son pays. Quand il ne comprend pas qu'aimer son pays, ou sa condition, n’existe vraiment que si cet amour déborde le cadre qui l'a vu naître. Dans un autre domaine, Kafka aussi fut un « régionaliste » : il fut, toute sa vie, un employé de banque. Le génie pourtant l'habitat. Peut-être précisément parce qu’il médita intensément sur sa condition d’« homme quelconque ».

André Nataf


Les Voyages de Gulliver 


Télécharger gratuitement les Voyages de Gulliver :

lundi, juillet 11, 2011

Idée découverte, le Springwater Center




Au Springwater Center, le Chan/Zen est occidentalisé et totalement épuré des pratiques religieuses. Les frères Fredons, ces religieux gaussés par Rabelais, n'y trouveront pas de rituels et de liturgies exotiques à fredonner bêtement.

Ce centre, situé dans l’État de New York (USA), est indépendant (pas de référence à une école du bouddhisme). Tous les dimanches de 10h à 12h30, le centre ouvre ses portes et l'on peut participer à une méditation puis à une discussion et à un déjeuner végétarien.

Il est possible de résider gratuitement au Springwater durant plusieurs jours comme bénévole. En dehors du bâtiment principal, on peut habiter dans des maisonnettes dispersées sur le domaines (trois personnes maximum par maison).

« Toni Packer, qui l'anime, fut l'un des plus proches disciples de Philip Kapleau, le fondateur du Rochester Zen Center. Alors qu'elle prenait la direction de ce centre, celle-ci prit conscience de la nécessité d'une adaptation radicale du Zen aux mentalités américaines. En 1981, elle quittait Rochester et créait, au sud de cette ville, le Genesee Valley Zen Center. Après qu'elle eut abandonné définitivement tous les aspects traditionnels du Zen, ce centre fut rebaptisé Springwater Center. »
Éric Rommeluère.



The Light of Discovery
Toni Packer

A collection of letters, essays, talks, and interviews about discovering our "undivided wholeness" and applying the awareness thereof to every aspect of our lives. 


Cliquer sur la vignette pour feuilleter le livre






Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...