lundi, mai 30, 2022

"Le progrès technique serait signe de décadence"


"La jeune famille" de Patricia Piccinini n'est qu'une œuvre d'art. ... Mais des hybrides animal-humain ont bien été développés en laboratoire

Dans son essai, « Le voile d’Isis », consacré à l’histoire de l’idée de nature, Pierre Hadot rappelle la méfiance des philosophes d’autrefois à l’égard des techniques.

« Dès l’Antiquité, on a élevé des doutes sur la légitimité de toute technique qui force la nature. Xénophon, dans ses « Mémorables » raconte que Socrate doutait que les recherches sur la nature fussent désintéressées et il soupçonnait ceux qui cherchaient à connaître les choses divines de croire que, lorsqu’ils sauraient « par quelles nécessités chaque chose vient à l’être », ils produiraient, quand ils voudraient, des vents, de la pluie, des saisons ou toute autre chose pareille dont ils auraient besoin. 
On pressent ainsi déjà à cette époque les ambitions prométhéennes de la science

Nous avons vu Cicéron évoquer les scrupules des médecins empiristes qui craignent que, mis à découvert par la dissection, « les organes, privés de leurs enveloppes, ne se modifient ». L’aspect des viscères est différent dans un corps vivant et chez un mort. Déjà altéré par les émotions, il l’est à plus forte raison sous l’effet de la mort. Ce point de vue des médecins empiristes est également rapporté par Celse, encyclopédiste latin qui écrit au 1er siècle de notre ère. Pour eux, la vivisection, pratiquée sur des criminels par les médecins dogmatiques Hérophile et Erasistrate, à l’époque hellénistique, est un acte de cruauté : 

« Un art chargé de veiller au salut des hommes inflige à quelqu’un, non seulement la mort la plus atroce », et même un acte de cruauté inutile, « car ce que l’on cherche au prix de tant de violences ne peut être connu ». 

A ces doutes méthodologiques et moraux s’ajoutent des craintes que l’on pourrait appeler écologiques. Les magiciens et les expérimentateurs ont voulu arracher son voile à la Nature. 

Mais si la Nature se cache, n’aurait-elle pas ses raisons ? Ne voudrait-elle pas ainsi nous protéger des dangers qui nous guettent, lorsque, l’ayant dominée et maîtrisée, nous serons menacés par nos propres progrès techniques ? 

Ces craintes se portaient notamment sur l’exploitation des mines et le creusement des galeries souterraines. Dans la perspective de la décadence humaine après l’âge d’or, Ovide avait reconnu dans ces techniques une caractéristique de l'immoralité totale des hommes de l’âge de fer : 

« L’homme ne se contenta plus de demander à la terre féconde les moissons et les aliments qu’elle lui devait, mais il pénétra jusque dans ses entrailles ; il en arracha ce qu’elle y avait caché, […] les trésors qui irritent nos maux. Bientôt le fer pernicieux et l’or, plus pernicieux que le fer, parurent au jour. A leur suite parut la guerre. »

C’est ce que redira Sénèque. A lieu de contempler l’immensité de l’univers, nous fouillons la terre pour en extraire ce qui y est caché, c’est-à-dire ce qui est nuisible, au lieu de nous contenter de ce qu’elle offre de bon : 

« Tout ce qui devait servir à notre bien, Dieu notre Père l’a mis à notre portée. Il n’a pas attendu que nous fassions nos recherches, il nous a spontanément pourvus. Les choses nuisibles, il les a enfouies au plus profond. Nous ne pouvons nous plaindre que de nous-mêmes. Ce qui cause notre perte, nous l’avons mis au jour contre la volonté de la Nature qui nous l’avait caché. » 

A la différence de Posidonius qu’il critique vivement, Sénèque considère en tout cas le progrès technique – pas le progrès des connaissances – comme un danger pour la vie morale, puisque son moteur est l’amour du luxe et du plaisir

Dans la seconde moitié du 1er siècle apr. J.-C., Pline l’Ancien, dans son « Histoire naturelle » , reprendra les mêmes griefs. Il s’inquiète des conséquences morales du progrès technique, qui entraîne au luxe, et finalement à la décadence des mœurs, au lieu de s’en tenir à la satisfaction des besoins essentiels de l’homme. Les recherches minières ont pour motif la cupidité, quand il s’agit de l’or et de l’argent, la haine quand il s’agit du fer. Elles sont d’autant plus inacceptables que la terre nous a offert à sa surface tout ce qui est nécessaire à notre vie et à notre santé : « combien notre vie serait innocente et heureuse, comme même elle serait raffinée, si nous convoitions que ce qui se trouve à la surface de la terre, bref, que ce qui est tout près de nous. » Indépendamment de ces considérations morales, on voit apparaître aussi chez lui des craintes concernant le danger que font courir à la nature les entreprises de l’homme. Il s’inquiète des conséquences qu’auront pour les montagnes les mines creusées dans la terre. Ici intervient d’ailleurs la représentation de la maternité de la Terre. Les tremblements de terre semblent bien être, pour Pline, la manifestation de l’« indignation de cette mère sacrée », car nous pénétrons dans ses entrailles, pour lui arracher les objets de notre convoitise. L’auteur anonyme du poème « L’Etna » déplore, lui aussi, que les hommes, au lieu de se livrer à une recherche scientifique désintéressée qui devrait être leur première préoccupation, préfèrent torturer la terre pour lui arracher ses trésors.

Tout cela correspond à une tendance que l’on a appelée le primitivisme, inspiré par le mythe de l’âge d’or, c’est-à-dire la représentation d’une vie primitive idéale : la perfection de la race humaine se situerait à l’origine des temps, et le progrès technique serait signe de décadence. L’âge d’or, c’est l’âge de kronos, évoqué par Hésiode dans « Les travaux et les jours » (vers 109 ss.). Les hommes y vivaient comme des dieux, sous le règne de Diké, la Justice, le cœur libre de souci. Il n’y avait pas de propriété privée. La terre était féconde et pouvait nourrir les hommes qui n’avaient pas besoin de travailler. Chez Empédocle, les premiers hommes, sous le règne d’Aphrodite, ne connaissent pas la guerre et sont végétariens. Ce thème de l’âge d’or se retrouver chez les Romains. Dans ses « Métamorphoses », Ovide fait l’éloge de ce temps idéal. Sans répression, sans loi, on y pratiquait la bonne foi et la vertu. Il n’y avait pas de juges, ni de navigation, ni de commerce, ni de guerre, ni d’armes. La terre, sans être cultivée, donnait fruits et moissons. Mais après un si beau départ, la race humaine dégénère. A la race d’or succède la race d’argent, la race de bronze, la race de fer. Cette dernière, qui correspond à l’état actuel de l’humanité, est si mauvaise que la Justice, la Bonne Foi et la Vertu s’enfuient et remontent en haut de l’Olympe. Alors commence l’essor de la civilisation : on construit des bateaux, on sillonne les mers, on délimite les champs par l’arpentage. On creuse des mines pour y arracher à la terre ce qu’elle a caché et ont peut ainsi fabriquer des armes. Cette théorie de la dégénérescence est liée à celle d’un vieillissement du monde, qui est admis aussi bien par un épicurien comme Lucrèce, qui parle de la terre « épuisée et lasse d’engendrer », que par un stoïcien comme Sénèque prévoyant le cataclysme final, qui sera suivi d’ailleurs d’une nouvelle période du monde dans laquelle les mêmes âges de l’humanité se reproduiront. 

Sénèque évoque, pour sa part, à la suite de Posidonius, l’âge d’or où la royauté était exercée par des sages, et où les hommes vivaient très simplement, sans techniques et sans luxe. Mais peu à peu la dégénérescence s’est insinuée dans l’humanité. La royauté s’est transformée en tyrannie. Les sages, comme les Sept Sages, dont par exemple faisait partie Solon, ont dû alors inventer les lois. La décadence des mœurs a eu également pour résultat que les hommes ne savaient plus se contenter de la simplicité primitive. Selon Posidonius, ce sont encore les sages qui ont cherché à remédier à ce mal, en inventant les différentes techniques. Sur ce dernier point Sénèque n’est plus d’accord avec Posidonius. Si Démocrite, comme on le rapporte, a inventé la voûte et la clé de voûte, ce n’est pas en tant que sage, mais en tant qu’homme. Car le sage ne doit s’occuper que de la morale et de la connaissance désintéressée de la nature. D’ailleurs, remarque Sénèque, Posidonius doit reconnaître que, si les sages ont inventé des techniques nouvelles, ils ne les ont pas pratiquées, mais les ont confiées à d’humbles artisans. Finalement, il fait une description idyllique de ce que fut l’âge d’or. La nature, comme une mère, protégeait les hommes. Il n’y avait pas de propriété privée. Tout se partageait fraternellement. La terre était plus fertile. Les hommes couchaient en plein air et contemplaient ainsi le ciel nocturne et les mouvements des astres. Mais les premiers hommes n’en étaient pas pour autant des sages, car c’était leur ignorance qui faisait leur innocence. 

Ce primitivisme, cet éloge de la vie simple, était en fait commun à presque toutes les autres écoles philosophiques. Cyniques et épicuriens, notamment s’accordaient à rejeter le superflu, le luxe, la richesse. Diogène le Cynique jette son gobelet après avoir vu un enfant boire dans sa main et déclare que « la vie accordée aux hommes par les dieux est une vie facile, mais cette facilité leur échappe, car ils recherchent gâteaux de miel, parfums et raffinements du même genre ». pour Diogène, Zeus a eu raison de punir Prométhée d’avoir découvert le feu, car le feu a été à l’origine de la mollesse de l’homme et de son goût du luxe. Quant à Epicure, il n’admet que les désirs nécessaires et naturels, ce qui implique un rejet des raffinements de la civilisation. 

Le texte le plus remarquable de l’Antiquité concernant le primitivisme se trouve dans un écrit hermétique qu’il est difficile de dater (peut-être après le 4ème siècle de notre ère), qui a pour titre « Kore Kosmou » (terme désignant Isis, comme « pupille de l’œil du monde »). Mômos, c’est-à-dire la critique personnifiée, reproche à Hermès d’avoir donné aux âmes crées par dieu des corps humains et d’avoir produit ainsi des êtres téméraires et arrogants qui seront capables de voir dans leur audace, les « beaux mystères de la nature ». ils exploreront tout ce qui est caché : 

« Les hommes arracheront les racines des plantes et ils examineront les qualités des sucs. Ils scruteront les natures des pierres et ils les ouvriront par le milieu non seulement ceux des vivants qui n’ont pas de raison, que dis-je, ils disséqueront leurs semblables, dans leur désir d’examiner comment ils ont été formés. » 

Ils s’aventureront sur la mer en construisant des bateaux, ils atteindront les extrémités de la terre, ils s’élèveront jusqu’aux astres. Pour Mômos, il n’y a qu’un seul moyen d’abaisser l’arrogance des hommes et leur audace sans limites, c’est de les remplir d’inquiétudes et de soucis. Ils seront dévorés par la soif de réaliser leur projets et, quand ceux-ci échoueront, ils seront rongés par le chagrin et la tristesse. On pense ici à la fable d’Hygin, que cite Heidegger dans « Etre et Temps », et qui raconte que c’est le Souci qui modèle le limon dont est fait l’homme. Il y a probablement une allusion au nom de Prométhée, considéré communément dans l’Antiquité comme le créateur de l’homme. « Prométhée » veut dire en effet « prévoyant », mais aussi « soucieux ». Quoi qu’il en soit, on est ici en présence d’une profonde vérité psychologique. Car ce sont le désir et le projet, et spécialement le projet technique, « prométhéen », qui engendrent le souci. » 

Pierre Hadot, Le voile d’Isis - Essai sur l'histoire de l'idée de Nature, Gallimard. 


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