mercredi, décembre 15, 2010

L’avènement de la « contre-tradition »




Pour comprendre ce que représente la « contre-tradition », nous devons nous reporter au rôle de la « contre-initiation ». « En effet, c’est évidemment celle-ci qui, après avoir travaillé constamment dans l’ombre pour inspirer et diriger invisiblement tous les « mouvements » modernes, en arrivera en dernier lieu à « extérioriser », si l’on peut s’exprimer ainsi, quelque chose qui sera comme la contrepartie d’une véritable tradition, du moins aussi complètement et aussi exactement que le permettent les limites qui s’imposent nécessairement à toute contrefaçon possible. Comme l’initiation est ce qui représente effectivement l’esprit d’une tradition, la « contre-initiation » jouera elle-même un rôle semblable à l’égard de la « contre-tradition » ; mais, bien entendu, il serait tout à fait impropre et erroné de parler ici d’esprit, puisqu’il s’agit précisément de ce dont l’esprit est le plus totalement absent, de ce qui en serait même l’opposé si l’esprit n’était essentiellement au-delà de toute opposition, et qui, en tout cas, a bien la prétention de s’y opposer, tout en l’imitant à la façon de cette ombre inversée dont nous avons parlé déjà à diverses reprises ; c’est pourquoi, si loin que soit poussée cette imitation, la « contre-tradition » ne pourra jamais être autre chose qu’une parodie, et elle sera seulement la plus extrême et la plus immense de toutes les parodies, dont nous n’avons encore vu jusqu’ici, avec toute la falsification du monde moderne, que des « essais » bien partiels et des « préfigurations » bien pâles en comparaison de ce qui se prépare pour un avenir que certains estiment prochain, en quoi la rapidité croissante des événements actuels tendrait assez à leur donner raison. Il va de soi, d’ailleurs, que nous n’avons nullement l’intention de chercher à fixer ici des dates plus ou moins précises, à la façon des amateurs de prétendues « prophéties » ; même si la chose était rendue possible par une connaissance de la durée exacte des périodes cycliques (bien que la principale difficulté réside toujours, en pareil cas, dans la détermination du point de départ réel qu’il faut prendre pour en effectuer le calcul), il n’en conviendrait pas moins de garder la plus grande réserve à cet égard, et cela pour des raisons précisément contraires à celles qui meuvent les propagateurs conscients ou inconscients de prédictions dénaturées, c’est-à-dire pour ne pas risquer de contribuer à augmenter encore l’inquiétude et le désordre qui règnent présentement dans notre monde.


Vers l’« infra-humain 


Quoi qu’il en soit, ce qui permet que les choses puissent aller jusqu’à un tel point, c’est que la « contre-initiation », il faut bien le dire, ne peut pas être assimilée à une invention purement humaine, qui ne se distinguerait en rien, par sa nature, de la « pseudo-initiation » pure et simple ; à la vérité, elle est bien plus que cela, et, pour l’être effectivement, il faut nécessairement que, d’une certaine façon, et quant à son origine même, elle procède de la source unique à laquelle se rattache toute initiation, et aussi, plus généralement, tout ce qui manifeste dans notre monde un élément « non-humain » ; mais elle en procède par une dégénérescence allant jusqu’à son degré le plus extrême, c’est-à-dire jusqu’à ce « renversement » qui constitue le « satanisme » proprement dit. Une telle dégénérescence est évidemment beaucoup plus profonde que celle d’une tradition simplement déviée dans une certaine mesure, ou même tronquée et réduite à sa partie inférieure ; il y a même là quelque chose de plus que dans le cas de ces traditions véritablement mortes et entièrement abandonnées par l’esprit, dont la « contre-initiation » elle-même peut utiliser les « résidus » à ses fins ainsi que nous l’avons expliqué. Cela conduit logiquement à penser que cette dégénérescence doit remonter beaucoup plus loin dans la passé ; et , si obscure que soit cette question des origines, on peut admettre comme vraisemblable qu’elle se rattache à la perversion de quelqu’une des anciennes civilisations ayant appartenu à l’un ou à l’autre des continents disparus dans les cataclysme qui se sont produits au cours du présent Manvantara (1). En tout cas, il est à peine besoin de dire que, dès que l’esprit s’est retiré, on ne peut plus aucunement parler d’initiation ; en fait, les représentants de la « contre-initiation » sont, aussi totalement et plus irrémédiablement que de simples profanes, ignorants de l’essentiel, c’est-à-dire de toute vérité d’ordre spirituel et métaphysique, qui, jusque dans ses principes les plus élémentaires, leur est devenue absolument étrangère depuis que « le ciel a été fermé » pour eux (2). Ne pouvant conduire les êtres aux états « supra-humains » comme l’initiation, ni d’ailleurs se limiter au seul domaine humain, la « contre-initiation » les mène inévitablement vers l’« infra-humain », et c’est justement en cela que réside ce qui lui demeure de pouvoir effectif ; il n’est que trop facile de comprendre que c’est là tout autre chose que la comédie de la « pseudo-initiation ». Dans l’ésotérisme islamique, il est dit que celui qui se présente à une certaine « porte », sans y être parvenu par une voie normale et légitime, voit cette porte se fermer devant lui et est obligé de retourner en arrière, non pas cependant comme un simple profane, ce qui est désormais impossible, mais comme sâher (sorcier ou magicien opérant dans le domaine des possibilités subtiles d’ordre inférieur) (3) ; nous ne saurions donner une expression plus nette de ce dont il s’agit : c’est là la voie « infernale » qui prétend s’opposer à la voie « céleste », et qui présente en effet les apparences extérieures d’une telle opposition, bien qu’en définitive celle-ci ne puisse être qu’illusoire ; et, comme nous l’avons déjà dit plus haut à propos de la fausse spiritualité où vont se perdre certains êtres engagés dans une sorte de « réalisation à rebours », cette voie ne peut aboutir finalement qu’à la « désintégration » totale de l’être conscient et à sa dissolution dans retour (4).


Des centres uniquement « psychiques »


Naturellement, pour que l’imitation par reflet inverse soit aussi complète que possible, il peut se constituer des centres auxquels se rattacheront les organisations qui relèvent de la « contre-initiation », centres uniquement « psychiques », bien entendu, comme les influences qu’ils utilisent et qu’ils transmettent, et non point spirituels comme dans le cas de l’initiation et de la tradition véritable, mais qui peuvent cependant, en raison de ce que nous venons de dire, en prendre jusqu'à un certain point les apparences extérieures, ce qui donne l’illusion de la « spiritualité à rebours ». Il n’y aura d’ailleurs pas lieu de s’étonner si ces centres eux-mêmes, et non pas seulement certaines des organisations qui leur sont subordonnées plus ou moins directement, peuvent se trouver, dans bien des cas, en lutte les uns avec les autres, car le domaine où ils se situent, étant celui qui est le plus proche de la dissolution « chaotique », est par là même celui où toutes les oppositions se donnent libre cours, lorsqu’elles ne sont pas harmonisées et conciliées par l’action directe d’un principe supérieur, qui ici fait nécessairement défaut. […]


Nier l’Unité suprême 


Il est facile de se rendre compte que la constitution de la « contre-tradition » et son triomphe apparent et momentané seront proprement le règne de ce que nous avons appelé la « spiritualité à rebours », qui naturellement, n’est qu’une parodie de la spiritualité, qu’elle imite pour ainsi dire en sens inverse, de sorte qu’elle paraît en être le contraire même ; nous disons seulement qu’elle le paraît, et non pas qu’elle l’est réellement, car, quelles que puissent être ses prétentions, il n’y a ici ni symétrie ni équivalence possible. Il importe d’insister sur ce point, car beaucoup, se laissant tromper par les apparences, s’imaginent qu’il y a dans le monde comme deux principes opposés se disputant la suprématie, conception erronée qui est, au fond, la même chose que celle qui, en langage théologique, met Satan au même niveau que Dieu, et que, à tort ou à raison, on attribue communément aux Manichéens ; il y a certes actuellement bien des gens qui sont, en ce sens, « manichéens » sans s’en douter, et c’est là encore l’effet d’une « suggestion » des plus pernicieuses. Cette conception, en effet, revient à affirmer une dualité principielle radicalement irréductible, ou, en d’autres termes, à nier l’Unité suprême qui est au-delà de toutes les oppositions et de tous les antagonismes ; qu’une telle négation soit le fait des adhérents de la « contre-initiation », il n’y a pas lieu de s’en étonner, et elle peut même être sincère de leur part, puisque le domaine métaphysique leur est complètement fermé ; qu’il soit nécessaire pour eux de répandre et d’imposer cette conception, c’est encore plus évident, car c’est seulement par là qu’ils peuvent réussir à se faire prendre pour ce qu’ils ne sont pas et ne peuvent pas être réellement, c’est-à-dire pour les représentants de quelque chose qui pourrait être mis en parallèle avec la spiritualité et même l’emporter finalement sur elle.


L’ère nouvelle


Cette « spiritualité à rebours » n’est donc , à vrai dire, qu’une fausse spiritualité, fausse même au degré le plus extrême qui se puisse concevoir ; mais on peut aussi parler de fausse spiritualité dans tous les cas où, par exemple, le psychique est pris pour le spirituel, sans aller forcément jusqu’à cette subversion totale ; c’est pourquoi pour désigner celle-ci, l’expression de « spiritualité à rebours » est en définitive celle qui convient le mieux, à la condition d’expliquer exactement comment il convient de l’entendre. C’est là, en réalité, le « renouveau spirituel » dont certains, parfois fort inconscients, annoncent avec insistance le prochain avènement, ou encore l’« ère nouvelle » dans laquelle on s’efforce par tous les moyens de faire entrer l’humanité actuelle, et que l’état d’« attente » générale créé par la diffusion des prédictions dont nos avons parlé peut lui-même contribuer à hâter effectivement. L’attrait du « phénomène », que nous avons déjà envisagé comme un des facteurs déterminants de la confusion du psychique et du spirituel, peut également jouer à cet égard un rôle fort important, car c'est par là que la plupart des hommes seront pris et trompés au temps de la « contre-tradition », puisqu’il est dit que les « faux prophètes » qui s’élèveront alors « feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu’à séduire, s’il était possible, les élus eux-mêmes » (5).
      
René Guénon




(1) Le chapitre VI de la Genèse pourrait peut-être fournir, sous une forme symbolique, quelques indications se rapportant à ces origines lointaines de la « contre-initiation ».


(2) On peut appliquer ici analogiquement le symbolisme de la « chute des anges », puisque ce dont il s’agit est ce qui correspond effectivement dans l’ordre humain ; et c’est d’ailleurs pourquoi on peut parler à cet égard de « satanisme » au sens le plus propre et le plus littéral du mot.


(3) Le dernier degré de la hiérarchie « contre-initiatique » est occupé par ce qu’on appelle les « saints de Satan » (awliyâ esh-Shaytân), qui sont en quelque sorte l’inverse des véritables saints (awliyâ er-Rahman), et qui manifestent ainsi l’expression la plus complète possible de la « spiritualité à rebours ».


(4) Cet aboutissement extrême, bien entendu, ne constitue en fait qu’un cas exceptionnel, qui est précisément celui des awliyâ esh-Shaytân ; pour ceux qui sont allés moins loin dans ce sens, il s’agit seulement d’une voie sans issue, où ils peuvent demeurer enfermés pour une indéfinité « éonienne » ou cyclique.


(5) Saint Matthieu, XXIV, 24.


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