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Milliardaires aux pieds nus
France TV New Delhi :
"Régulièrement, ils ponctuent l’actualité. Tel businessman richissime a décidé d’abandonner son empire et de devenir moine jaïn. Du jour au lendemain, ils passent d’une vie d’opulence avec de nombreux serviteurs et entourés de belles choses à une vie d’ascèse, de vagabond, à traverser tout le pays. Ils quittent leur ancienne vie et même parfois leurs vêtements. Car les principes du jaïnisme sont très stricts. Ces moines ont un régime qui exclue la viande, les laitages, les œufs et même les légumes racinaires pour ne pas blesser les animaux qui vivent sous terre."
Le jaïnisme, une religion athée
« Le
jaïnisme est athée et cet athéisme n’est ni une excuse, ni une
polémique mais est plutôt acceptée comme constituant une attitude
religieuse naturelle »
Charles Norton Edgecumbe
Eliot
Les jaïns ne croient pas en
Dieu. Leur religion enseigne l'existence d'un principe spirituel
inhérent à l'âme.
« La doctrine jaina
est fondée sur trois axiomes dont l'observance doit conduire à la
délivrance de l'âme : le Vue droite, la Connaissance droite et la
Conduite droite.
La Vue droite résulte soit
d'un élan spontané, soit de l'étude des enseignements des maîtres
: elle peut être visuelle, perceptive, relative à la perception
suprasensible ou à la perception transcendantale : c'est une vision
du monde extérieur particulière.
La Connaissance droite
dérive soit des perceptions de la Vue droite, soit des
enseignements, soit encore de la pensée ou du processus de la
reconnaissance apportée par les sens ou l'intuition.
La Conduite droite doit donc
découler logiquement des deux précédentes.
La logique jaïna procède
de plusieurs concepts importants tels que ceux du Naya-vâda, science
de la connaissance du réel sous tous ses aspects divers, lesquels
varient en fonction des implications concrètes, de la synthèse des
points communs, du moment vécu, de la pratique, de sa description
correcte par le langage, de sa signification conventionnelle, etc.
La théorie du Syâd-vâda,
qui est un corollaire du précédent, consiste en une vue relativiste
destinée à ajuster l'affirmation et la négation des choses à leur
mouvante réalité. La nature est ainsi divisée en « catégories »
qui sont classées dans des ordres différents selon les points de
vue d'où on les considère. C'est ainsi que, dans l'une de ces «
catégories » (padârtha), il existe des « principes » (tattva) et
des « masses d'êtres » (ashtîkâya) dont les plus importants sont
l'âme (jîva), la matière (pudgala), la cause du mouvement
(dharma), la cause de l'arrêt du mouvement (adharma) et enfin
l'espace (âkâsha). Selon cette philosophie, l'âme seule possède
la vie spirituelle et rend possible tous les aspects de la vie : elle
est semblable l'âtman brahmanique. Cependant, il n'y a pas d'âme
universelle et souveraine, mais une infinité de monades «
métaphysiquement semblables et égales ». Seul les effets du karma
peuvent modifier leur statut.
La matière est de structure
atomique dans laquelle chaque atome (anu, paramânu) de nature
corporelle est incréé, indivisible, indestructible, tout en
possédant des saveurs, odeurs, et couleurs propres. C'est leur
association qui constitue la matière, les « éléments »
n'apparaissant qu'au niveau moléculaire, qui constitue le « support
matériel » des âmes.
L'espace (âkâsha) est
considéré comme une substance incorporelle immobile et inerte,
dépourvue de qualités « sensibles » : c'est le « contenant »
des âmes et de la matière. Le temps (kâla) est lui aussi considéré
comme une substance sans espace. Il est constitué d'une infinité
d'« atomes temporels » (kâlânu).
La cause du mouvement et de
l'arrêt du mouvement (dharma et adharma) se trouve naturellement
dans la pratique des trois « joyaux » du jaïnisme pour le premier
et dans l'erreur pour le second.
Dans la philosophie jaïna,
l'existence est composée de six « substances » qui sont :
1 — Dharmâshtikâya, un «
corps » qui est le moyen du mouvement ;
2 — Adharmashtikaya, un «
corps » qui permet à l'animé de devenir inanimé ou « en repos
» ;
3 — Akshati-kâya, qui
crée l'espace dans lequel les êtres animés et inanimés (en repos)
peuvent vivre ;
4 — Pudgalâshtikâya, ce
qui permet l'existence de la matière (pudgala) ;
5 — Jîvâshti-kaya,
esprit qui existe par inférences ;
6 — Kâla, le Temps.
Ces six « substances » ou
« corps » sont appelées Dravya.
Ces théories
s'accompagnent, dans les doctrines jaïna, d'une vue cosmologique
extrêmement élaborée, dans laquelle l'univers (loka) est
schématiquement représenté comme un homme debout, composé de
trois mondes : le monde inférieur (jambes), le monde médian (le
corps) et le monde supérieur (la tête). Ces trois mondes sont
entourés d'une triple enveloppe atmosphérique (air, vapeur, éther)
au-delà de laquelle ne se trouve que de l'espace vide. Cet Univers
est organisé autour d'un axe vertical creux à l'intérieur duquel
se trouvent tous les êtres vivants « mobiles ». Chaque monde est
divisé en de nombreux étages : le monde inférieur, le monde
médian, qui comprend notre terre, avec des îles-continents, et
enfin le monde supérieur, situé au-dessus du mont Meru et où se
trouvent les divinités : les âmes libérées y occupent le sommet
(chignon de l'homme cosmique). En ce qui concerne les âges du monde,
le jaïnisme admet la classification brâhmanique, le cinquième âge
(qui est le nôtre) aurait commencé en 523 et serait caractérisé
par la douleur. Il sera suivi d'un sixième et dernier « âge »
long lui aussi de 21 000 ans à la fin duquel la race humaine subira
de terribles transformations, sans toutefois que le monde disparaisse
(comme dans la théorie du Pralaya hindou), l'univers étant
indestructible.
Les âmes individuelles sont
sujettes à la transmigration, sauf évidemment les « âmes libres »
ou délivrées (Mukta) et les âmes « parfaites » (Siddha), ces
dernières pouvant parvenir à l'état de Tirthakara afin d'enseigner
le monde. Cependant, selon les jaïna, tous les composés naturels
sont doués de psychisme, les minéraux comme les végétaux, mais à
des degrés différents que celui des animaux et des hommes. « Une
goutte d'eau, par exemple, est formée d'une quantité innombrable
d'individus aqueux dont chacun est doué d'âme ». [« Manuel
des études indiennes », § 2475]
L'organisme corporel est,
selon les jaïna, composé de deux à cinq corps : le corps physique,
le corps de transformation (transformable selon le désir de celui
qui le porte, et qui est le privilège des seuls êtres célestes ou
infernaux), le corps de transfert qui permet à l'esprit de se
transporter en n'importe quel point de l'espace, le corps ardent
(Tejas) constitué d'énergie, enfin le corps karmique composé de la
masse de karma accumulée par l'être, en vertu de ses actions et
pensées. La qualité karmique de l'âme est symbolisée par une «
couleur » ; ces couleurs peuvent comporter six teintes, du noir au
blanc, représentant toutes les valeurs karmiques allant des êtres
infernaux aux saints les plus purs. Les activités de notre existence
(laquelle est métaphysiquement impure) comportent à la fois un
aspect matériel et un aspect immatériel.
Cette philosophie complexe
dans laquelle la notion de karma s'éloigne un peu de celle qu'en ont
le brahmanisme et le bouddhisme, oblige le fidèle à obéir à toute
une série de « vœux » qui constituent une sorte de morale
exigeante conduisant à cinq abstentions majeures :
- nuisance aux êtres vivants,
- fausseté,
- vol,
- indiscipline charnelle,
- attachement aux biens de ce monde.
Il s'ensuit que le fidèle
jaïna, afin de devenir pur, devra s'abstenir de toute nuisance
envers les êtres vivants et sensibles, ceci parfois poussé jusqu'à
l'extrême, en respirant, marchant, mangeant, travaillant, buvant,
etc. Cette attitude d'absolu respect de la vie sous toutes ses formes
devra obligatoirement être accompagnée de vertus positives
bienveillance, charité, compassion, tolérance, etc.
Dans cette optique, les
fidèles jaïna, comme les fidèles bouddhistes sont classés en deux
ordres, les laïcs et les religieux, chacun d'eux devant observer une
morale particulière et comportant des degrés de pureté de vie : à
la limite (douzième degré) le jaïna peut même se suicider par
inanition pour atteindre la véritable paix spirituelle. Laïcs comme
religieux devront donc s'astreindre, à des degrés divers cependant,
à la méditation, aux jeûnes purificatoires, à certaines pratiques
du yoga (concentration, immobilité de l'esprit, etc.). C'est ainsi
que le fidèle peut, s'il le désire, arriver par quatorze stades
d'évolution, depuis l'ignorance totale (source de fausseté et
d'erreur) jusqu'à la libération finale, c'est-à-dire le stade où
l'âme de l'être devenu parfait (Siddha, Arhat, Kevalin) n'agit plus
avec le corps et l'abandonne.
Le jaïnisme reconnaît au
cours des âges l'existence d'un grand nombre de Kevalin ou Arhat
(appelés Tîrthakara), théoriquement au nombre de 720, mais dont
l'histoire ecclésiastique jaïna n'a retenu que les 24 derniers. Les
disciples du Mahâvîrâ (le 24ème des Tîthakara ou « prophètes)
furent, selon la tradition, extrêmement nombreux, non seulement dans
le Bihâr (où ils s'opposaient aux disciples du Bouddha), mais plus
particulièrement dans le Mysore (Karnâtaka) et dans l'ouest de
l'Inde. Le jaïnisme eut plusieurs « Thera » (Anciens) ou maîtres
dont l'un des plus célèbres fut (sixième à partir du Mahâvîra)
Bhadra-bâhu, qui serait mort 162 ou 170 ans après le Mahâvîra. Il
aurait réuni les premiers textes de foi jaïna, les anga et les
pûrva et aurait provoqué la réunion d'un grand concile jaïna dans
la ville de Pâtaliputra, à l'époque du roi Maurya Chandragupta.
Cependant, vers 79 se produisit un schisme au sein de la communauté
jaïna, schisme qui aboutit à la création de deux grandes sectes,
celle des Shvetâmbara « Ceux qui sont vêtus de blanc » et celle
des Dîgambara « Ceux qui sont vêtus de ciel » (c'est-à-dire
nus), opposant les jaïna « traditionalistes » qui avaient émigré
dans le sud de l'Inde et ceux, moins rigoristes, qui étaient
demeurés dans le nord. Les deux courants se répandirent dans toute
l'Inde et, comme les bouddhistes, eurent à souffrir des persécutions
de certains souverains attachés au brahmanisme comme de celles des
Huns hephtalites.
Un grand, concile se réunit
sous la présidence des Shvetâmbara vers 980 (ou 983) après la mort
du Mahâvîra (fin 5ème siècle) à Valabhî, qui permit à ceux-ci
de fixer la rédaction définitive de leur canon. Mais, comme pour le
bouddhisme, le jaïnisme vit, au cours des siècles, la création de
sectes très nombreuses, différant seulement sur des points de
détail de la doctrine ou sur des pratiques. Il y aurait ainsi
environ 84 sectes se réclamant des Shvetâmbara, alors qu'il n'y en
aurait eu que quatre parmi les Digambara. Cependant, au 18ème siècle,
naquit à Surat une nouvelle secte, différente des deux autres,
nommée Sthânakavâsî qui refusait le culte des images et qui
préconisait le retour à la pureté des origines du jaïnisme. Car,
au cours des âges, cette religion subit, bien entendu, de nombreuses
transformations, dues pour la plupart à l'influence de l'hindouisme,
laquelle se traduisit principalement par l'adoption de rites et de
coutumes hindoues. Mais, en règle générale, la tradition jaïna se
remarque par une admirable continuité, dans l'espace comme dans le
temps. Le fidèle jaïna est astreint (comme les fidèles de
l'hindouisme d'ailleurs) à de multiples observances quotidiennes,
notamment la récitation des six Âvashyaka : vœu d'avoir à
éviter tout acte blâmable ; louange des 24 Tîrthakara ; prière
aux êtres supérieurs ; confession ; méditation silencieuse, et
enfin refus de tout ce qui n'est pas absolument indispensable...
Les jaïna développèrent
également, surtout dans l'ouest de l'Inde, et peut-être déjà à
partir des 4ème et 5ème siècle, une sorte de tantrisme mêlé de
traditions hindoues.
La communauté religieuse
jaïna accepte les femmes, qui furent, dès le début, en assez grand
nombre, bien que les Dîgambara estiment qu'elles ne peuvent parvenir
à la délivrance qu'après être renées dans un.corps d'homme. Les
laïcs doivent aussi observer des vœux quotidiens, mais moins
sévères que ceux des moines.
Le jaïnisme ne se
différencie guère des autres religions indiennes, en ce sens que sa
métaphysique est tout entière fondée sur la croyance en la
transmigration des âmes, et son éthique sur la croyance en la
délivrance finale. Mais, contrairement au bouddhisme il croit en la
réalité de la substance. L'être est formé d'une âme (jîva) et
d'une substance inerte et atomique (pudgala). Leurs interactions
mutuelles créent le Karman (ou Karma).
Ce Karman est fait de
matière et détermine la personnalité. On dit même parfois qu'il
donne une teinte à l'individu. C'est de lui que l'âme doit
s'affranchir si elle veut mettre fin au cycle des renaissances. Ce
Karman ne peut être détruit que par un genre de vie et une
discipline appropriés. Lorsque cela est fait, le jîva entre au
Nirvana et redevient une pure lumière.
La discipline morale est
beaucoup plus dure que la « voie moyenne » enseignée par le
bouddhisme. L'adepte jaïna doit s'abstenir de commettre les cinq
fautes principales : le meurtre et la violence envers les vivants, le
mensonge, le vol, l'incontinence sexuelle, la convoitise,
l'attachement aux biens matériels. C'est la religion indienne où le
principe de non-violence (ahimsâ) est respecté le plus strictement,
puisque l'on peut voir certains jaïna porter devant leur bouche un
écran qui les empêche d'avaler les insectes, ou balayer la route
devant eux pour ne pas écraser un animal. Cela les détourne
également de certaines professions. La vie monastique est encore
plus stricte, et les moines ont le droit de se suicider par
inanition, droit qui s'est d'ailleurs étendu aux laïcs.
Les laïcs et les religieux
jaïna ont toujours été étroitement solidaires, et c'est le
travail des premiers qui apporte de nombreuses ressources aux
seconds. Cela explique la richesse des temples, les manuscrits
innombrables (les plus anciens de toute l'Inde), les écoles, les
hôpitaux (certains sont réservés aux animaux) fondés par les
jaïna. Ils sont peu nombreux niais ont une importance économique et
culturelle considérable.
C'est la fermeté de sa
tradition qui a permis au jaïnisme de se maintenir, mais cela
n'empêcha pas le développement de sa littérature religieuse et
philosophique, ni l'existence de sectes différentes. Les rapports
avec l'hindouisme ne posent plus de problèmes, d'autant plus que les
jaïna, qui n'ont pas de clergé, ont dû faire appel, pour leur
rituel, à des prêtres hindous rétribués : les Pûjâri, qui
prennent soin des sanctuaires et célèbrent les offices. Pendant ce
temps les moines jaïna peuvent se consacrer à la recherche de la
sainteté et à l'enseignement. »
Louis Frédéric