samedi, mars 19, 2011

Les triades chinoises


Héritières lointaines des sociétés secrètes des siècles passés, les triades forment une mafia puissante dont le destin semble aujourd'hui lié à la croissance spectaculaire de la Chine.

En un lieu clos qui fait office de temple, des hommes en costume reçoivent un jeune homme. Dans des fumées d”encens et à la lumière des bougies, on décapite un coq dont le sang est mélangé à un breuvage alcoolisé. L'impétrant jure alors de rester fidèle a la « société Houng » qui l'accueille. Il prononce solennellement un long serment comportant trente-six articles qui l'engagent à considérer les membres de cette société comme ses frères, à les aider en toutes circonstances et à ne dévoiler aucun des secrets de l'organisation. Plusieurs fois, il ponctue sa longue récitation par des mises en garde funestes : « Que je meure transpercé de myriades de poignards si je trahis ce serment. » Puis il s'entaille un doigt et verse quelques gouttes de son propre sang dans la décoction qui a été précédemment préparée. Tous les hommes présents trempent alors leurs lèvres dans la coupe afin de sceller sa promesse : le nouvel initié est désormais membre à part entière de la Triade. Cette scène aurait pu se dérouler en Chine au XVIIIe siècle. Elle a pourtant lieu à Hong Kong de nos jours. Car si les sociétés que l'on appelle aujourd'hui « triades » (San-he-hui) n'ont plus grand chose à voir avec la Triade des origines, elles en ont gardé le rituel d'initiation, demeuré presque intact à travers les siècles. Seule modification notable, mais très récente : par souci de prophylaxie, on demande aux impétrants de ne plus verser leur sang dans la coupe du serment.

Une société antique dévoyée

La Triade originelle est une société secrète ancienne née en opposition à la dynastie mandchoue des Qing, à la fin du XVIIe siècle. Ses fondateurs auraient été des moines du monastère de Shaolin, où le kung-fu a été inventé et enseigné. Société patriote, elle entendait restaurer l'ancienne dynastie des Ming. Pour ce faire, elle a soutenu, des siècles durant, toutes sortes de révoltes contre les usurpateurs mandchous. Un langage codé, des signes de reconnaissance, la pratique du secret et la maîtrise des disciplines de combat rendaient ses membres insaisissables. Cependant, une organisation décentralisée à l'échelle d'un pays immense a conduit fatalement à l'émiettement de la société. Ainsi, au milieu du XIXe siècle déjà, on note des débordements : certains de ses membres, rompant avec l”idéal des origines, exercent une violence gratuite au service de leurs seuls intérêts et au détriment des populations paysannes. Des loges de la Triade sont ainsi devenues des gangs de voleurs et d'assassins. Ce que l'on appelle de plus en plus les triades prête une dernière fois main forte à une révolte en 1911, qui débouche sur la défaite des Qing et la proclamation de la République. Leur rôle historique de société secrète politique décline tandis que leur structure perdure. En 1949 toutefois, les communistes les déclarent hors-la-loi. Elles fuient alors la Chine populaire pour s'installer sur des territoires chinois proches Hong Kong, Macao et Taïwan. Bien souvent d'ailleurs, les pouvoirs de ces Etats s'appuient sur les triades pour gouverner ; c'est le cas à Taïwan, au temps de Tchang Kaï-chek, lui-même initié. Dès cette époque en tout cas, ces sociétés ne sont plus qu'un pâle reflet de leur passé glorieux : leurs pratiques et leurs symboles sont mis exclusivement au service du crime organisé.

Le poids des héritages

Il n'en demeure pas moins que les structures anciennes continuent d'organiser la majorité des triades. Elles ont la force de la tradition dont l'efficacité n'est plus à démontrer. Ainsi, les groupements mafieux se divisent-ils en trois étages tout comme c'était le cas dans les anciennes loges. Au sommet trône un chef la « tête de dragon ». Il donne les grandes orientations à son groupe sans jamais participer directement aux opérations. Peu connaissent sa véritable identité. Sous ses ordres, plusieurs responsables qui ont conservé les noms traditionnels des officiers de loge : « l'Éventail de papier blanc » s'occupe des finances, le « Bâton rouge », spécialiste en arts martiaux, est en charge du respect de la loi interne, tandis que la « Sandale de paille » est en quelque sorte le délégué aux affaires extérieures du groupe. Il revient au « Maître des encens » la tâche délicate du recrutement et de la préservation de la tradition. Enfin, les membres les plus nombreux sont les « soldats », constituant le bras armé de l'organisation. A chaque fonction correspond un code chiffré que l'initié exprime par un simple geste : 489 pour une « tête de dragon », 432 pour une « sandale de paille », ou 49 pour les soldats.

Hommes et opium

Mélange d”antique et de moderne, les triades sont aujourd'l1ui des acteurs incontournables de l'économie informelle, en Asie bien sûr mais aussi sur tous les grands continents. Ces sociétés initiatiques criminelles sont assez comparables aux mafias italiennes dans leur esprit comme dans leur fonctionnement : elles pratiquent à grande échelle le racket, le proxénétisme, le commerce de contrefaçons. Elles sont de plus devenues expertes dans certaines activités l'une des plus rémunératrices aujourd'hui étant notamment le trafic d'êtres humains, lié à la Forte émigration de Chinois en quête de meilleures conditions de vie. Démunis, ceux-ci doivent s'en remettre à des réseaux de passeurs contrôlés par les triades ; ils versent des sommes faramineuses à ces passeurs et les paient bien souvent en travaillant des années durant dans des ateliers clandestins situés dans leur pays d”arrivée. Les triades sont également au cœur du trafic des stupéfiants en provenance du Triangle d'or. Cette région, située à cheval sur le Laos, la Thaïlande et la Birmanie, produit chaque année la moitié du volume mondial d'opium et de ses dérivés, l'héroïne principalement. Non contentes de contrôler ce commerce de la mort, les triades s'intéressent aujourd'hui à celui de la cocaïne et des amphétamines, produits très consommés sur le marché nippon, tout proche.

Une diaspora mondialisée

Toutes ces activités sont menées aujourd'hui à l'échelle planétaire car les triades profitent de la diaspora chinoise qui, avec soixante millions d'individus, est la plus importante du monde. Sur ce nombre, un quart de million de personnes seraient membres des triades. Implantées surtout en Asie, elles y organisent la base de tous les commerces frauduleux. Leurs collègues nord-américains et européens, installés dans des « chinatowns ››, se font les relais locaux de ces activités dans le cadre des tongs. Ces organisations publiques sont des sortes de communautés d'entraide destinées à accueillir les nouveaux arrivants et à faciliter leur installation ; elles sont amenées par là même à brasser des sommes de monnaie parfois importantes. Quelques-unes servent de couverture à des centres de blanchiment d'argent. Leurs bureaux ont ainsi pignon sur rue dans de grandes agglomérations européennes. Les idéogrammes Chinois sont la meilleure protection contre les investigations des forces de police, qui doivent désormais recruter des spécialistes bilingues afin de remonter les Filières mafieuses chinoises.

Des sociétés utiles ?

Toutefois, il ne faut pas se leurrer sur l'expression « mafia chinoise ». Les triades sont indépendantes les unes des autres et aucun organisme ne les chapeaute comme c'est le cas pour la Cosa nostra américaine. Au début du XXIe siècle, on dénombre six grandes triades chinoises: Sun Yee On, la Fédération Wo, 14 K, la Bande des quatre mers, le Bambou uni et le Grand Cercle. A l'exception de cette dernière, toutes sont installées aux marges de la République populaire de Chine, principalement à Hong Kong. Le rattachement de la cité-État à la Chine populaire en 1997 a soulevé chez les dirigeants mafieux quelques craintes, vite apaisées par le pouvoir communiste. En effet, le gouvernement chinois témoigne d'une étonnante mansuétude à l'égard des triades car il a vite compris le parti qu'il pouvait tirer de ces groupes riches réinvestissant une large part de leur argent sale sous forme d'investissements en Chine. Ainsi, le ministre de la Sécurité publique chinois, Tao Siju, pouvait-il déclarer dès 1995 que « les membres des triades ne sont pas tous des gangsters. S'ils sont de bons patriotes, s'ils assurent la prospérité de Hong Kong, nous devons les respecter. » Il devait même affirmer que « le gouvernement chinois est heureux de s'unir à [eux]. » Dans ces conditions, on comprend que la République populaire ne cherche pas réellement à lutter contre le danger que représentent ces sociétés secrètes extrêmement puissantes.


Les sociétés secrètes



Les sociétés secrètes



Sun Yee On, le gang le plus important du monde

Sun Yee On (« Vertu nouvelle et paix ») est non seulement la plus importante des triades, mais elle constitue aussi, avec ses 50 000 membres, le groupe mafieux le plus nombreux et le plus étendu de la planète. À partir de sa base de Hong Kong, elle rayonne dans toute l'Asie, aux États-Unis - elle est présente dans toutes les grandes villes américaines - et au Canada. Depuis l'ouverture économique de la Chine, elle investit des millions de dollars dans les zones franches littorales afin de blanchir une partie de ses bénéfices, pour le plus grand profit de Pékin. Des contacts auraient d'ailleurs eu lieu entre des membres du gouvernement communiste et des leaders de Sun Yee On. Cette triade est particulièrement active dans l'industrie cinématographique, la pornographie en particulier, qui représente en Chine un secteur en plein boom économique. Par ailleurs, elle a conservé les rites traditionnels de la Triade primitive tout en lui adjoignant un exécutif limité à quelques membres afin de gagner en efficacité.


Illustration :
Le dragon, symbole impérial chinois et étendard d'un grand nombre de sociétés criminelles orientales, comme la Triade du dragon rouge, ou encore du Dragon vert.

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