Rudolf Steiner est tout ce que pourrait être un parfait humaniste de l’an 2000. Il s’intéresse à tout. Il innove dans tous les domaines. Il est à la fois géomètre, architecte, metteur en scène, pédagogue… Aucune branche du savoir humain qu’il n’explore et n’enrichisse de nouvelles propositions, y compris la biologie. Mourant quatorze années avant la guerre de 1939, il prévoit les temps où l’humanité domestiquera les forces de la « sous-nature », l’électricité et la radioactivité, par exemple, auxquelles il lui faudra prendre garde pour ne pas en devenir victime. Tout comme Aldous Huxley, il prévoit notre « meilleur des mondes », mais, plus optimiste que ce dernier, il lui offre une chance de ne pas devenir le point final de l’humanité. Il prévoit ce point de rupture, cette crise de civilisation qui amène la fin d’un monde, mais il propose de préparer, d’ores et déjà, les temps nouveaux… ceux pour qui la science anthroposophique sera une source de connaissance, d’harmonie, de joie de vivre et de beauté. [...]
Pierre Morizot, qui, dans un article publié en 1953 (revue Triades, t. I, n° 3), écrivait à propos de la tripartition sociale (séparation des trois pouvoirs : politique, économie et religion, dans l’organisation des États) préconisée par « le maître » : « Celui-ci [Steiner] considérait qu’aux environs de 1940 se ferait jour dans l’humanité occidentale des impulsions de natures diverses, mais assez puissantes pour s’imposer, qui conduiraient lentement à l’adoption des structures qu’il envisagea… Il estimait qu’autour de 1960-1970 les impulsions dont il percevait la présence dans le monde seraient assez fortes et qu’auraient mûri les idées qu’elles avaient suscitées pour donner des résultats importants et amener des modifications essentielles dans les structures sociales. Toutefois, il craignait que, si les courants historiques venaient empêcher l’évolution et le mûrissement de ces idées, celles-ci ne finissent tout de même par s’imposer, mais alors dans le chaos et à travers des révolutions et des cataclysmes. » [...]
Pour rester tout d’abord sur le terrain de ces divers groupes spiritualistes, écologiques ou autres qui manifestent tous un désir de changement profond de cette société qui les a engendrés, examinons avec Paul Coroze (Rudolf Steiner et la tripartition sociale, Triades, 1968), ce que propose Rudolf Steiner : « Pour obtenir quelque changement dans un état social, ce ne sont pas les institutions qu’il faut transformer. On n’aboutit ainsi qu’à des résultats arbitraires ou décevants. Pour obtenir un tel changement, il faut créer de nouveaux liens sociaux. » Mais comment ? En orientant nos efforts vers trois directions (indiquées clairement par l’actualité politique et sociale présente mais qui agit, dirait-on, « à tâtons ») : « La nécessité d’apporter certaines restrictions au pouvoir politique ; le besoin urgent de créer un ordre culturel autonome ; enfin, le fait qu’une vie sociale saine comporte le concours de plusieurs organismes harmonisés entre les trois fonctions : culturelle, politique et économique. » Lorsqu’on réfléchit sur l’impasse à laquelle aboutit tout aussi bien la société capitaliste occidentale que la société socialiste de type soviétique, c’est-à-dire cette nouvelle forme de dictature qu’est la dictature étatique, on ne peut qu’être attiré par ce que préconisait Rudolf Steiner. Ainsi que l’exprime clairement Paul Coroze : « L’ordre spirituel-culturel… fait l’équilibre et contrepoids au politique et à l’économique, comme dans chaque individu l’équilibre de l’être entier n’est pleinement acquis que si les besoins spirituels sont satisfaits aussi bien que le besoin de sécurité et le besoin de se nourrir. »
Serge Bramly, "Rudolf Steiner - Prophète de l'Homme Nouveau".