samedi, septembre 03, 2011

Incendium amoris




Le « feu » intérieur des yogis tibétains, décrit par Alexandra David-Néel dans son livre « Mystiques et magiciens du Tibet », est observé chez les mystiques occidentaux. On nomme hyperthermie (ou incendium amoris) les phénomènes produisant de la chaleur et de la lumière à la suite d'un état mystique.

L'hyperthermie ou « incendie d'amour »

L'hyperthermie est un phénomène assez fréquent chez les mystiques. Elle se manifeste par une élévation extraordinaire de la température interne du corps, qui passe de trente-sept degrés centigrades à quarante et jusqu'à cinquante degrés, peut-être plus.

Chez le commun des mortels, une intense émotion provoque souvent une forte élévation de la température. On ne peut donc s'étonner que les ardeurs émotionnelles déclenchées par les transports d'amour divin soient liées à l'incendium amoris, phénomène absolu d'hyperthermie, bien des fois rapporté dans la vie des grands mystiques, consumés, au sens propre du mot, par cet amour. Signe extérieur, à juste titre, de leur ferveur, du latin fervor = chaleur.

« Ce fut comme un feu dévorant allumé dans mes os », dit le prophète Jérémie (XX, 15). Et saint Paul : « Notre Dieu est un feu dévorant. » (Hébreux XII, 29.)

C'est bien d'un effet physique qu'il s'agit. La grande extatique sainte Angèle de Foligno (1250-1309) brûlait littéralement d'amour pour Dieu: « Il me fut donné un tel feu que, debout près de la croix, je me dépouillai de tous mes vêtements », ose-t-elle écrire dans le Livre des visions.

Sainte Catherine de Gênes (1447-1510) qui, après une vie mondaine, s'était vouée à « souffrir comme le Christ », fut elle aussi consumée par l'Amour dévorant. On possède comme référence sa Vita publiée en 1551 et la biographie de Salvatori, fondée sur les témoignages du procès en béatification, dont il faut rappeler qu'ils sont faits sous serment par des personnes considérées comme fiables et soumises à la critique du promotor fidei.

Pendant trois carêmes et autant d'avents, sainte Catherine s’abstint de tout aliment a solide, ne buvant qu'un étrange breuvage composé d'eau, de vinaigre et de sel !

« Quand elle buvait cette mixture, lit-on dans sa Vita, il semblait que le liquide tombait sur une dalle chauffée au rouge et qu'il était tout de suite séché par le grand feu qui brûlait en elle. Aucun estomac, si robuste fût-il, n'aurait pu supporter une boisson de ce genre, à jeun, mais elle déclarait que la brûlure interne qu'elle ressentait était si grande, que même cette boisson au goût atroce rafraîchissait son corps. »

De janvier à septembre 1510, « elle fut souvent frappée d'une flèche encore plus aiguë de l'amour divin, comme si elle sentait des tenailles rougies au feu attaquer son cœur et d'autres parties internes. Une fois, elle se sentit brûler avec intensité. Elle semblait placée dans une grande flamme. Cette angoisse dura un jour et une nuit et il était impossible d'effleurer sa peau à cause de la douleur aiguë qu'elle ressentait à n'importe quel attouchement ».

Elle ne brûlait pas seulement du cœur. Les paumes de ses mains aussi. Ayant voulu les rafraîchir, dit la Vita, on lui apporta une coupe d’eau glacée où elle les plongea. L'eau devint alors si brûlante que même la coupe brûlait l'assistante, sœur Argentina, lorsqu'elle l'emporta.

Le 28 août 1510, elle parut s'embraser. Les témoins disent qu'« elle criait que toute l'eau qui existe au monde ne pourrait lui procurer le plus petit rafraîchissement ». A la fin, sa langue et ses lèvres étaient si parcheminées qu'elle ne pouvait plus parler ni déglutir, à l'exception de l'Eucharistie.

Le plus étrange fut sa dernière heure. Même le père Thurston, qui ne se trouble pas facilement, évoque « l'embrasement intime qui dévora les derniers vestiges de sa vitalité ».

Entre le 13 et le 15 septembre, jour de sa mort, elle perdit de grandes quantités d'un sang brûlant. Non seulement il chauffait les vases qui le recueillaient, laissant dans l'argent une marque indélébile, mais encore il brûlait la chair au passage.

Le sang qui bout, est-ce possible ? Lisez les témoignages sur mère Seraphina di Dio, carmélite de Capri, morte en odeur de sainteté en 1699, et dont la biographie fut publiée à Rome en 1748, sous la plume des Oratoriens Sguillante et Pagani, entièrement fondée sur les témoignages du procès en béatification.

« Les religieuses disent l'avoir souvent vue en prière, la figure rayonnante comme une flamme et les yeux étincelants. Si elles la touchaient, elles se brûlaient. Elle se disait consumée par un feu vivant ; son sang bouillait. »

Après sa mort, le procès-verbal précise :

« Pendant vingt heures, son corps garda une telle chaleur, surtout dans la région du cœur, qu’on pouvait s’y chauffer la main. La chaleur demeura perceptible trente-trois heures après la mort. Le corps ne perdit sa chaleur qu'après qu'on en eut retiré le cœur. »

C’est donc le cœur qui est la source de la chaleur. En matière de centrale nucléaire, on parle aussi du « cœur ».

Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), la visionnaire du cœur de Jésus, raconte dans son Autobiographie :

« Cette plaie (du cœur), dont la douleur m’est si précieuse, me consume et me fait brûler toute vive.»

Ces phénomènes ne sont pas rares. Dans son Traité de l'amour de Dieu, saint François de Sales écrit à propos de saint Stanislas Kostka (1030-1079), patron de la Pologne :

« Stanislas était assailli avec une telle violence par l'amour de Notre Sauveur, que souvent il s'évanouissait et souffrait de spasmes. Il était obligé d'appliquer sur sa poitrine des linges trempés d'eau froide pour tempérer l'ardeur, de l'amour qu’il ressentait. » Une inscription latine en porte encore le témoignage sur la fontaine du jardin. Une nuit glaciale où le vent soufflait, son supérieur le rencontra errant à travers le jardin du noviciat où se trouve cette fontaine.

- Que fais-tu là, Stanislas ?
- Je brûle ! Je brûle !

C'était bien le cœur qui brûlait, comme en témoigna le père Sanguigni, qui devait lui baigner la poitrine pour en atténuer la chaleur.

Saint Philippe Néri, prêtre fondateur de l’Oratoire (1515-1595), nous est bien connu par la biographie du père Bacci et par les témoignages de son ami et disciple le père Gallonio, au procès en béatification. Là encore, la chaleur vient du cœur et s'étend à tout le corps. L'homme est pourtant âgé, d'une extrême maigreur, le corps usé par l'ascèse et le jeûne. L’énergie en excès ne peut donc pas venir d'un processus chimique ordinaire produisant des calories. Souvent l'incendium le surprend la nuit et il faut ouvrir les fenêtres même en plein hiver, l'éventer, le rafraîchir. Le cardinal Crescenzi a témoigné que parfois, lorsqu'il lui prenait la main, « elle brûlait comme si le saint souffrait d'une fièvre dévorante ».

Mais ce n'est pas la fièvre. Le père Bacci rapporte encore qu'il était parfois pris d'extase en disant son office. Alors, « des étincelles dardaient de ses yeux, son visage resplendissait. Ce feu interne était tel qu’il défaillait, une syncope le jetait sur son lit où il restait étendu une journée entière sans autre maladie que celle de l'Amour divin. Une fois, sa gorge en fut si brûlée qu'il en fut malade plusieurs jours ».

C'est donc bien d’un phénomène physique qu'il s'agit. On en a d'autres preuves avec le rapport d'autopsie publié à Rome en 1613. Les chirurgiens découvrirent une grosseur sous le sein gauche, pouvant résulter de deux côtes cassées et écartées vers l'extérieur, lésion qui semblait très ancienne. L'incendium amoris était en effet accompagné parfois de palpitations considérables, que de nombreux témoins constatèrent lorsque le saint les serrait sur son cœur.

Le déplacement des côtes (sans fracture), comme soulevées par une extraordinaire dilatation du cœur, a été observé aussi chez saint Paul de la Croix (1694-1775) et chez la mystique de Lucques (décédée en 1903).

Eux aussi brûlaient : « Je sens mes entrailles desséchées, disait Paul de la Croix. J'ai soif et je voudrais boire ; mais pour étancher cette soif, je voudrais boire des torrents de feu. »

Et sainte Gemma :

Ce feu s’est tellement accru que je ne puis presque plus le supporter. Il me faudrait de la glace pour l'éteindre. Il m'empêche de dormir, de manger. Bien qu'il me délecte plus qu'il me torture, il m'épuise et me consume. »

Et elle conclut : « Ô Dieu ! Vous êtes flamme ! »

Même témoignage chez sainte Marie-Madeleine de Pazzi (1565-1607), la grande patronne de Florence. "

Née en cette ville d’une famille de l'aristocratie, Catherine de Pazzi est élevée dans une atmosphère de ferveur, mais aussi dans le luxe de cette cité au moment le plus brillant de son histoire. Remarquablement douée et d’un caractère indomptable, dès l'âge de dix ans elle est fascinée par la spiritualité. De tempérament à la fois mystique et sensuel, à onze ans elle fait vœu de virginité et de chasteté perpétuelle. Désormais, son corps et son esprit deviennent un champ de bataille où s'affrontent les aspirations mystiques et les pulsions charnelles. En vain elle tente de les mater par des macérations insensées, qui augmentent avec l'âge : privations,j jeûnes, enfin flagellations. À quinze ans elle repousse le mariage et à dix-sept ans réalise son rêve en entrant chez les Carmélites de Florence, sous le nom de Marie-Madeleine, en référence à la pécheresse convertie par le Christ. Elle donne un sens à ses sacrifices en se vouant à la conversion des pécheurs. Elle se singularise aussitôt par ses mortifications excessives, ses extases, ses visions entrecoupées de nuits de l’esprit et d'assauts démoniaques. La plus sévère règle monastique et son amour mystique n'ont nullement apaisé ses désirs charnels et c'est dans ce contexte explosif que se situent les phénomènes.

Ceux-ci sont bien observés et ne peuvent être suspectés, car ils ne concourent en rien à établir sa sainteté, qui sera reconnue malgré eux.

Ses extases ont diverses particularités. Elles sont fréquentes, souvent journalières, remarquablement longues. Un simple mot les déclenche : Jésus, amour. L'extase s'accompagne parfois de phénomènes inexplicables : perte de poids avec lévitation, ou au contraire extrême rigidité, pétrification. [...] Enfin, certaines extases ont cette particularité de provoquer en elle un incendie d'amour. Une hyperthermie embrase son corps et particulièrement son cœur, au point de dégager une chaleur qui rayonne d'elle et que ses compagnes ressentent avec effroi. Le père Cepari, son biographe, raconte :

« À cause de la grande flamme brûlante de cet amour divin, elle courait au jardin. Au plus fort de l'hiver, ne pouvant supporter ses vêtements de laine à cause du brasier d'amour qui dévorait sa poitrine, elle les déchirait et les rejetait. Elle allait à la source où elle buvait d'énorme quantité d'eau froide, trempait sa figure et ses bras, versait de l’eau sur sa poitrine. Et si grande était «la flamme qui consumait son sein que, de l'extérieur même, elle semblait se consumer. »

L’eau s'évaporait, en ébullition, dit-on, au contact de sa peau.

Ce n’est pas une fièvre banale, elle n'est pas malade. Le père Cepari dit encore, ce que confirment les témoins au procès en béatification, que « son visage perdait en un instant la pâleur causée par ses pénitences et devenait rayonnant, radieux. Ses yeux brillaient comme des étoiles elle criait : Amour ! Dieu d'amour ! ».

La vie de Maria Villani, dominicaine de Naples (décédée en 1670) a été écrite quatre ans après sa mort par le dominicain Francis Marchese. Il la qualifie de « fournaise ardente d'amour », ce qui correspond au désir sans cesse exprimé par cette religieuse d'être consumée d'amour divin. Pour calmer ses brûlures bien réelles, elle buvait quinze à vingt litres d’eau par jour. La déglutition, dit-on, était suivie d'un grésillement, comme si l’eau se vaporisait sur une plaque chauffée au rouge.

Sœur Maria connaissait l'origine de ce phénomène. Comme Thérèse d'Avila et beaucoup d'autres mystiques, elle avait été blessée au côté et au cœur par « une flamboyante lance d'amour ». Cette blessure existait réellement. Trois de ses confesseurs la touchèrent et même la sondèrent. Après sa mort, l'autopsie des chirurgiens Trifone et Pinto le confirma, le père Marchese la vit :

« Les lèvres en étaient dures et cicatrisées comme après l'emploi d'un cautère, évoquant une lance de feu. »

On dispose ici d'un document scientifique, l'autopsie réalisée par les deux chirurgiens. Le corps, qui de son vivant était desséché, de couleur sombre, avait pris un teint frais, il était devenu souple. L'ouverture du corps neuf heures après la mort révéla d'autres surprises. Un sang clair et fluide s'écoula du cœur. « Une fumée (fumo) et de la chaleur s'en exhalèrent, véritable brasier d’amour divin. »

Le chirurgien recula. Un moment plus tard, « il mit la main dans le cadavre pour retirer le cœur, mais il le trouva si chaud que, se brûlant, il fut contraint de retirer plusieurs fois la main avant d'y parvenir ». Ce cœur a été conservé et demeura incorrompu, au moins jusqu'en 1673, date de la rédaction de la Vita.

Maria Villani était en outre coutumière de lévitation et émettait des parfums mystérieux.

Dans les dernières semaines de sa vie, la bienheureuse Élisabeth de la Trinité (1880-1906) était elle aussi devenue un feu dévorant. Certes, la jeune carmélite de Dijon se mourrait de la tuberculose, mais n’y avait-il que cela ? Elle brûlait d'amour pour Celui qui, irrésistiblement, l'attirait vers lui. Son palais, sa langue étaient en feu, et elle brûlait dans tout son corps. Elle dit alors :

« Dieu est un feu dévorant ; c'est son action que je subis. »

Elle s'éteignit le 9 novembre 1906. Ses derniers mots avaient été : « Je vais à la Lumière, à l'Amour, à la Vie. »

À une époque plus récente encore, signalons le cas bien connu du padre Pio. Le 17 mars 1918, le jeune moine capucin, lui aussi brûlant de l'amour de Dieu, était réformé de l’armée pour broncho-alvéolite double. Il subit des examens médicaux à l'hôpital de Naples et sa température stupéfia infirmiers et médecins. Les thermomètres éclataient à leur graduation maximum : quarante-huit degrés centigrades ! Or, ce n’était pas une fièvre ordinaire, puisqu'il rentra tranquillement chez lui par ses propres moyens.

Jean Guitton et Jean-Jacques Antier, « Les pouvoirs mystérieux de la foi ».



Ce monde n’est pas déterminé par des lois physiques intangibles. Des exemples célèbres le prouvent, Thérèse d'Avila, Bernadette Soubirous, le curé d'Ars, ou, plus proche de nous, Marthe Robin. De tout temps, à travers le monde, les grands mystiques ont éprouvé ces extraordinaires moments de grâce où la matière semble dépassée, ont vécu ces signes inexplicables de la transcendance dans leur chair.

La spiritualité, l'ascèse, l'expérience du sacré, mais aussi l'évolution actuelle de la science : de ces dialogues denses et foisonnants sur les pouvoirs de la foi, les sceptiques sortiront ébranlés, et les croyants affermis dans leur conviction.



Le toumo tibétain

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