mercredi, novembre 10, 2010

Athéologie religieuse


Anticlérical, je le suis, mais pas antireligieux. La mentalité religieuse a engendré souvent le meilleur de l’esprit humain, et vaut quand même mieux que la mentalité d’épicier. Mais je suis contre les Eglises, leur dogmatisme, leur hiérarchie ; elles sont le cancer des religions. Je suis plutôt pour une religion athéologique et sans lien avec le pouvoir politique. […]

Quelle que soit la religion, je déteste les Eglises, les clercs qui se sont arrogé le monopole de la prétendue vérité, qui ont répondu aux inquiétudes humaines par des dogmes. Mais je respecte la religion quand elle prône la charité (la charité et non l’aumône), la religion qui s’oppose à la hiérarchie, qui crée la fête, qui sort les hommes du monde du pouvoir et du travail, qui transgresse la raison pratique et les tabous, qui inspire les artistes, qui engendre des histoires fantastiques. L’hindouisme n’est pas seulement la religion des brahmanes. Elle est aussi celle de ces hommes condamnés à mort pour leurs activités contre le colonialisme anglais qui marchaient vers l’échafaud avec une dignité sereine, murmurant sans cesse le nom du dieu Rama jusqu’à ce que le nœud coulant se resserre.

[…] Toute religion comprend à la fois celle des cœurs simples, dont les qualités humaines se cachent derrière une apparence naïve et qui sont plus aptes à convertir que les faiseurs de sermons, et celle des théologiens dépositaires de dogmes, toujours prêts à condamner. Il saute aux yeux de qui veut bien ôter ses œillères que, quelle que soit la religion, il existe une division entre celle des cœurs simples et celle de ceux qui mêlent l’au-delà et le pouvoir. Les religions illustrent aussi le fait qu’il y a plus en commun entre un paysan français et un paysan chinois qu'entre un paysan français et un bourgeois français ou entre un portefaix chinois et un lettré chinois. Les différences culturelles entre les hommes sont moins importantes que les différences sociales. C’est aussi la leçon de l’étude des religions. La métaphysique bouddhique est plus proche de la théologie chrétienne que du bouddhisme de l’humble fidèle qui invoque le Bouddha Amitabha, qui lui-même a tant en commun avec la vieille dame qui va cueillir des roses pour l’autel de l’église de son village. Mais il ne faudrait pas croire que la religion populaire est une forme dégradée de la religion des clercs, pas plus que la politique du peuple est une forme vulgaire de celle des politiciens et des classes possédantes. La religion des clercs est devenue une religion philosophique, tandis que celle des humbles garde au fond du cœur cette intuition unique de l’au-delà qui faisait déjà peindre les fresques de Lascaux et d’Atamira à leurs lointains ancêtres.

Je laisserai conclure un vieux taoïste qui s’exprime ainsi dans un roman chinois ancien, et dont les paroles auraient pu tout aussi bien être dites par un bouddhiste :

Le seul enseignement que vous recevrez de moi n’enrichira pas vos connaissances, dont d’ailleurs tout dépend de l’usage que vous en ferez. Vous n’avez pas besoin d’un maître pour cela ; je vous aiderai seulement à tout regarder d’un autre œil.

Vous verrez des statues, des rites ; ces choses en aide certains ; mais j’espère que vous ne verrez bientôt plus dans ces statues que des formes parfois belles, le plus souvent ridicules, et dans les rites qu’une certaine façon de se comporter au sein d’une communauté ; leur sens est plus important que les gestes, et, une fois qu’on en a compris le sens, on les oublie comme on oublie le filet une fois qu’on a attrapé les poissons.

Ne cherchez pas plus le vide que le plein, car ce ne sont là que deux mots qui vous fatigueront le cœur en vain. N’essayez pas de suivre mes paroles, car elles ne valent pas plus que ces mots vulgaires que vous entendiez dans le lieu d’où vous venez ; je ne suis qu’un maître de hasard. Apprenez plutôt à rester immobile et à respirer : la lumière du soleil éclairera le fond de votre cœur.

Bouddhisme et taoïsme, comme toute religion, sont englués dans les sociétés où ils furent répandus. Eux aussi ont eu recours à l’enfer pour faire peur et au ciel pour récompenser leurs adeptes. C’est misérable, et c’est faire insulte au Tao comme au Dharma et à Dieu. Eux non plus n’ont pas été à l’abri de collusions avec le pouvoir et de l’esprit partisan, même s’ils se sont abstenus d’avoir recours aux bûchers de l’Inquisition ou au fil de l’épée.

Si la religion devient un ramassis de superstitions ou si elle est rejetée à cause des aberrations qu’elle peut engendrer, il ne reste que le travail et ces plaisirs décevants qui ne laissent qu’amertume. Pour demeurer, pour continuer à posséder une séduction, elle doit être aussi sagesse et faire accepter que, s’il y a vie, il y a mort ; sinon, elle ne vaut rien. Elle doit redonner aux fêtes leurs excès, faire de celles-ci des moments où sont abolis les tabous sociaux. Elle doit évoluer avec le temps et les cultures. Se cramponner à l’une de ses formes est idiot. Sa diversité est sa richesse.

Jacques Pimpaneau, « A deux jeunes filles qui voudraient comprendre la religion des Chinois ».


A deux jeunes filles qui voudraient comprendre la religion des Chinois


Dieu existe-t-il en Chine ? Quels sont les grands traits de la religion des Chinois ? Peut-on parler de sagesse plutôt que de religion ?
Telles sont quelques-unes des questions auxquelles l’auteur se propose de répondre avec simplicité dans ce livre à l’adresse de deux jeunes filles. On y parle aussi du paradis et de l’enfer, des rites comme des superstitions, du panthéon des dieux et du Tao.


Photographie :
Fête annuelle shinto. « Chaque premier dimanche d’avril, la ville de Kawasaki organise un grand festival, le Kanamara Matsuri, mettant à l’honneur le phallus symbolisant la fertilité. A cette occasion, des milliers de verges de toutes tailles et de toute nature sont exhibées. Telle une divinité, il fait ouvertement l’objet de tous les désirs et de toutes les dévotions dans la plus grande désinvolture. »

Révélations d'un lama dissident

Le lama tibétain Kelsang Gyatso (1931-2022) était un enseignant important parmi les guélougpa restés fidèles à des pratiques proscrites ...