mardi, mars 08, 2011

Le symbolisme de la croix gammée






Nous avons vu que le fascisme doit être considéré comme un problème relevant de la psychologie de masse et non de la personnalité d'Hitler ou de la politique du parti national-socialiste. Nous avons expliqué de quelle manière une foule paupérisée peut se tourner avec impétuosité vers un parti archi-réactionnaire. Pour dégager pas à pas sans risque d’erreur, les conséquences pratiques qui en résultent pour l’action politique sexuelle, nous devons d'abord nous pencher sur le symbolisme grâce auquel les fascistes réussirent à passer des menottes réactionnaires aux structures libérales des masses. Quant au mécanisme de leur action, ils ne l’ont jamais compris. 


Dans les SA (1), le national-socialisme réunit de bonne heure des travailleurs à la mentalité vaguement révolutionnaire, pour la plupart des chômeurs et des jeunes, qui n'en étaient pas moins attachés au principe autoritaire. C’est pourquoi la propagande était contradictoire, différente selon les couches populaires auxquelles elle s'adressait. C’est seulement dans le maniement de la sensibilité mystique des masses qu'elle était logique et cohérente.


Il suffisait de s'entretenir avec des partisans du national-socialisme, notamment avec des membres des SA, pour se rendre compte que la phraséologie révolutionnaire était le facteur décisif du ralliement de ces masses. Ainsi, certains national-socialistes niaient qu’Hitler représentât le capital. D'autres mettaient Hitler en garde de trahir la cause de la « révolution ››. Quelques membres des SA affirmaient qu' Hitler était le Lénine allemand. Les transfuges de la social-démocratie et des partis libéraux du centre, qui étaient venus au national-socialisme, appartenaient sans exception aux masses révolutionnaires qui avaient fait partie naguère du groupe des apolitiques et des indécis. Les communistes convertis au national-socialisme étaient souvent des éléments révolutionnaires qui n'avaient pas compris les mots d'ordre contradictoires du Parti Communiste allemand ou qui s'en étaient laissé imposer par le faste extérieur du Parti d'Hitler, par son allure militaire, par ses explosions de force brutale. 


Parmi les moyens symboliques mis en œuvre, on est frappé par le symbolisme du drapeau :


« Nous sommes l’armée de la croix gammée,
Brandissez les drapeaux rouges,
C'est au travail allemand que nous voulons
Aplanir le chemin de la liberté... »


Ce texte est nettement révolutionnaire si l'on considère son orientation émotionnelle. Les national-socialistes utilisaient à bon escient des airs révolutionnaires auxquels ils adaptaient des paroles réactionnaires. Il faut rapprocher de cette pratique certaines formules politiques, comme on en trouvait par centaines dans la presse hitlérienne :


« La bourgeoisie politique est sur le point de quitter la scène où se fait l’histoire. Elle y est remplacée par la classe jusqu’à ce jour opprimée des travailleurs manuels et intellectuels, par les masses laborieuses appelées à remplir leur mission historique. »


C'est tout à fait dans la veine communiste. Le drapeau habilement composé accusait, aux yeux des masses, le caractère révolutionnaire du mouvement. Hitler écrit à propos du drapeau :


« En tant que national-socialistes nous voyons dans notre drapeau notre programme. Dans le rouge, nous voyons l'idée sociale de notre mouvement ; dans le blanc, l’idée nationaliste ; dans la croix gammée, notre mission de combattre pour la victoire de l’homme aryen, qui sera aussi la victoire de l'idée du travail créateur, travail qui de toute éternité a été antisémite et qui sera antisémite pour l’éternité » (Mein Kampf, p. 557).


Le rouge et le noir évoquent la structure contradictoire de l'homme. Mais on ne connaît pas très bien la signification, sur le plan émotionnel, de la croix gammée. Pourquoi ce symbole suscite-t-il si facilement des sentiments mystiques ? Hitler prétend qu'il est le symbole de l’antisémitisme. En réalité, la croix gammée n'a pris que tardivement ce sens. Reste à expliquer le contenu irrationnel de l’antisémitisme. Le contenu irrationnel de la théorie raciale découle d'une fausse conception de la sexualité naturelle, présentée comme quelque chose d'immonde, de sensuel. Dans ce contexte, le Juif et le Noir s’identifient aux yeux du fasciste, qu’il s'agisse d'un Juif ou d'un Noir allemand ou américain. Aux États-Unis, la lutte raciale contre les Noirs est essentiellement une défense sexuelle : le Noir est considéré comme un cochon sensuel qui viole les femmes blanches. Hitler écrit à propos de l’occupation de la Rhénanie par des unités de couleur :


« La France est aujourd'hui plus que jamais le pays où il y a concordance entre les intentions de la Bourse, des Juifs qui en sont les animateurs, et les désirs d'une direction de l'État nationale et chauvine. C'est là précisément que réside l’immense danger pour 1'Allemagne. C'est pour cette raison même que la France est et demeure notre ennemi le plus redoutable. Ce peuple qui ouvre de plus en plus ses portes à la négritude (Vernegerung) représente, du fait de son identification avec les objectifs de l’hégémonie mondiale juive, une menace permanente pour l’existence de la race blanche en Europe. Car la contamination de la Rhénanie, au cœur de 1'Europe, par le sang nègre est aussi bien une manifestation sadique et perverse de la soif de vengeance de l'ennemi héréditaire de notre peuple, que le froid calcul du Juif qui compte, par ce moyen, entreprendre la bâtardisation du continent européen à partir de son centre et, en infectant la race blanche avec une humanité
de rebut, saper les bases de notre existence souveraine » (Mein Kampf, p. 704-705).


Il nous faut résolument prendre l’habitude d'écouter attentivement ce que dit le fasciste et ne pas écarter ses propos en les qualifiant de sottise ou de tromperie. Nous comprenons mieux maintenant le contenu affectif de cette théorie, qui semble relever de la manie de la persécution, en la rapprochant de la théorie de l'«intoxication» du corps du peuple. La croix gammée a aussi un contenu propre à susciter les émotions les plus profondes, bien qu'i1 ne ressemble guère à ce qu'Hitler a pu en penser.


Constatons d'abord que la croix gammée a été trouvée aussi chez les Sémites, dans la cour des myrtes de l'Alhambra à Grenade. Herta Heinrich l'a repérée sur les ruines de la synagogue d'Edd-Dikke, à l'est du Jourdain, sur les bords du Lac de Tibériade. Elle y avait la forme suivante (2) :


fig.1


La croix gammée est souvent associée à un losange, la première représentant le principe masculin, le second le principe féminin. Percy Gardner l’a trouvée chez les Grecs sous le nom de « Hemera », symbole solaire, qui exprime également le principe masculin. Löwenthal décrit une croix gammée du XIVe siècle sur une nappe d'autel, dans l’église Maria zur Wiese (Notre-Dame-aux-champs) à Soest ; là, la croix gammée est assortie dune volve et dune croix à double croisillon. La croix gammée y symbolise le ciel d'orage, le losange la terre fertile.


Smigorski a trouvé la croix gammée sous la forme du svastika indien, éclair quadridirectionnel avec trois points au bout de chaque branche ; en voici le schéma (3) :


fig. 2


Lichtenberg a trouvé des croix gammées avec une tête à la place des trois points. La croix gammée est donc primitivement un symbole sexuel qui a pris, au cours des temps, diverses significations : symbolisant une roue de moulin, elle représentait aussi le travail. Comme sur le plan affectif, travail et sexualité s’identifiaient à l’origine, il est possible d’interpréter la découverte que Bilmans et Pengerots ont faite sur la mitre de saint Thomas Beckett : la croix gammée, Originaire de la protohistoire indo-européenne, y porte l’inscription suivante :


« Salut à toi, Terre, Mère des hommes, croîs dans l’étreinte de Dieu, comblée de fruit pour l’utilité des hommes ! »


La fécondité est ici représentée sexuellement, comme l’union sexuelle de la Terre-Mère avec Dieu le Père. Les lexicographes de l’Inde antique appellent, selon Tsélénine, le coq, ainsi que le libertin « Svastika », c'est-à-dire « croix gammée » par allusion à l’instinct sexuel.


Si nous regardons encore une fois les croix gammées précédentes (fig. 1) , elles nous apparaissent comme la représentation de deux figures humaines enlacées, schématisées, mais faciles à reconnaître comme telles. La croix gammée de gauche représente un acte sexuel en position horizontale, l’autre un acte sexuel en position verticale. La croix gammée symbolise donc une fonction fondamentale de la matière vivante.


Cette incidence de la croix gammée sur la vie affective inconsciente n’est pas, évidemment, la cause du succès de la propagande fasciste auprès des masses, mais elle y a puissamment contribué. Des tests « ad hoc » faits avec des personnes d'âge, de sexe et condition sociale différents, ont révélé que peu de gens ne découvrent pas la signification de la croix gammée ; la plupart finissent par la deviner, tôt ou tard, s'ils regardent assez longtemps. On peut donc supposer que ce symbole, qui représente deux personnages enlacés, exerce un grand attrait sur les couches profondes de l’organisme, trait d'autant plus marqué qu’on a affaire à des individus insatisfaits, sexuellement frustrés, Si l’on fait en plus, de la figure, le symbole de l'honorabilité et de la fidélité, elle tiendra compte aussi des mouvements de défense du Moi moralisateur et sera d'autant plus facilement acceptée. Ce serait une grave erreur que de vouloir dévaluer l’impact du symbole en dévoilant le sens ; premièrement, nous n’avons nullement l'intention de dévaluer l’acte sexuel, deuxièmement, nous nous heurterions à un refus de reconnaître l’exactitude de nos tests, puisque le travestissement moral agirait comme résistance. L’hygiène mentale fondée sur l’économie sexuelle choisit d'autres voies.


Wilhelm Reich, "La psychologie de masse du fascisme".












(1) SA = « Sturmabteilung », section d'assaut.
(2) Herta Heinrich : Hakenkreuz, Vierklee und Granatapfel (Ztschr. f. Sexualwissenschaft, 1930, p. 43).
(3) Indication d'après Joh. Löwenthal : Zur Hakenkreuzsymbolík (Ztschr. f. Sexualwissenschaft, 1930, p. 44).





La psychologie de masse du fascisme


Datant des années de crise en Allemagne de 1930 à 1933, cette étude classique de Wilhelm Reich demeure une contribution capitale à la compréhension d’un des principaux phénomènes de notre temps : le fascisme. Reich rejette vigoureusement l’idée que le fascisme représenterait l’idéologie ou l’action d’un individu isolé, d’une nation précise ou encore de tel ou tel groupe politique ou ethnique. Il refuse également l’explication purement socio-économique avancée par les marxistes. Il voit dans le fascisme l’expression de la structure caractérielle irrationnelle propre à l’individu moyen dont les besoins et les pulsions primaires, biologiques, ont été réprimés depuis des millénaires. Reich analyse minutieusement la fonction sociale de cette répression et le rôle capital qu’y jouent la famille et l’Eglise. Il montre combien toute forme de mysticisme organisé, y compris le fascisme, s’explique en définitive par le désir orgastique insatisfait des masses. 








Illustrations hors-texte :


- L’affiche d’une exposition, représentant une femme nue à visage de Mickey allongée et surmontée d’une croix gammée, symbole du nazisme, a déclenché une polémique en Pologne en 2010.


- La croix gammée est très présente dans le lamaïsme.

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